Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Anabaptistes

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ANABAPTISTES, secte dont la naissance suivit de fort près les commencemens du luthéranisme. Nicolas Storch, Marc Stubner et Thomas Munzer la fondèrent l’an 1521. Ils abusèrent d’une doctrine qu’ils avaient lue dans le livre de Libertate Christianâ, que Luther avait publié l’an 1520. Cette proposition qu’ils y trouvèrent, L’homme chrétien est le maître de toutes choses, et n’est soumis à personne, et que Luther prenait dans un fort bon sens (A), leur parut propre à gagner la populace. C’est à quoi ils employèrent leur industrie, chacun selon ses talens. Storch, n’ayant point de science, se vanta d’inspirations. Stubner, qui avait de l’esprit et de l’étude, chercha des explications adroites de la parole de Dieu. Munzer, hardi et emporté, paya d’audace, et lâcha la bride aux passions les plus remuantes. Ils ne se contentèrent pas de décrier la tyrannie ecclésiastique de la cour de Rome et l’autorité des consistoires, ils enseignèrent aussi que la puissance des princes était une usurpation, et que les hommes sous l’Évangile doivent jouir d’une pleine liberté. Ils rebaptisèrent leurs sectateurs ; et, pour mieux faire passer cette pratique, ils enseignèrent que le baptême conféré à des enfans est nul. Quant au reste, il insistèrent beaucoup sur la morale rigide ; ils recommandèrent les macérations, les jeûnes, et la simplicité des habits ; et ils séduisirent par-là une infinité de monde. Après ces heureux commencemens, Munzer devint si téméraire, qu’il exhorta hautement les peuples à résister aux magistrats, et à contraindre les souverains à se défaire de l’autorité. Un tel Évangile plut si fort aux paysans d’Allemagne, qui trouvaient un peu trop rude le joug de leurs maîtres, qu’ils se soulevèrent en mille lieux, et qu’ils commirent une infinité de violences. On leva des troupes contre eux, on les battit aisément, on en fit mourir un très-grand nombre. Munzer, qui les avait abusés, et qui s’était tant vanté d’enthousiasmes[a], fut pris et décapité l’an 1525[b]. Les disciples qu’il avait laissés en Suisse y multiplièrent la secte et y causèrent beaucoup de troubles, et il fallut recourir aux lois pénales les plus sévères pour arrêter les progrès de l’anabaptisme. Il fallut faire la même chose dans plusieurs villes d’Allemagne et ailleurs. Les ministres, à la vérité, réfutaient soigneusement ces sectaires ; mais, comme cela ne produisait pas le fruit que l’on souhaitait, les magistrats suppléaient à ce défaut par les voies de l’autorité (B). Les anabaptistes firent beaucoup de progrès dans la Moravie, et ils y en eussent fait davantage, malgré les oppositions sévères du bras séculier, s’ils ne se fussent pas divisés en deux factions[c]. Il n’y eut point de ville plus tourmentée de ces gens-là que celle de Munster (C). Chacun sait qu’ils s’en rendirent les maîtres, et que Jean de Leide, le roi de cette nouvelle Jérusalem, se défendit tant qu’il put ; mais qu’enfin, la ville ayant été prise, il fut puni du dernier supplice l’an 1536. Les anabaptistes de Frise et de Hollande désapprouvèrent en plusieurs choses la conduite de leurs frères de Munster, et ne laissèrent pas d’exciter beaucoup de troubles[d]. L’un de leurs principaux chefs se nommait Mennon. On se servit des moyens les plus efficaces dont on se put aviser pour l’extirpation de cette secte ; mais on n’en vint point à bout[e]. Elle s’est conservée jusqu’à présent dans les Provinces-Unies. Il est vrai que peu à peu elle s’est guérie de ses principales faiblesses (D) : elle ne se vante plus d’enthousiasme, elle ne s’oppose point aux ordres des magistrats, elle ne prêche plus l’affranchissement total de toute sorte de sujétion, la communauté de biens, et choses semblables. Elle a souffert une infinité de subdivisions (E), comme il est inévitable à toute secte qui ne se gouverne point par le principe de l’autorité. Elle se vante d’un grand nombre de martyrs (F). Son martyrologe est un gros in-folio. Je ne crois point qu’aucun auteur ait parlé d’elle aussi équitablement que George Cassander (G). Les théologiens protestans l’ont combattue avec zèle dans les Provinces-Unies, et ont obtenu en divers temps quelques édits pour la réprimer (H). Néanmoins elle y jouit de la tolérance. On dit que M. van Beuning raisonna un jour là-dessus avec M. de Turenne (I) fort solidement et fort vivement. Les livres que l’on a écrits touchant cette secte et contre ses dogmes sont innombrables (K). Je ne dois pas oublier qu’on n’a pu encore l’éteindre parmi les Suisses, quoiqu’on ait usé des voies de la rigueur en divers temps[f]. Je rapporterai quelques raisons que l’on allègue pour justifier leur sévérité (L). On marque dans le Moréri de Hollande les principaux dogmes qui sont particuliers aujourd’hui aux anabaptistes ; c’est pourquoi je ne les coterai point. Il est sûr que la description que le sieur Moréri donne de cette secte ne convient point au temps où il écrivait, et je doute un peu que jamais on ait eu raison de la charger de ces deux doctrines qu’il lui impute (M) : l’une est, qu’ils enseignent qu’une femme est obligée de consentir à la passion de ceux qui la recherchent ; l’autre est, qu’ils condamnent le mariage des personnes qui n’adhèrent pas à leurs sentimens. Il faut regarder comme une fable ce que disent quelques auteurs, qu’il y a eu des catholiques romains qui, s’étant faits anabaptistes, avaient acquis tout aussitôt la capacité de lire et de discourir sur des matières de religion ; mais qu’étant rentrés dans le papisme, ils oublièrent tout, et se trouvèrent ignorans comme auparavant[g].

  1. Voyez son article. [Bayle ne l’a pas donné.]
  2. Moréri a tort de dire que cet hérésiarque se vantait, environ l’an 1542, que le Saint-Esprit lui révélait, etc.
  3. Celle des Huttériens, et celle des Gabriélistes.
  4. Voyez l’article Picards, remarque (D).
  5. Tiré d’une dissertation de Frideric Spanheim le père, de Origine, Progressu, Sectis et nominibus Anabaptistarum, imprimée à Leide, l’an 1643. Jean Cloppenbourg l’a insérée dans sa Gangræna Theologiæ anabaptisticæ, imprimée à Franeker, l’an 1656, in-4°.
  6. Voyez Stoupp. Relig. des Holland. Lettr. IV, pag. 100 et suiv. Mais plutôt voyez les Annal. Anabaptist, de Jean Henri Ottius, imprimées à Bâle, l’an 1672.
  7. Lindanus, Dial. III Dubitantii, et Thyræus, lib. de Dæmoniacis, cap. XXI, apud Theophil. Raynandum, theologiæ Natur. Dist. IV, num. 330, pag. 404.

