Œuvres de Turgot (Daire, 1844)/Lettre aux officiers de police des villes de la généralité de Limoges ayant des marchés de grains

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LETTRE
AUX
OFFICIERS DE POLICE DES VILLES DE LA GÉNÉRALITÉ DE LIMOGES,
AYANT DES MARCHÉS DE GRAINS[1].


Limoges, le 15 février 1765.

J’ai eu lieu de m’apercevoir, monsieur, par la fermentation qu’a excitée dans quelques villes et bourgs de cette province le transport d’un petit nombre de mesures de grains d’un lieu à l’autre, et par les lettres que j’ai reçues à cette occasion des magistrats de ces villes, qui me faisaient part de leur embarras, que les dispositions des lois publiées en 1763 et 1764 sur la liberté du commerce des grains ne sont pas aussi connues qu’elles devraient l’être, non-seulement du peuple, mais même de quelques-unes des personnes chargées d’en maintenir l’exécution.

J’ai cru devoir, en conséquence, faire distribuer de nouveau dans la province un assez grand nombre d’exemplaires de la déclaration du 25 mai 1763 et de l’édit de juillet 1764, afin d’en répandre la connaissance.

J’y ai joint un ouvrage composé par M. Letrosne, avocat du roi au bailliage d’Orléans, qui démontre avec autant de clarté que de force, et qui doit rendre sensible à tous les esprits, la sagesse et l’utilité de ces lois dans tous les temps et dans toutes les circonstances. S’il pouvait vous rester quelques doutes sur cette matière importante, je suis persuadé que la lecture de cet excellent ouvrage achèverait de les dissiper, et que, si l’amour du devoir et votre attachement aux lois établies par l’autorité du roi suffisent pour exciter votre vigilance à les faire observer, il s’y joindra encore dans cette occasion ce zèle qui naît de la conviction intime de leur nécessité et de l’avantage qu’en recueille le public. Je ne doute pas que, pénétré comme l’auteur de la solidité des vues bienfaisantes qui ont engagé à consacrer par une loi solennelle la liberté du commerce des grains, vous ne vous fassiez un devoir et un plaisir de travailler à répandre la même conviction dans tous les esprits. Les moyens d’y parvenir sont de répondre avec douceur et en détail aux plaintes populaires que vous entendez chaque jour ; de faire parler le langage de la raison plus que celui de l’autorité ; d’engager les curés, les gentilshommes, toutes les personnes qui, par leur état et leurs lumières, sont à portée d’influer sur la façon de penser du peuple, à lire l’ouvrage de M. Letrosne, dont je vous adresse dans cette vue plusieurs exemplaires, afin que, persuadés eux-mêmes, ils puissent travailler de concert avec vous à persuader les autres.

Sans entrer dans les principes que M. Letrosne développe avec tant de netteté, il suffit de consulter le plus simple bon sens pour voir que toutes les récoltes ne sont pas égales ; que, les grains étant dans les mêmes lieux quelquefois très-abondants, et d’autres fois très-rares, et dans les mêmes années manquant souvent dans un canton, tandis que dans d’autres on en a beaucoup plus qu’on n’en peut consommer, l’on ne peut vivre, dans les années et dans les can tons où le blé manque, que du blé qu’on y transporte des lieux où il est le plus abondant, ou de celui qu’on a gardé de la récolte des années meilleures.

Il faut donc que le transport et le magasinage des grains soient entièrement libres, car, si les habitants d’une ville particulière s’arrogent le droit d’empêcher qu’on ne transporte les grains ailleurs, les autres villes croiront avoir le même droit, et les lieux où la disette est le plus grande n’étant plus secourus par les autres, seront condamnés à mourir de faim. Si les négociants qui font des magasins de blé sont exposés aux insultes, aux violences de la populace ; si les magistrats autorisent par leurs soupçons, par des recherches indiscrètes, par des injonctions de vendre à bas prix, le préjugé du peuple contre ce commerce ; si ceux qui l’entreprennent ne peuvent compter sur un profit certain qui les dédommage des frais de garde, du déchet, de l’intérêt de leur argent, personne ne voudra s’y livrer ; les grains superflus se perdront dans les années abondantes, et l’on en manquera totalement dans les années de disette. C’est aussi ce qu’on a vu arriver quand les entraves que la police avait mises au commerce des grains subsistaient. Il, y avait en France une famine presque tous les dix ans, tandis qu’en Angleterre, où ce commerce était non-seulement libre, mais encouragé, à peine en a-t-on eu une en cent ans.

