Anthologie féminine/Mme Guizot

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Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 253-257).

Mme GUIZOT, Née Pauline de Meulan

(1773-1827)


Elle eut des débuts très intéressants. Douée d’un réel talent littéraire, arrivée à Paris ruinée. elle écrivait sous un pseudonyme, dans les Débats, des courriers pour venir en aide à sa mère, lorsqu’elle tomba dangereusement malade ; ce fut pour elle un cruel souci que de penser qu’elle perdait son gagne-pain. Quel ne fut pas l’étonnement de ces dames quand elles apprirent que les courriers étaient arrivés régulièrement au journal, et qu’elles pouvaient émarger ; un jeune et timide inconnu qui avait aperçu Pauline chez M. Suard, leur ami et protecteur, avait su les difficultés dans lesquelles elles se trouvaient, et avait eu l’heureuse inspiration d’imiter son style et de la remplacer. Elles tinrent à connaître leur bienfaiteur, qui n’était autre que M. Guizot, le futur ministre, alors débutant, et que Pauline de Meulan épousa en 1802 ; quoique plus âgée que son mari de quelques années, le mariage fut des plus heureux, les deux époux étant en concordance de sentiments et d’idées ; elle n’en jouit malheureusement que quinze années, car elle mourut en 1817, âgée de quarante-trois ans.

Elle laissa nombre d’ouvrages dont : Essais de littérature et de morale, les Enfants, l’Écolier, ou Raoul et Victor, l’Éducation domestique, Nouveaux contes, Idées de droit et de devoir, De l’anarchie et du pouvoir, etc.

Ses livres pour les enfants sont excellents et ont tous eu de nombreuses éditions. Ses pensées philosophiques s’inspirent des idées les plus élevées.


DE L’INFLUENCE DES FEMMES DANS LA LITTÉRATURE

Pour connaître les mœurs d’un siècle, il faut consulter les ouvrages écrits par des femmes, presque toujours modelés uniformément sur une situation commune à toutes ; les femmes sentent et pensent beaucoup moins d’après leur jugement personnel que d’après les habitudes que leur ont données la place qu’elles occupent dans la société et le rôle qu’elles sont appelées à y jour. L’indépendance et l’originalité sont nécessairement rares chez des êtres dont l’existence est renfermée dans un cercle étroit et dont les intérêts sont semblables. Sauf les observations qu’elle aura pu faire sur elle-même, fécond et important sujet de réflexions, il y a toujours lieu de croire que ce que pense une femme est ce qui sera généralement reçu par les femmes de son temps, et de ce que les femmes pensent dans un temps quelconque on peut aisément inférer ce qu’elles y sont.


PENSÉES DÉTACHÉES

Le courage d’un homme est de se soustraire au joug ; celui d’une femme est de le supporter ; y conformer sa volonté, c’est pour elle le seul moyen d’espérer cette liberté qui consiste à faire ce qu’on veut.

L’énergie de l’âme s’endort dans les vagues rêveries de l’espérance ; le travail actuel pèse à celui qui croit pouvoir se reposer sur l’avenir : mais que tout à coup la perspective du bonheur se ferme devant lui, il recueille toutes ses forces dans le moment présent et, appuyé sur son malheur, s’élance à de nouvelles destinées.

La gloire est le superflu de l’honneur ; et comme toute autre espèce de superflu, celui-là s’acquiert souvent aux dépens du nécessaire.

Sa nièce, Marguerite-Andrée-Élisa Dilson, Mme Guizot (1804-1833), seconde femme du ministre, a écrit aussi quelques opuscules.

Elle écrivait, avant son mariage, à sa sœur, les lignes suivantes, contenant une appréciation que les oreilles féminines ne sont pas habituées à entendre :

Il y a dans la raison des hommes quelque chose de supérieur qui dédommage de la soumission ; leur volonté est calme, tandis que la nôtre s’agite sans cesse ; une multitude de petits incidents qui nous contrarient vivement ne les atteignent même pas : aussi veulent-ils moins fréquemment, mais plus également et plus durablement que nous. Dans tous les ménages que je vois, j’observe cette différence, et je suis persuadée que beaucoup de femmes très distinguées ont dû à cette dispensation de la Providence leur bonheur avec des maris qui n’avaient pas autant d’esprit qu’elles, mais dont le caractère ferme et calme donnait l’appui et le repos dont elles avaient besoin ;… on verra ce que des « femmes d’esprit comme nous » peuvent apprendre d’un homme médiocre.

On dit que je suis très instruite, et je sais bien que je le suis plus que la plupart des femmes ; eh bien, ma chère, je n’ai jamais causé un peu sérieusement avec un homme sans apercevoir combien il y avait de décousu dans mon instruction et de lacune dans mes connaissances. Il y a quelque chose de desultoire dans l’esprit et dans l’éducation des femmes ; elles ne savent jamais rien à fond, ce qui fait que les hommes les battent aisément dans la discussion. Si on est vaincue par un mari qu’on aime, le mal n’est pas grand.

Élisa Dilson, continue Mme de Witt, née Guizot[1], n’a pas épousé un homme médiocre, et elle l’a beaucoup aidé pendant sa courte vie conjugale, le remplaçant souvent dans le travail de préparation des numéros de la Revue française, pour laquelle elle rédigeait des articles non signés, qui sont restés le témoignage durable d’une instruction solide et étendue, comme de l’esprit le plus délicat et de l’âme la plus élevée. Morte à vingt-neuf ans, elle a laissé dans la vie de celui qu’elle aimait un vide irréparable, et, grâce à ce fidèle souvenir, elle a tenu une grande place dans la vie de ses enfants, qui l’ont à peine entrevue…


  1. Voir la notice sur Mme de Witt, née Guizot, et sur ses œuvres, dans la 3e partie, consacrée aux écrivains vivants.