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Coran Savary/Vie de Mahomet/JC578

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Traduction par Claude-Étienne Savary Voir et modifier les données sur Wikidata.
G. Dufour (1p. 1-5).


(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6163. — Depuis la naissance de J.-C. 578. — Avant l’hégire. 53.)



Mahomet[1], honoré parmi les mahométans du titre glorieux d’apôtre et de prophète, naquit à la Mecque[2] au commencement de la guerre de l’Éléphant[3]. Il eut pour père Abd-Allah, fils d’Abd el Motalleb, et pour mère Amœnas, fille de Wahed, prince des zahrites. L’un et l’autre tiraient leur origine de l’illustre tribu des coreïshites, la première d’entre les Arabes. Cette nation, la plus jalouse qui fut jamais de compter une longue suite d’ancêtres, conserve avec le plus grand soin ses généalogies. Abul-Feda, prince de Hamah, un des plus célèbres auteurs arabes, nous a donné, dans son histoire générale, l’arbre généalogique de la maison de Mahomet. Il le fait descendre d’Adam, par Abraham et Ismaël. Nous nous contenterons de rapporter l’ordre qu’il établit en remontant jusqu’à ces deux patriarches[4]. Abul-Casem Mahammed, fils d’Abd-Allah, fils d’Abd et Motalleb, fils de Hashem, fils d’Abd-Menaf, fils de Caci, fils de Kelab, fils de Morra, fils de Caab, fils de Lowa, fils de Ghaleb, fils de Fehr, fils de Malec, fils de Nadar, fils de Kenana, fils de Khazima, fils de Modreca, fils d’Elias, fils de Modar, fils de Nazar, fils de Moad, fils d’Adnan.

Jusqu’ici l’arbre généalogique n’est point interrompu. Tous les chronologistes le regardent comme incontestable. Adnan fut un des descendants d’Ismaël, c’est encore une vérité consacrée par l’histoire ; mais les historiens remplissent différemment l’intervalle qui se trouve entre eux. Nous ne nous arrêterons point à des discussions peu intéressantes. Eljarra, cité avec éloge par Abul-Feda, continue ainsi : Adnan était fils d’Ad, fils d’Adad, fils d’Élicé, fils d’Elhomaïcé, fils de Salaman, fils de Nabet, fils de Hamal, fils de Kidar, fils d’Ismaël.

Ce patriarche des Arabes, chassé de la maison paternelle, vint s’établir à la Mecque avec sa mère Agar. Il y bâtit la Caaba[5] 2793 ans avant l’hégire. Les auteurs mahométans disent que le ciel lui envoya Abraham pour l’aider à la construire.

Ces détails font voir avec quel soin les Arabes conservent leurs généalogies. Le respect qu’ils ont pour la mémoire de leurs pères, la gloire qu’ils tirent de leurs vertus, leur font une loi de ce soin. Leur manière de vivre, divisés en tribus, et presque séparés du reste des nations, leur rend facile ce qui serait impossible aux peuples de l’Europe, où toutes les familles se mêlent, se confondent.

Les Orientaux mettent leur gloire dans le nombre de leurs enfans. Pour eux, la naissance d’un fils est un jour de fête. Abd-Elmotalleb voulut célébrer celle de son petit-fils[6]. L’intendance du temple de la Mecque lui donnait une grande autorité. Cette charge, la plus auguste de l’Arabie, il la devait à ses vertus, plus encore qu’à sa naissance. Il rassembla les principaux de sa tribu et leur donna un festin. Après que les convives l’eurent complimenté, ils lui demandèrent comment il avait nommé l’enfant qui faisait l’objet de leur joie. Je l’ai nommé Mahammed, répondit le vieillard. Ne valait-il pas mieux, reprirent les convives, lui donner un nom tiré de sa famille ? « J’espère, ajouta Elmotalleb, que ce nom comblera de gloire dans le ciel l’enfant qu’il vient de créer sur la terre ; j’ai voulu que Mahammed[7] fût le signe de cette espérance flatteuse. »

La naissance de Mahomet, comme celle des hommes fameux qui ont étonné la terre, fut annoncée par des prodiges. Les auteurs arabes ne se lassent point de les raconter. Si l’on en croit leur témoignage, à l’instant où il vint au monde, une lumière brillante éclaira les bourgades et les villes d’alentour ; les démons furent précipités des sphères célestes ; le palais de Cosroës fut agité par un violent tremblement de terre, et quatre de ses tours tombèrent ; le feu sacré des Perses, allumé depuis plus de mille ans s’éteignit, le lac Sawa[8] se dessécha tout à coup.

