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Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5317

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Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 501-502).

5317. — À M. DEBRUS[1].

Plus je songe à tout ce qui regarde notre grande affaire, plus je crois qu’il n’y a aucune démarche à hasarder, et qu’il faut attendre l’apport des pièces et les motifs du parlement de Toulouse.

Bien des gens prétendent qu’on renverra la décision à un autre parlement de province. En ce cas, non-seulement il ne faudrait point faire venir la servante à Paris, mais il serait même dangereux de lui faire entreprendre ce voyage. Si elle est à Toulouse dans le besoin on peut lui donner une partie de ce que je destinais pour son voyage de Paris. M. Debrus en est entièrement le maître, il se ruine en libéralités : c’est à lui d’ordonner ce que les autres doivent faire ; il arrangera ces petites bagatelles avec M, Cathala. M. de Court s’est certainement mis à la raison. Il répond, aussi bien qu’un magistrat de Lausanne, que les exemplaires des Lettres toulousaines ne passeront point en France avant d’être corrigés ; il fera des cartons, il adoucira des choses un peu trop dures, et je suis persuadé que ce livre ne pourra faire que du bien, une fois que le parlement de Toulouse aura envoyé les procédures.

Si on est toujours à Genève dans l’intention de récompenser par un petit présent la docilité de M. de Court, je prie M. Debrus de me permettre d’y contribuer ; il ne s’agit que de dédommager l’auteur des frais de quelques feuilles de papier et du retardement qu’il essuie. Je pense qu’un présent de dix louis suffirait. J’offre d’en payer le quart. Je supplie M. de Végobre de vouloir bien me faire savoir sur cela ses ordres.

Je fais une réflexion que je soumets aux lumières de tous ceux qui gouvernent l’affaire de Mme Calas. Si nous pouvons obtenir la révision en grand conseil, j’ai de fortes raisons d’espérer que l’arrêt sera plus favorable dans ce tribunal que dans un autre ; je suis convaincu que le sieur David, premier auteur de toute cette cruauté fanatique, serait fortement réprimandé ; je doute beaucoup qu’on osât nous rendre une justice aussi complète à Aix ou à Grenoble. Nous obtiendrions après bien des peines et des délais la réhabilitation de la mémoire de Jean Calas, mais, de bonne foi, n’est-elle pas entièrement réhabilitée ? Y a-t-il quelqu’un dans l’Europe qui puisse encore douter ? Et l’ordre donné au parlement de Toulouse de rendre compte de ses motifs n’est-il pas flétrissant pour les juges ? Demande-t-on raison à un homme de sa conduite quand cette conduite est satisfaisante ? L’arrêt du parlement de Toulouse est déclaré injuste par le conseil et par le public. Que pourrions-nous demander à présent ? Une réparation. David devrait être condamné, solidairement avec les juges, à payer les frais du procès et à demander pardon à la veuve ; mais c’est ce qu’on ne fera pas. Les parlements seront toujours ménagés, et surtout par d’autres parlements. Nous obtiendrons tout au plus en province la réhabilitation d’une mémoire déjà toute réhabilitée dans l’Europe. Nous pourrions obtenir à Paris quelque chose de plus, et ce plus sera bien mince. Voilà sur quoi je voudrais que l’on consultât encore nos avocats et nos amis de Paris. M. Dumas pourrait en conférer avec M. Mariette. Une conversation produit plus d’effet que vingt lettres.

Je fais mille compliments à M. Debrus, à M. de Végobre et à leurs amis.

  1. Éditeur, A. Coquerel.