(A) Ils abusèrent d’une proposition …. que Luther prenait dans un fort bon sens. ] C’est ce qu’il fit voir par l’explication de sa pensée, dès qu’il eut vu comment ces gens-là avaient abusé de ses expressions : Quæ verba sano sensu à Luthero.… scripta et prolixâ ἐξηγήσει declarata, oppositoque aphorismo eumdem omnium servum esse et omnibus subjectum exposita, detorta fuêre in sensum sequiorem ab hominibus suæ pariter et alienæ quietis impatientibus[1]. Ses adversaires les plus passionnés demeurent d’accord qu’il désapprouva la conduite séditieuse qui par accident semblait être née de sa doctrine. Le père Maimbourg raconte que les rebelles, ayant envoyé leur manifeste à Martin Luther, furent trompés dans l’espérance qu’ils avaient eue de le lui faire approuver [2] ; car, ajoute-t-il, Luther, voyant que plusieurs l’accusoient d’avoir donné lieu à cette révolte par les livres qu’il avoit écrits en langue vulgaire pour la liberté évangélique, contre la tyrannie de ceux qui l’opprimoient par des traditions humaines, leur répondit par un long écrit, où il leur montre que l’escriture les oblige de se soumettre aux princes et aux magistrats, quand même ils abuseroient du pouvoir que Dieu leur a donné sur eux ; qu’ils doivent s’adresser à Dieu, et cependant souffrir en patience, en attendant qu’il y mette ordre comme il luy plaira ; et que la voye des armes, qu’ils ont prise, sera cause de leur damnation, s’ils ne les mettent bas. Nous verrons dans l’article Munzer[* 1], qu’il rejeta bientôt les propositions de ce fanatique.

(B) Les ministres... réfutaient soigneusement ces sectaires ; mais... les magistrats recouraient à la voie de l’autorité. ] Les plus ardens ennemis du luthéranisme auraient eu bien de la peine à imaginer une méthode aussi capable de l’étouffer dans le berceau, que l’était le schisme que Munzer et ses adhérens formèrent. Ils prêchaient une doctrine qui tendait au renversement total des sociétés, et ils la mettaient en pratique avec des ravages inconcevables. Ils avaient eu des liaisons avec Luther, et ils convenaient avec lui que le christianisme devait être réformé selon la pure parole de Dieu[3]. Ainsi toute la haine que l’on concevait contre eux retombait sur lui et sur ses semblables ; et quand on voyait les suites funestes que l’entreprise de la réformation avait produites si promptement, on était tenté de croire que ce n’était point l’ouvrage de Dieu. Cela, sans doute, retarda beaucoup les progrès de la réforme. Il ne faut pas s’étonner que les ministres aient dit que c’étaient-là les profondeurs de Satan, et que l’ennemi de notre salut s’était servi de cette ruse, pour maintenir son empire, contre les nouveaux apôtres que Dieu avait suscités[4]. Ce langage coule naturellement des hypothèses théologiques. Les controversistes du parti romain se prévalurent de la conjoncture avec une adresse extraordinaire, pour décrier la réformation, et pour animer contre elle toutes les puissances. Mais les réformateurs ne furent pas moins vigilans, pour se garantir de l’opprobre sous lequel on voulait les envelopper. Ils crièrent de toute leur force contre les anabaptistes : ils les réfutèrent par écrit ; ils les engagèrent à la dispute partout où ils purent : Ut labem istam sibi æquè ac doctrinæ Evangelicæ adspersam abstersum irent heroës illi, qui in Templo Dei remetiendo fidem ac integritatem suam et Dei causam publicis scriptis sibi agendam censuêre. Quod inter alios alacriter præstitêre Lutherus, Melanchthon, Zwinglius, Bullingerus, Menius, Regius, alii, et in seditiones et seditiosos graviter invecti, subditos perduelles, de suo erga potestates superiores officio, ex Dei verbo monendo, tribunitios illos concionatores perstringendo, et omnes ad quietem et debitam principibus suis reverentium hortando, nihil reliqui fecêre, ut impetum hominum ad scelera et cruces furibundis animis ruentium sufflaminarent. Lutherus vel imprimùs concitatior non παραινετικὰ tantùm scripta contra seditiosos, verùm etiam ςηλιτευτικὰ emisit, et peculiari Libello contra Latrones et homicidas Rusticos vulgato ipse classicum in illos cecinit, principes hortatus, ut vi et armis latrociniorum istorum impetum sisterent, et eos ad quietum cogerent, qui persuaderi nollent[5]. Le ministre, qui me fournit ce latin, nomme quelques villes où ces sectaires furent confondus dans des disputes publiques ; mais son refrein est toujours, qu’après cela les magistrats firent leur devoir. Il nous conte qu’à Zurich les chefs des anabaptistes, ayant disputé trois fois à leur confusion avec Zuingle[6], furent condamnés à se taire par un édit solennel : Senatus Tigurinus solemni edicto pædobaptismum sancit et anabaptismi doctoribus silentium et quietem imperat[7]. Balthasar Hubmeyer, l’un d’eux, ayant promis de se rétracter publiquement, et ayant au contraire prêché ses erreurs, fut contraint à l’abjuration, et puis chassé de la ville [8]. Et parce que cette secte se multipliait de jour en jour, en dépit de tous les obstacles, on recourut à des remèdes plus violens. Le sénat fit un édit qui condamnait à la mort les docteurs anabaptistes, et à de grosses amendes ceux qui leur donneraient retraite : Capitis pœna in anabaptistarum doctores deoreta, et gravibus in eorum receptatores mulctis[9]. Cette ordonnance fut faite l’an 1530. Œcolampade disputa dans Bâle avec ces hérétiques, l’an 1525, l’an 1527 et l’an 1529. Il soutint très-bien sa cause ; mais il ne surmonta point l’opiniâtreté de ces gens-là. C’est pourquoi les magistrats les réprimèrent de telle sorte que l’église recouvra la paix : Causæ quident abundè satisfecit, actoribus verò pervicacibus non item ; ità in prudentissimi senatûs, et strenui gloriæ divinæ vindicis, in anabaptistarum sectariis coërcendis authoritate, Ecclesiæ Basiliensis tranquillitati simul et puritati consulendum ibidem fuerit[10]. On les réfuta à Berne, dans une dispute publique, l’an 1527 ; mais ils disaient en secret que leurs raisons leur semblaient encore bonnes. Afin donc que le triomphe de la vérité fût plus authentique, on ordonna une autre dispute, l’an 1532 : elle dura neuf jours. On en publia les actes : cela servit de beaucoup ; mais les édits rigoureux du sénat de Berne furent sans comparaison plus utiles[11]. Ces brouillons eussent établi à Saint-Gal leur lieu de sûreté si les magistrats ne les eussent exilés[12]. Ce fut là que Thomas Schucker coupa la tête à son frère, l’an 1527. Il convoqua une nombreuse assemblée, et déclara à la compagnie qu’il se sentait saisi de l’esprit de Dieu. Là-dessus il commanda à son frère de s’agenouiller, et prit une épée. Son père et sa mère, et quelques autres personnes, lui demandèrent ce qu’il voulait faire : Ayez l’esprit en repos, leur répondit-il, je ne ferai rien que ce qui me sera révélé par notre Père céleste. On attendait avec impatience l’issue de tout cela, lorsqu’on le vit tirer son épée, et faire sauter la tête de son frère. Il fut puni par les magistrats selon l’exigence de son crime ; mais il ne donna aucune marque de repentir, et il déclara sur l’échafaud qu’il n’avait fait qu’exécuter les ordres de Dieu. Vous pouvez croire que la sévérité des édits de bannissement fut redoublée à la vue d’un tel fanatisme[13]. À Strasbourg il y eut des disputes et des édits très-rigides contre cette secte[14]. On y emprisonna Melchior Hofman, l’un de ses chefs, et il mourut en prison[15]. Elle se répandit dans la Moravie, dans la Bohème, dans la Pologne, dans la Hongrie, dans l’Autriche, dans la Silésie. Quelques-uns de ses chefs furent livrés au bourreau. Balthasar Hubmeyer, mené à Vienne, y fut brûlé.