Que prétend le peuple dans son aveugle emportement ? qu’on oblige les marchands à vendre à bas prix ? qu’on les force à perdre ? En ce cas, qui voudra lui apporter du grain ? Les pavés des villes n’en produisent pas ; bientôt, à la place de la cherté, ce sera la famine qu’on éprouvera.

Dans les petites villes où les propriétaires des terres rassemblent quelquefois les produits de leurs récoltes, c’est sur eux que tombe directement le cri populaire. Mais, si ce cri était écouté, si on forçait les propriétaires de vendre à un prix moindre que celui qu’ils trouveraient de leurs grains dans les lieux où ils sont plus rares ; alors, en privant des secours qu’ils ont droit d’attendre ceux qui souffrent le plus de la disette, on priverait les propriétaires de leur bien, de leur revenu, et en diminuant la valeur des récoltes, on découragerait la culture. Le peuple raisonne comme s’il n’en coûtait rien pour labourer, pour semer, pour moissonner. Mais il n’en est pas ainsi. Si le laboureur, compensation faite de la quantité et de la valeur de ses récoltes dans les années abondantes et dans les années stériles, ne trouve pas, outre la rentrée de ses frais, un profit suffisant, il diminuera sa culture jusqu’au point où les grains, devenus plus rares, augmenteront assez de prix pour lui procurer ce profit et ce revenu qu’il cherche.

Toutes les mesures auxquelles on se laisserait entraîner, en écoutant le vœu du peuple, iraient donc directement contre son objet, puisqu’elles tendraient à empêcher de porter du secours aux lieux qui en ont le plus de besoin ; à rendre le superflu des années abondantes inutile par le défaut de magasins pour suppléer à la disette des années stériles ; à diminuer, par le découragement du laboureur, la quantité des terres ensemencées, et à ôter au peuple la seule ressource qu’il ait pour vivre, en mettant les propriétaires dans l’impossibilité de payer son travail par la diminution de leur revenu.

Il n’y a qu’une terreur panique et extravagante qui puisse faire imaginer que l’enlèvement des grains soit jamais une cause de disette. On ne transporte des grains qu’afin de gagner sur leur vente. Pour gagner, il faut qu’on puisse vendre le grain plus cher que le prix du premier achat et les frais de transport joints ensemble. Ceux de chez qui l’on transporte payeront donc toujours les grains moins cher que ceux à qui on les porte, de tout le montant des frais de transport et du gain des marchands. Il est donc impossible que le blé sorte d’un lieu où il y a déjà cherté, car les frais de transport ne sont que trop considérables. Ils le sont au point que, s’il y a quelque chose à craindre, c’est bien plutôt que l’on ne puisse quelquefois se procurer des grains dans les lieux où ils manquent qu’à un prix excessif, quoiqu’ils soient à très-bon marché dans les lieux d’où on les tire ; et c’est ce qui prouve encore plus la nécessité de suppléer à la difficulté des transports trop éloignés par des emmagasinements considérables, et par conséquent d’encourager les magasins par la protection la plus décidée, et par l’assurance la plus entière que ceux qui en auront fait auront la liberté de les vendre à qui ils voudront, quand ils le voudront, au prix qu’ils voudront. Lorsqu’on aura goûté quelques années cette précieuse liberté, lorsque le commerce des grains sera devenu l’objet des spéculations d’un grand nombre de négociants, que les correspondances seront établies, les magasins multipliés, alors on jouira de tous les avantages de ce commerce, et on les connaîtra.

Le prix des grains soutenu à un taux constant, également éloigné de la cherté et de la non-valeur, excitera la culture, assurera le revenu des terres, procurera aux artisans des salaires toujours proportionnés à leurs besoins. Alors ou sera pleinement rassuré sur la crainte de la disette, et les vérités qui ne sont encore démontrées aujourd’hui que pour les personnes qui réfléchissent, seront senties par le peuple même et constatées par l’expérience universelle.

