Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1386

La bibliothèque libre.
Louis Conard (Volume 7p. 40-41).

1386. À LA PRINCESSE MATHILDE.
[Dimanche], 20 juillet 1873.

Princesse, votre chère et mauvaise écriture a été comme toujours la bienvenue. Je commençais à être inquiet, quand le petit mot de Popelin est venu me rassurer, puis votre lettre… Tout va bien, Dieu soit loué !

Je regrette beaucoup de n’avoir pas été à Paris lorsque le Prince s’y trouvait, mais j’espère le revoir fréquemment l’hiver prochain, car son exil est absurde. Il faudra que toutes ces sottises-là finissent et qu’un Napoléon puisse vivre dans son pays tout comme un autre.

J’ai lu ce matin des détails horribles sur ce qui se passe en Espagne, et plus que jamais je suis indigné contre l’abominable race humaine. Quels animaux ! quelles bêtes brutes et féroces ! Mais causons de choses moins noires. Je réponds d’abord à vos questions : Le Sexe faible sera joué en janvier si L’Oncle Sam est rendu par la censure ; autrement, comme Carvalho n’aurait rien pour son automne, je passerai en novembre. Il va sans dire que je souhaite à Sardou cent représentations, car mon intérêt est d’être joué le plus tard possible.

Admirez, Princesse, ce que c’est que la vaste conception d’un mouvement ! Ayant pris l’habitude, pendant six semaines, de voir les choses théâtralement et de penser par le dialogue, ne voilà-t-il pas que je me suis mis, sans nul effort, à construire le plan d’une autre pièce, ayant pour titre Le Candidat ! Mon scénario est écrit ; mais je vais le laisser reposer, pour le reprendre je ne sais quand. Je vous demande pardon de vous entretenir de choses si peu importantes, mais pour moi elles sont sérieuses. Voulez-vous que je vous lise Le Sexe faible quand j’irai vous voir à Saint-Gratien ? Ce sera probablement au commencement de décembre, si vous le permettez.

Que dites-vous du Schah ? Je crois que son séjour à Paris a eu une influence monarchique démesurée ? C’est aujourd’hui dimanche ; il fait un temps splendide, un soleil éclatant. Je vous vois d’ici, Princesse, à l’ombre de vos grands arbres, coiffée d’un joli chapeau de paille ; je vous salue, je m’avance et je vous baise la main, car je suis votre.