Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Archélaüs 3

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ARCHÉLAÜS Ier. du nom [a], roi de Macédoine, fils naturel du roi Perdiccas, monta sur le trône, et s’y maintint, par de grands crimes. Sa mère était servante d’Alcétas, frère de Perdiccas (A) : ainsi, selon les lois [b], il ne devait être que le valet d’Alcétas ; mais, au lieu de la soumission qu’il lui devait, il le fit mourir traîtreusement. Il l’attira dans sa maison, et lui promit de lui rendre la couronne que Perdiccas lui avait ôtée : il lui donna un grand repas ; et, l’ayant fait enivrer, il le fit conduire de nuit sur un chariot hors de la ville, et donna ordre qu’on le tuât. Alexandre, fils d’Alcétas, fut traité de la même sorte : il fut mis soûl autant que son père dans le même chariot, et massacré avec lui. Archélaüs, peu de temps après, fit mourir son frère, qui n’était âgé que de sept ans, et qui était fils légitime de Perdiccas et de Cléopâtre. Il le jeta dans un puits ; et fit accroire à Cléopâtre que l’enfant y était tombé, en courant après un oie [c]. Il s’appliqua avec soin aux choses qui pouvaient rendre formidable la Macédoine ; car il fortifia plusieurs places, il fit faire de grands chemins, il fit un grand amas et d’armes et de chevaux, et de tout ce qui est nécessaire pour la guerre ; et il surpassa dans tous les préparatifs de cette nature les rois ses prédécesseurs [d]. Il s’avisa d’une chose, qu’ils n’avaient point pratiquée ; c’est qu’il équipa des flottes, et qu’il donna des combats de mer [e]. Il aima les lettres, et les beaux-arts (B) ; et l’on vit chez lui les plus grands poëtes, les plus fameux peintres, et les meilleurs musiciens [f]. Il fit beaucoup de dépenses, pour faire peindre sa maison par Zeuxis (C) ; et sans doute il se fâcha de ce que Socrate, qu’il tâchait de faire venir à sa cour, ne voulut pas y aller (D). Il eût pu apprendre de lui, à n’avoir point peur des éclipses ; et il avait grand besoin d’être redressé sur ce sujet-là [g]. On a vu ailleurs [h] l’estime qu’il eut pour Euripide. Au reste, sa libéralité envers les habiles gens était médiocre ; mais cela pouvait venir de ce qu’il trouvait qu’ils étaient trop prompts à demander (E). Il institua des sacrifices, et des jeux scéniques, en l’honneur de Jupiter et des Muses : on les célébrait pendant neuf jours ; chaque Muse avait son jour [i]. Il envoya des chariots à quatre chevaux, qui remportèrent le prix aux jeux olympiques, et aux jeux pythiques [j]. On convient qu’il fut tué ; mais on ne s’accorde pas sur les circonstances de sa mort, ni sur la durée de son règne (F). Scaliger même a trouvé là des obscurités qui l’ont fait errer lourdement [k]. Il est vraisemblable qu’Archélaüs avait mené une vie impure qui le fit périr (G). J’aurai des observations à faire contre le Moréri (H).