Cette exécution passa dans la secte pour un martyre, et y réchauffa le zèle[16].

Ajoutons à tout cela que la reine Élisabeth, la première fois qu’ils abordèrent en Angleterre, l’an 1560, fit un édit qui leur commandait de se retirer incessamment[17]. L’électeur palatin les chassa de ses états l’an 1594. Les diètes de Spire, l’an 1529 et l’an 1544, et celle d’Augsbourg, l’an 1551, firent des décrets barbares et sanguinaires contre eux[18]. Philippe II ordonna, en 1565, à la gouvernante du Pays-Bas, de n’user d’aucune remise ni d’aucun relâchement dans la punition des anabaptistes[19]. Consultez les Annales de cette secte, composées par Jean Henri Ottius ; vous y verrez une ample énumération des édits qui ont été faits contre elle en plusieurs lieux de l’Europe. Ce que l’on dit de l’artillerie, qu’elle est la dernière raison des rois, Ratio ultima regum, se peut appliquer aux lois pénales : elles sont la dernière raison des théologiens, leur plus puissant argument, leur Achilles, etc.

(C) Ils tourmentèrent fort la ville de Munster. ] Ce qui se passa dans cette ville depuis que l’anabaptisme y eut pris pied jusqu’au supplice de Jean de Leide est un des plus mémorables évévemens du XVIe. siècle. On en trouve la relation dans plusieurs livres [* 2]. Voyez nommément la lettre qui fut écrite à Érasme par Conrad Heresbachius [20], l’an 1536, et qui a été imprimée à Amsterdam, l’an 1637, cum Hypomnematis ac Notis Theologicis, Historicis, ac Politicis, Theodori Strackii, pastoris Budericensis. Voyez aussi le livre de Lambert Hortensius, de Tumultibus Anabaptistarum ; celui de Jean Wigandus, de Anabaptismo publicato ; et la Relation d’Henri Dorpius, bourgeois de Munster, publiée l’an 1536.

(D) Cette secte s’est guérie de ses principales faiblesses. ] C’est pourquoi les anabaptistes d’aujourd’hui se plaignent qu’on les réfute comme on réfutait leurs ancêtres. Un théologien illustre de l’académie de Hollande s’est vu exposé à ce reproche dans une lettre qu’un anabaptiste a publiée en flamand ; mais il lui a repondu qu’il ne prétend pas imputer à tous toutes les erreurs qu’il a marquées : Has (sectas) ut minimè confundimus in controversiis singulis, ità nec notatos errores omnes omnibus ' imputamus.... minùs voluimus imputatos illis qui intra Waterlandorum dictas Confessiones, bonâ fide, procul fallaciis Mennoniticis, hærere sese profitentur. Absit ut cuiquam invito et deprecanti Hæresim impingamus ! Sed nec isti aliorum apologiam suscipiant, aut alios esse ac fuisse negent, quos hic Elenchus, sub generali enthusiastarum et anabaptistarum nomine, ne nesciat juventus nostra, coarguit. Factum tamen novissimè, ut diximus modò, à Rypensi scriptore Epistolæ in modum belgico sermone mihi opponendæ. Qui errores hic complures notatos dùm à suis Waterlandis amolitur, si modò verè et sincerè, hoc ipso non se aut suos in talibus Controversiis peti, sed familias alias ex dicto grege, intellexisse debuit. Frustrà ergò est omnis ipsius expostulatio, quasi ignorem quid Rypenses Anabaptistæ sentiant, aut quasi lectoribus meis imponam [21]. Hoornbeek a eu l’équité de n’imputer point à cette secte les hérésies de quelques particuliers : Hìc quidem imprimìs à communibus illorum et singularibus cœtuum dogmatis secernenda sunt propria aliqua doctorum ipsorum[22]. Il en marque deux nommément : celle de Jacques Outreman, et celle de Weke Walles. Le premier admet trois essences dans la Divinité, et veut que l’essence du Père soit renfermée dans le ciel, et ne passe point cette borne. L’autre enseigne que Judas était un homme de bien, et qu’il a été sauvé ; qu’il n’a point commis de crime en trahissant Jésus-Christ ; et que les prêtres et les scribes n’en ont point commis non plus en persécutant jusqu’à la mort notre Seigneur ; et que l’un et l’autre des deux brigands ont été sauvés. Outreman enseignait à Haerlem en 1605. Wailes enseignait dans le territoire de Groningue l’an 1637 ; et il était si zélé pour ses sentimens, qu’il excommuniait sans miséricorde tous ceux qui ne les approuvaient pas. On le chassa de la province ; et comme il se retira en Frise, le synode protestant qui fut tenu à Franeker l’an 1644, fit en sorte qu’on le chassât[23].

(E) Elle a souffert une infinité de subdivisions. ] Je craindrais de fatiguer mes lecteurs si je rapportais ici le catalogue de toutes les sectes de l’anabaptisme : je me contenterai donc d’indiquer un livre où l’on pourra se satisfaire si l’on est curieux de voir cette liste. Voyez-la préface des Annales Anabaptistiques de Jean Henri Ottius.

