Yette, histoire d’une jeune créole/17

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J. Hetzel et Cie (p. Illust.-209).

XVII


IL ÉTAIT TOMBÉ COMME FOUDROYÉ.


CHAPITRE XVII

la petite maman


La triste explication que Cora donna brièvement à sa sœur fut complétée par les détails qu’ajoutait Mesdélices, témoin oculaire du désastre. Un de ces coups de vent furieux qui se font sentir aux Antilles, vers l’équinoxe d’automne, dans la saison de l’hivernage, à de rares intervalles fort heureusement, avait soufflé sur la Martinique. Le ciel est chargé au sud, bientôt l’horizon s’obscurcit, les gros nuages couleur de plomb se fondent en une masse informe, la nuit remplace le jour. Pendant tout le temps nécessaire à l’accomplissement de ces phénomènes, le vent ne s’est pas fait sentir ; deux ou trois rafales seulement ont troublé le calme de l’atmosphère ; elles se sont abattues sur le pays avec un sifflement strident, arrachant les feuilles, faisant battre les portes et les fenêtres. Après leur rapide passage, le calme s’est de nouveau rétabli ; mais bientôt ce sont des torrents de pluie. Tout à coup le vent recommence, d’une façon continue cette fois ; il grossit de minute en minute, passe du sud à l’est, puis au nord, puis à l’ouest, fait enfin tout le tour du compas. Les arbres, qui avaient déjà perdu leurs branches principales, sont maintenant déracinés violemment, La mer se gonfle à des hauteurs effrayantes ; plus d’un navire est englouti ! La maison perd-elle une tuile, le vent s’engouffre par l’ouverture et, ne trouvant pas d’issue, fait sauter toute la toiture. Quand une porte est enfoncée, vite il faut boucher le passage ouvert au vent, et, si l’on n’y peut réussir, on s’empresse de tout ouvrir, d’abattre même les cloisons qui pourraient ralentir la sortie du courant d’air ; on préserve ainsi un bâtiment de la destruction totale, autrement il éclaterait comme une bombe. Toutes les cases couvertes en paille qui ne se trouvent pas dans un pli de terrain sont balayées, les cannes couchées.

M. de Lorme, résolu à préserver, sinon sa récolte, au moins les bâtiments, n’avait cessé d’être au plus fort du danger, donnant des ordres, soutenant le courage des travailleurs qui disputaient les toitures à l’ouragan. La sucrerie avait fini, en dépit d’efforts désespérés, par se trouver découverte, et une des tuiles en volant avait atteint le malheureux propriétaire à la tempe. Il était tombé comme foudroyé ; les nègres n’avaient rapporté à la maison que son cadavre.

« Quand j’ai vu que je n’avais plus de père, racontait la pauvre Cora, j’ai appelé ma sœur de toutes mes forces, j’ai crié que je voulais aller te rejoindre, que c’était la volonté de papa. On ne savait que faire de moi ; il paraît que nous sommes ruinées, fit la petite Cora en haussant les épaules avec insouciance. Une dame de Saint-Pierre devait partir pour France, elle m’a prise avec elle.

— Et moé lé allé rété épi mamselle, interrompit Mesdélices.

— La da était trop vieille pour repartir, reprit Cora, elle est avec sa fille mariée. Mesdélices a dit que j’avais besoin de quelqu’un pour me servir ; figure-toi qu’elle est devenue très adroite ; elle me coiffe et elle coud aussi bien que notre da. »

Yette ne répondait rien, elle pleurait silencieusement. Sa petite sœur, voyant cela, cacha son visage sur son épaule et se mit à pleurer avec elle. Mesdélices réglait sa douleur sur celle de ses maîtresses. Les trois enfants restèrent ainsi dans le grand parloir froid et nu, envahi de plus en plus par le crépuscule d’automne, jusqu’à ce que Yette, embrassant sa sœur, lui dit avec résolution : « Je te reste, moi ! » Et la petite fille, rassurée par cet accent tendre et sérieux qui lui rappelait une voix chérie, désormais éteinte dans le tombeau, se pressa plus étroitement contre elle comme elle l’eût fait contre sa mère.

