Œuvres de Turgot (Daire, 1844)/Actes du Ministère de Turgot/Sur l’impôt direct

La bibliothèque libre.
Texte établi par Eugène DaireGuillaumin (tome IIp. 368-389).

III. FINANCES.

1o DÉCLARATIONS, ÉDITS, ETC., RELATIFS À L’IMPÔT DIRECT.

Lettres-patentes qui valident les opérations faites dans la généralité de Paris pendant les années 1772, 1773, 1774 et 1775 pour la confection des rôles des tailles de ces années[1]. (Données à Versailles le 1er janvier 1775, registrées en la Cour des aides le 25 desdits mois et an.)

Louis, etc. Le feu roi notre aïeul s’était occupé des moyens d’écarter l’arbitraire de la répartition des impositions que supportent les habitants des campagnes ; il avait fait connaître ses intentions à ce sujet par ses édits d’avril 1763, juillet 1766, et par sa déclaration du 7 février 1768 ; instruit que le sieur intendant et commissaire départi dans la généralité de Paris pour l’exécution de nos ordres, a fait depuis plusieurs années des efforts pour que les peuples recueillissent de ces lois les avantages qu’ils pouvaient en espérer, nous avons cru devoir laisser subsister ce travail pour la présente année. Nous espérons pouvoir bientôt nous expliquer plus particulièrement sur la répartition des impositions, objet digne de toute notre attention, et qui intéresse essentiellement le bonheur et la tranquillité de nos peuples. À ces causes, nous avons, par ces présentes, dit, déclaré et ordonné ce qui suit :

Art. I. Nous avons validé et validons les opérations faites dans la généralité de Paris pour la confection des rôles de la taille des années 1772, 1775, 1774 et 1775, d’après l’instruction donnée par le sieur intendant et commissaire départi en ladite généralité, aux commissaires employés à la confection desdits rôles, laquelle instruction nous avons fait annexer à cet effet au contre-scel des présentes.

II. Ordonnons que les commissaires aux tailles, syndics et collecteurs des paroisses seront tenus de s’y conformer pour la présente année.

III. Voulons que les contestations et oppositions qui pourraient être déjà formées à l’occasion desdits rôles, ou qui pourraient l’être dans la suite, soient jugées en première instance par les officiers des élections, et par appel en notre Cour des aides, conformément aux dispositions contenues dans ladite instruction. Si donnons en mandement, etc[2].


Instruction pour les commissaires des tailles.

Art. I. Les commissaires des tailles se transporteront dans les paroisses au mois d’avril pour y recevoir les déclarations des biens des contribuables, afin de parvenir à la confection des rôles de l’année suivante, et se feront assister par les collecteurs qui auront été nommés à cet effet.

il. Ils annonceront leurs commissions aux syndics de chaque paroisse, au moins huit jours avant celui où ils devront s’y rendre, par un mandement qui indiquera le jour, le lieu et l’heure qu’ils auront fixés pour leur opération ; et seront les syndics et les anciens et nouveaux collecteurs tenus de s’y trouver, sous peine de 20 livres d’amende, qui sera prononcée par l’intendant et commissaire départi ; les autres habitants seront pareillement tenus d’y comparaître, faute de quoi leurs déclarations seront faites par le surplus de la communauté.

III. À leur arrivée dans les paroisses, les commissaires feront sonner la cloche pour assembler la communauté. Ils commenceront par se procurer des connaissances générales sur la situation de là paroisse, sa population, les noms des seigneurs, et autres objets qui doivent entrer dans la rédaction de leur procès-verbal.

IV. Ils s’enquerront particulièrement de la nature et qualité du territoire pour déterminer la nécessité ou l’inutilité de faire plusieurs classes dans l’évaluation des terres, d’après l’égalité ou la variété du sol, et ils comprendront dans chaque classe les noms des différents cantons dont elles doivent être composées.

V. Les commissaires prendront les renseignements les plus exacts sur tout ce qui pourra conduire à la juste fixation de l’estimation des biens imposables, ou du prix commun du loyer relativement à chaque classe, pour en faire leur rapport au département.

VI. Seront tenus les commissaires de prendre les autres instructions prescrites par ledit du mois de mars 1600, celui de janvier 1634, l’arrêt du Conseil du 28 février 1688, et les déclarations des mois d’avril 1761 et février 1768.

VII. Les commissaires procéderont ensuite à la réception des déclarations de chaque contribuable. Ils les rédigeront en présence du déclarant, des collecteurs et au moins des principaux habitants ; ils feront signer la déclaration par le déclarant lorsqu’il saura signer, sinon il sera fait mention qu’il ne sait signer, après toutefois les avoir avertis que les déclarations doivent être exactes et sans fraude, à peine du doublement de leurs cotes, ainsi qu’il est prononcé par les déclarations de 1761 et 1768.

VIII. Les déclarations de chaque contribuable contiendront : 1o les noms et surnoms du déclarant et sa profession ; 2o le détail des biens-propres qu’il exploite sur la paroisse, article par article, en distinguant la nature des biens et les différents cantons où ils sont situés, afin de les comprendre dans les classes qui pourront avoir été faites ; et dans le cas où la totalité de ces biens ou partie d’iceux serait chargée de rentes, il en sera fait mention, ainsi que des noms et demeures des personnes à qui elles sont dues ; 5o les biens qu’il exploite à loyer, avec la même distinction, le prix de la location et les noms et demeures des propriétaires ; 4o ce qu’il exploite dans les paroisses voisines, en propre ou à loyer, avec les autres distinctions indiquées ci-devant ; 5o la maison dans laquelle habite le taillable, en distinguant si elle lui appartient en propre, ou s’il la tient à loyer ou à rente ; il sera fait mention du prix du loyer ou de la rente et des noms et demeures de ceux qui sont propriétaires desdites maisons ou créanciers des rentes ; 6o les revenus actifs, soit en loyer de maison, de terres ou rentes de toute nature, et les noms et demeures de ceux par qui ces revenus sont payés ; 7o le commerce ou l’industrie de chaque taillable, suivant la commune renommée et la déclaration du taillable ; 8o le déclarant sera tenu, autant qu’il sera possible, d’appuyer la déclaration de pièces justificatives, telles que baux, quittances, partages, etc.

IX. Lorsque les déclarations auront été reçues, elles seront lues en présence des syndics, collecteurs et principaux habitants, qui pourront les contredire. Dans le cas où le déclarant n’aurait pas appuyé sa déclaration de pièces, la contradiction de la paroisse l’emportera sur l’assertion particulière du déclarant, et si les habitants arguaient les pièces de fraude, le commissaire en référera à l’intendant pour ordonner un arpentage ou telle autre vérification qu’il jugera convenable, dont les frais seront alors supportés par ceux des déclarants ou des habitants dont l’assertion aura été reconnue fausse.

X. Après la réception et la discussion des déclarations, le commissaire terminera son procès-verbal ; il en signera la minute, et la fera signer aussi par les syndics, collecteurs et principaux habitants.