  1. Notez qu’il y a des gens qui ne reconnaissent qu’un Archélaüs entre les rois de Macédoine.
  2. Voyez la remarque (A).
  3. Tiré du Gorgias de Platon, pag. 321.
  4. Thucydides, lib. II, pag. 142.
  5. Solinus, cap. IX.
  6. Voyez la remarque (C).
  7. Voyez la remarque (D).
  8. Dans l’article d’Euripide, remarques (N), (O), (P), etc.
  9. Diodor., Siculus, lib. XVII, cap. XVI.
  10. Solin., cap. IX.
  11. Voyez la remarque (F).

(A) Sa mère était servante d’Alcétas, frère de Perdiccas [1]. ] Élien la nomme Simicha [2] : mais au reste, puisque Archélaüs était fils du roi de Macédoine, on n’a pas dû dire que de la condition de chévrier il s’éleva sur le trône. C’est pourtant ce que Diogène le Cynique assure dans une harangue de Dion Chrysostome, Αἰπόλος ἧν Ἀρχέλαος [3]. Caprarius fuit Archelaüs. Notez ces paroles de Platon, qui nous apprennent ce qu’Archélaüs devait être selon les lois : Κατὰ μὲν τὸ δίκαιον δοῦλος ἦν Ἀλκέτου, καὶ εἰ ἐϐούλετο τὰ δίκαια ποιεῖν ἐδούλευσεν ἂν Ἀλκέτῃ [4]. Ipso jure Alcetæ servus erat, eoque si justa agere voluisset ipsi Alcetæ servisset.

(B) Il aima les lettres, et les beaux arts. ] C’est Solin qui le dit [5]. J’ai rapporté ses paroles dans la remarque (N) de l’article d’Euripide, au commencement. Joignez ce passage d’Élien. Ἦν δὲ ἄρα ὁ Ἀρχέλαος ἐρωτικὸς οὐχ ἧττον ἢ καὶ ϕιλόμουσος [6]. Archelaüs verò non minùs amoris quàm litterarum erat studiosus.

(C) Il fit...... peindre sa maison par Zeuxis. ] Socrate fit le censeur là-dessus : il dit que ce prince, qui avait tant dépensé pour embellir son palais, n’avait fait aucune dépense pour orner son âme. Aussi savons-nous, ajoutait-il, que quantité d’étrangers s’empressent de faire un voyage en Macédoine, afin de voir la maison du prince ; mais que personne n’y va, afin de le voir lui-même, hormis ceux qu’il attire par des présens. Or c’est une chose qui ne touche pas les hommes de bien [7]. Je crois qu’il ne s’était pas mis en peine de se guérir de son impudicité par la culture des Muses ; mais je suis sûr qu’en matière d’ornemens d’esprit ses progrès ne furent pas médiocres. Il semble même que, de l’un de ses bons mots, on puisse conclure qu’il avait fait des progrès dans la morale pratique. On l’animait un jour contre une personne qui avait jeté de l’eau sur lui. Ce n’est pas moi qu’il a mouillé, répondit Archélaüs, il a mouillé celui pour qui il n’a pris [8]. Aucun philosophe, raisonnant sur les priviléges de la conscience errante, n’a jamais rien dit de plus sensé. Tous les princes traiteraient ainsi les fautes involontaires, s’ils étaient bien raisonnables, ou si l’intérêt du public pouvait souffrir que, dans la pratique, l’on se réglât sur les idées de la raison [9]. Laissons cela, et revenons à Socrate. Par les paroles que j’ai rapportées, il déclarait malhonnêtes gens plusieurs personnes d’esprit, qui n’allaient en Macédoine qu’à cause d’Archélaüs. Euripide y alla-t-il pour d’autres sujets [10] ? Le bel Agathon, cet illustre poëte, et son amant Pausanias, et tant d’autres, n’y allèrent-ils pas uniquement pour cette raison ? Οὗτος ὁ Ἀγάθων..... Ἀρχελάῳ τῷ βασιλεῖ μέχρι τελευτῆς μετὰ ἄλλων πολλῶν συνῆν ἐν Μακεδονία [11]. Hic Agathon……. fuit apud Archelaüm Macedoniæ regem, unà cum aliis multis ad mortem usque.

