Œuvres de Vadé/Compliment de la clôture de la foire St-Laurent

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Garnier (p. 267-274).

COMPLIMENT

DE LA

CLÔTURE DE LA FOIRE SAINT-LAURENT, 1755

SUIVI
DE CELUI DE LA FOIRE SAINT-GERMAIN DE LA MÊME ANNÉE
TOUS DEUX CHANTÉS À LA FIN DE JÉROSME ET FANCHONNETTE
LE 6 OCTOBRE 1755.

ACTEURS

JÉROSME.

FANCHONNETTE.

CADET.

Jérosme.

Ah ! çà, Cadet, c’est pas l’tout ; faut z’un Compliment à ç’t'heure-ci.

Cadet.

Volontiers.

Jérosme, embarrassé.

Dame ! c’est qu’faut donner le bouis d’une magnière de sentiment ben r’tapée au moins… là… comme qui dirait un échap’ment d’conversation sur une reconnaissance ben stipulée touchant… l’occasion du sujet de ce que j’sommes redevabes… Là, tu m’entends ben… c’est-à-dire…

Fanchonnette.

Jérôme, laissez ça là, vote langage s’enfonce dans l’embrouillarmini. Cadet n’est pas pus r’tors que vous là-dessus.

Jérosme.

Eh ! ben, rendez-nous ç’p’tit service-là.

Fanchonnette.

Ah ! mon Guieu ! ça n’se r’fuse pas dans l’ménage.

Air : Il a voulu.

Messieux, excusez l’embarras
Où c’qu’est Monsieur Jérôme ;
C’est qu’pour se tirer d’un tel pas ;
Il faut ben d’l’esprit ; mais hélas,
I n’en a pas,
I n’en a pas,
Tout comme un habile homme.

Jérosme.
Air : Reçois dans ton galetas.

Accoutez, Mansell’Fanchon,
Faut pas tant fair’la capabe :
De l’esprit est bel et bon,
Mais l’cœur n’est-i pas préférabe ?
Dites, n’est-i pas vrai, messieux,
Que c’est le cœur qu’vous aimez l’mieux ?

En ç’cas-là j’suis des bons.

Cadet.

Parle-donc, Jérôme, est-ce que j’suis un chien moi là-d’sus ? Tu crois p’têtre que j’ten r’cède…

Jérosme.

Eh ! sois ç’que tu voudras ; chacun pour soi dans ç’moment-ci ; je me f’rais guillocher pour l’emporter sur vous tous en cas d’ça.

Fanchonnette, piquée.

C’est donc à dire moi que je surfais ces belles Dames et ces Messieux, quand j’dis que j’suis la plus r’connaissante de toutes leux gracieusetés ? Monsieu mon amant, vous voulez m’donner du d’sous de ç’côté-ci ? Fort peu d’ça. Et si vous croyez avoir plus de distingation qu’moi pour ce qui est de mes sentimens pour la Copagnie, j’vous l’dis, j’vous donne vote sac et vos quilles.

Jérosme.

Eh ! ben, donnez ; l’amiquié du Purblic vaut ben d’l’amour.

Fanchonnette.

J’savons ben qu’son amiquié est la plus belle rose d’vote chapeau ; mais sachez qu’vote chapeau est l’couverque d’un butor.

Jérosme, fâché.

Mansell’Fanchonnette !

Fanchonnette, se moquant de lui.

Monsieu Jérôme !

Jérosme.

Prenez garde à ce que vous dit’au moins.

Cadet, les séparant.

Quoi qu’c’est donc qu’ça ? v’là un biau commencement de ménage !

Fanchonnette.

Mais c’est vrai ; t’nez, m’osliner qu’i f’rait plus d’effort que moi pour mériter la bonté du Public.

Jérosme.

Eh ! ben, j’ai tort, là. J’sommes tous les deux d’la même trempe.

Cadet.

Sans doute… Tiens, ma sœur, n’faut pas…

Fanchonnette.

Allons, tais-toi, diable de bijou du Parvis.

Cadet.

T’es drôle ; finissons ça, et pour mette d’accord, qu’chacun dégoise ç’qu’il a dans l’âme.

Jérosme.

Va-t-i, Mansell’?

Fanchonnette.

Va… Comment donc ! Cadet vous raccommode ça comme d’la fayance.

Jérosme.

Eh ! ben ; q’mencerai-je-ti ?

Fanchonnette.

Allez toujoux vote train, Monsieu l’complimenteux. Tiens, i s’cramponne déjà comme s’i remontait la Gayotte à lui tout seul.

Jérosme.
Air : Mais d’mandez-moi pourquoi qu’je r’viens.

Une jeun’fill’qui va s’marier
Aveuc un vieux z’homm’qu’all’n’aim’gueres ;
Queuqu’z’un qui voit z’un creyancier
Qui veut s’mêler de ses affaires ;
Un Amant qui perd sa Maîtresse,
Une Maîtresse qui perd son Amant,
N’ont, morgué, pas tant de tristesse
Qu’en a Jerôme en vous quittant.

Oh ! c’est vrai ça, ou l’Diable me serve de carrosse, si j’vous mens.

Cadet.

À moi à ç’t’heure ; tu vas voir comm’j’m’en r’tire.