XI. Les commissaires feront leur rapport au département des connaissances particulières qu’ils auront prises dans chaque paroisse pour parvenir à la fixation de l’estimation du prix des terres labourables et prés, suivant les différentes classes qui auront été convenues avec les habitants, ainsi que des jardins et chenevières, vignes, bois et autres biens ; et, d’après ce rapport discuté entre toutes les personnes qui assistent au département, le prix du loyer sera fixé et servira de base pour les opérations ultérieures des commissaires.

XII. Après le département, les commissaires feront, en présence des collecteurs de chaque paroisse, la répartition de la taille portée par la commission.

XIII. Chaque cote de taille, dans le rôle, sera divisée en deux parties, celle de la taille réelle et celle de la taille personnelle.

XIV. La partie de la taille réelle sera composée des objets suivants et dans l’ordre où ils seront rangés dans le présent article, savoir : 1o des terres labourables, prés, vignes et autres biens de cette nature qu’il exploite soit (Mi propre, soit à loyer ; 2o des moulins et usines qu’il fait valoir ; 3o des dîmes ou champarts, rentes ou droits seigneuriaux qu’il afferme ; 4o de la maison ou corps de ferme que le taillable occupe.

XV. Le taux d’occupation des maisons sera, dans l’élection de Paris et dans toutes les villes de la généralité, au sou pour livre de la location, ou de l’évaluation comparée avec la location pour celles qui ne sont pas louées ou dont le prix ne peut être connu, et de 6 deniers pour livre seulement dans les campagnes des autres élections.

XVI. Les moulins ou autres usines seront imposés suivant le prix de la redevance, au taux de la paroisse, sans aucune déduction.

XVII. Les dîmes, champarts et droits seigneuriaux affermés seront également imposés au taux de la paroisse, aussi sans déduction.

XVIII. Les terres labourables, prés, vignes et autres biens de pareille nature seront imposés uniformément, entre les mains de tous ceux qui en feront l’exploitation, au taux de la paroisse, suivant l’estimation donnée à l’arpent dans la classe où ils se trouveront, et sans avoir égard à la redevance portée par les baux.

XIX. La partie de la taille personnelle de chaque objet sera composée, savoir : 4o du revenu des moulins et usines et des maisons en propre données à loyer ou occupées, sur lesquels objets on déduira le quart pour les réparations ; 2o des revenus des terres données à loyer, suivant la redevance, ou de celles exploitées en propre, suivant le prix du loyer des classes dans lesquelles elles se trouveront ; 3o des rentes actives ; 4o du bénéfice de l’industrie ; 5o du dixième du prix des journées de la profession à laquelle chacun des contribuables s’adonne.

XX. Tous les revenus ou facultés résultant des objets ci-dessus seront imposés au sou pour livre ; en telle manière, à l’égard des journées, par exemple, que si un artisan ou un journalier est censé gagner deux cents journées par an, ces journées ayant été tirées pour vingt dans l’évaluation des facultés, ce même journalier ne sera imposé qu’au prix d’une seule de ses journées ; les fermiers seront aussi imposés pour le bénéfice de leur exploitation, attendu que, ne l’étant pour les arpents de terre qu’ils cultivent que dans la même proportion que tous les autres exploitants, et même ceux qui n’ont à eux aucuns moyens de culture, il est juste qu’ils contribuent personnellement aux charges de l’État pour des fonds qu’ils emploient à leurs exploitations, comme un commerçant à raison des fonds qu’il met dans son commerce, sans quoi ils seraient effectivement traités comme les privilégiés, qui sont exempts de la taille personnelle et ne contribuent qu’à la taille d’exploitation[3].


Mémoire au roi pour lui proposer l’abolition des contraintes solidaires pour le payement des impositions royales, excepté dans les cas de rébellion. (3 janvier 1775.)

Sire, je crois devoir proposer à Votre Majesté d’abroger une loi qui m’a toujours paru cruelle et, j’ose le dire, injuste pour les habitants des campagnes, et dont j’ai vu plus d’une fois l’exécution rigoureuse devenir une source de ruine pour les cultivateurs.

Je parle de la loi qui autorise les receveurs des tailles à choisir plusieurs habitants parmi les plus hauts taxés d’une communauté, pour les contraindre à payer par voie d’emprisonnement ce que la paroisse doit sur ses impositions, soit par le défaut de nomination de collecteur, soit par l’infidélité ou l’insolvabilité du collecteur nommé.

Je dois avouer à Votre Majesté que cette loi, comprise dans un règlement général sur le fait des tailles de l’année 1600, est liée par cette date même à deux noms qu’on est accoutumé à bénir et respecter, puisqu’en 1600 Henri IV régnait, et que le duc de Sully administrait les finances. Mais le désordre dans le recouvrement des impositions était si extrême lorsque ce département fut confié à cet excellent homme, qu’on pourrait presque l’excuser d’avoir oublié les précautions que réclamaient la sagesse et l’humanité ; commandé comme il était par la nécessité de faire rentrer dans les coffres du roi les deniers des impositions, que la rapine et la négligence dispersaient en mille manières, sans que les peuples en fussent aucunement soulagés. D’ailleurs, je dois dire pour sa justification que cette loi pouvait être alors fondée sur une forme adoptée dans le recouvrement des impositions qui ne subsiste plus aujourd’hui, et que l’apparence de la dureté et de l’injustice pouvait en ce cas paraître tenir à un principe non pas entièrement dénué d’équité.

Votre Majesté sait que la taille est imposée d’après des principes entièrement différents de ceux qu’on a depuis suivis dans l’imposition du dixième et du vingtième. Le vingtième est une quotité déterminée du revenu de chaque contribuable dont la cote est fixée directement par l’autorité royale, d’après la connaissance qu’on peut se procurer de ses revenus, par le moyen des directeurs, contrôleurs, et autres préposés à l’assiette de cette imposition. Cette cote est indépendante de la cote des autres contribuables, en sorte que, dans le débat sur le plus ou le moins, chaque particulier n’a à discuter qu’avec l’homme du roi, et que le roi a pour ainsi dire, par ses préposés, un procès avec chaque propriétaire de son royaume. Il résulte de là que le produit total de cette imposition ne peut jamais être connu avec une entière précision ; car, si le contrôleur des vingtièmes s’est trompé en évaluant trop haut les revenus d’un ou de plusieurs particuliers, il faut bien, pour leur rendre justice, diminuer leur imposition, et c’est autant de retranché sur la somme totale du rôle. Si un contribuable éprouve des accidents sur ses récoltes, si par toute autre cause il est hors d’état de payer, il faut bien que le roi perde le montant de son imposition. Si le préposé au recouvrement des vingtièmes dissipe les deniers perçus et fait banqueroute, c’est encore le roi qui perd, car les autres contribuables, ayant chacun payé la portion de leur revenu qu’ils doivent, sont quittes envers le roi ; il n’y a aucun prétexte pour leur demander ce que tel ou tel n’a pas payé, ni aucun prétexte pour rendre la communauté responsable des non-valeurs ni de la dissipation du préposé au recouvrement.

Il en est tout autrement de la taille. Ce n’est point à chaque taillable que Votre Majesté demande directement ce qu’il aura à payer : elle détermine dans son Conseil la somme qu’elle croit nécessaire au besoin de son État ; elle fixe, par les commissions des tailles et par les arrêtés de son Conseil, la portion dont chaque généralité et chaque élection doivent contribuer au payement de la somme totale.