(D) Socrate, qu’il tâchait de faire venir à sa cour, ne voulut pas y aller. ] Il y eut deux autres personnes que ce philosophe traita de la même sorte : il ne voulut, ni les aller voir, ni accepter leurs présens. Ὑπερεϕρόνησε δὲ καὶ Ἀρχελάου τοῦ Μακεδόνος, καὶ Σκώπα τοῦ Κρανωνίου, καὶ Εὐρυλόχου τοῦ Λαρισσαίου, μήτε χρήματα προσέμενος αὐτῶν, μητε παρ᾽ αὐτοὺς ἀπελθών [12]. Archelaüm prætereà Macedonem, et Scopam Cranonnium, Eurylochumque Larissæum, aspernatus est magno animo, cùm neque ab eis missas pecunias accepit, neque ad eos ipse proficisci voluit. Sénèque nous a conservé l’excuse dont Socrate se servit envers notre Archélaüs : « Je ne veux pas, dit-il, aller voir un homme de qui je recevrais des bienfaits, sans lui pouvoir rendre la pareille. » Archelaus rex Socratem rogavit ut ad se veniret : dixisse Socrates traditur, nolle se ad eum venire à quo acciperet beneficia, cùm reddere illi paria non posset [13]. Cette réponse de Socrate a été rapportée par Marc Aurèle, selon le même sens [14] ; mais Aristote la rapporte en des termes qui ne sont pas philosophiques. Il suppose que Socrate répondit, que ceux qui ne se revanchent pas d’un bienfait reçoivent autant d’affront que ceux qui ne se revanchent pas d’une injure. Ὕϐριν ἔϕη εἶναι τὸ μὴ δύνασθαι ἀμύνεσθαι ὁμοίως εὖ παθόντα, ὥσπερ καὶ κακῶς [15]. Contumeliam esse dixit, non posse referre eum qui accepit beneficium, perindè ac eum qui injuriam. Cette maxime suppose qu’il faut se venger de ceux qui nous font du mal : elle n’est donc pas digne de la morale d’un philosophe, et surtout d’un philosophe tel que Socrate. Au reste, Sénèque s’est fort étendu à faire voir qu’il était facile à ce philosophe de bien rendre la pareille à Archélaüs. Il a dit entre autres choses, que les bienfaits de ce monarque n’eussent pu valoir l’instruction qu’il eût reçue sur la cause des éclipses, et qui l’eût empêché de retomber dans la terreur que l’on remarqua en lui, un jour que le soleil s’était éclipsé. Il avait fermé son palais, il avait fait tondre son fils : Quid tantùm erat accepturus (Socrates) quantùm dabat, si..... regem in luce mediâ errantem, ad rerum naturam admisisset, usque eò ejus ignarum, ut quo die solis defectio fuit regiam clauderet, et filium (quod in luctu ac rebus adversis moris est) tonderet ? Quantum fuisset beneficium, si timentem è latebris suis extraxisset, et bonum animum habere jussisset, dicens : « Non est ista solis defectio, sed duorum siderum coïtus, cùm luna humiliore currens viâ, infra ipsum solem, orbem suum posuit, et illum objectu sui abscondit [16]. » Sénèque prétend que Socrate ne se servit de cette excuse, que par ironie [17], et qu’au fond il ne refusa d’aller à la cour de Macédoine, qu’afin de garder pleinement sa liberté. Vis scire quid verò noluerit ? Noluit ire ad voluntariam servitutem is, cujus libertatem civitas libera ferre non potuit [18]. Quelques-uns disent qu’Aristophane composa la comédie des Nuées, pour satisfaire l’animosité qu’il avait contre Socrate, parce qu’Archélaüs roi de Macédoine avait fait plus d’état de ce philosophe que de lui [19]. Notez que l’on a donné un autre tour à la réponse de Socrate. On a dit qu’il s’excusa d’aller à la cour d’Archélaüs, sur ce que le pain était à un si vil prix dans Athènes, et que l’eau y abondait [20].

