Chants populaires de la Basse-Bretagne/Marie Flouri

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MARIE FLOURI
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I

S’il vous plaît, vous écouterez,
Un gwerz nouvellement composé ;
Il a été fait à Marie Flouri,
Il n’y avait d’autre fille qu’elle dans la maison.

Il n’y avait d’autre fille qu’elle dans la maison,
Encore avait-on trop à faire avec elle.
Marie Fleuri disait,
En arrivant au moulin de mer :

— Meunier, moulez moi mon sac,
Car demain je dois cuire ;
J’aurai des batteurs plein mon aire,
Et je n’ai guère ni farine ni pain.

J’ai aussi des tailleurs,
Pour me faire un habit neuf ;
Pour me faire un cotillon
Qui coûte cinq écus l’aune.

— Asseyez-vous là sur un siège,
Pendant deux ou trois heures.
Marie Fleuri ne voulut point s’asseoir,
Car le mal d’enfant la tourmentait cruellement.

Elle monta sur son cheval,
Et se rendit dans le fossé neuf.
Arrivée dans le fossé neuf,
Elle donna le jour à deux créatures (enfants).

Elle donna le Jour à deux créatures,
Et les enfouit dans un trou en terre.
Un clerc qui revenait de l’école,
Aperçut Marie faisant le coup.

— Marie Flouri, jeune fille,
Vous avez fait deux enterrements ;
Vous les avez mis dans un trou dans le nouveau fossé,
Prenez garde, ou vous vous en repentirez.

Marie Flouri, vous avez failli,
Vous avez donné le jour à deux créatures,
Vous les avez enfouies dans le fossé neuf,
Sans avoir reçu l’eau du baptême !

— Jeune clerc, retirez-vous,
Puisque vous ne savez rien ;
J’ai perdu ma bague d’or,
Et, dussé-je mourir, je ne puis la retrouver.

Elle remonta sur son cheval,
Et se rendit chez le vieux Flouri :
— Mettez mon cheval à l’écurie,
Et faites-moi du feu pour que je me chauffe…

Le vieux Flouri demandait
À Marie Flouri, ce jour-là :
— Marie Flouri, dites-moi.
Que vous est-il arrivé ?

Vous perdez du sang en quantité,
Que vous est-il donc arrivé ?
— Je suis tombée de dessus mon cheval,
Et j’ai perdu presque tout mon sang.

Préparez mon lit, pour que j’y aille,
Car je me trouve mal, bien mal !….
………………………………………………………

II

Le jeune archer demandait.
En arrivant chez le vieux Flouri :
— Bonjour et joie dans cette maison,
Marie Flouri où est-elle ?

Le vieux Flouri répondit
Au jeune archer, quand il l’entendit :
— Elle est dans sa chambre, couchée,
Prenez garde de l’éveiller.

Quand le jeune archer entendit (cela),
Il monta l’escalier tournant ;
Il monta l’escalier tournant,
Et dit à Marie Flouri ;

— Marie Flouri, jeune fille.
Venez avec nous à la prison de Guingamp ;
Venez avec nous pour être fiancée.
Et mariée à la lande de la justice ![1]



III

Marie Flouri disait,
En montant sur le plus haut degré de l’échelle :
— Il y a un puits dans la cour de mon père,
Et celui qui l’écurera aura crève-cœur !

Oui, certes, il aura crève-cœur,
Car j’ai dedans sept fils !
Un autre est sous le seuil de la porte,
Avec une grande épingle en travers dans sa bouche.

Un autre se trouve dans la paille de mon lit,
Emmaillotté dans du laurier ;
Il est emmaillotté dans du laurier,
Et un autre est dans le fossé neuf.

Je n’avais encore que dix-sept ans
Que j’avais mérité ceci ;
Que j’avais ceci mérité…
Jetez-moi à bas quand vous voudrez.


Chanté par Marie-Josèphe Kerival,
servante, Plouaret — 1848.






  1. Le » lieux désignés sous les noms de : « Lann-Justis » et « Lann-Justiso » sont très-communs en Basse-Bretagne : on les appelait ainsi à cause des fourches patibulaires qui s’y trouvaient.