Chansons de route/L’Horatius Coclès Breton

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Librairie Payot et Cie (p. 251-254).


L’HORATIUS COCLÈS BRETON














 


 

L’HORATIUS COCLÈS BRETON

À la vaillante mémoire du Capitaine Le Goaziou
(de Dinan) qui, de même que le héros romain
au pont de Sublicius, mourut en défendant celui
de Stenstraete
.

Dans un décor sinistre où notre œil ne distingue
Que des morts dans la fange et des logis sans toits
C’est au bord de l’Yser, en face de Bœsinghe[1],
Que je vis le Héros pour la dernière fois.

Oh ! qu’il était encor d’allure jeune et svelte !
Un ruban glorieux ensanglantait son cœur ;
Et je voyais briller dans son œil clair de Celte
Son invincible Espoir en l’Avenir vainqueur.


J’avais chanté devant son Bataillon, la veille
Et je l’entends toujours si je ne le vois plus,
Car, depuis, j’ai gardé, vibrant à mon oreille,
L’accent dont il me dit : « Merci… pour mes Poilus ! »

Ah ! c’est qu’il les aimait, le brave capitaine,
Ses gâs, ainsi que lui taillés, tous, en plein roc !
Aussi nul ne boudait, en revanche, à la peine :
Quand il criait : « Debout ! », tous répondaient : « Arok ![2] »

Et pour vaincre ce Preux sans peur et sans reproche,
Stoïque et résolu, toujours le défiant,
Il fallut que, sournois, l’infâme et lâche Boche
Fît ramper jusqu’à lui le gaz asphyxiant !

Tous ses hommes tombés, sur le pont de Stenstraete[3]
Devant mille démons masqués, il est debout :
Il suffoque, il chancelle… et pourtant rien n’arrête
L’Horatius Coclès breton, Le Goaziou.

Prenant son revolver, il vise : il a la joie
De voir six ennemis tomber ; puis, ferme encor,
Il tire alors son sabre ; et le glaive tournoie ;
Et le Héros têtu frappe jusqu’à la mort !

Il croule enfin — ton Nom, douce France, à la bouche —
Le crâne ouvert, mais beau toujours, mais triomphant,
Ayant tenu, jusques au bout, Breton farouche,
Le serment que « jamais ils ne l’auraient vivant ».

Dors, ô Le Goaziou ! Dors, mon bon camarade !
Là-haut, parmi les Preux où tu viens te ranger,
Beaumanoir et Guesclin te donnent l’accolade :
Ici-bas, tes amis jurent de te venger !

  1. Prononcer : Bousinsgue.
  2. En avant !
  3. Prononcer : Schtenstrette.