(E) Sa libéralité envers les habiles gens était médiocre,..... peut-être parce qu’ils étaient trop prompts à demander. ] « Le roi de Macédoine Archélaüs sembloit estre un peu tenant en matière de donner et faire présens, de quoi Timothéus musicien, en chantant sur la lyre, lui donna une atteinte, en lui tirant souvent ce petit brocard, Ce fils de terre, l’argent trop tu le recommandes : mais Archélaüs lui répliqua sur l’heure bien gentiement et de bonne grâce, Mais toi, par trop tu le demandes. » C’est Plutarque qui raconte cela [21]. Il raconte aussi dans un autre livre ce que je m’en vais copier : Il y eut quelqu’un jadis, qui estimant qu’il n’y eust rien si honneste que de demander et recevoir, demanda un jour, en soupant, au roy de Macédoine Archélaüs, une coupe d’or là où il beuvoit. Le roy commanda à son page de la porter et donner à Euripides, qui estoit à la table ; et tournant son visage devers celui qui la lui avoit demandée, lui dit : « Quant à toi, tu es digne de demander et d’estre refusé, parce que tu demandes : mais Euripides est digne qu’on lui donne, encore qu’il ne demande pas [22]. » Peut-être donnait-il des bornes à sa libéralité par un principe semblable à celui de Charles IX [23]. Mais il y a plus d’apparence qu’il était du goût qu’on a remarqué dans le cardinal de Richelieu, qui ne fit jamais de bien au poëte Mainard, et ce fut en partie... parce qu’il aimait qu’on ne lui demandât rien, et qu’on lui laissât la gloire de donner de son propre mouvement [24].

(F) On ne s’accorde pas sur les circonstances de sa mort, ni sur la durée de son règne. ] Les uns disent qu’étant à la chasse il fut blessé par Cratérus son favori, et qu’il mourut de cette blessure ; et ils ajoutent que Cratérus fit cela innocemment, et par mégarde [25]. Les autres disent qu’il fut tué par des conjurés que Decamnichus poussa à ce parricide [26]. Quinte-Curce favorise cette dernière opinion. Quis proavum hujus Alexandrum, dit-il [27], quis deindè Archelaüm, quis Perdiccam, occisos ultus est ? J’en dirai davantage dans la remarque suivante. Quant à la durée de son règne, quelques-uns la font de vingt-quatre ans [28], d’autres de seize [29] d’autres de quatorze [30], et d’autres de sept [31]. Ce dernier sentiment me paraît être le bon : c’est celui de Diodore de Sicile ; et je m’étonne que Calvisius cite cet historien, après avoir dit qu’Archélaüs régna seize ans [32]. Un passage d’Athénée mal entendu a causé cent brouilleries. Nous lisons dans les éditions de cet auteur, que Périclés et Perdiccas moururent la 3e. année de la guerre du Péloponnèse, et qu’aussitôt Archélaüs monta sur le trône [33]. Il est impossible qu’Athénée ait dit cela ; car son but est de convaincre Platon d’avoir commis une bévue ; Platon, dis-je, qui, dans le même dialogue où il suppose qu’Archélaüs règne, assure qu’il n’y avait que fort peu de temps que Périclès était mort. Il est clair que son censeur se rend ridicule, et qu’il ne sait ce qu’il dit, s’il avance ce que nous lisons dans ses livres imprimés. Casaubon n’a nullement tort de trouver étrange que ceux qui ont traduit Athénée, ne se soient pas aperçus d’une absurdité si visible, et qu’ils aient eu un estomac à digérer un si dur morceau : Cum hæc clarissimè disputentur ab Athenæo, quis interpretum stomacho non invideat qui vulgatam loci hujus scripturam adeò εὐςομάχως tulerint [34] ? Pour lui il s’en reconnaît incapable ; et, malgré tous les manuscrits, il soutient que les copistes d’Athénée ont oublié là une période. Il me semble qu’il devine très-heureusement ce que l’auteur avait dit. C’est qu’Alexandre, roi de Macédoine, qui mourut au même temps que Périclès, eût pour successeur Perdiccas, qui régna jusqu’à l’archontat de Callias, et que Perdiccas étant mort sous cet archonte, son trône fut occupé par Archélaüs. En ce cas-là, Athénée ne critique point sans quelque apparence le discours de Platon ; car il y a