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C’est ce qui fait l’utilité d’un livre comme celui que vient de publier M. Vallery-Radot : la Vie de Pasteur[1]. Rien n’y est pour la vaine curiosité ; tout y est pour l’instruction et pour l’élévation de l’esprit.

S’il appartient en effet aux savans de décider en quoi consiste l’originalité du génie scientifique de Pasteur et si nous mesurons chaque jour au nombre des existences préservées grâce à lui la vertu de ses découvertes, il reste à savoir quel homme était cet homme de génie, à le surprendre dans l’habitude de sa vie quotidienne, et dans l’intimité de son cœur. M. Vallery-Radot a voulu nous y aider, et tel est précisément l’objet qu’il s’est proposé en écrivant cette biographie. Cela explique la méthode qu’il y a adoptée. Se laissant guider par les faits et par les dates, suivant, étape par étape, cette existence si remplie, il s’est interdit tout artifice de composition, tout procédé qui sentirait son artiste ou son avocat. Il ne s’est pas appliqué à faire saillir certains traits de son modèle, à éclairer de préférence un côté du portrait. Il n’a voulu être que le témoin fidèle, le biographe abondant et consciencieux. Cela donne à ce récit, dont la trame est tout unie, à cette déposition dont le ton est volontairement assourdi, une autorité particulière. Dans cette vie d’un homme de science et d’un homme de famille, nous passons d’une expérience de laboratoire à un tableau d’intérieur ; les émotions de l’existence journalière se mêlent aux préoccupations de la recherche scientifique ; les tristesses et les joies du foyer alternent avec la fierté des découvertes ; c’est l’image même de la réalité. Parcourir toute la carrière d’un Pasteur, depuis les humbles et pénibles débuts jusqu’à l’apothéose finale, assister aux efforts de l’écolier et aux premiers succès du maître, l’accompagner dans ses voyages d’études, le voir entouré de ses disciples ou aux prises avec ses contradicteurs, apprécier en lui le chef de famille, l’ami, goûter le charme de simplicité grave qui était en lui, tel est le plaisir que nous devons à ce livre. Il nous apprendrait, si nous ne le savions déjà, qu’après avoir admiré Pasteur pour son génie, il nous reste à l’aimer pour son caractère.

Ce qui fait le charme de cette biographie en fait aussi bien la portée. Trop souvent en effet, lorsque nous avons voulu lier connaissance un peu intime avec les penseurs dont les œuvres nous avaient enthousiasmés, nous avons éprouvé de si cruelles déceptions, que, faute de savoir réfréner notre curiosité, du moins nous sommes-nous fait sur ce sujet une philosophie. Nous avons commencé par déclarer que les défauts du caractère ne diminuent pas le rayonnement de

  1. La Vie de Pasteur, par M. René Vallery-Radot, 1 vol. gr. in-8o, chez Hachette.