C’était trop vrai ; les pauvres enfants se trouvaient désormais sans ressources. En dépit d’efforts énergiques, leur père n’était pas parvenu à couvrir les emprunts forcés qu’autrefois nous l’avons entendu avouer au vieux curé du Macouba. C’est parce qu’on savait sa propriété grevée de dettes que personne n’avait voulu l’acheter, quand il avait souhaité de s’en défaire. Là-dessus le coup de vent était venu détruire la sucrerie, le revenu avait été insuffisant pour payer les intérêts des créanciers, et l’un d’eux avait poursuivi la vente de la propriété. Rien de plus fréquent aux colonies, où les cyclones, les tremblements de terre et autres révolutions de la nature déjouent souvent tous les calculs de la prudence et du labeur humain. M. Darcey n’ignorait aucun détail de cette histoire, mais il ne jugea pas nécessaire d’en parler à ses pupilles. S’étant concerté avec sa femme, qui, si elle avait peu d’esprit et de bon sens, ne manquait pas du moins de générosité dans les grandes circonstances, il annonça brièvement à Mlle Aubry que désormais il prenait la charge des deux orphelines.

« C’est un devoir que j’aurais réclamé si vous ne m’eussiez devancée, répondit cette dernière avec une égale simplicité ; mais mon tour viendra de les obliger. J’espère que vous me les laisserez jusqu’à la fin de leurs études.

— Cela va sans dire. Où seraient-elles mieux qu’auprès de vous ? »

Instinctivement et bien qu’elle ne pût deviner l’étendue de leurs bontés à son égard, Yette, dès ce moment, alla plus volontiers chez les Darcey. Elle leur était surtout reconnaissante d’aimer Cora. Yette était devenue du jour au lendemain une mère, uniquement préoccupée du bien de son enfant à qui elle sacrifiait tous ses propres goûts. Sur cette enfant son cœur chaleureux concentra toute l’affection qu’il avait longtemps partagée entre trois personnes ; elle se défendit cependant de la gâter, toute fière qu’elle était de sa gentillesse, car elle se rappelait combien un excès d’indulgence lui avait été funeste à elle-même ; elle l’éleva doucement et tendrement, la faisant travailler dans l’intervalle des classes et la protégeant aux heures de récréation. Du reste, personne n’eut jamais l’idée d’infliger à la sœur cadette les mauvais traitements dont avait souffert la sœur aînée ; la situation des deux orphelines inspirait trop de pitié aux plus méchantes, et puis la jolie figure de Cora lui avait valu de devenir en peu de temps la favorite de la pension. Yette était obligée de veiller plutôt à ce qu’on ne la flattât pas trop, car la petite fille avait déjà une bonne dose de vanité. Mais si, contre tout précédent, cette nouvelle était choyée, fêtée, entourée de soins et de complaisances, c’était à sa grande sœur qu’elle le devait, bien plus qu’à son propre mérite. Yette s’était fait peu à peu une place à part au milieu de ses compagnes, auxquelles on la citait comme un modèle. Les malheurs qui étaient venus la frapper coup sur coup avaient impressionné toutes ces jeunes imaginations, tandis que le courage avec lequel elle les supportait devait nécessairement inspirer aux plus légères une sorte de respect. Mlles Raymond et de Clairfeu elles-mêmes subissaient cet ascendant, elles qui n’avaient fait aucun cas jusque-là de tout ce qui n’était pas la richesse ou la naissance. Or, on savait que le meilleur moyen d’être agréable à Yette était d’aimer sa petite sœur.

« Pourquoi donc disais-tu qu’on s’ennuyait en pension ? demandait cette dernière, moi je trouve qu’on n’y est pas mal.

— C’est que tu es plus sage que je ne l’étais à ton âge, répondait Yette, sans songer que le régime dont elle avait pu se plaindre était singulièrement adouci pour Cora, grâce à elle.