(F) Elle se vante d’un grand nombre de martyrs. ] Si elle n’avait à produire que ceux qu’on a fait mourir pour des attentats contre le gouvernement, elle se rendrait ridicule par son gros martyrologe ; mais il est sûr que plusieurs anabaptistes qui ont souffert constamment la mort pour leurs opinions ne songeaient point à se soulever. Citons un témoignage qui ne puisse pas être suspect. C’est celui d’un écrivain qui a réfuté de toute sa force cette secte[24]. Il remarque que trois choses ont été cause qu’elle a fait tant de progrès. La première est que ses docteurs étourdissaient par un grand nombre de passages de l’Écriture ceux qui leur prêtaient l’oreille ; la seconde, qu’ils affectaient un grand extérieur de sainteté ; la troisième, que ces sectaires témoignaient beaucoup de constance à souffrir et à mourir. Il prouve qu’aucune de ces trois choses n’est une marque d’orthodoxie. Voici ce qu’il dit sur la dernière : La troisième marque par laquelle les anabaptistes séduisent les simples et inconstans, est leur constance à souffrir et à mourir. Mais cela est bien trop simple et trop froid pour faire que leur doctrine d’Antechrist soit bonne et saine : comme dit sainct Cyprian, la peine ne fait pas le martyr, mais la cause. L’Escriture [* 3] tesmoigne que ceux-là sont vrais martyrs et bienheureux, qui souffrent pour justice, pour la vérité, et pour le nom de Christ. Pour laquelle vérité les anabaptistes ne souffrent pas, qui est une chose à desplorer, mais pour une doctrine d’Antechrist. Et certes les princes et des rois ne tiennent pas bon ordre pour extirper cette secte ; ils font mourir ces povres gens simples, la plus part estans séduicts. Ils devroyent plustost ensuyvre les bons rois, comme [* 4] Ezechias et Josias, lesquels ont premier rejecté hors de leur terre toutes idolâtries, et quant et quant ont réformé la vraye religion : ainsi devroyent-ils faire prescher la vraye doctrine apostolique publiquement ; lors quand cela se feroit, je croy qu’il ne seroit jà besoin de tant de feu pour mettre à mort ces povres simples gens séduicts[25]. Ensuite il prouve par des exemples que des gens qui ne souffraient pas pour justice ont fait paraître un très-grand courage. Il allègue le mauvais brigand, les esséniens, les circoncellions, les martyrs papistes, ariens, mahumétistes, les philosophes Zénon et Socrate. Mais il ne dit rien qui insinue que les martyrs anabaptistes souffraient la mort pour avoir porté les armes contre l’état ou excité les sujets à se révolter. Il représente leurs martyrs comme des gens simples. Voyez ce que je citerai ci-dessous de George Cassander.

Notez, en passant, que cet auteur réfute ses adversaires tout comme les catholiques réfutaient les protestans. La première marque, dit-il[26], par laquelle ils trompent et séduisent beaucoup de gens, c’est quand sans sens, jugement, ni raison, ils allèguent une infinité de textes de l’Escriture saincte à tort et à travers, tout ainsi comme s’ils avoyent mangé la Bible, combien que néantmoins le plus souvent ils ne cognoissent pas un A, pour un moullin à vent (comme on dit), les povres gens demeurent là tout court, estans ravis en admiration d’ouïr tant d’Escriture, et pensent avoir de grands docteurs entre mains. Mais je prie tels simples gens de penser qu’il n’y a jamais eu hérésie au monde qui ne se soit tousjours servie de l’Escriture, la corrompans et destournans pour la faire servir à maintenir leurs blasphesmes, combien que toutesfois l’Escriture ne donne point d’occasion d’erreur et hérésie : mais elles viennent par le contraire, comme dit Christ [* 5] : ce que vous errez, n’est-ce pas par ce que vous ne sçavez les Escritures ? Quant à la seconde marque, par laquelle les anabaptistes séduisoient et subvertissoient les cœurs des simples, qui étoit la saincteté contrefaicte, il prouve par des exemples qu’elle est bien souvent le caractère des faux docteurs. Il est certain que les catholiques avaient à répondre à ces trois difficultés : 1°. que les protestans ne parlaient que de la Bible, et qu’ils la citaient éternellement ; 2°. qu’ils condamnaient les danses, le luxe des habits, le cabaret, etc. ; 3°. que plusieurs d’entre eux mouraient constamment pour leur religion. On réfutait ces difficultés tout comme l’auteur protestant que je cite les a réfutées. Ceci nous montre de plus en plus le préjudice que la secte des anabaptistes apportait aux protestans ; car il la fallait réfuter par des raisons que les papistes faisaient valoir contre ceux qui les avaient employées.

Au reste, il y a dans le Martyrologe de Genève quelques personnes qui étaient anabaptistes. Notez que ceux-ci ont publié deux Martyrologes, l’un à Haerlem, l’an 1615 ; l’autre à Horn, l’an 1617. Ces deux ouvrages ont fait éclater la discorde des anabaptistes ; car ceux de Horn ont critiqué[27] le Martyrologe de ceux de Haerlem, comme un ouvrage où l’on avait procédé de mauvaise foi. En répondant à cette censure[28], on se servit de la voie de récrimination : on accusa les compilateurs du Martyrologe de Horn d’y avoir fourré des gens qui avaient souscrit à la confession des réformés quant à l’article de l’incarnation de Jésus-Christ[29]. Le principal compilateur du Martyrologe de Horn se nommait Jacques Outerman. La préface de ce livre n’est pas moins injurieuse aux luthériens et aux calvinistes qu’aux papistes. Ils y sont tous accusés de tyrannie[30].