La contribution de chaque élection se répartit entre les paroisses dans l’assemblée qui se tient chaque année pour le département, laquelle est composée de l’intendant, de deux officiers du bureau des finances de la généralité, et des élus ou officiers du tribunal qu’on appelle l’élection. Quand la somme que doit payer chaque paroisse est ainsi arrêtée au département, l’intendant en avertit chaque communauté par des mandements adressés au corps des habitants, et portant ordre de répartir entre eux sur chaque contribuable, à raison de ses facultés, la somme imposée sur la totalité de la paroisse. C’est donc à la communauté que les deniers de l’imposition sont demandés ; c’est à la communauté à faire remettre la somme entière sans non-valeur entre les mains du receveur des tailles. La répartition de ce qui doit être payé par chaque contribuable est J’affaire de la communauté, et non pas celle du roi, qui n’y peut intervenir que comme le protecteur et Je défenseur de tous ceux auxquels on fait injustice.

Il suit de là que, si quelqu’un des particuliers compris dans le rôle est hors d’état de payer, c’est à la communauté entière à payer pour lui. Si un contribuable trop taxé obtient sa décharge, c’est à la communauté à remplir le déficit qui en résulte. Si le collecteur chargé de la levée des deniers les dissipe au lieu de les porter à la recette des tailles, c’est encore la communauté qui fait les deniers bons de sa banqueroute au roi, lequel reçoit toujours la totalité de la somme imposée. Ainsi, tous les contribuables de la communauté sont regardés comme débiteurs solidaires répondant les uns pour les autres, répondant pour la communauté, comme elle pour eux, de la somme imposée.

Ce système, qui présente l’apparence de la simplicité et de la facilité, et celui d’une recette toujours assurée, a des avantages ; il a aussi des inconvénients, même très-graves, qui peuvent être diminués par différents moyens, mais qui ont été et sont encore fort grands dans les pays de taille personnelle. L’expérience a montré que la simplicité et la facilité que cette méthode présente dans le commandement, ne se trouvent pas à beaucoup près dans l’exécution. est bien plus aisé au gouvernement de dire aux communautés :« il me faut tant d’argent ; arrangez-vous comme vous voudrez ou comme vous pourrez, pourvu que j’aie l’argent que je vous demande », qu’il ne l’est à des communautés composées de paysans pauvres, ignorants et brutaux, comme elles le sont dans la plus grande partie du royaume, de s’arranger effectivement, de répartir un fardeau très-lourd avec une justice exacte, et en discutant une foule d’exemptions établies par des règlements sans nombre dont la connaissance détaillée exigerait toute l’étude d’un homme, et dont l’ignorance expose un malheureux paysan à surcharger ses concitoyens et lui-même, s’il a égard à des exemptions mal fondées, ou à soutenir, ainsi que sa communauté, des procès ruineux, s’il refuse d’avoir égard à des exemptions légitimes.

Dans l’origine, la paroisse choisissait un certain nombre de prud’hommes auxquels on donnait le nom d’asséeurs, qui faisaient serment d’asseoir ou de répartir l’imposition suivant leur âme et conscience sur tous les taillables de la communauté. L’on nommait aussi, à la pluralité des voix, un ou plusieurs particuliers solvables qui étaient chargés de faire, d’après le rôle arrêté par les asséeurs, la collecte des deniers, et de les verser dans la caisse des receveurs du roi. On imposait, en sus de la somme demandée par le roi, une taxation de 6 deniers pour livre au profit de ces collecteurs qui, moyennant cette espèce de salaire, étaient garants de leurs recettes.

L’on ne tarda pas à s’apercevoir qu’en confiant la fonction de répartir les tailles aux plus intelligents de la paroisse, qui étaient ordinairement les plus riches, ceux-ci étaient très-portés à abuser de cette confiance forcée pour se ménager les uns les autres et se taxer fort au-dessous de leurs facultés ; en sorte que le fardeau retombait en grande partie sur les plus pauvres habitants. Il arrivait de là que les contribuables étaient souvent hors d’état de payer les sommes auxquelles ils étaient imposés sur les rôles, et que les collecteurs, obligés de répondre de la totalité de la somme imposée, étaient souvent ruinés.

Pour remédier à cet inconvénient, l’on imagina de charger les collecteurs eux-mêmes de la répartition de la taille, en sorte qu’ils sont en même temps asséeurs et collecteurs. Il devait résulter de là, et il en est résulté, en effet, que le collecteur étant obligé de répondre de la totalité de l’imposition, et même souvent d’en faire l’a vance au receveur, sa règle presque unique dans la répartition a été de taxer ceux qui payaient le mieux, en sorte qu’un moyen assuré de voir augmenter ses charges l’année suivante était de bien payer l’année courante. Votre Majesté conçoit aisément combien cette forme a dû faire naître de lenteur dans les recouvrements ; elle a encore eu l’effet que chaque paysan n’a été occupé que de cacher son aisance, qu’il a craint de se livrer à son industrie, et qu’il a fui toute entreprise, toute acquisition, qui auraient pu donner aux collecteurs prise sur lui, et devenir un prétexte d’augmenter sa taxe. De là le découragement de l’industrie et l’appauvrissement des campagnes dans la plus grande partie des pays d’élection où la taille est restée personnelle et arbitraire. On s’est beaucoup occupé des moyens de remédier à ces maux ; mais il s’en faut extrêmement qu’on ait réussi : leur réforme est un des plus grands biens que Votre Majesté pourra faire à ses peuples.

Ces asséeurs-collecteurs étaient toujours choisis par la paroisse ; et, d’après les principes établis, la paroisse devait répondre de leur gestion. C’est à raison de ces principes que les anciens règlements avaient ordonné que, dans le cas de dissipation des deniers royaux par les collecteurs, les receveurs des tailles étaient en droit, après avoir poursuivi ces collecteurs par l’emprisonnement et la vente de leur mobilier, de se pourvoir devant le tribunal de l’élection pour être autorisés à contraindre, par voie d’exécution et d’emprisonnement, un certain nombre des habitants les plus haut taxés de la paroisse à payer les sommes dissipées par les collecteurs, sauf à ces habitants plus haut taxés à se pourvoir ensuite pour être remboursés de leur avance par la communauté.

Il fut rendu, en 1597, un règlement pour la Normandie, qui établit la contrainte solidaire contre les principaux habitants des paroisses dans plusieurs cas de rébellion ; dans celui où, faute d’avoir nommé les collecteurs, on n’aurait point fait l’assiette de l’imposition ; enfin, dans celui où les collecteurs nommés, devenant insolvables, n’auraient point payé la totalité des impositions dues par les paroisses ; ces dispositions, particulières à la Normandie, devinrent générales par les règlements de 1600. Les dispositions de ce règlement ont été confirmées par ceux de 1634 et 1663, et elles sont encore observées.