— Une seule chose me déplaît ici, reprenait la petite sœur, on travaille trop. »

Cora, une santé délicate aidant, était affligée au plus haut degré de ce défaut créole : la nonchalance ; elle n’avait de vivacité que pour le plaisir, et, souvent endormie en classe, ne dédaignait jamais, bien loin de là, les amusements de toute sorte qui l’attendaient chaque jour de congé dans l’opulente maison des Darcey. Le dimanche, une voiture venait régulièrement chercher les jeunes filles pour les conduire chez leur tuteur, où Yette, à sa grande joie, retrouvait Mesdélices, qui avait dû consentir, non sans difficulté, à entrer au service de Mlle Polymnie Darcey, en attendant que ses maîtresses sortissent de pension. Les deux amies, tout en riant et tout en pleurant, parlaient du bon vieux temps qui ne devait plus renaître. Mesdélices racontait comment Tom était devenu valet de chambre dans la ville de Saint-Pierre ; il portait désormais des souliers tous les jours, selon le rêve de son enfance, même des chemises roses ! il graissait sa laine à outrance pour en faire des cheveux, et sentait la fleur d’orange ! Il fallait le voir danser la bamboula. Quelles grimaces ! quelles manières ! Malgré ses prétentions, c’était un bon garçon, et il parlait toujours de mamselle Yette.

« Et Loulou ? demandait Yette.

— Loulou, reprenait Mesdélices dans son jargon, n’avait jamais pu rien faire qu’aider à la cuisine où sa gourmandise la rendait importune plutôt qu’utile. Les petits manicous capturés par mamselle Yette n’avaient pas voulu s’habituer à la caloge. Le crabier n’existait plus depuis longtemps. La pauvre chatte blanche était morte d’une piqûre de serpent. Elle avait toujours eu la rage d’attraper de petits serpents et le tort de les apporter dans la maison, ce qui n’était pas sans danger, car le serpent peut trouver un trou et s’échapper, s’il n’a pas la colonne vertébrale cassée. Souvent elle avait été piquée et s’était guérie rien qu’en se léchant. C’était vraiment drôle de la voir lécher sa patte, pour la frotter ensuite sur la piqûre, quand elle était blessée à la tête, mais malheureusement ce remède n’avait pas toujours été aussi puissant que le venin. L’autre chatte, la noire, Zizi, était restée aux soins de la da qui, n’ayant plus de poupon à bercer, l’endormait le soir sur ses genoux au son de la vieille chanson que réclamait autrefois sa petite maîtresse :

Do do ti hitch à da li
Do do ti hitch à da li
Si ti hitch là pas li dormi
Gros chatt là qu’allé mangé li ;

autrement dit :

Do do petit enfant à sa da,
Si le petit ne veut pas dormir,
Le gros chat qui est là va le manger,

menace qui ne devait pas beaucoup effrayer dame Zizi, les chats, pas plus que les loups, ne se mangeant entre eux.

Jamais Yette n’en avait fini avec ses questions, ses larmes et ses rires.

« Quelle différence entre les deux sœurs ! disait Mme Darcey à son mari. Vous avez beau la défendre, votre Yette est bizarre, pour ne rien dire de plus. Je ne la vois causer aussi volontiers avec personne qu’avec cette noiraude, tandis que Cora est fière comme il convient à une jeune fille distinguée.

— Qu’appelez-vous distinguée ? dit M. Darcey.

— Enfin, mon ami, vous ne pouvez nier que cette petite n’ait les goûts d’une princesse comme elle en a la beauté. Une robe de toile parait élégante sur elle, et elle porte avec aisance la plus belle toilette… elle danse comme une fée. Vous la verrez dans le monde un peu plus tard, elle y fera sensation !

— Combien de fois, répliqua M. Darcey, serai-je obligé de vous dire que vous avez tort de lui inspirer l’amour des chiffons, dont elle sera forcée de se priver par la suite ? C’est un mauvais service à rendre aux filles pauvres que de les parer comme des poupées.

— Mais on ne peut dire à une enfant qu’elle est pauvre, cela serait cruel !

— Il est bien plus cruel de lui laisser croire qu’elle est riche quand la vie doit la détromper.