Voilà le but auquel il faut tendre, et qu’il faut hâter en combattant, dans ce premier moment, l’effet des anciens préjugés populaires, en les affaiblissant par la persuasion, et surtout en employant toute la force de l’administration et de la justice à protéger contre toute espèce d’attaque la liberté que les lois du prince ont garantie à tout homme qui entreprend le commerce des grains.

Il ne faut pas se le dissimuler, dans quelques provinces, et en particulier dans celle-ci, les circonstances n’ont pas été aussi favorables qu’il eût été à souhaiter pour accoutumer le peuple à cette liberté, que les fausses mesures de la police l’ont autorisé si longtemps à craindre. Avant que le commerce des grains ait pu se monter, avant que les négociants aient pu étendre leurs correspondances, et qu’ils aient pu se former un assez grand nombre de magasins, il est survenu dès la première année une mauvaise récolte qui a fait monter les grains à un prix au-dessus du prix ordinaire. C’est un malheur inévitable ; mais, bien loin d’imaginer qu’on pût y remédier en abandonnant pour le moment les principes de la liberté, ce serait au contraire le moyen d’aigrir le mal en empêchant les grains de se porter dans les lieux où ils sont le plus chers, et où par conséquent le besoin est le plus urgent.

Les fausses idées qu’on avait autrefois sur le commerce des grains avaient donné naissance à une foule de précautions mal entendues, de règlements, de statuts de police, qui tendaient tous, sous prétexte de réprimer les prétendus monopoles, à gêner les marchands, à assurer dans les marchés la préférence aux bourgeois du lieu sur les habitants des lieux circonvoisins. Ainsi il a été défendu, jusqu’à une distance assez considérable des grandes villes, de vendre ailleurs que dans les marchés. Ces marchés étaient assujettis à des règlements par lesquels il n’était pas permis aux boulangers d’acheter avant une certaine heure, afin que le peuple eût le temps de se fournir. Les étrangers (car c’était le nom qu’on osait donner à des membres d’un même État) ne pouvaient non plus acheter qu’à une heure fixe, afin que les habitants de la ville pussent être fournis par préférence. Souvent il n’était pas permis de remporter le grain qu’on avait mis en vente, et l’on était obligé de le livrer au prix du marché. Les officiers de police allaient quelquefois jusqu’à faire des recherches chez ceux qui avaient des grains en réserve, et les contraindre de les porter au marché pour les y vendre à un prix que l’autorité fixait. Les règlements et les gênes n’étaient pas les mêmes partout ; mais partout le commerce des grains était resserré et avili par une foule de précautions qu’inspiraient les préjugés populaires, qu’elles fortifiaient de plus en plus.

Il ne faut pas s’étonner que le peuple, accoutumé à voir ses idées adoptées par l’administration, réclame, à la moindre augmentation dans le prix des grains, le renouvellement de ces anciennes précautions. Une erreur fondée sur l’exemple de ce qu’il a vu pratiquer tant de fois doit paraître excusable ; mais heureusement la loi lie à cet égard les mains du magistrat. Tous les règlements sur la police des marchés, sur la nécessité d’y vendre, sur les heures où les bourgeois et les étrangers pourraient acheter, sont abrogés par la déclaration de 1763 et par l’édit de 1764 ; toute recherche, toute contrainte, toute fixation de prix, toute atteinte à la liberté, sont des mesures interdites désormais aux magistrats, et ceux qui seraient assez peu éclairés pour vouloir les renouveler s’exposeraient à l’animadversion la plus sévère de la part du gouvernement et des tribunaux supérieurs.

Cependant, si l’alarme se répand dans le peuple, si les esprits commencent à fermenter, le magistrat ne doit rester ni dans l’indifférence ni dans l’inaction ; il doit employer tous les moyens qu’une prudence éclairée suggère pour calmer l’émotion ou plutôt pour l’empêcher de naître. L’attention à découvrir ceux qui donnent l’exemple du murmure et qui ameutent les autres ; la fermeté à dissiper ces pelotons qui sont ordinairement le prélude des émeutes ; quelques exemples de sévérité, placés à propos, contre les chefs et les orateurs de ces petits conciliabules, suffiront dans les commencements pour prévenir de plus grands maux.