Je ne proposerai point à Votre Majesté de supprimer la contrainte solidaire dans le cas de rébellion et dans ceux où les paroisses se seraient refusées à nommer des collecteurs. Ces deux cas ne peuvent être aujourd’hui qu’infiniment rares, et s’ils arrivaient, il serait assez naturel que les principaux habitants répondissent du délit dont ils seraient certainement les principaux complices ; mais le cas d’insolvabilité et de dissipation de deniers de la part des collecteurs est très-fréquent, surtout dans des provinces pauvres, et alors la loi qui rend les quatre plus haut taxés responsables de cette insolvabilité est d’un excès de dureté très-injuste.

Et cette dureté est en même temps très-nuisible à Votre Majesté, parce qu’elle détruit les capitaux et dérange les travaux les plus utiles à la bonne exploitation du territoire.

Les quatre plus haut taxés ne l’ont été que parce qu’ils sont les cultivateurs les plus aisés et ordinairement les plus intelligents, les plus avantageusement laborieux de leur paroisse. — Il ne faut pas croire que, parce que l’on est un cultivateur aisé, on ait pour cela beaucoup d’argent dans sa caisse. Ceux-ci l’emploient, à mesure qu’ils en ont, à augmenter le nombre de leurs bestiaux, ou à les avoir de plus belle race ; à se procurer de meilleurs animaux de trait, qui font de meilleurs labours, les expédient plus tôt, profitent mieux des instants favorables, toujours très-passagers ; qui rentrent plus vite les récoltes, et les font échapper au danger des pluies qui gâtent les pailles, et font égrener les épis quand les moissons ne sont que tardivement serrées ; dont le travail multiplie les engrais en ramassant des feuilles et amenant dans la cour de la ferme des gazons qu’on y laisse pourrir pour faire du terreau, ou en conduisant des marnes sur les champs. Quelquefois ils font des dessèchements, d’autres fois des arrosements, d’autres fois des clôtures ; et ils ne peuvent y trouver leur avantage qu’en faisant celui de leur canton, celui du royaume. — Si ces hommes précieux sont mis en prison, à cause d’un déficit qu’ils ne pouvaient prévoir ni empêcher dans les payements de leur paroisse, tous leurs travaux sont suspendus, et tout le profit qu’en retirait la nation cesse d’avoir lien. — Si, pour n’être pas enlevés à leur famille, ils tâchent de payer, la chose ne leur est possible que par la vente précipitée, et par conséquent à grande perte, d’une partie de leur bétail ou de leurs animaux de labour. Leurs travaux en sont de même interrompus on rendus moins efficaces.

L’indemnité qu’on leur donne par une réimposition à leur profit sur les rôles de l’année suivante, réimposition qui rarement est perçue en moins de deux ou trois années, ne les indemnise point, et ne les indemniserait pas, quand même elle pourrait être complètement perçue dans le cours de cette année suivante ; premièrement, parce qu’en leur rendant leur déboursé, elle ne leur rend pas la perte qu’ils ont subie sur les ventes forcées auxquelles ils ont été contraints pour se procurer le moyen de faire ce déboursé ; secondement, parce qu’on ne peut leur rendre, ni à la nation, les productions qu’ils auraient fait naître si l’on n’eût pas dérangé leurs travaux, et dont ce dérangement a rendu l’existence impossible.

Ainsi, tous les ans il y a un certain nombre de cultivateurs les plus riches et les plus capables qui, sans qu’il y ait aucunement de leur faute, et uniquement à cause de la faute d’autrui, sont ruinés, et le sont au détriment de leurs concitoyens et de l’État, pour faire l’avance d’une portion d’imposition qu’ils ne doivent pas, et qu’il faut réimposer l’année d’après sur ceux qui la doivent.

Mais, s’il faut la réimposer au profit de ces plus haut taxés que l’on a contraints d’en faire l’avance, qui leur est ruineuse et à la culture, Votre Majesté ne trouve-t-elle pas plus raisonnable et plus juste de faire la réimposition au profit de son trésor ?

Il n’en coûtera qu’un retard d’un an dans la valeur de ces réimpositions, car la rentrée de celles de l’année précédente couvrira toujours le déficit de l’année courante. On n’aura pas le regret de punir ceux qui sont sans reproche pour le tort que les autres auront eu, et l’on aura évité de déranger aucune exploitation ; les bonnes exploitations faites par ces hommes les plus riches et les plus instruits, n’ayant éprouvé aucune secousse ni souffert aucune interruption, augmenteront progressivement d’année en année la richesse de ces entrepreneurs de culture, qui en font un si bon emploi, et celle des ouvriers qu’ils occupent, et celle de la nation, qui se partage les récoltes, et la facilité du recouvrement des impositions, et la richesse aussi de Votre Majesté, si naturellement et si nécessairement liée à celle de ses sujets.

Il est dans la bonté de votre cœur, sire, comme dans la justesse de votre esprit, de voir et de sentir que l’équité est une bonne ménagère.

De la main du roi approuvé[4].

Déclaration du roi portant abolition des contraintes solidaires entre les principaux habitants des paroisses, pour le payement des impositions royales, excepté dans le cas de rébellion. (Donnée à Versailles le 3 janvier 1775, registrée en la Cour des aides de Paris le 27 des mêmes mois et an.)

Louis, etc. Les malheurs qui avaient affligé l’État pendant les guerres civiles, le désordre qui en était résulté pour le recouvrement des impositions, avaient fait juger nécessaire à nos prédécesseurs d’autoriser les receveurs des tailles à contraindre solidairement les principaux habitants des paroisses taillables au payement des impositions dues par les paroisses, soit dans le cas de rébellion, soit faute d’assiette des impositions ou de nomination de collecteurs, soit enfin lorsque les collecteurs, après une discussion sommaire de leurs biens-meubles, se trouvaient insolvables. Ces dispositions ont été confirmées depuis, quoique la nomination des collecteurs, dépendante autrefois de la volonté seule et du choix des paroisses, soit soumise aujourd’hui à des règles fixes qui appellent chaque habitant à son tour à la collecte, suivant l’ordre du tableau, et ne laissent plus aux habitants d’autre soin que de déterminer la classe dans laquelle doivent être placés les différents contribuables, d’après la quotité de leurs impositions, pour passer successivement à la collecte. Malgré la rigueur de cette contrainte solidaire, on ne peut en méconnaître la justice dans le cas où des paroisses entreprendraient de se soustraire au payement des impositions. Mais les règlements ayant pourvu à ce qu’il y eût des collecteurs nommés d’office, faute par les paroisses d’avoir formé les tableaux qui désignent ceux qui doivent remplir ces fonctions chaque année ; ces lois ayant également prescrit les précautions nécessaires pour la confection de ces tableaux, et prononcé des peines sévères contre les collecteurs qui, étant en même temps chargés de l’assiette des impositions, en divertissent les deniers, la rébellion nous a paru le seul cas extraordinaire dans lequel nous devons laisser aux receveurs la faculté de faire usage de cette contrainte, avec des précautions même qui nous font espérer qu’ils ne seront jamais réduits à cette extrémité. Notre affection pour les habitants de la campagne nous engage à supprimer, pour les deux autres cas plus extraordinaires, celui où les habitants n’auraient point nommé de collecteurs, et celui où les collecteurs, responsables des payements dans les termes prescrits, n’auraient point fait l’assiette ou deviendraient insolvables, ces poursuites rigoureuses qui exposent les principaux contribuables à la perte de leur fortune et de leur liberté, répandent l’effroi dans les campagnes, découragent l’agriculture, l’objet le plus digne de notre protection et de nos soins, et obligent malgré eux les receveurs des tailles à des frais considérables contre des habitants qu’il est de leur devoir et de leur intérêt de ménager le plus qu’il est possible. Nous prenons en même temps les mesures convenables pour assurer, dans de pareilles circonstances, la rentrée de nos deniers, et pour indemniser les receveurs, chargés d’en faire la recette et le payement dans des termes limités, des retards qu’ils pourront éprouver. À ces causes, nous avons dit, déclaré et ordonné ce qui suit :