Quoi qu’il en soit de ces merveilles, Mahomet éprouva l’adversité en naissant. À peine âgé de deux mois il devint orphelin[9]. Abd-Allah, plus célèbre par sa beauté et la pureté de ses mœurs, que par ses richesses, possédait la tendresse et la confiance d’Elmotalleb. Ce sage vieillard l’avait envoyé pour acheter les provisions dont sa stérile patrie[10] manquait. Il s’avança jusqu’à Yatreb[11] où il mourut[12]. Il fut inhumé dans l’hospice d’Elhareth, oncle maternel d’Abd-Elmotalleb. Emporté à la fleur de ses ans, il ne laissa pour héritage à son fils, encore au berceau, que cinq chameaux, et une esclave éthiopienne nommé Baraca. Amœna se chargea d’abord d’allaiter son fils unique ; il eut ensuite pour nourrice Tawiba, esclave de son oncle Abulahab.

L’air de la Mecque n’étant pas salutaire pour les enfans, on était dans l’usage de les donner à des femmes qui les emportaient à la campagne[13]. Il était venu plusieurs de ces nourrices. Elles avaient été bientôt pourvues. Mahomet orphelin restait. Le peu d’apparence qu’une mère pauvre payât généreusement l’avait fait négliger. Halima, qui n’avait point trouvé de nourrisson, l’alla demander. L’ayant obtenu, elle l’emporta dans le désert des Saadites, son pays. Elle eut pour lui la tendresse d’une mère. Quelques mois après, les affaires de Halima l’obligèrent de retourner à la Mecque. Elle mena avec elle son nourrisson. Amœna, charmée de revoir son fils unique, voulait le retenir ; mais les instances de la nourrice prévalurent. Elle le ramena au pays des Saadites.

  1. Les Arabes prononcent Mahammed, mais ils ont tant de vénération pour ce nom, qu’ils ne le profèrent jamais sans ajouter : Elnabi, le prophète, ou Racoul-Allah, l’apôtre de Dieu.
  2. La Mecque est située dans une vallée stérile. Sa longueur est d’environ une lieue ; sa largeur de moitié. Ses environs n’offrent que des déserts et des rochers arides. Le puits de Zemzem, que l’Ange découvrit à Agar, est la seule source dont l’eau est potable. Les habitans suppléent à cette disette par des citernes où ils recueillent la pluie. Plusieurs entreprises pour y conduire les eaux des montagnes voisines n’avaient pas eu un heureux succès. Une des femmes de Soliman, empereur des Turcs, l’entreprit à ses frais, et eut la gloire de réussir.
  3. Cette guerre fut ainsi nommée, parce que Abraha, vice-roi de l’Arabie Heureuse, ayant déclaré la guerre aux coreïshistes vint, monté sur un éléphant, pour détruire le temple de la Mecque. Il périt avec son armée. Abul-Feda.
  4. Mahomet ayant eu de Cadige, sa première femme, un fils nommé Elcasem se fit appeler Abul-Casem-Mahammed (Mahomet, père de Casem), suivant la coutume des Arabes, qui prennent le nom de leur fils aîné.
  5. Les Arabes regardent le temple de la Mecque comme le premier que les hommes aient élevé à la gloire de l’Éternel. L’histoire place sa fondation neuf-cent quatre-vingt-treize ans avant celle du temple de Jérusalem, c’est-à-dire, plus de deux mille ans avant l’ère chrétienne : son nom Elcaaba le Carré annonce qu’il fut bâti dans un temps où les hommes ignoraient l’architecture. Toute leur science se bornait à élever quatre murailles qui formaient un carré. Tels ont dû être les premiers édifices bâtis par la main des hommes.
  6. Abul-Feda, vie de Mahomet, page 2.
  7. Mahammed est le participe passé du verbe Hamad, et signifie loué, comblé de gloire.
  8. Ce lac, qui avait plus de six parasanges de circonférence, portait de gros navires. Il fut entièrement desséché, et l’on bâtit une ville nommée Sawia. Ces derniers événemens étant les effets de causes naturelles ont pu concourir avec la naissance de Mahomet, sans qu’on puisse en rien conclure.
  9. Elhafed au livre Delail-Elnebouat, les preuves de la prophétie.
  10. Les environs de la Mecque n’offrant que des rochers arides et des sables brûlans, ses habitans étaient obligés d’aller acheter au loin leur subsistance. Depuis que Mahomet a rendu cette ville fameuse, depuis qu’il en a fait le sanctuaire de sa religion, l’Égypte, la Syrie, l’Arabie Heureuse, la fournissent abondamment de tout ce qui est nécessaire aux commodités de la vie.
  11. Yatreb ayant donné un asile à Mahomet fut nommée Medinet-Elnabi la ville du prophète, ou simplement Médine-la-Ville. Elle est moitié moins grande que la Mecque, mais son territoire est plus fertile.
  12. Abul-Feda, Vie de Mahomet.
  13. Abul-Feda, page 8. Jannab. Ahmedben Joseph.