Trop d’indulgence aurait des effets bien plus cruels pour le peuple, qui, abandonné à lui-même, s’échaufferait de plus en plus, ne connaîtrait bientôt aucun frein, se porterait à des excès funestes aux objets de ses absurdes imputations, et bien plus funestes encore à lui-même. L’attroupement séditieux est un crime trop destructeur de l’ordre public pour qu’il puisse demeurer impuni. Le gouvernement est obligé, malgré lui-même, d’armer la juste sévérité des lois, et les coupables expient dans les supplices le crime où les a entraînés une impétuosité aveugle, qui n’a pas été réprimée à temps. L’intention du roi, marquée dans la lettre de M. le contrôleur-général à M. le procureur-général du Parlement de Paris, est que le procès soit fait, aux auteurs des émeutes excitées à l’occasion du transport des grains, suivant la rigueur des ordonnances. Il ne faut rien omettre de ce qui peut dispenser d’en venir à cette fâcheuse extrémité.

À la fermeté qui réprime les murmures, il faut sans doute joindre des mesures douces qui puissent calmer les alarmes du peuple et lui ôter les prétextes de murmurer. Mais, dans le choix de ces mesures, il faut soigneusement éviter tout ce qui peut tendre à ameuter la populace, à frapper ses yeux, à lui faire croire qu’on partage ses inquiétudes et ses fausses imputations contre les propriétaires de grains et les prétendus monopoleurs. Lors même qu’on croit devoir quelques ménagements aux préjugés du peuple, il ne faut jamais lui donner lieu d’imaginer qu’on les adopte, et encore moins qu’on y cède par un motif de crainte ou de faiblesse.

Un des préjugés de ce genre que l’habitude a le plus enracinés, et que l’ancienne conduite de l’administration a le plus consacrés, c’est l’idée que la subsistance publique est liée à la vente des grains dans les marchés. Quand ils sont dégarnis, on croit toucher à la famine, et la crainte devient universelle.

Il est cependant très-indifférent en soi que le grain se vende dans le marché ou hors du marché, pourvu que la même quantité de grains soit vendue. Quand on défendrait de vendre ailleurs qu’au marché, cela ne produirait pas un seul boisseau et ne nourrirait pas un homme de plus. Au contraire, les frais de transport au marché, les droits de mesurage, la crainte d’être exposé aux reproches injurieux de la populace si, n’en trouvant pas le prix qu’on en désire, on veut le remporter, sont autant de raisons qui éloignent les propriétaires de grains des marchés et qui leur font préférer de vendre chez eux, même à plus bas prix.

Il est à croire que le peuple se défera peu à peu de cette habitude de compter uniquement sur la fourniture des marchés ; que l’expérience lui fera envisager dans la multiplication des magasins et la vente libre dans tous les greniers une ressource bien plus assurée, et qu’il verra faire librement le commerce de grains sous ses yeux sans en concevoir aucun ombrage. Mais, comme cette sécurité ne peut être que l’effet du temps, et comme avant qu’elle ait pu s’établir, l’augmentation occasionnée par la modicité de la dernière récolte a répandu quelques craintes, cette circonstance rend la position actuelle assez délicate.

Il me semble qu’il n’y a pas de meilleur moyen pour rassurer le peuple, sans donner atteinte à la liberté, que d’employer la persuasion pour engager quelques-uns des principaux propriétaires de grains à en faire paraître de temps en temps au marché, en le donnant au même prix qu’ils le vendent dans leurs greniers. Il ne doit pas être difficile d’y réussir, car ils y sont intéressés. S’ils doivent jouir dans le commerce de toute la protection du gouvernement, et de toute la liberté que leur assurent les deux lois solennelles de 1763 et de 1764, ils ne peuvent manquer de sentir combien il est important pour eux-mêmes de ne pas laisser le peuple concevoir contre eux des soupçons qui les rendraient les objets de sa haine, et les exposeraient à des insultes, peut-être à des violences. On punirait ces violences et ces insultes ; mais il ne serait pas moins désagréable pour eux de les avoir essuyées. Ils doivent donc, pour leur propre tranquillité, aider les magistrats à défendre la liberté du commerce, et concourir avec eux à toutes les mesures qu’ils ont à prendre pour rassurer le peuple et l’empêcher de murmurer.