(G) Personne n’a parlé de cette secte aussi équitablement que George Cassander. ] Il dit que les mennonites faisaient paraître un bon cœur, un cœur pieux, et qu’ils s’écartaient de la foi par un faux zèle, beaucoup plus que par malice ; qu’ils condamnaient les fureurs de ceux de Munster ; qu’ils enseignaient que le règne de Jésus-Christ ne doit s’établir que par la croix : Ils sont donc, ajoute-t-il, plus dignes de compassion et d’instruction que d’être persécutés ; et il leur applique un beau passage de saint Augustin : Hujus quem dixi Mennonis, cui nunc hic Theodoricus successit, sectatores ferè sunt omnes qui per hæc Belgicæ et Germaniæ inferioris loca ; huic anabaptisticæ hæresi affines deprehenduntur, in quibus magnâ ex parte pii cujusdam animi argumenta cernas, qui imperito quodam zelo incitati, errore potiùs quàm animi malitiâ à vero divinarum litterarum sensu, et concordi totius Ecclesiæ consensu desciverunt, quod ex eo perspici potest, quòd Monasteriensibus et hinc consecutis Batenburgicis furoribus, novam quandam restitutionem regni Christi, quod in deletione impiorum per vim externam positum sit, meditantibus, acerrimè semper restiterunt, et in solâ cruce regni Christi instaurationem et propagationem consistere docuerunt : quo fit, ut qui hujusmodi sunt, commiseratione potiùs et emendatione quàm insectatione et perditione digni videantur. His enim multò magis convenire videtur quod de Manichæis disputans inquit August. [* 6] : Quanquam Dominus per servos suos regna subvertat erroris, ipsos tamen homines, in quantum homines sunt, emendandos esse potiùs quàm perdendos jubet… Atque utinan qui atrociore in hosce miseros sunt animo, mansuetudinem et prudentiam hujus sancti viri imitentur, qui in disputatione adversùs Manichæos… his verbis est usus [* 7]. Illi, inquit, in vos sæviant, qui nesciunt cum quo labore verum inveniatur, et quàm difficilè caveantur errores. Illi in vos sæviant, qui nesciunt cum quantâ difficultate sanetur oculus interioris hominis, ut possit intueri solem suum. Illi in vos sæviant, qui nesciunt quibus suspiriis et gemitibus fiat, ut ex quantulâcunque parte possit intelligi Deus [31]. Voilà ce qu’il dit au duc de Clèves en lui dédiant un livre où il prouve que la doctrine du baptême des enfans n’a souffert aucune contradiction dans l’ancienne Église. Le consentement universel de tous les chrétiens pendant plusieurs siècles lui paraît une si puissante preuve qu’un dogme vient des apôtres, qu’il ne croit pas qu’on puisse mieux réfuter les anabaptistes que par la force de cet argument. Il en savait la vertu par expérience ; car il dit qu’un docteur anabaptiste, prisonnier au château de Clèves, se convertit avec quelques autres de ses adhérens, dès qu’il eut vu le recueil de témoignages qui fait voir l’antiquité de la tradition sur ce point-là. Ce fut la raison pourquoi Cassander fit voir le jour à son ouvrage. Disons qu’il conféra deux fois avec des anabaptistes ; premièrement à Cologne, avec un certain Matthias, l’an 1556, et puis avec le nommé Jean Kremer, prisonnier dans le comté de la Mark, l’an 1558. J’ai transposé l’ordre de l’auteur que je vais citer ; car son iterùm est contradictoire : Georgius Cassander, dit-il[32], bis cum illis coram disputavit, de quo inter ejus Opera fol. 1227 : semel cum Johanne Kremer, a. ciↄ iↄ captivo in Comitatu Marchiæ ; iterùm, a. ciↄ iↄ lvi, cum Matthiâ aliquo, Coloniæ.

(H) Les théologiens protestans ont combattu cette secte avec zèle dans les Provinces-Unies, et ont obtenu des édits pour la réprimer. ] Ils ont provoqué diverses fois à la dispute les anabaptistes. Le synode de Horn fit un acte sur cela, et recourut même à l’autorité du gouverneur : Ecclesiæ nostræ semper bonum ac utile censuerunt, adversarios ad disputationem et colloquia provocare. Synodus Hornana a. ciↄ iↄ lxxx, et a. ciↄ iↄ lxxvi, imploratâ eum in finem Gubernatoris Theod. Sonnoyi auctoritate.... decernit provocandum, etc. [33]. Trois ou quatre synodes firent de semblables actes avant la fin du XVIe. siècle[34]. Les églises trouvèrent bon, l’an 1599, que l’on composât un ouvrage qui contînt le corps des controverses anabaptistiques. Arminius, ministre d’Amsterdam, se chargea de cette composition et la commença : il l’interrompit quand il fut professeur en théologie à Leide, et il allégua des raisons dans le synode d’Alcmaër, l’an 1605, qui ne lui permettaient pas de s’appliquer à un tel ouvrage. Le synode d’Enchuyse, l’an 1624, commit deux ministres à examiner les Confessions des mennonites, et à discuter les controverses. L’un d’eux étant resté seul, l’an 1626, demanda un nouveau second ; on lui accorda Doreslaar, au synode d’Amsterdam, en 1628. Ils s’appliquèrent diligemment à leur commission, et publièrent en flamand un très-bon livre, l’an 1637. C’est un corps de controverses anabaptistiques, où les variations de ces gens-là sont marquées exactement[35]. L’auteur, qui narre ces choses, observe que les églises prennent garde, conjointement avec le bras séculier, que cette secte ne s’agrandisse : elles sont en sentinelle, dit-il, pour la réprimer si elle produit de nouvelles branches ou si elle veut sortir hors de ses limites : Pro coërcendis aut noviter pullulantibus aut sua pomœria extendentibus juxta cum politicis etiam ecclesiæ vigilant[36]. Il ajoute que les synodes de Frise ne cessent de solliciter les états de la province à exécuter et à renouveler l’édit qui fut publié contre les anabaptistes, l’an 1598, et qu’on en presse principalement l’exécution à l’égard des nouvelles assemblées, et des nouveaux lieux d’exercice que cette secte ose former. Il ajoute que le synode des anabaptistes, tenu à Haerlem au mois de juillet 1649, ayant fait connaître qu’ils avaient dressé plusieurs nouvelles églises, c’est aux pasteurs orthodoxes à chercher les voies de réprimer ces innovations ; et d’autant plus qu’on se peut fonder sur un édit de l’an 1651, par lequel leurs hautes puissances ordonnent qu’il faut mettre les sectes à la raison, et ne leur permettre pas de se répandre : Sectas cohibendas atque in ordinem redigendas, neque permittendum in plura loca quàm hodiè sint diffundantur [37]. C’est ainsi qu’en France l’on interdisait les lieux d’exercice dont ceux de la religion ne pouvaient pas faire voir qu’ils eussent joui au temps des édits. Voyez la Politica Ecclesiastica de Voetius[38], où il examine si cette secte doit être tolérée : il use de distinction ; mais il penche beaucoup sur la négative, généralement parlant.

