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Wikisource:Extraits/2024/23

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Selma Lagerlöf, Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède 1912

III

AVEC LES OISEAUX SAUVAGES

Dans la ferme

Jeudi 24 mars.

Pendant les mêmes journées précisément il se passa en Scanie un événement qui fut très discuté, occupa même les journaux, et que beaucoup de gens qualifièrent de conte, faute de pouvoir en donner une explication.

Voici l’histoire : une femelle d’écureuil avait été prise dans un taillis de coudriers sur les rives du Vombsjö ; on l’avait portée dans une ferme voisine. Jeunes et vieux, tout le monde dans la ferme se réjouissait de regarder la petite bête, si jolie avec sa belle queue, ses yeux intelligents et curieux, et ses mignonnes petites pattes. On comptait se distraire tout l’été de ses mouvements agiles, de sa façon leste et rapide de décortiquer les noisettes et de ses jeux joyeux. On l’installa dans une vieille cage à écureuil, composée d’une petite maison peinte en vert et d’une roue en fil de fer. La petite maison, qui avait portes et fenêtres, servirait de salle à manger et de chambre à coucher ; on y arrangea une couchette de feuilles et on y mit un bol de lait et une poignée de noisettes. La roue devait être la salle de jeu où la petite bête pourrait courir et grimper.

Les gens de la ferme trouvaient qu’ils avaient arrangé tout très bien pour l’écureuil et s’étonnèrent que son habitation ne parût guère lui plaire. Elle restait triste et revêche dans un coin de la chambrette : de temps en temps elle faisait entendre un cri de douleur aigu. Elle ne toucha pas à la nourriture. « C’est parce qu’elle a peur, disaient les gens ; demain, lorsqu’elle se sentira chez elle, elle mangera et jouera. »

Or, à ce moment, les femmes de la maison besognaient aux préparatifs d’un banquet, et le jour où l’on captura l’écureuil, on cuisait du pain. Soit qu’une malchance eût retardé le travail en empêchant la pâte de lever, soit qu’on eût été nonchalant, on dut veiller bien avant dans la nuit.

Dans la cuisine régnait une activité fiévreuse, et l’on ne prenait certes pas le temps de songer à l’écureuil. Mais il y avait à la maison une vieille grand’mère, trop âgée pour aider à la cuisson du pain. Elle s’en rendait parfaitement compte, mais elle ne pouvait accepter l’idée d’être mise de côté.

Trop triste pour aller se coucher, elle s’était assise à la fenêtre et regardait dehors. À cause de la chaleur, la porte de la cuisine était restée ouverte ; la lumière qui sortait de cette porte éclairait toute la cour. C’était une cour entourée de constructions des quatre côtés, et la maison d’en face était si bien illuminée que la vieille femme pouvait distinguer les trous et les crevasses dans le mur en torchis.

Elle voyait aussi la cage de l’écureuil, suspendue juste à l’endroit le plus éclairé.

Elle observa que l’écureuil courait toute la nuit sans repos de la petite maison à la roue, de la roue à la petite maison. Elle pensa que l’animal était en proie à une étrange inquiétude, mais elle supposait que c’était la forte lumière qui l’empêchait de dormir.