Art. I. Il ne sera plus décerné de contraintes solidaires contre les principaux contribuables des paroisses pour le payement de nos impositions que dans le seul cas de rébellion, jugée contre la communauté. Voulons que lesdits receveurs, même dans ce cas, soient tenus d’en avertir par écrit les sieurs intendants et commissaires départis dans les provinces, afin qu’ils puissent employer l’autorité que nous leur avons confiée pour rétablir l’ordre et la subordination, et prévenir s’il est possible la nécessité de ces poursuites.

II. Ordonnons l’exécution des déclarations des 1er  août 1710,24 mai 1717 et 9 août 1723, concernant la nomination des collecteurs ; enjoignons aux sieurs intendants, conformément à l’article XIII de la déclaration du 9 août 1725, de choisir, dans le nombre de ceux qui sont compris dans les états qui exactement leur seront remis chaque année, les plus haut imposés à la taille pour faire les fonctions de collecteurs, et de les nommer d’office dans les paroisses où il n’aura point été fait de nomination, ou dont les habitants nommés seront insuffisants pour faire la collecte.

III. Dans le cas où les collecteurs nommés par les paroisses, ou ceux qui le seront d’office par lesdits sieurs intendants, conformément au précédent article, refuseraient ou négligeraient de faire l’assiette des impositions et le payement d’icelles dans les termes prescrits par les règlements, ils seront contraints à les payer par les voies ordinaires et suivant les formes établies par lesdits règlements.

IV. En cas d’insolvabilité desdits collecteurs, après discussion sommaire de leurs meubles et procès-verbal de perquisition de leur personne, fait à la requête des receveurs des tailles, lesdits receveurs se pourvoiront par devers lesdits sieurs intendants pour obtenir la réimposition des sommes qui leur seront dues par les paroisses ; lesquelles réimpositions, après que leurs demandes auront été communiquées aux habitants et que ceux-ci auront été entendus, seront faites au prochain département, tant de la somme principale que des intérêts et des frais légitimement faits par lesdits receveurs, sur tous les contribuables desdites paroisses.

V. Laissons à la prudence des sieurs intendants, dans les cas où la somme dissipée serait trop forte pour être imposée en une seule année sans surcharger les contribuables, d’en ordonner la réimposition en principal et intérêts en deux ou plusieurs années.

VI. Les sommes réimposées seront payées dans les mêmes termes que l’imposition de l’année où la réimposition en aura été faite, et les intérêts en courront au profit du receveur, à compter du jour où l’insolvabilité des collecteurs aura été constatée dans la forme ordinaire jusqu’au temps marqué pour les payements.

VII. La même réimposition aura lieu et sera faite dans la même forme au profit des principaux contribuables qui auront été contraints solidairement, dans le cas de rébellion seulement, au payement des impositions dues par les paroisses.

VIII. Dérogeons à tous édits, déclarations, arrêts et règlements qui pourraient être contraires à ces présentes. — Si donnons en mandement, etc.


Édit du roi, portant création de six offices de receveurs des impositions dans la ville de Paris, et suppression de l’office de receveur-général de la capitation et des vingtièmes de ladite ville. (Donné à Versailles, au mois de janvier 1775, registre en Parlement le 23 lévrier audit an.)

Louis, etc. Parmi les moyens dont nous désirons faire usage pour nous procurer, le plus tôt qu’il sera possible, la satisfaction de soulager nos peuples, il n’en est point qui paraisse plus propre à hâter le succès de nos vues, que de supprimer dans l’administration et la perception des revenus de notre État les frais qui, n’étant pas indispensables, en diminuent d’autant le produit sans nécessité. Conduit par ces principes d’une juste économie, que nous ne cesserons de nous prescrire dans la perception et l’emploi des deniers publics, nous nous sommes fait rendre compte de l’ordre établi dans l’administration et le recouvrement des impositions qui se lèvent sur les habitants de notre bonne ville de Paris. Nous avons reconnu qu’en faisant faire la perception des différentes impositions par les receveurs, commis aujourd’hui pour recouvrer seulement la capitation des bourgeois, en érigeant ces commissions en charges, et en employant les finances qu’ils nous remettront au remboursement de l’office de receveur-général de la capitation et des vingtièmes de la ville de Paris, nous diminuerons les frais d’administration et de perception des différentes impositions, nous accélérerons la rentrée des deniers, nous éteindrons une charge devenue onéreuse par les gages et taxations qui y ont été attribués ; en sorte que la perception entière étant réunie dans les mêmes mains, les receveurs trouveront dans les taxations ordinaires les émoluments qui doivent être la seule récompense de leur travail, sans que nous soyons encore assujetti à payer des intérêts de finances qui retombent définitivement sur nos peuples. À ces causes :

Art. I. Nous avons créé et érigé, créons et érigeons en titres d’offices formés et héréditaires, six offices de receveurs des impositions de notre bonne ville de Paris, dont seront pourvus ceux qui sont chargés aujourd’hui par commission du recouvrement de la capitation des bourgeois seulement : à l’effet par lesdits receveurs présentement créés de faire le recouvrement de toutes les impositions à percevoir dans ladite ville.

II. La finance desdits six offices sera de 600,000 livres[5]. Elle sera divisée entre chacun desdits six receveurs, en proportion du recouvrement qui leur sera assigné sur les départements dont nous avons fait former l’état. Chacun desdits receveurs sera tenu de payer le montant de sa finance entre les mains du receveur de nos revenus casuels, dans trois mois, à compter du présent mois de janvier ; et au moyen du payement de cette finance, nous les avons déchargés, eux et leurs successeurs auxdits offices, de l’obligation de donner caution pour raison de leur recette.

III. Ceux qui prêteront leurs deniers pour l’acquisition desdits offices auront hypothèque et privilège spécial sur iceux, par préférence à tous autres créanciers, duquel privilège il sera fait mention dans les quittances de finance qui seront expédiées.

IV. Avons attribué et attribuons 4 deniers pour livre de taxation auxdits receveurs sur chacune des impositions dont ils feront le recouvrement, à l’exception néanmoins de celles qui se perçoivent et continueront d’être perçues en la forme ordinaire sur les corps et communautés de notre bonne ville de Paris, par les gardes, syndics ou jurés desdits corps, pour être versées ensuite par lesdits gardes, syndics ou jurés, dans les termes prescrits, dans la caisse de celui des receveurs qui, suivant l’état y annexé, devra en faire le recouvrement, sur lesquelles sommes lesdits receveurs n’auront que 2 deniers pour livre de taxation.