un intervalle considérable entre la mort de Périclès et le règne d’Archélaüs. Notez, en passant, que Casaubon a répondu à cette censure [35] ; mais surtout prenez bien garde que Diodore de Sicile, donnant sept années de règne à Archélaüs, met sa mort sous l’archontat d’Aristocrate, la 2e. année de la 95e. olympiade. Son règne commença donc la 3e. année de l’olympiade 93, sous l’archonte Callias. Il faut donc dire que Perdiccas mourut sous le même archonte. Or parmi les diverses opinions qui avaient couru sur la durée du règne de ce Perdiccas, celle de Marsyas et de Philocorus, qui la fixèrent à vingt-trois ans, fut choisie par Athénée en raisonnant contre Platon : il faut donc qu’il ait établi que ce Perdiccas monta sur le trône la même année que Périclès décéda, c’est-à-dire l’an 4 de la 87e. olympiade. Tout cela confirme avec tant de force le sentiment de Casaubon, qu’au lieu de dire que sa conjecture est vraisemblable, l’on doit assurer sans aucune hésitation, que la période qu’il restitue avait coulé effectivement de la plume d’Athénée : et comme elle contient deux ou trois fois les mêmes paroles à la fin d’un sens complet, l’on comprend facilement que les copistes l’ont sautée, et que les lecteurs n’ont point senti qu’il manquait là quelque chose, la plupart des gens ne lisent que pour s’instruire sans se fatiguer : c’est pourquoi ils ne s’aperçoivent guère des fautes de raisonnement, lorsqu’elles demandent quelque attention, ou quelque retour sur ce qui précède. En tout cas, ils se contentent de dire, ceci est obscur, cela me passe ; mais il n’arrive de là aucun remède ; la faute demeure toujours où elle était. Les critiques, et principalement les critiques traducteurs, n’en usent pas de la sorte, ils s’aperçoivent des fautes de sens et ils en cherchent la correction : ils comparent ensemble des manuscrits, ils font valoir les conjectures de leur génie. Mais dans cet endroit d’Athénée, comme Casaubon le leur reproche, leur goût fut fort émoussé.

Le grand Scaliger nous sera ici une preuve que les lumières des plus savans personnages sont quelquefois très-bornées. Il n’a point connu l’erreur visible de l’auteur qu’il commentait et qu’il critiquait, et il a pris cette erreur pour le fondement d’une censure contre Diodore de Sicile, à qui il impute des paroles qui ne se trouvent que dans Athénée. Développons cela. Eusèbe a rangé trois choses sous la première année de la 87e. olympiade : la mort de Perdiccas, le commencement du règne d’Archélaüs, et le commencement de la guerre du Péloponnèse. Scaliger lui passe cela, et se contente d’observer qu’on met ordinairement la première année de cette guerre sous la seconde année de l’olympiade 87, parce que la rupture s’étant faite vers la fin de l’archontat de Pythodore, l’on a cru qu’il fallait dater de l’archontat d’Euthydème [36], successeur de Pythodore [37]. Suivant cet usage, il avoue que l’an mortuaire de Périclès est le 4 de l’olympiade 87, et le 3 de la guerre du Péloponnèse ; et il cite un passage grec, qui porte qu’en la même année que Périclès décéda, Perdiccas roi de Macédoine mourut, et Archélaüs monta sur le trône. Il attribue ce passage à Diodore de Sicile ; et, sur ce pied-là, il le censure d’un anachronisme de trois ans. C’est qu’il suppose qu’Eusèbe ne s’est point trompé, ni quant à la mort de Perdiccas, ni quant au couronnement d’Archélaüs. Il n’a donc point su que Thucydide à marqué expressément que le roi Perdiccas était en vie l’an 16 de la guerre du Péloponnèse [38]. Mais, de plus, il a ignoré que les paroles qu’il attribue à Diodore de Sicile, sont d’Athénée : il a ignoré que ces paroles d’Athénée sont corrompues ; il ne s’est point aperçu qu’elles sont tronquées, et qu’il les fallait rétablir de la manière que Casaubon les a rétablies. Notez que Saumaise adopte comme une bonne chronologie celle qui met la mort de Perdiccas, et le commencement du règne d’Archélaüs, à