— Bah ! ce sont toujours quelques bonnes années de gagnées pour la chère mignonne ! D’ailleurs, la vie ne sera pas aussi sévère à son égard que vous paraissez le prévoir. Je gage qu’elle fera un beau mariage.

— Pourquoi ? Parce qu’elle promet d’être coquette, vaine et dépensière ?

— Elle est si jolie !

— Je suis loin de mépriser une jolie figure. C’est une enseigne qui a son prix et son utilité parfois… elle attire, mais encore faut-il qu’elle tienne ce qu’elle promet et qu’un caractère aimable serve de doublure à la beauté, puisqu’après un peu de temps il ne reste que la doublure en somme.

— Mais Cora est bonne, et d’abord d’une sensibilité !…

— Un peu trop sensible. Éliette la ménage à l’excès, sous prétexte qu’elle est nerveuse au point d’avoir la fièvre pour une contrariété. En revanche, je trouve qu’elle ne ménage pas assez Éliette, qui est à la fois son institutrice et sa servante.

— Oh ! celle-là est de force à tout endurer.

— Vraiment ! Faut-il donc abuser de ce que les gens sont patients et courageux ?

— Soyez juste, mon ami ; il y a des êtres taillés pour la lutte, et il y a aussi des sensitives. Vous ne pouvez nier cela, malgré votre prédilection pour ce garçon manqué.

— Mes prédilections à moi ne vont pas jusqu’à la faiblesse, et la preuve c’est que je crois le moment venu d’éclairer Éliette de bonne sur sa situation véritable, afin qu’elle puisse défendre sa sœur contre l’influence malsaine et dangereuse de cette maison-ci… oui, de notre maison, où l’on n’entend parler, je suis fâché de vous le dire, que de frivolités de toutes sortes…

— Monsieur Darcey ! »

Sans tenir compte de l’indignation de sa femme, celui-ci ouvrit une porte et appela Yette qui goûtait dans la pièce voisine avec Cora et Mlle Polymnie.

« Venez toute seule, dit-il, nous avons à causer de choses graves. »

Yette rougit légèrement.

« Allons, venez ! »

Elle alla s’asseoir sur le canapé, à côté de Mme Darcey, en face de son tuteur, et attendit ce qu’on avait à lui dire.

« Éliette, reprit M. Darcey, je me suis informé auprès de Mlle Aubry ; vous arrivez à la fin de vos classes, et vous êtes en mesure de passer sans trop de peine le premier examen de la Sorbonne. Je vous engage à essayer.

— J’ai déjà dit à Mlle Aubry que je comptais m’y présenter, monsieur.

— C’est un bon complément d’éducation, fit observer M. Darcey.

— Et pour moi, reprit tranquillement la jeune fille, ce sera en outre une ressource. »

Mme Darcey et son mari échangèrent un regard étonné qui voulait dire :

« Soupçonnerait-elle déjà ? »

« Je sais que nous sommes pauvres, poursuivit Yette ; mais, monsieur, il y a longtemps que je désire savoir, sans oser vous le demander, jusqu’à quel point nous le sommes. Les personnes riches appellent souvent pauvres ceux qui ont moins d’argent qu’elles. Est-ce ainsi que nous sommes pauvres ? ou bien ne dois-je en réalité compter que sur moi-même pour subvenir à mes besoins et à ceux de ma petite sœur ?

— L’affection que nous vous avons toujours témoignée aurait dû vous faire comprendre que vous pouviez compter sur nous, dit assez aigrement Mme Darcey.

— Éliette n’est pas ingrate, j’en réponds, interrompit son mari, et elle a une façon d’aborder franchement les questions qui me plaît. Elle sait qu’elle trouvera toujours ici des amis dévoués, mais, sans douter d’eux le moins du monde, elle prétend n’être à la charge de personne. Est-ce cela, mon enfant ? »

Yette rougit de nouveau et répondit en fixant sur lui des yeux où brillait la reconnaissance dont Mme Darcey avait si gratuitement prétendu qu’elle était incapable :

« Oui, monsieur.