V. À compter de la présente année 1775, lesdits receveurs feront le recouvrement de toutes les impositions qui se lèvent dans notre bonne ville de Paris. Ils en rendront compte dans les délais prescrits et suivant les règles et formes établies pour la comptabilité de chacune des différentes impositions dont ils feront la recette.

VI. Avons dispensé et dispensons lesdits six receveurs du payement du droit de marc d’or ou mutation, pour les premières provisions seulement, et sans tirer à conséquence pour l’avenir.

VII. Comme la perception des vingtièmes sur les offices et droits, faisant partie du recouvrement à faire par les receveurs présentement créés, ne peut se diviser par département, nous nous réservons de commettre pour le recouvrement desdits vingtièmes sur les offices et droits celui d’entre eux qu’il nous plaira choisir, sans que, pour raison de la commission que nous lui ferons expédier, il soit tenu de nous fournir de caution, dont nous l’avons dispensé, ainsi que de nous fournir autre finance que celle qu’il nous aura payée pour raison de son office, ni de prêter autre serment que celui de sa réception en celui des six offices présentement créés dont il aura été pourvu ; à la charge néanmoins de faire registrer ladite commission en notre Chambre des comptes.

VIII. Éteignons et supprimons l’office de notre conseiller receveur-général des vingtièmes et capitation de la ville de Paris, créé par édit du mois d’août 1772, et dont le sieur Le Normand avait été pourvu. Lui enjoignons en conséquence de remettre, dans le délai d’un mois, au sieur contrôleur-général de nos finances les provisions et quittances de finance qui lui ont été expédiées, pour être procédé à la liquidation dudit office et pourvu à son remboursement des deniers provenant des six offices créés par l’article Ier du présent édit ; à la charge toutefois de rendre préalablement compte et d’apurer, dans les termes prescrits, les exercices dont il a eu la gestion. Les intérêts de la somme à laquelle montera la liquidation dudit office lui seront payés à raison de 5 pour 100 jusqu’au remboursement, qui ne pourra être effectué qu’après la reddition, apurement et correction des comptes de ses exercices. Si donnons en mandement[6], etc.


Édit du roi, portant suppression des offices de receveurs des tailles, et création d’offices des receveurs des impositions, sans porter néanmoins aucune atteinte aux droits appartenant à ceux qui sont pourvus actuellement des offices de receveurs des tailles, ni à ceux qui ont été reçus en survivance, ou qui, ayant l’agrément, ont fait commettre, en attendant leur majorité, à l’exercice de ces charges. (Donné à Versailles, au mois d’août 1775, registre en Parlement le 22 des mêmes mois et an.)

Louis, etc. Par notre édit du mois de janvier dernier, portant création de six offices de receveurs des impositions de la ville de Paris, nous avons fait connaître à nos peuples que, parmi les moyens dont nous désirons faire usage pour jouir le plus tôt qu’il sera possible de la satisfaction de leur procurer des soulagements, celui de supprimer, dans la perception des revenus de notre État, les frais qui, n’étant pas indispensables, en diminuent d’autant le produit sans nécessité, nous a paru propre à hâter le succès de nos vues. Nous nous sommes fait rendre compte de la manière dont se fait le recouvrement des impositions dans les différentes provinces de notre royaume, et nous avons reconnu que, si les rois nos prédécesseurs ont été obligés de chercher, dans la création de divers offices, des ressources momentanées pour faire face aux dépenses imprévues, occasionnées par le malheur des temps et par les guerres, la multiplicité des offices de receveurs des tailles a produit le double inconvénient de charger nos revenus de payements de gages susceptibles aujourd’hui d’être retranchés, et d’exposer les peuples au concours des poursuites de plusieurs receveurs qui, en se croisant, multiplient nécessairement les frais et rendent la perception de nos revenus plus difficile et plus onéreuse à nos peuples. Instruit des avantages qu’ils éprouvent chaque jour de la réunion, déjà faite dans plusieurs élections, des offices anciens et alternatifs de receveurs des tailles sur la tête d’un même titulaire, nous aurions désiré qu’ils en pussent jouir dès à présent dans les différentes provinces de notre royaume ; mais une réunion des offices anciens aux offices alternatifs, faite dans un même instant, dépouillerait subitement de leur état les titulaires de ces offices, ainsi que ceux qui, ayant obtenu l’agrément de ces charges, se sont fait pourvoir en survivance, ou ceux qui, à cause de leur minorité, ont fait commettre à l’exercice en attendant leur majorité. Ces considérations, dignes de notre justice, nous engagent à n’éteindre ces charges que successivement, de même que les intérêts de finances qui y sont attachés. Les taxations ordinaires seront la seule récompense des fonctions des receveurs de nos impositions, lorsque la réunion aura pu être consommée. À ces causes, nous avons par le présent édit, dit, statué et ordonné ce qui suit :

Art. I. Nous avons supprimé et supprimons les offices anciens et alternatifs, triennaux, mi-triennaux, de receveurs des tailles des élections, bailliages, diocèses, bureaux, vigueries, et généralement tous ceux qui ont pu être créés, sous quelque titre et dénomination que ce soit, pour la levée de nos impositions.

II. Les titulaires actuels de ces offices continueront cependant de les exercer leur vie durant, sur les provisions qu’ils en ont obtenues, et sans qu’il soit apporté, quant à présent, aucun changement à leur état.

III. Nous avons créé et érigé, créons et érigeons en titre d’office formé, un seul et unique office de receveur des impositions par chaque élection, bailliage, bureau, diocèse, viguerie où il existe aujourd’hui des offices de receveurs des tailles ou des finances pour le recouvrement des impositions.

IV. Vacance arrivant, par démission ou par mort, d’un des offices de receveur des tailles, soit ancien, soit alternatif, le titulaire qui survivra sera tenu de se pourvoir dans le mois par-devant nous pour obtenir des provisions de receveur des impositions, et à défaut de le faire, il y sera pourvu par nous et statué sur la nomination des apanagistes, qui devra être faite dans le même délai pour l’étendue de leur apanage.

V. Nous avons dispensé et dispensons du payement des droits de marc d’or et mutation, comme nouveaux pourvus, pour cette fois seulement et sans tirer à conséquence, les titulaires survivants, lorsqu’ils se présenteront dans les délais prescrits par l’article ci-dessus pour obtenir des provisions de receveurs des impositions.

VI. Sera tenu le nouveau pourvu de rembourser aux propriétaires, ou héritiers de l’office vacant, le prix dudit office sur le prix de l’évaluation faite en vertu de l’édit de février 1774, savoir : un tiers comptant, un tiers six mois après, et le tiers restant après l’apurement et la correction à la Chambre des comptes jusqu’en 1771 ; et pour les années postérieures, après l’arrêté aux recettes générales des finances des comptes qui seront à la charge desdits propriétaires ou héritiers.

VII. Décès arrivant du titulaire de deux offices ancien et alternatif, il sera pareillement délivré de nouvelles provisions à celui qui aura obtenu notre agrément, en payant par lui les droits de marc d’or et de mutation comme nouveau pourvu.