Les mouvements auxquels la populace s’est déjà portée dans quelques endroits m’ont déterminé à faire publier une ordonnance pour renouveler les défenses de s’attrouper et de troubler la liberté du commerce des grains. Je l’envoie à mes subdélégués, en les chargeant de la faire publier et afficher dans tous les lieux où ils croiront cette publication utile ; car si, d’un côté, il faut que le peuple sache la résolution où est le gouvernement de maintenir avec fermeté la loi qui a établi la libre circulation des grains, et de punir sévèrement toute infraction à cette loi et toute espèce d’attroupement ; d’un autre côté, il serait imprudent de réveiller par des précautions inutiles l’attention et l’inquiétude du peuple sur des objets auxquels il ne penserait point.

Je mande à mes subdélégués de se concerter avec vous sur toutes les mesures qu’exigent les circonstances, soit pour calmer et persuader les esprits, soit pour leur en imposer s’il est nécessaire. Je leur recommande, ainsi qu’à vous, de faire arrêter sur-le-champ quiconque donnerait l’exemple du murmure et de l’attroupement. La maréchaussée a ordre de prêter main-forte partout où elle sera requise.

S’il se passait quelque chose relativement aux objets de cette lettre, dans le lieu de votre résidence ou dans les environs, vous me ferez plaisir de m’en informer sur-le-champ.

Je suis très-parfaitement, monsieur, etc.[2].


  1. On a vu, dans les Avis de M. Turgot sur les impositions de sa généralité, pour les années 1765 et 1766, combien le défaut de récolte résultant de la grêle, des inondations, et d’autres intempéries, avait exposé la subsistance de la province.

    Il était de la plus grande nécessité que les cantons qui avaient quelque approvisionnement pussent secourir ceux qui en étaient dénués, et que les négociants, auxquels M. Turgot avait persuadé de faire venir des grains du dehors, pussent les conduire aux lieux de leur destination, à ceux où les plus hauts prix certifiaient les plus grands besoins.

    Mais les habitants des villes où les grains surabondaient, ou qui étaient au moment d’en recevoir en remplacement de ceux dont ils secouraient leurs voisins, agités, soit par des esprits brouillons, soit par leurs seules craintes, refusaient ce secours, mettaient obstacle au transport, demandaient aux magistrats des perquisitions chez les propriétaires et chez les marchands, invoquaient des taxations de prix qui auraient empêché l’arrivée des grains qu’on attendait.

    Et des magistrats ou faibles, ou voulant caresser l’opinion pour des applaudissements du jour, germes inévitables des maux du lendemain, ou partageant même les préjugés du peuple qui sur cette matière ont été si longtemps ceux des tribunaux, encourageaient l’émotion des esprits par leur condescendance, par leurs discours, loin de travailler à la dissiper.

    M. Turgot a toujours cru que la persuasion était un des plus puissants ressorts de l’autorité, et devait, dans les circonstances difficiles, en appuyer l’énergie.

    Il fit réimprimer la déclaration du 25 mai 1763 et l’édit de juillet 1764, qui établissaient la liberté du commerce et de la circulation des grains. Il y joignit un très-bon ouvrage de M. Letrosne, intitulé : La liberté du commerce des grains toujours utile et jamais nuisible. Il accompagna le tout d’une Lettre circulaire aux officiers de police (celle ci-dessus), qui, répandue abondamment dans la province, chez les magistrats, les subdélégués, les curés, les gentilshommes, les bourgeois les plus instruits, parvint de proche en proche à calmer l’effervescence et à laisser répartir l’approvisionnement d’une manière paisible et efficace. (Note de Dupont de Nemours.)

  2. Voyez au tome II, Travaux relatifs à la disette de 1770, divers arrêts et ordonnances sur le même sujet ; — et, pour le développement complet des idées de Turgot sur le commerce des grains, les Lettres à l’abbé Terray, page 159 et suivantes du présent volume.