Bleu, blanc, rouge/04

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Déom Frères, éditeurs (p. 23-25).


FRANCE… TOUJOURS !


Réponse à Canada d’abord.


COMME vous, jolie fauvette, j’aime le sol de ma patrie, fécondé par le sang des martyrs français, et je comprends la plainte de l’Exilé qui ne peut poser ses lèvres sur le monument de marbre où reposent les défenseurs de nos droits ! J’aime nos grandes forêts s’éveillant chaque année en joyeuses clameurs, avec le retour de la sève printanière ! J’aime l’érable national pleurant la joie de vivre et d’aimer en larmes d’or que l’abeille humaine convertit en nectar. J’aime l’ombre mystérieuse qui tombe de son front couronné, aux jours de mai, protégeant les amoureux contre les regards indiscrets. Fuyant les brûlures de l’asphalte, j’aime la paix de nos grands champs d’où le murmure étouffé des villes nous arrive comme le grondement lointain des chutes ! J’aime…

Mais quand j’étalerais l’écrin de mes amours, tout cela prouverait-il que nous ne sommes pas français ? Ce sentiment poétique qui gît à l’état latent chez le plus humble de nos campagnards, cet enthousiasme des nôtres devant tout ce qui est beau, noble, généreux et grand, est encore une marque de notre glorieuse origine !… Français du Canada, oiseaux tombés du nid, nous avons, sous d’autres cieux, accroché notre bercelonnette, et le cruel oiseleur nous retient captif dans ses lacets. Mais nous chantons toujours la liberté. Nous apprenons aux petits et les vilenelles d’amour, et le chant de guerre. Puisse, un jour, notre aile libre et fière fouetter les rayons de l’espace azuré !

Dieu a voulu que l’amour fût immortel. Il réserve au cœur de l’homme, vers le déclin de sa vie, de bien douces félicités. Ainsi l’on voit, aux jours d’automne, l’arbre à fleurs de cire se couvrir de bourgeons et de fleurs. L’aïeul, près du berceau de chacun de ses petits-fils, revit des souvenirs qui rajeunissent sa vieillesse. Puis, quand tout expire, quand le dernier flot de la vie va s’épancher, à cette heure suprême où l’on n’entend plus les bruits du monde, un dernier regard, le regard d’adieu embrasse deux ou trois générations qui prient et qui pleurent.

Le fils, un jour, avait laissé le toit paternel pour former une jeune pépinière. Ses soins et sa tendresse, il les avait donnés aux rejetons qui continueront sa lignée. Le nouveau foyer, chaque jour embelli, chaque jour plus aimé, devint le temple des familiales tendresses. Une nouvelle prêtresse sacrifia avec lui sur l’autel des saintes amours. Mais l’étreinte de ces nouveaux bras, le parfum plus capiteux des baisers de l’épouse, le luxe modernisé des tentures et des meubles, lui versèrent-ils l’oubli de la sainte dont les cheveux ont blanchi en l’aimant ? Celle qui sut trouver des mots exquis, des modulations berçantes pour l’endormir, en séchant ses pleurs, celle qui la première comprit ce langage inarticulé, incompris de lui-même, celle qui reçut les premiers battements de son cœur ingénu. Et, quand il évoque le souvenir de la maison rustique où s’écoula son enfance, le verger, la cour et tous les lieux marqués au coin d’une de ses joies ou d’un de ses chagrins passagers de gamin, il pleure, au sein de tout ce bien-être lui souriant, dans cette tiédeur de serre où s’épanouit son bonheur, car il sait comme Héraclite, « Qu’on ne se baigne pas deux fois au même flot, » que les oiseaux partis du nid, n’y reviennent plus, qu’un ange sévère garde la porte de l’Éden, armé d’un glaive et qu’il doit marcher à de nouvelles destinées implacables.

Mais il transmettra une chose à ses fils : le nom de ses pères et l’héritage des traditions ancestrales de loyauté et d’honneur, avec défense, sous peine de malédiction, de profaner le précieux legs.

Myrto, je laisse votre perspicacité pénétrer la brume de l’allégorie ci-haut donnée. Le brillant député de Labelle, M. Bourrassa, avait dit avant moi : « Nous sommes des Français, sujets anglais, » et M. Paradis, ajoute : « Nous sommes et resterons français. » Si nous sommes Français, conclusion logique, la France est notre patrie. Nous lui devons, Myrto, outre l’admiration que chacun doit lui donner, car la France est l’âme de la poésie, du beau, du sublime, l’amour d’un enfant pour sa mère. Nous devons à son drapeau tricolore, qui est le nôtre, de marcher sous son ombre à la conquête de notre indépendance, et nous avons l’obligation de rester « sans peur et sans reproche » afin d’être dignes de notre nom !

Myrto, nous devons d’être ce que nous sommes au sang français qui coule dans nos veines « Bon sang ne peut mentir. »

Parodiant une chanson célèbre, je dirai :

Mon âme à la France
Mon cœur au Canada.