l’an 4 de la 87e. olympiade [39] : il ignorait donc certaines choses que Casaubon lui eût pu fournir ; mais notez encore plus soigneusement qu’on peut éluder, ou même bien réfuter, par une interprétation favorable, l’un des points de ma critique de Scaliger. J’ai dit qu’il a censuré Diodore de Sicile, et je me suis fondé sur ces paroles : Diodoro ergò prochronismus fuerit triennii [40]. Elles sont à la suite du passage grec, faussement attribué par Scaliger à cet auteur, et où l’on trouve que Perdiccas étant mort la troisième année de la guerre du Péloponnèse, Archélaüs lui succéda. Or parce qu’Eusèbe assure qu’Archélaüs monta sur le trône la première année de la guerre du Péloponnèse, l’on peut prétendre que Scaliger n’a voulu dire autre chose, sinon que la doctrine d’Eusèbe contient un anachronisme d’anticipation de trois années, selon Diodore de Sicile. Si c’est son vrai sens, il n’a point blâmé ce dernier historien ; il s’est contenté de se tenir dans la suspension, ne décidant rien, ni pour lui, ni pour Eusèbe. Je serai ravi que l’on prenne garde à cette espèce de rétractation. Un critique, qui se prévaut d’une expression équivoque, ne doit point omettre le sens favorable. Il montre par ce moyen ce que l’on peut dire pour et contre les auteurs : il soutient successivement le personnage d’un avocat demandeur, et d’un avocat défendeur.

(G) Il est vraisemblable qu’Archélaüs avait mené une vie impure, qui le fit périr. ] Aristote ayant dit que plusieurs conspirations ont été faites contre des monarques, à cause de leurs impudicités, allègue tout aussitôt l’attentat de Crateüs [41]. Cet homme ne pouvait digérer le déshonneur qu’Archélaüs lui faisait, en assouvissant sur lui la brutalité de ses amours : ainsi une autre offense, qui n’eût pas donné un prétexte légitime de conspirer, se joignant à celle-là, il résolut de se défaire de son maître. Cette autre offense fut que le roi, lui ayant promis l’une de ses filles, maria pourtant l’aînée au roi d’Elimée, et la cadette au fils d’Amyntas. La politique fut cause de ce manquement de parole. Se trouvant embarrassé de la guerre qu’il faisait à Sirras et à Arrabeüs, il voulut gagner le roi d’Élimée. Craignant d’ailleurs que le fils d’Amyntas n’excitât des troubles, il en fit son gendre, et il espéra que cette alliance maintiendrait l’union entre eux, et aurait le même effet quant au fils de Cléopâtre. Crateüs fit éclater alors son ressentiment ; mais la source de sa haine venait de l’injure qu’il recevait en son corps : Ἀλλὰ τῆς γε ἀλλοτριότητος ὑπῆρχεν ἀρχὴ τὸ βαρέως ϕέρειν πρὸς τὴν ἀϕροδισιαςικὴν χάσιν [42]. Sed alienationis origo et principium fuit quòd graviter tulisset se ejus libidini ad res venereas fuisse obsecutum. Hellanocrate de Larisse se joignit à lui dans cette conspiration, par de semblables motifs ; car ayant abandonné aux passions d’Archélaüs la fleur de ses jeunes ans, et ne voyant pas que cela lui procurât d’être rappelé de son exil, comme ce prince le lui avait fait espérer, il conclut qu’on s’était servi de sa personne, non par un effet d’amour, mais afin de le flétrir. Δι᾽ ὒβριν καὶ οὐ δι᾽ ἐρωτικὴνἐ πιθυμίαν ᾤετο εἶναι τὴν γεγενημένην ὁμιλίαν [43]. Consuetudinem illam secum esse institutam, non propter cupiditatem amatoriam, sed propter contumeliam existimavit. Notez que Plutarque nous apprend que Crateüs, le mignon d’Archélaüs, tua ce prince [44]. Platon nous apprend la même chose, sans nommer cet assassin et ce bardache ; mais il dit que le meurtrier ne se porta à cet attentat que pour s’emparer de la couronne, et qu’elle lui fut ôtée trois ou quatre jours après, par d’autres conspirateurs [45]. Je m’étonne que Diodore de Sicile ait rapporté d’une manière si différente de celle-là la mort de ce roi de Macédoine, et ses suites. Il est vraisemblable que Platon et Aristote, plus voisins du temps et du lieu où ces choses arrivèrent, les connaissaient mieux que lui.

