Chants populaires de la Basse-Bretagne/Jean Le Gall

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JEAN LE GALL
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I

  Jean La Gall, de Brélévenez,
(Est) le plus beau jeune homme qui marche : (qui existe)
Il est la fleur des prêtres,
De la noblesse et des bourgeois.

  Il est la fleur des prêtres,
De la noblesse et des bourgeois,
Des laboureurs, des artisans,
À la fin du gwerz vous le verrez.

II

  Jean Le Gall souhaitait le bonjour,
En arrivant à la linerie :[1]
— Bonjour et joie à tous dans cette maison.
Ma douce Françoise où est-elle ?

  Et le père de famille disait
À Jean Le Gall, en l’entendant :
— Approchez-vous du feu,
Et vous la verrez tout-à-l’heure.

  Le fils du sacristain souhaitait le bonjour,
En arrivant à la linerie :
— Bonjour et joie à tous, dans cette maison,
Ma douce Françoise où est-elle ?

  Et le père de famille disait
Au fils du sacristain, en l’entendant :
— Approchez-vous du feu,
Et vous la verrez, tout-à-l’heure.

III

  Le fils du sacristain disait,
En arrivant dans le champ :
— Jean Le Gall, mon camarade,
Nous voici deux bons gars ;

  Nous voici deux bons gars,
Allons mettre bas nos habits.
La tête nous appartient,
Et nous la tiendrons à notre honneur….[2]

  Le soir s’est approché,
Et le goûter est apporté au champ.
Jean Le Gall fut étonné,
Quand il prit sa veste ;

  Quand il prit sa veste,
De voir ce qui y était enveloppé :
Calice, ciboire et patène
Étaient enveloppés dans sa veste !

  Le fils du sacristain disait
À Jean Le Gall, en ce moment :
— Jean Le Gall, mon camarade,
Tu as volé les vases sacrés !

  — Vierge Marie, protégez-moi,
Je n’ai pas volé les vases sacrés ;
Vierge Marie de Berlévénez,
Je ne suis pas capable de cela !

  — Jean Le Gall, tu as failli,
Car tu as volé les vases sacrés ;
Jean Le Gall, dis ce que tu voudras,
Jean Le Gall, pendu tu seras !

IV

  Jean Le Gall disait,
En arrivant dans la prison :
— Frères, parents et amis,
Au nom de Dieu, secourez-moi !

  Vierge Marie, mère bénie,
Au nom de Dieu, protégez-moi ;
Au nom de Dieu, protégez-moi,
Je n’ai pas volé les vases sacrés !

  — Jean Le Gall, vous êtes mon fils,
Je vous en prie, prenez courage :
Quand vous sortirez de votre prison,
Jean, vous serez délivré.


  Un frère de son père était alors
Vicaire de Berlévénez,
Et il promit de donner cinq cents écus,
Pour qu’il ne fût pas mis à mort.

  Mais hélas ! on lui répondit :
— Quand même vous promettriez d’en donner six mille ;
Quand même vous promettriez d’en donner six mille,
Jean Le Gall sera mis à mort !

V

  Jean Le Gall disait,
Le grand jour (venu), le matin :
— Vierge Marie, protégez-moi,
Je n’ai pas volé les vases sacrés !

  — Jean Le Gall vous êtes mon fils,
Je vous prie de prendre bon courage ;
Allez jusqu’à la potence,
Et là vous aurez votre délivrance.

  On le mit sur un cheval,
Et il prit le chemin de la potence :
Au moment où il passait devant le cimetière,
Le cheval s’agenouilla.

  Les gens de la justice demandaient
À Jean Le Gall, en ce moment :
— Qu’as-tu fait à ce cheval-là,
Qu’il s’est agenouillé par terre ?

  Jean Le Gall disait
Au gens de la Justice, là, en ce moment :
— Je n’ai rien fait au cheval.
Il salue la Trinité.

  La Vierge Marie est apparue,
Et elle a dit à Jean Le Gall :
— Jean Le Gall, vous êtes mon fils,
Descendez, et allez à pied.


VI

  Jean Le Gall disait,
En arrivant sur la potence :
— Vierge Marie, vous le savez bien,
Je n’ai pas volé les vases sacrés !

  Et le bourreau disait
À Jean Le Gall, là, en ce moment :
— Vous avez volé les vases sacrés,
Jean Le Gall, vous serez pendu !

  Il fut pendu à la potence,
Et on alluma du feu sous lui :
Mais quand le feu fut allumé sous lui,
Il se fendit (le feu) en deux, par la moitié.

  Les gens de la justice disaient
Au bourreau, là, en ce moment :
— Pourquoi Jean Le Gall ne meurt-il pas ?
Jamais on ne vit pareille chose !

  — J’ai été trois fois sur son épaule,
Et il ne fait que me sourire.
Et dire : — Pesez toujours,
Vous ferez plaisir au peuple (aux assistants).

  Les gens de la justice disaient
À Jean Le Gall, en ce moment :
— Jean Le Gall, dites-nous
Ce qui est cause que vous ne mourez pas.

  — Ne voyez-vous pas la Vierge Marie
Qui me tient par le bras, pour me préserver ?
Ne voyez-vous pas le Saint-Esprit
Et mes deux pieds (appuyés) sur ses deux ailes ?

  Jean Le Gall fut descendu (de la potence),
Et le fils du sacristain fut mis à sa place ;
Le fils du sacristain fut mis à sa place,
Et mis à mort, comme il le méritait….

  Les prêtres du Bali, quand ils apprirent (cela),[3]
Levèrent une procession ;
Ils levèrent une procession
Et allèrent chercher Jean Le Gall.

  Ils avaient croix et bannière,
Et tous les habitants de Lannion les suivaient,
Et on chanta un Te Deum,
Et on rendit grâces à Dieu.[4]


Chanté par Louis Le Braz,Tisserand, au bourg du Prat — 1873.







  1. Voir la note à la fin de la pièce.
  2. C’est-à-dire nous sommes les deux meilleurs gars de la journée, et il y va de notre honneur d’être à la tête des travailleurs et de ne pas nous laisser devancer.
  3. (1) Le Bali est l’église paroissiale de Lannion.
  4. Le mot « Linerie, » dont il est question dans ce « gwerz », et dans quelques autres, celui de « Anne Lucas » par exemple, demande une explication.

      On appelait « linerie, » bien que le mot ne soit pas français, le travail qui consistait à arracher le lin de la terre, quand il était mûr, et à la préparer pour le rouissage. Ce jour-là, c’était ce qu’on nommait « un dewes braz » — une grande journée, dans nos fermes bretonnes, et l’on appelait à l’aide les parents, les amis et les voisins, à charge de réciprocité. Les « lineries », comme les aires-neuves, étaient de véritables fêtes agricoles, où le plaisir alternait avec le travail, et l’animait Et en effet, on y luttait et dansait un peu, après le repas, et, à la fin de la journée, aux sons du biniou, ou aux chants alternés des hommes et des femmes. La ménagère aussi ajoutait à son ordinaire quelqu’extra, toujours bien accueilli, comme du beurre roussi sur la bouillie d’avoine ou de sarrasin, à midi, des œufs sur les crêpes, au repas de trois heures ou goûter, et du cidre et quelquefois un petit verre d’eau de vie, après le repas du soir. Puis on s’en retournait chacun chez soi, par groupes, ou isolément, en chantant des Gwerziou et des Soniou sur les chemins et les sentiers étroits, à travers les champs, les bois et les landes.