VIII. Sitôt après l’obtention des nouvelles provisions de receveur des impositions, il ne sera plus employé dans nos États aucuns gages attachés auxdits offices de receveurs des tailles, soit anciens, soit alternatifs, triennaux et mi-triennaux.

IX. Exceptons des dispositions de l’article IV ci-dessus ceux qui ont été pourvus en survivance d’offices de receveurs des tailles, lesquels entreront en exercice et jouissance desdits offices, sur les provisions par eux ci-devant obtenues, du jour du décès ou de la démission pure et simple des titulaires actuels.

X. Exceptons pareillement des mêmes dispositions les mineurs à qui il a été accordé des agréments d’offices de receveurs des tailles, actuellement vacants par mort, et à l’exercice desquels il a été commis jusqu’à leur majorité ; et seront tenus lesdits mineurs, immédiatement après avoir acquis leur majorité, de payer les droits de mutation, si fait n’a été, et ceux de marc d’or, et de prendre des provisions d’offices de receveurs des impositions.

XI. Jouiront au surplus lesdits survivanciers et lesdits mineurs des mêmes avantages que les titulaires actuels pour la réunion des deux offices de chaque élection. Si donnons en mandement, etc.


Extrait de l’arrêt du Conseil d’État, du 29 août 1775, qui ordonne une imposition annuelle, à compter de 1776, de 1,200,000 livres, savoir : celle de 1,114,497 livres sur les pays d’élections, et celle de 85,503 livres sur les pays conquis, pour être employée au service des convois militaires.

Le roi s’étant fait rendre compte, en son Conseil, des mesures prises jusqu’à présent dans les différentes provinces de son royaume pour assurer le service des convois militaires ; Sa Majesté a reconnu que, depuis quelques années, on était parvenu à affranchir les habitants de la campagne, dans neuf généralités, de la corvée accablante à l’aide de laquelle ces transports s’exécutent dans les autres généralités : ce service onéreux est fait dans ces neuf généralités à prix d’argent, en conséquence des marchés particuliers que les intendants ont été autorisés à faire avec des entrepreneurs, et la dépense en est acquittée au moyen d’une imposition particulière sur ces généralités. Les succès de cet établissement, les avantages infinis que ses peuples en retirent, n’ont pas permis à Sa Majesté de laisser les autres généralités supporter plus longtemps le fardeau de ces sortes de corvées.

Si jusqu’à présent les difficultés locales ou d’autres considérations de cette espèce ont retardé l’effet du zèle des intendants à qui l’administration en est confiée, Sa Majesté a pris de justes mesures pour seconder leurs efforts., en réunissant au service des étapes celui des convois militaires, dont les entrepreneurs généraux des étapes sont déjà chargés dans ces neuf généralités, et en établissant une imposition générale proportionnée à cette dépense, qui, étant répartie sur les différentes généralités de pays d’élection et des pays conquis, fera disparaître les impositions locales, et mettra une juste proportion dans la contribution des différentes provinces :

Sa Majesté a prévu en même temps qu’au moyen de cette entreprise générale, plusieurs de ces convois, qui étaient obligés de suivre les routes particulières d’étapes, ce qui occasionnait, à chaque lieu où les troupes séjournaient, de nouveaux chargements et déchargements, pourraient se faire directement par les grandes routes, et d’une manière beaucoup moins fatigante et plus économique, du lieu du départ des troupes à celui où elles ont ordre de se rendre ; de sorte qu’à l’expiration des trois années pour lesquelles Sa Majesté a ordonné qu’il serait passé un marché général auxdits entrepreneurs des étapes, il serait possible d’obtenir une diminution considérable dans la dépense qu’occasionnera ce service difficile à monter aujourd’hui, et de réduire dans la même proportion l’imposition destinée uniquement à cette dépense ; ses peuples reconnaîtront, dans ces dispositions, la bienfaisance constante de Sa Majesté, son attention pour tout ce qui peut intéresser les progrès de l’agriculture et le sort des habitants des campagnes, si dignes de son affection particulière :

En conséquence, ouï le rapport du sieur Turgot, etc., le roi en son Conseil, a ordonné et ordonne

Qu’à compter de l’année prochaine 1776, et jusqu’à ce qu’il plaise à Sa Majesté en ordonner autrement, il sera compris chaque année, dans le second brevet des impositions accessoires de la taille des vingt généralités de pays d’élections, une somme de 1,114,497 livres ; et qu’à compter de la même année, il sera également fait une imposition annuelle sur le département de Metz, sur celui de Lorraine et de Bar, et sur le comté de Bourgogne, d’une somme de 85,505 livres, revenant lesdites deux sommes à celle de 1,200,000 livres ; laquelle, non compris les taxations ordinaires qui seront pareillement imposées, sera répartie de la manière suivante. (Suit le tableau de répartition.)

Seront lesdites sommes ci-dessus fixées pour chacune desdites vingt généralités de pays d’élections, et pour les départements de Metz, Lorraine et Bar, et du comté de Bourgogne, levées par les collecteurs et autres préposés au recouvrement des impositions, et par eux remises es mains des receveurs des impositions, qui en remettront le montant aux receveurs-généraux des finances ; et ceux-ci le verseront au Trésor royal.

Seront lesdites sommes employées sans aucun divertissement, pendant la durée du marché qui sera passé incessamment aux entrepreneurs-généraux de la fourniture des étapes, au payement de la dépense qu’occasionnera le service des convois militaires et transports des équipages des troupes, dont ils seront chargés aux charges et conditions convenables.

Se réservant Sa Majesté de continuer à le leur confier lors des marchés subséquents, ou d’y pourvoir de telle autre manière la moins dispendieuse qu’il sera possible, et d’y proportionner en conséquence l’imposition destinée au payement de cette dépense.

Et au moyen de cette imposition de 1,200,000 livres, répartie de la manière prescrite ci-dessus, les impositions particulières établies jusqu’à présent pour les convois militaires dans les généralités de Soissons, Châlons, Limoges, Bordeaux, Grenoble, Metz, comté de Bourgogne, Lorraine et Bar, montant à la somme de 627,765 livres 1 sou 3 deniers, cesseront d’avoir lieu à compter de ladite année 1776, nonobstant tous arrêts qui auraient pu en ordonner la levée, lesquels seront regardés dès à présent comme nuls et non avenus.

Enjoint Sa Majesté aux sieurs intendants et commissaires départis de tenir la main à l’exécution du présent arrêt, sur lequel toutes lettres nécessaires seront expédiées.


Arrêt du Conseil d’État, du 30 décembre 1775, qui ordonne qu’à compter du 1er  janvier 1776, le recouvrement des sommes portées dans les rôles de capitation des princes, ducs, maréchaux de France, officiers de la couronne, chevaliers et officiers de l’ordre du Saint-Esprit, de la chancellerie, des officiers des finances et des fermiers-généraux, qui continueront d’être arrêtés au Conseil, sera fait à l’avenir entre les mains de celui des receveurs des impositions de la ville de Paris dans le département duquel les personnes comprises dans ce rôle seront domiciliées.