(I) M. van Beuning raisonna un jour sur la tolérance qu’on accorde à cette secte en Hollande avec M. de Turenne. ] M. de Turenne, étant en carrosse avec cet ambassadeur, lui témoigna qu’il désapprouvait la tolérance que les États Généraux avaient pour tant de sortes de religions. Je n’ai que faire de dire ici ce que l’on conte que M. van Beuning lui répondit à l’égard des autres sectes ; je me contente de rapporter ce qui concerne les mennonites : « Pourquoi voudriez-vous, dit-il, qu’on ne les tolérât pas ? Ce sont de si bonnes gens, et les plus commodes du monde : ils n’aspirent point aux charges ; on ne les rencontre point sur sa route lorsque l’on est ambitieux ; ils ne nous traversent point par leur concurrence et par leurs brigues. Il serait à souhaiter que par tout le monde la moitié des habitans se fît un scrupule de songer aux dignités : l’autre moitié y parviendrait avec moins de peine, et sans employer tant d’artifices et de bassesses, et tant de moyens illégitimes. Nous ne craignons point la rébellion d’une secte qui met entre les articles de sa foi, qu’il ne faut jamais porter les armes. Quel repos d’esprit pour un souverain, que de savoir qu’une telle bride empêchera les mutineries de ses sujets, quelque chargés qu’ils puissent être d’impôts et de tailles ? Les mennonites paient leur part de toutes les charges de l’état. Cela nous suffit : avec cela nous levons des troupes qui rendent plus de service qu’ils n’en rendraient en s’enrôlant. Ils nous édifient par la simplicité de leurs mœurs : ils s’appliquent aux arts, au négoce, sans dissiper par le luxe et par la débauche leur patrimoine ou les biens qu’ils gagnent. On n’en use pas ainsi dans les autres communions : les voluptés et les dépenses de la vanité y sont une source continuelle de scandale et un affaiblissement de l’état. Mais ils refusent de jurer : voilà une belle affaire ! L’autorité des tribunaux n’en souffre aucun préjudice. Ces gens-là se tiennent aussi liés par la promesse de dire la vérité, que s’ils faisaient des sermens. Toute l’utilité des sermens que l’on fait prêter consiste en ce qu’un homme qui les viole craint un châtiment plus sévère de la part de Dieu, et s’expose à l’infamie, et même à des peines corporelles de la part des hommes. Les mennonites craignent toutes les mêmes choses s’ils mentent après avoir donné leur parole qu’ils diront la vérité : ils sont donc serrés par les mêmes liens que les autres hommes. »

(K) Les livres que l’on a écrits touchant cette secte et contre ses dogmes sont innombrables. ] J’en ai indiqué quelques-uns dans la remarque (C). En voici d’autres. Herman Modée a fait un livre de Initiis Sectæ Anabaptisticæ. André Meshovius a fait en latin l’Histoire des Anabaptistes. Un anonyme a fait en flamand la Succession Anabaptistique, imprimée à Cologne, l’an 1603. Il y a aussi un livre flamand, imprimé l’an 1605, de Origine et Progressu Sectarum inter Anabaptistas. M. Ottius, professeur à Zurich, a fait en latin les Annales de cette secte jusqu’en 1671. Tous ces ouvrages sont mentionnés, ou par Hoornbeek[39], ou par Micrælius [40], ou par Spanheim[41]. Je n’ai point vu qu’ils aient parlé d’un livre que Cassander a indiqué de cette manière : De origine vero hujus Anabaptisticæ sectæ, ejusque progressu, et quæ ex hoc capite monstra quàm varia et absurda, atque inter se pugnantia prodierunt, luculentè, copiosé, summâque cum fide scripsit Nicolaus Blesdick, qui quòd aliquandò hujusmodi errore per imperitiam ætatis deceptus fuerit, eò nunc instructior et vehementior est in iis erroribus refellendis, id quod illi cum B. Augustino commune est[42]. Hoornbeek parle seulement d’une Histoire de David George, composée par Nicolas Blesdik, gendre de ce David, et publiée par Revius[43]. On imprima en français, à Amsterdam, une Histoire des Anabaptistes, l’an 1695, et une plus ample l’an 1700. Ceux qui ont écrit contre eux sont Zuingle, Luther, Calvin, Melanchthon, Œcolampade, Urbain Regius, Juste Menins, Bullinger, Jean Lascus, Guy de Brès, Tallin, Hunnius, Osiander, Cloppenbourg, Spanheim et plusieurs autres qu’il serait trop long de nommer[44]. Mais je n’oublierai pas le livre intitulé Babel, publié l’an 1621, par Herman Faukelius, ministre de Middelbourg, et l’un des pères du synode de Dordrecht. Il montre dans cet ouvrage la diversité énorme de sentimens qui règne parmi les anabaptistes. Ceux-ci lui opposèrent une Confession de foi qu’ils publièrent l’an 1624, à Amsterdam. Ils usèrent aussi de rétorsion ; car ils publièrent une Babel des Pédobaptistes [45]. Antoine Jacob[46] en fut l’auteur. Notez qu’au commencement ils écrivaient peu de livres ; mais enfin ils ont eu divers auteurs, et ils ont donné au public quantité d’ouvrages, les uns didactiques ou historiques, et les autres polémiques. Ils publièrent à Horn, en 1624, une Confession de foi qu’ils munirent de passages de l’Écriture et de quelques autres autorités. Au bout de douze ans ils en publièrent[47] une autre qui faisait voir leur concorde. On a vu des Apologies de leur Confession ; on a vu aussi de leurs Catéchismes et de leurs Manuels de Religion. Ils réfutèrent le Manifeste de Zurich, l’an 1644. Abraham de David[48], l’un d’eux, publia un livre, en la même année, contre un ministre de Haerlem, nommé Bontemps. Il l’intitula, Smegma Hollandicum contra maculas quas P. Bontemps Mennonitis adspersit. Le même ministre fut réfuté par d’autres ouvrages, par l’Abstersio accusationum gravium Petri Bontemps, facta per P. V. K. 1643 ; par Confutatio argumentorum quibus P. Bontemps probare conatur Anabaptistas injurios esse in Deum et homines, 1643 ; par Spongia ad abluendas maculas Petri Bontemps contra certam Anabaptistarum sectam ; par Jodoci Henrici Lixivium contra ejusdem maculas ; par Probatio Lixivii D. Bontemps ubi per G. V. V. fides potissimùm authoris et methodus agendi solicitatur [49].

