Chansons de route/Le « Kamarad »
LE « KAMARAD »
« Rentrant de patrouill’, l’aurore étant proche,
Je m’ trouv’ nez à nez avec un grand Boche…
J’ fus tell’ment saisi que j’en restai coi :
Le « Kamarad » fit la mêm’ chos’ que moi !
Comm’ je ne suis pas un foudre de guerre
(Oh ! j’ crains pas les coups, mais je n’ les aime guère !)
Je me m’ mis à trembler de crainte et d’effroi :
Le « Kamarad » fit la mêm’ chos’ que moi !
Pour bien lui montrer qu’ j’étais pacifique
J’étendis le poing d’un geste héroïque
Lançant mon « pétoir[2] » à deux mètr’s… ou trois :
Le « Kamarad » fit la mêm’ chos’ que moi !
Voyant s’approcher mon heure dernière
J’ crus r moment venu de fair’ ma prière
En levant aux cieux 1’ bras gauche et 1’ bras droit :
Le « Kamarad » fit la mêm’ chos’ que moi !
Mais l’émotion me donne un’ tranchée :
Avisant un’ sort’ de petit’ « feuillée »
J’ fis, ma foi, c’ qu’on fait dans ce p’tit endroit :
Le « Kamarad » fit la mêm’ chos’ que moi !
Le cœur plus léger, gardant mes airs dignes,
Lui tournant le dos, j’ filai vers nos lignes…
Mais, sur mes talons marchant au pas d’ l’oie,
Le « Kamarad » fit la mêm’ chos’ que moi !
« V’là-z-un prisonnier — que je crie — Capitaine !
« Il n’ veut pas m’ lâcher… alors… j’ vous l’amène. »
Puis, je tournai d’ l’œil : y avait-il pas de d’ quoi ?
Le « Kamarad » fit la mêm’ chos’ que moi.
Quand, près de mon Boch’, je r’pris connaissance
On m’ félicita sur ma grand’ vaillance ;
Tout l’ mond’ rigolait ; moi, j’ pleurai d’émoi :
Le « Kamarad » fit la mêm’ chos’ que moi.
Il a la Croix d’ Fer ! Pour qu’on lui confère
Un’ pareille affair’ quoi qu’il a pu faire ?
P’t' être que l’ « Kamarad », pour avoir c’te Croix
Fit un prisonnier… la mêm’ chos’ que moi !