J’ai observé quelques fautes dans le Commentaire de Gifanius sur ce passage d’Aristote. 1o. Cet auteur assure que Suidas a rapporté dans l’article d’Euripide que Cratevas ôta la vie au roi Archélaüs son amant [46]. Cela n’est pas vrai : Suidas ne parle de Cratevas que comme d’un poëte qui, de concert avec Arrhideüs, autre poëte, machina la mort d’Euripide. 2o. Au lieu de dire que Plutarque in Alcibiade posteriore, et Platon in Commentario de rebus amatoriis, ont parlé du meurtre d’Archélaüs [47], il fallait donner à Platon l’Alcibiades posterior, et à Plutarque le Commentaire de rebus amatoriis. 3o. Il n’est point vrai que Thucydide, au IVe. livre, fasse mention de la guerre d’Archélaüs contre Sirras et Arribæus [48] : il ne parle que de la guerre que le roi Perdiccas et Brasidas firent à Arrhibéus, roi des Macédoniens Lyncestes. 4o. Il est faux que Suidas ait mis Arrhibéus au nombre des conspirateurs contre la vie d’Archélaüs : il dit seulement que le poëte Cratevas fut secondé par un autre poëte nommé Arrhidéus, pour faire périr Euripide. 5o. Il ne fallait pas nommer roi d’Élibée [49], mais roi d’Élimée, le premier gendre d’Archélaüs.

(H) Voici quelques observations contre le Moreri. ] 1o. Il est faux qu’Archélaüs ait succédé à Perdiccas l’an 3641 du monde ; car, selon Moréri, cette année du monde répond à l’an 351 de Rome. Or cette année de Rome répond à la 2e. année de la 94e. olympiade ; et nous avons vu ci-dessus qu’il faut, selon Diodore de Sicile, qu’Archélaüs ait commencé de régner la 3e. année de la 93e. olympiade. 2o. Il n’est pas vrai que Justin parle de notre Archélaüs : celui dont il fait mention était oncle d’Alexandre-le-Grand, et n’a jamais été roi. On ne devait donc pas s’étonner qu’il ne parle pas du temps de son règne. 3°. Il n’est pas vrai qu’il le mette entre les fils que Perdiccas eut d’Eurydice : il le met entre les fils d’Amyntas et de Gygée ; d’Amyntas, dis-je, père de Philippe, et grand-père d’Alexandre-le-Grand. 4o. Ni ce que Justin a dit, ni ce qu’il a oublié, ne sont point des marques qu’on ait confondu Archélaüs le grand-père avec Archélaüs le petit-fils ; car il n’a parlé que d’un Archélaüs qui n’était point petit-fils du nôtre. 5o. C’est une étrange faute que de placer sous l’olympiade 117 la mort de notre Archélaüs, et de faire correspondre cette olympiade à l’an 363 de Rome. 6o. Il ne fallait pas assurer que l’Archélaüs qui régna après Oreste était son fils, et le petit-fils d’Archélaüs ; car outre qu’Eusèbe n’est guère suivi à l’égard de cet Archélaüs, second du nom, il ne marque nul degré de parenté. Ce qui suit concerne le Supplément de Moréri. On y trouve que Socrate ne voulut point approcher Archélaüs, à cause de sa tyrannie et de ses inhumanités. Comptons cela pour la 7e. méprise ; car nous avons vu ci-dessus [50] que ce ne fut point la raison qui