Cadet, d’une voix enrouée.
Air : Du Dieu des cœurs.

 
En vérité,
Oui, Messieux et Mesdames.
Votr’généreuzté
S’éparpille au fin fond d’nos âmes,
S’épar, ar, ar, ar, ar…

Fanchonnette.

Tiens, ç’t’autre avec sa voix de tournebroche ! Il vous entonne un Orpera. Dis donc, Cadet, quand z’on chante comm’ ça, faut s’faire accompagner par un chaudron.

Cadet.

Eh ! sarpejeu, i gn’a qu’pour toi à vouloir jouer du gosier ici.

Jérosme.

Vous sentez fort, Mansell’, qu’un homme n’a pas l’passage de la ruette fait pour la mursique, comme qui dirait la surpape d’la voix d’une femme.

Fanchonnette.

D’quoi donc qu’i s’mêle ? Faut renoncer quand on n’a pas d’atout ; on n’fait pas la bête pour ça.

Jérosme.

Eh ben, voyons, allumez-nous ça, vous qui parlez.

Fanchonnette.

Vantez-vous-en, et dans la magnière qui convient encore.

(Elle sort du ton Marinier.)
Air : Me promenant dans nos plaines.

 
Ce moment qui nous désole
Du néant est le miroir.
Si notre bonheur s’envole,
Quel sera donc notre espoir ?
Par votre absence cruelle

L’ennui va suivre nos pas.
Ah ! quel revers pour notre zèle !
Non, non, non, ma douleur n’y suffit pas.
Mais si notre amour vous rappelle,
Non, non, non, non, nos cœurs ne se plaindront pas.

Jérosme.

Pargué, Mansell’Fanchonnette, t’nez, vous m’paraissez de r’chef ben gentille ; j’vous aime, morgué, plus qu’auparavant. Ah ! ça, raccommodez-vous donc nous d’eux, la, sans r’gout.

Fanchonnette.

J’vous l’pardonn’rapport au sujet de la cause ; embrassez-moi, et que ça soit fini : avec la permission d’la Copagnie, s’entend.

Jérosme, au public.

Messieux et Dames, voulez-vous ben me signifier votre permettance, là, en magnière de fiançailles ; c’est comm’si j’buvais un litron de paffe à vote chère santé ; que le ciel vous consarve en joie et en argent.

(Il embrasse Fanchonnette.)
Fanchonnette.

V’ià qu’est ben, r’mettez-vous ; ça fait plaisir : mais j’en r’viens toujours à nos r’grets ; en verte d’Dieu, j’rest’rais là toute ma vie, moi ; mais faut faire place à d’autres ; allons, Jérôme, Cadet, jouons d’not’reste.

(Elle les amène au bord du Théâtre.)

Si votre bienveillance
Fait nos plus heureux jours,
Notre reconnaissance,
Nos respects, nos amours ;
Pour vous dur’ront toujours,

Tous.

Pour vous dur’ront toujours. (bis.)

COMPLIMENT

DE CLÔTURE

DE LA FOIRE SAINT-GERMAIN

CHANTÉ PAR MADEMOISELLE ROSALINE À LA SUITE DE JÉROSME ET FANCHONNETTE.

Fanchonnette.
Air : Ah ! s’il en goûte, s’il en tâte, s’il en a.

 
Ah ! çà, Mesdames, Mesd’moiselles et Messieux,
On m’a chargé d’vous dire nos adieux.
On a ben tort, car je n’sais pas comment
Il faut s’y prend’pour faire un Compliment ;
C’est qu’vous en méritez tant, tant et tant,
Et not’chagrin est si fort dans ç’t’instant,
Qu’en verté d’Dieu c’est ben embarrassant.
 

Air : Faut pas êtr’grand sorcier pour ça.

Pour m’aider, un litron d’rimeux
S’donniont d’la tablature :
J’ons laissé là leux vers fameux
Pour suivre la nature :
Car en partant d’là,
On sent pour vous les droits qu’elle a,
La, la
Oh ! oh ! ah ! ah ! ah ! ah !
I n’faut qu’avoir du cœur pour ça,
La la.

Air : Pour la Baronne.

Mais, pour vous plaire,
P’têtre que d’l’esprit s’rait plus beau ;
Eh ! quand même j’en saurions faire,
Vous en offrir s’rait porter d’l'iau
À la rivière.

Air : Drès l’matin dessous ç’feuillage.

J’venons d’épouser Jérôme,
D’son amour vous êtes témoins ;
Ça paraît faire un brave homme.
À vos yeux on l’serait à moins.
C’est qu’un mari d’vant tout l’monde
Envers sa femm’fait l’poli,
Qui souvent tempête et gronde
Drès qu’il est r’tiré cheux li.
Ça n’f’rait rien, si vote absence
N’achevait pas d’m’effrayer.
Oui jouit de vot’présence,
Mange son pain blanc l’permier.

(Elle sort du ton poissard.)
Air : Recevez donc ce beau bouquet.

Ne rejettez point nos regrets ;
Messieurs, vous en êtes la cause :
Ils sont le fruit de vos bienfaits ;
Ah ! comptez-les pour quelque chose.
Vos bontés nous ont de tout tems
Assuré votre bienveillance.
De nos cœurs les plaintifs accens
Sont l’encens
De la reconnoissance.