Le roi s’étant fait représenter, en son Conseil, l’édit du mois de janvier dernier, par lequel Sa Majesté a créé six offices de receveurs des impositions dans la ville de Paris, à l’effet de recouvrer toutes celles qui se perçoivent dans cette ville ; Sa Majesté a reconnu l’inutilité d’une commission particulière ; établie en exécution de la déclaration du 12 mars 1701, pour le recouvrement de la capitation des personnes comprises dans les rôles de la Cour, du Conseil, de la grande Chancellerie, des maisons royales. En faisant faire la retenue de cette capitation par les trésoriers chargés de payer les gages et émoluments aux personnes comprises dans les rôles des maisons royales, et en faisant imposer celles qui jusqu’à présent l’ont été au rôle de la Cour, du Conseil et de la grande Chancellerie, à leur véritable domicile à Paris, on fera cesser des frais de perception sur la capitation qui sera payée par voie de retenue, et on réduira les taxations sur celle dont le recouvrement sera fait par les receveurs des impositions ; Sa Majesté supprimera dès lors des dépenses inutiles, et assurera d’une manière plus simple la rentrée exacte des deniers au Trésor royal. En conséquence, ouï le rapport du sieur Turgot, etc., Sa Majesté étant en son Conseil, a ordonné et ordonne

Que les rôles de capitation des princes, ducs, maréchaux de France, officiers de la couronne, chevaliers et officiers de l’ordre du Saint-Esprit, de la chancellerie, des officiers des finances et des fermiers-généraux, continueront d’être arrêtés au Conseil de Sa Majesté en la forme ordinaire. Les sommes qui y seront portées seront acquittées, à compter du 1er  janvier 1776, dans les délais prescrits par les règlements pour le recouvrement de la capitation, entre les mains de celui des receveurs des impositions de la ville de Paris dans le département duquel les personnes comprises en ces rôles seront domiciliées. Veut Sa Majesté que le sieur de Boisneuf, qui était chargé précédemment du recouvrement de cette imposition, remette incessamment au sieur contrôleur-général des finances un état détaillé de toutes les sommes à recouvrer sur les rôles de 1767, 1768, 1769, 1770, 1774, 1772, 1773, 1774 et 1775[7], ainsi que toutes celles rejetées par ordre de compte sur 1767, lequel état, après avoir été examiné, sera arrêté au Conseil de Sa Majesté et remis aux receveurs des impositions, qui seront tenus de former des états particuliers : les uns, de tous les officiers employés dans les maisons royales, et dont la capitation sera susceptible de retenue, pour être déposés au Trésor royal ; les autres, qui resteront dans leurs mains pour servir au recouvrement, chacun dans leur département, des sommes employées dans les rôles et non susceptibles de retenue ; desquelles sommes ils seront tenus de compter, ainsi que du montant des autres rôles, dont ils sont dès à présent chargés de faire le recouvrement dans les délais et en la manière accoutumée. Enjoint Sa Majesté auxdits receveurs de faire incessamment les diligences nécessaires pour recouvrer les sommes arriérées, et pour qu’à l’avenir le recouvrement soit fait dans les termes prescrits par les règlements. Veut et entend Sa Majesté que lesdits receveurs ne jouissent que de 2 deniers de taxations sur ce recouvrement ; dérogeant à cet effet à l’article IV de l’édit du mois de janvier dernier et à tous autres arrêts contraires au présent arrêt, qui sera lu, publié et affiché partout où besoin sera, et sur lequel toutes lettres nécessaires seront expédiée.


  1. M. Berthier, intendant de Paris, par de longs travaux et de bonnes instructions aux commissaires des tailles de sa généralité, qui comprenait vingt-deux élections, en changeant sans cesse de canton les commissaires qu’il employait, puis contrôlant le travail des uns par celui des autres, était parvenu à une connaissance très-exacte de la valeur des terres dans chaque commune de cette grande province, et à y répartir les contributions aussi équitablement que les lois d’alors le rendaient ou le laissaient possible. C’est ce travail dont M. Turgot a proposé au roi la sanction, qui a été donnée par les lettres-patentes que nous transcrivons. (Note de Dupont de Nemours.)
  2. Ces lettres-patentes ne furent pas enregistrées purement et simplement, mais sans approbation d’aucuns arrêts du Conseil que le législateur y avait mentionnés ; comme aussi sans approbation des articles contenus dans l’Instruction des commissaires aux tailles, attachée sous le contre-scel desdites lettres-patentes, et à la charge, 1o qu’il serait déposé aux greffes des élections de la généralité de Paris, si fait n’avait été, un état contenant les noms et domiciles des commissaires nommés par le commissaire départi pour la confection des rôles de la taille ; 2o que lesdits commissaires aux rôles seraient tenus de donner, dans huitaine du jour de la communication qui leur aura été faite des mémoires des contribuables, leurs avis, ou de déclarer qu’ils n’en veulent donner ; 3o que les rôles des tailles, pour l’année 177(i et les années suivantes, ne pourraient être faits que de la manière ordonnée par le règlement du 7 septembre 1770, et avec défense aux commissaires et collecteurs, qui seraient nommés pour la confection des rôles, de s’en écarter, sous telles peines qu’il appartiendrait. Cependant le plan de M. Berthier, et les lettres-patentes qui l’autorisaient, eurent leur exécution. Il est très-fâcheux que depuis 1789 on ait négligé de profiter de son beau travail. Il est même à craindre qu’il ait été perdu dans les orages de la révolution. (Note de Dupont de Nemours.)
  3. On voit, par cette Instruction même, combien les privilèges en matière d’impositions étaient affligeants et mettaient d’obstacles à la juste répartition des charges publiques. Mais c’était beaucoup en ce temps-là que de se rapprocher un peu de l’équité sur ce point important. (Note de Dupont de Nemours.)
  4. Nous regrettons de n’avoir pas un grand nombre de ces petits Mémoires, par lesquels M. Turgot appuyait auprès du roi les projets de loi qu’il lui proposait. (Note de Dupont de Nemourt.)
  5. C’est 600,000 livres pour les six offices, et non pas pour chaque office. La répartition de cette finance de 600,000 livres était faite entre les six receveurs en raison de l’importance de leur recette, par un tableau joint à l’édit, et qui fixait l’arrondissement de chaque recette. (Note de Dupont de Nemours.)
  6. Un règlement du 19 mars suivant détermine en détail les fonctions de ces receveurs, la forme de leur travail, leurs rapports avec les commissaires du Conseil, avec les intendants des finances et avec le Trésor royal. (Note de Dupont de Nemours.)
  7. On voit que les grands et notables personnages dénommés dans cet arrêt, qui n’étaient certainement pas parmi les pauvres de la nation, et qui n’étaient même taxés à la capitation que très-modérément, ne la payaient point, ou ne la payaient qu’avec de longs retards ; qu’il y en avait qui la laissaient arriérer de dix ans. Ils furent très-offensés qu’on eût trouvé moyen de les forcer par des retenues à l’exactitude, et d’acquitter l’arriéré. Le nombre des ennemis de M. Turgot en fut beaucoup augmenté, et ils montrèrent la plus grande aigreur. (Note de Dupont de Nemours.)