— Eh bien ! vous touchez justement à un sujet que je comptais tôt ou tard aborder avec vous. Ma chère Éliette, vous n’êtes plus une enfant ; il y a en vous, je crois, l’étoffe d’une femme très raisonnable et très vaillante. Je peux donc vous le dire, votre père, qui passait pour riche la veille de sa mort…

— Était en réalité ruiné, interrompit Yette.

— Vous saviez cela ?

— Je l’ai su tout de suite par un mot de ma sœur qui depuis a oublié, pauvre petite, ce mot qu’elle avait prononcé au hasard sans le comprendre. Est-ce une ruine complète, absolue ?…

— À peu près. Il s’est ruiné en voulant augmenter la fortune de ses enfants. S’il avait vécu, vous eussiez été riches tôt ou tard, en dépit des événements qui paralysaient ses entreprises.

— Oh ! s’écria-t-elle, j’étais sûre qu’il ne pouvait y avoir de sa faute, pauvre père ! Mais s’il n’a rien laissé, comment donc est payée notre pension ? »

Avant d’avoir achevé cette phrase, d’une voix tremblante, Yette avait deviné d’elle-même, car, saisissant la main de M. Darcey, elle y déposa un baiser.

« Et vous ne me laissiez pas vous remercier, mon bon tuteur, c’est mal !… »

Dans son effusion, elle se jeta au cou de Mme Darcey qui, toute honteuse de l’avoir mal jugée, la serra sur son cœur.

« Ne vous tourmentez pas, dit. M. Darcey, cherchant, par excès de délicatesse, à diminuer l’importance du service rendu, j’ai reçu à deux ou trois reprises quelques bribes…

— Cette année encore ? demanda Yette, son œil clair fixé sur lui.

— Non… cette année, je n’ai rien reçu.

— Il faut donc que je me hâte, dit-elle en se levant avec énergie, comme si elle eût voulu courir droit à un but déterminé, il faut que je me mette en mesure de gagner ma vie, notre vie à toutes deux.

— Yette ! s’écria Mme Darcey avec un élan de bonté mal entendue, ne parlez pas ainsi. Une jeune fille de votre rang ne gagne pas sa vie comme un manœuvre, mais elle trouve des points d’appui honorables, des protections…

— Éliette ne fait fi ni de notre appui ni de notre protection, dit M. Darcey, d’une voix où frémissait un peu d’émotion contenue.

— Moi ! interrompit Yette. Oh ! monsieur, je suis si heureuse au contraire de les avoir trouvés chez celui que mon père appelait son ami ! J’accepte si volontiers au nom de mon père tout ce que vous avez fait pour nous, tout ce que vous ferez encore pour un temps… mais un temps le plus court possible’ Vous me comprenez, monsieur…

— Oui, oui… vous gagnerez votre vie, n’en déplaise à ma femme, non pas comme un manœuvre, mais comme un homme, ni plus ni moins, et sans déroger pour cela. Vous avez bien parlé, mademoiselle Éliette ! Votre père eût été fier de vous. Il est beau à votre âge d’accepter ainsi l’adversité.

— Oh ! s’écria Yette, je n’ai aucun mérite. Vous ne savez pas quelle joie ce sera pour moi de travailler pour ma petite sœur. »

Yette était vraiment belle en parlant ainsi, plus , belle que Mlle Polymnie avec son teint de poupée anglaise, plus belle que Cora avec son profil de camée ; sa vaillante petite âme se montrait à toutes les fenêtres de son visage épanoui, rayonnante dans ses yeux, palpitante sur ses lèvres, visible à fleur de peau.

« Laissez-moi vous embrasser, ma brave enfant, dit M. Darcey, qui luttait depuis quelques instants contre une quinte de toux persistante, dont l’effet était de rendre son œil bleu d’acier tout humide derrière le verre de ses lunettes.

— On dirait vraiment qu’elle est contente de n’avoir pas le sou ! murmura tout bas Mme Darcey. C’est une fille bien originale ! Mais elle a du cœur… elle en a ! »