(L) On allègue quelques raisons pour justifier la sévérité des Suisses à leur égard. ] Rapportons ici le précis d’une lettre qui fut écrite le 21 d’août 1642, à M. Hotton, ministre de l’église wallone d’Amsterdam, par M. Breitinger, doyen des ministres de l’église de Zurich. La guerre s’étant allumée presque dans toute l’Europe, l’an 1622, les magistrats de Zurich donnèrent ordre que, conformément à la pratique usitée de tout temps en semblables cas, les habitans du canton s’exerçassent au métier des armes par des revues. Les anabaptistes refusèrent d’obéir, et représentèrent à ceux qui se préparaient à l’obéissance que la guerre doit être considérée comme un châtiment divin, et que c’est par la bonne vie, et non par les armes, qu’il faut défendre l’état. Ils insinuèrent qu’ils aimeraient mieux quitter leur patrie, leurs femmes, leurs enfans, et tous leurs biens, que de repousser par les armes l’ennemi commun. Les bons sujets s’indignèrent de cela à un tel point, qu’ils furent d’avis qu’on exterminât cette secte ; mais les magistrats cherchèrent des expédiens plus doux. Ils chargèrent les plus sages têtes du sénat de régler avec les théologiens les plus modérés ce qu’il y aurait à faire dans cette conjoncture. Ce comité se recommanda avant toutes choses aux prières de toute l’église, et puis voici quelle fut sa première résolution : que l’on n’oublierait rien de tout ce qui paraîtrait propre à guérir les faux scrupules des anabaptistes ; qu’on n’en condamnerait aucun, ni à la mort, ni aux galères, et qu’on ne ferait aucune chose qui ressentît ou la cruauté, ou la précipitation, ou la passion. Après cela il fut jugé à propos de conférer avec eux, et on leur marqua trois endroits où ils auraient à s’assembler, afin d’entendre ce que l’on avait à leur dire. Ils se rendirent à l’assignation : on leur proposa, et de vive voix et par écrit, les principaux points de la foi chrétienne ; ils n’en rejetèrent qu’un, qui était celui des magistratures. Le sénat, après avoir su ce qui se passa dans ces assemblées, manda quelques-uns de leurs chefs. Ils comparurent ; ils exposèrent leurs raisons : on y répondit tranquillement ; mais on ne put rien gagner, et néanmoins on les renvoya avec beaucoup de clémence. Ils ne laissèrent pas de se retirer comme des gens qui avaient peur de quelque supercherie, et ils l’avouèrent le lendemain, lorsqu’on leur demanda pourquoi ils avaient fait paraître qu’ils se défiaient du sauf-conduit que le souverain leur avait expédié. Cette douceur des magistrats déplut beaucoup à plusieurs personnes ; cependant on voulut tenter encore les voies de la modération. On assembla les principaux chefs des anabaptistes : on les assura que, sans exiger qu’ils prétassent le serment selon les formules ordinaires, on se contenterait qu’ils répondissent oui ou non ; qu’on les dispenserait de porter les armes, pourvu que, par leurs prières et par d’autres moyens pieux, ils concourussent au bien public ; et qu’en les engageant à se trouver aux prédications des ministres on ne prétendait pas leur interdire la liberté de désapprouver ce qu’ils jugeraient contraire à la parole de Dieu ; qu’on voulait seulement qu’ils ne critiquassent pas cela avant que d’en avoir conféré, ou avec un de leurs pasteurs, ou avec quelque autre personne ecclésiastique. On finit par des promesses de protection et par des exhortations pathétiques. Mais, quand on vit que ces gens-là ne changeaient point de pensée, on les exhorta bénignement à se retirer ailleurs : on leur permit d’emporter autant de bien qu’il leur en faudrait pour leur subsistance ; on promit la restitution à tous ceux qui, guéris de leurs erreurs, voudraient revenir ; et l’on déclara que les enfans et les femmes qui renonceraient à la secte et ne voudraient pas abandonner la patrie jouiraient d’une portion convenable du bien des pères et des maris. Les anabaptistes répondirent que la terre appartient à Dieu, et non pas aux magistrats, et rejetèrent ces conditions. Alors on en vint aux taxes et aux amendes ; et parce qu’ils refusèrent de les payer, et qu’ils crièrent à la tyrannie, on confisqua tous leurs biens. Ils murmurèrent encore plus : ils s’assemblèrent nuitamment ; ils prièrent Dieu de réprimer la fureur du magistrat par la peste, par la famine, et par telles autres calamités. Là-dessus on se trouva obligé de recourir à un remède plus fort : on en mit plusieurs en prison. Ils se sauvèrent presque tous[50] par une brèche qu’ils firent à la muraille, et ne se montrèrent pas moins inquiets qu’auparavant : on les remit en prison, on les exhorta de temps en temps à se convertir, ou à se retirer de bon gré hors de la patrie ; ils persistèrent à demander simplement la liberté. Ils offrirent de rendre raison de leur doctrine devant tout le peuple : on leur refusa cela ; mais on voulut bien leur proposer une dispute par écrit, et on leur marqua même les points de la controverse : ils répondirent toujours qu’ils ne pouvaient se défendre pendant qu’ils seraient en prison. Notez que leurs fugitifs semèrent partout des plaintes atroces, comme si leurs prisonniers avaient été maltraités le plus inhumainement du monde[51].

Voilà une apologie fondée sur la patience très-longue qui précéda les rigueurs ; mais voici d’autres moyens plus particuliers, et qui résultent de la nature ou de la constitution du gouvernement en ce pays-là. Les Suisses ne repoussent point l’ennemi avec des troupes auxiliaires ou soudoyées, mais en se rangeant eux-mêmes sous le drapeau ; et l’un des fonds de leur subsistance est la permission qu’ils donnent de lever du monde chez eux pour le service des étrangers. Il importe donc à leurs souverains que tous les sujets soient propres aux armes, et aiment la guerre. Voilà pourquoi les anabaptistes ne leur conviennent pas, gens qui ne veulent blesser ni tuer personne, et qui, en tant qu’en eux est, intimident les plus belliqueux ; car ils inspirent des scrupules de conscience sur l’effusion du sang humain et sur les passions inséparables du métier des armes.

(M) Moréri n’a pas eu raison de charger cette secte de deux doctrines qu’il lui impute. ] Il a trouvé dans Pratéolus que, selon les anabaptistes, les femmes sont obligées à prêter leur corps à tout homme qui leur demande cette fonction, et que, réciproquement, les hommes sont obligés à satisfaire le désir de toute femme qui leur demande cet office : Dicunt postremò quamlibet mulierem obligatam esse ad coëundum cum quolibet viro eam petente, et contrà eodem vinculo adstringunt omnem virum ad tantundem reddendum cuilibet mulieri hoc ab illo petenti[52]. Selon cela, il y aurait un mariage naturel entre tous les hommes et toutes les femmes : je veux dire que, par devoir, et à peine de commettre un crime, chaque homme serait tenu de contenter quelque femme que ce fût quand il en serait requis ; et chaque femme serait tenue de complaire à quelque homme que ce fût quand elle en serait requise. Les devoirs que saint Paul expose [53], qui font qu’un mari n’a point la puissance de son corps, et la doit considérer comme transférée à son épouse ; et que celle-ci pareillement doit considérer comme transférée à son époux la puissance de son corps : ces devoirs, dis-je, très-justes et très-raisonnables dans le mariage d’un avec une, n’auraient point de bornes ; ils s’étendraient de chaque homme sur toutes les femmes, et de chaque femme sur tous les hommes : chose si extravagante, si vilaine, si abominable, qu’il est difficile de s’imaginer qu’aucune secte d’anabaptistes l’ait enseignée. Les lois naturelles, selon cela, seraient beaucoup plus impossibles à accomplir que les lois de l’Évangile ; et il serait juste à cet égard de renouveler cette plainte : C’est un joug que nous, ni nos pères, n’avons pu porter. En un mot, ce ne peut pas être une loi de la nature ; car la nature n’oblige à rien d’impossible[54]. La beauté et la tendresse de conscience, jointes ensemble sous une pareille loi, seraient un poids qui ferait bientôt crever les plus vigoureux et les plus robustes. Il n’y aurait point de personnes aussi à plaindre que celles qui seraient belles et consciencieuses. Et notez que la doctrine de la communauté des femmes n’égale point l’abomination de celle-ci : elle n’ôte pas la liberté de refuser ; elle n’engage pas la conscience à tout acquiescement.

