Chants populaires de la Basse-Bretagne/Marguerite Guillard

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MARGUERITE GUILLARD
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I

Quand j’allai à l’étang avec mes hardes,
Je ne songeais qu’à bien ;
Quand je jetai mon drap de lit dans l’étang,
Un innocent (petit enfant) y était enveloppé !

Des pécheurs m’ont vue,
Et ils me firent prendre ;
Et ils me firent prendre,
Pour m’envoyer en prison, à Nantes.

II

Le sieur capucin disait,
En montant dans la chaire à prêcher :
— J’ai été à la prison de Nantes,
Et j’ai pleuré à noyer mon cœur,

En voyant une fillette de dix-huit ans
Chantant dans la prison
Les litanies de le Vierge Marie ;
Et elle n’a pas trois jours à vivre !

Jeunes fillettes, je vous prie
D’aller la voir dans sa prison ;
(C’est) la fleur de lys des jeunes filles,
Le miroir des dames.

Marguerite Guillard demandait
Aux jeunes filles, ce jour-là :
— Fillettes, dites-moi,
Qu’avez-vous entendu de nouveau ?

Quand vous êtes venues me voir à la prison,
Avez-vous entendu dire que je serai pendue ?
— Non certainement, Marguerite, nous n’avons pas
Entendu dire que vous serez pendue.

Nous avons été au sermon,
Et il nous a été recommandé
De venir vous voir dans votre prison,
Vous la fleur de lys des jeunes filles ;

La fleur de lys de toutes les jeunes filles
Et le miroir des Dames…
— Pour fleur de lys, je ne le suis pas,
Miroir (leçon) pour vous, je ne dis pas.

Jeunes fillettes, je vous prie,
Amour de clerc vous n’aurez pas :
A mesure que j’accouchais de mes enfants,
Le clerc les broyait ;

Il marchait dessus avec ses pieds ;
Mille malédictions sur toi, clerc sans cœur !
Jeunes filles, si vous m’en croyez,
Amour de clerc vous n’aurez pas !

Allez à la Messe et aux Vêpres,
Ce qui conjure bien des mauvaises étoiles (sorts) :
Entre la grand’messe et les vêpres
Nous commettions nos péchés.

Jeunes filles, retirez-vous,
Je vois quelqu’un qui vient par la rue ;
Je vois quelqu’un qui vient par la rue,
Pour mon malheur, j’en suis sûre.

— Ce n’est pas moi celui
Qui doit vous désoler, Marguerite ;
Prenez un siège et asseyez-vous,
Voilà votre sentence, lisez-la.

À peine avait-elle lu sa sentence,
que l’eau tombait de ses yeux ;
Que l’eau tombait de ses yeux,
Et de ses narines tombait le sang !

— Marguerite, dites-moi,
Combien d’enfants avez-vous mis au monde ?
— Une petite pierre rousse, qui est dans la prairie de mon père,
Si elle pouvait parler, le sait bien.

J’ai sous cette pierre trois innocents,
Sans (avoir reçu) l’huile du baptême ;
Et j’en ai un autre là-bas dans le puits,
Avec sept livre de pierres (attachées) à son côté ;

Et il s’élève encore au-dessus de l’eau.
Pour demander à son père le baptême ;
Pour demander à son père le baptême,
Et à sa mère, soulagement !


J’en ai un autre sous le seuil (de la porte),
Avec du fumier plein la bouche ;
Et un autre sous (la pierre) du foyer,
Je ne sais comment l’enfer ne m’a pas engloutie ![1]


Chanté par Marie-Josèphe Cado,
Plouaret — 1847.







  1. Marguerite Guillard dit d’abord qu’elle n’a eu que cinq enfants, dont un seul reste en vie ; d’après cette énumération elle en aurait eu davantage, et les aurait fait périr d’une manière différente de ce qu’elle a déclaré premièrement.

    D’ailleurs, cette fin où Marguerite énumère tant d’infanticides, me parait une interpolation — un souvenir peut-être d’un passage analogue de « Marie Quelen » du premier volume des « Gwerziou », page 89.