Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6487

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Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 412-414).
6487. — À M. DAMILAVILLE.
8 septembre.

J’ai bien des choses à vous dire, mon cher ami.

Premièrement, dès que M. de Beaumont m’eut écrit qu’il fallait demander M. Chardon pour rapporteur, je n’eus rien de plus pressé que de faire ce qu’il me prescrivait[1], tout malade et tout languissant que je suis. Vous savez quelle est mon activité dans ces sortes d’affaires ; vous savez que ma maxime est de remplir tous mes devoirs aujourd’hui, parce que je ne suis pas sûr de vivre demain.

On m’a mandé depuis qu’il fallait attendre ; je ne pouvais pas deviner ce contre-ordre. Tout ce que je peux faire est de ne pas réitérer ma demande. Je vous supplie de le dire à M. de Beaumont.

Je suis déjà tout consolé, et Sirven l’est comme moi, si l’on ne peut pas obtenir une évocation. Ce sera beaucoup pour lui si l’on imprime seulement le mémoire de M. de Beaumont[2]. Il est si convaincant et si plein d’une vraie éloquence qu’il fera également la gloire de l’auteur et la justification de l’accusé. Le public éclairé, mon cher ami, est le souverain juge en tout genre ; et nous nous en tenons à ses arrêts, si nous ne pouvons en obtenir un en forme juridique.

La seconde prière que je vous fais, c’est de m’envoyer le factum pour feu M. de La Bourdonnais[3].

J’ai une troisième requête à vous présenter au sujet de ce Robinet qu’on dit être l’auteur de la Nature, et qui certainement ne l’est pas : car l’auteur de la Nature sait le grec, et ce Robinet, l’éditeur de mes prétendues Lettres, cite dans ces Lettres deux vers grecs[4], qu’il estropie comme un franc ignorant. On voit d’ailleurs dans le livre une connaissance de la géométrie et de la physique que n’a point le sieur Robinet. Enfin ce Robinet est un faussaire. Il est triste que de vrais philosophes aient été en relation avec lui.

Vous savez qu’il a fait imprimer dans son infâme recueil la Lettre que je vous écrivis sur les Sirven l’année passée[5]. Ne sachant pas votre nom, il vous appelle M. D’amoureux ; il dit, dans une note, « qu’il a restitué un long passage que le censeur n’avait pas laissé subsister dans l’édition de Paris ». Ce passage, qui se trouve à la page 181 de son édition, concerne Genève et J.-J. Rousseau[6]. Il me fait dire « qu’il y a une grande dame de Paris qui aime Jean-Jacques comme son toutou. » Vous m’avouerez que ce n’est pas là mon style ; mais cette grande dame pourrait être très-fâchée, et il ne faut pas susciter de nouveaux ennemis aux philosophes.

Je vous prie donc, au nom de l’amitié et de la probité, de m’envoyer un certificat[7] qui confonde hautement l’imposture de ce malheureux. S’il y a eu en effet un censeur par les mains de qui ait passé cette lettre que vous imprimâtes, réclamez son témoignage ; s’il n’y a point eu de censeur, le mensonge de Robinet est encore par là même pleinement découvert, puisqu’il prétend restituer un passage que le censeur a supprimé.

Vous voyez qu’il faut combattre toute sa vie. Tout homme public est condamné aux bêtes ; mais il est quelquefois indispensable d’écraser les bêtes qui mordent. Je me chargerai de faire mettre dans les journaux ce désaveux. J’y ajouterai quelques réflexions honnêtes sur les indécences et les calomnies dont les notes de ce M. Robinet sont chargées.

Je crois qu’on a bien oublié actuellement dans Paris des choses que les âmes vertueuses et sensibles n’oublieront jamais. Je voudrais qu’on aimât assez la vérité pour exécuter le projet proposé à M. Tonpla. Est-il possible qu’on ne trouvera jamais quatre ou cinq avocats pour plaider ensemble une si belle cause ?

Adieu, mon très-cher ami. Écr. l’inf…

  1. La lettre où Voltaire fait cette demande manque.
  2. Pour les Sirven ; Voltaire en parle ici de confiance, à moins qu’il n’en ait vu le plan ou une partie, car, un mois après, le Mémoire n’était pas encore fait ; voyez lettre 6529.
  3. Il l’avait déjà demandé dans la lettre 6446.
  4. Dans la lettre à Deodati de Tovazzi, du 24 janvier 1761 ; voyez n° 4432, tome XLI, page 168.
  5. Le 1er mars 1765 ; voyez n° 5929, tome XLIII, page 473.
  6. Nous avons donné ce passage en note, tome XLIII, page 478.
  7. Voyez ce certificat, tome XXV, pages 580-581.