Peut-être ne me tromperai-je pas si je conjecture que les faiseurs de Catalogues d’Hérésies, les originaux de Pratéolus, ont forgé cette chimère en donnant un mauvais sens, ou par ignorance, ou par malice, à l’une des conséquences du dogme de l’égalité des conditions. Il est certain qu’au commencement les anabaptistes enseignaient cette égalité : d’où il s’ensuivait qu’une fille de bonne maison ne devait pas refuser les propositions de mariage avec un fils de paysan, et qu’un gentilhomme ne devait pas refuser les recherches d’une paysanne. Si nos faiseurs de Catalogues ont bâti sur ce fondement la doctrine absurde qu’ils ont imputée aux anabaptistes, sont-ils moins impertinens que ce dogme même ?

Je ne crois point non plus que ces sectaires aient regardé comme illégitime le mariage des autres chrétiens, et qu’ils aient confondu tous les bâtards avec les enfans des personnes mariées ; qu’ils aient cru, par exemple, que la naissance de Calvin n’était pas moins accompagnée de souillure que celle d’Érasme. Mais M. Moréri n’y regardait pas de si près ; et, pourvu qu’il pût diffamer les hérétiques, tout lui était bon [* 8].

  1. * Cet article n’existe pas, comme on l’a déjà dit.
  2. (*) M. Bayle a omis involontairement, ce semble, le poème héroïque latin en deux livres, composé par Herman Kerssenbroeck, récité par l’auteur en pleine assemblée de l’université de Cologne, et imprimé à Cologne même l’an 1545, in-8o. La pièce est dédiée à l’évêque de Munster et d’Osnabruk, François, comte de Waldeck, et le titre en est : Belli Monasteriensis contra Anabaptistica monstra gesti, brevis atque succincta descriptio. Rem. crit.
  3. (*) Matth. V, 11 ; I Pier. IV, 20 ; I Jean IV, 3.
  4. (*) IIe. Paralip. XXX et XXXV.
  5. (*) Marc, XII, 24.
  6. (*) Contra Epistolam Fundamenti.
  7. (*) Ibidem.
  8. * Joly renvoie au Sorberiana « pour quelques traits assez curieux sur les anabaptistes du 17e. siècle. »
  1. Frider. Spanhemius, de Origine, Progressu, Sectis, et Nominibus Anabaptistarum, pag. 196. Je me sers de l’édition insérée dans la Gangræna Theologiæ Anabaptisticæ de Clopenbourg.
  2. Maimbourg, Hist. du Luthéranisme, liv. I, pag. 114, édition de Hollande.
  3. Voyez Spanhem. de Origine Anabaptistarum, pag. 198.
  4. Voyez la Remarque (KK) de l’article Mahomet.
  5. Spanhem. de Orig. Anabaptist., pag. 198.
  6. En janvier, mars et novembre 1525.
  7. Spanhem. de Origine Anabaptistarum, pag. 202.
  8. Idem, ibid.
  9. Idem, ibid.
  10. Id., ibid., pag. 203.
  11. Id., ibid., pag. 203, 204.
  12. Turbones urbe ejecti fuêre. Idem, ibid. pag. 204.
  13. Idem, ibid.
  14. Id. ibid. pag. 205.
  15. Id. ibid. pag. 212.
  16. Idem, ibid.
  17. Hoornbeek, Summa controvers. pag. 281.
  18. Idem, ibid.
  19. Idem, ibid. citans Stradæ Hist. Belg. lib. IV.
  20. Il a été gouverneur des fils du duc de Clèves, et puis conseiller du duc, et il fut au siége de Munster.
  21. Fridericus Spanhemius F. filius, in Elencho Controversiarum, p. 87, édit. an. 1694.
  22. Hoornbeek, Summa Controvers., pag. 189.
  23. Idem., ibid., pag. 389, 390.
  24. Guy de Bres, épître dédictatoire de la Racine, Source et Fondement des Anabaptistes. Ce livre fut imprimé l’an 1565.
  25. Racine, Source, etc., des Anabaptistes, pag. 9.
  26. Racine, Source, etc., des Anabaptistes, pag. 5.
  27. Dans la préface de l’édition de 1626.
  28. On y répondit dans un ouvrage flamand imprimé à Haerlem l’an 1630, et composé par Hans Alenson.
  29. Ottius, Annal. Anabapt. ad ann. 1615, num. 6, pag. 233.
  30. Idem, ibid., ad ann. 1626, num. 2, p. 251.
  31. Georgius Cassander, præfat. Tractatus de Baptismo Infantium.
  32. Hoornbeek, Summa Controvers., pag. 394.
  33. Idem, ibid. Notez qu’il transpose les temps : il met le synode de 1576 après celui de 1580.
  34. Idem., ibid.
  35. Idem, ibid., pag. 395, 396.
  36. Idem, ibid., pag. 391.
  37. Idem, ibid., pag. 392.
  38. Au livre IV de la Ire. partie, pag. 538 et suiv.
  39. In Summâ Controversiarum.
  40. In Syntagmate Histor. Eccl.
  41. In Elencho Controversiar.
  42. Georg. Cassander, epist. dedicator. Tractatûs de Baptismo Infantium.
  43. Hoornbeek, Summa Controversiar., p. 373.
  44. Idem, ibid., pag. 304 ; et Jean Vaget, dans la thèse qu’il soutint à Wittemberg, l’an 1688, de Sectâ Mennonitarum.
  45. C’est-à-dire ceux qui baptisent les enfans.
  46. Ministre anabaptiste et médecin d’Amsterdam.
  47. À Dordrecht.
  48. Il se désigna par ces trois lettres, G. V. V., c’est-à-dire, Gerard Vryburg. Hottingeri Biblioth. Theolog., lib. III, cap. V, pag. 420, 421.
  49. Id. ibid.
  50. Le lendemain de Pâques 1636.
  51. Tiré d’une lettre de Jean-Jacques Breitinger, datée du 21 août 1642, et insérée dans les Annales Anabaptistici de Jean-Henri Ottius, pag. 288 et suiv.
  52. Prateolus, in Elencho Hæreseôn, lib. I, pag. 27.
  53. Ire. Épître aux Corinthiens, chap. VII, vs. 4.
  54. Impossibili nemo tenetur.

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