empêcha ce philosophe d’aller à la cour de Macédoine. La 8e. faute est d’imputer à Thucydide, et à Diodore de Sicile, d’avoir dit qu’Euripide, étant prié de faire quelque tragédie sur le sujet d’Archélaüs, s’en excusa, pour ne pas dépeindre les cruautés de ce tyran. Il est bien certain que Thucydide, ni Diodore de Sicile, ne disent rien de semblable ; et je ne crois pas qu’aucun bon auteur parmi les anciens ait touché cela. Un prince demande-t-il des tragédies sur son sujet ? Un poëte de cour ne peut-il pas faire des tragédies agréables à son maître, en mettant à part les cruautés de ce maître ? 9o. Le favori qui tua Archélaüs se nomme Cratérus dans Diodore de Sicile [51] : c’est donc le nom qu’il eût fallu lui donner, et non pas celui de Crateus, ou de Cratevas, puis qu’on ne cite pour cela que Diodore de Sicile. 10o. La même raison me fait soutenir qu’on n’a pas dû débiter qu’il fit une conspiration contre Archélaüs, et qu’il le tua, pour se venger d’un manquement de parole. Le continuateur de Moréri conte qu’Archélaus promit sa fille à ce favori, et la donna à un autre. Puisqu’il ne cite que Thucydide et Diodore de Sicile, dont le premier n’a pas dit un mot de cela, et le dernier a rapporté que le favori blessa son maître par mégarde [52], il mérite un peu de censure ; car je conviens que, s’il eût cité Aristote, il eût été hors d’affaire. Voyez la remarque précédente. 11o. Diodore qu’il cite nomme Orestes celui qui régna après Archélaüs [53] : pourquoi donc nous vient-on dire que ce prince eut un fils de même nom qui lui succéda ? 12o. Cet historien ajoute qu’Orestes était dans l’enfance, et qu’il fut tué par son tuteur Ærope, qui régna ensuite six ans. Pourquoi donc lui fait-on dire qu’Archélaüs II, fils d’Archélaüs Ier., succéda à son père, et ne régna que quatre ans, et fut tué à la chasse par Cratérus l’un de ses confidens, lequel s’empara ensuite de la couronne, mais il n’en jouit que trois jours ? Autant de paroles, autant de fautes.

  1. Plato, in Gorgiâ, pag. 321.
  2. Ælian., Var. Hist, lib. XII, cap. XLIII.
  3. Dio Chrysost., Orat. IV de Regno.
  4. Plato, in Gorgiâ, pag. 471, A.
  5. Solinus, cap. IX.
  6. Æliani Var. Hist., lib. II, cap. XXI.
  7. Ex Æliani Var. Hist., lib. XIV, cap. XVII.
  8. Plutarc., in Apophthegmat., pag. 177.
  9. Voyez dans les Nouvelles Lettres contre le calvinisme de Maimbourg, celles qui traitent de la conscience erronée.
  10. Æliani Var. Hist., lib. II, cap. XXI.
  11. Schol. Aristoph., in Ranas, v. 84 et 85.
  12. Diogen. Laërt., lib. II, p. 95, num. 25.
  13. Senec., de Benef., lib. V, cap. VI, pag. 96.
  14. Marcus Antoninus, τῶν εἰς ἑαυτὸν, lib. XI, sect. XXV. Notez qu’il suppose qu’elle fut faite à Perdiccas.
  15. Aristotel., Rhetor., lib. II, cap. XXIII, pag. 445, A.
  16. Senec., de Benefic., lib. V, cap. VI, pag. 96.
  17. Idem, ibid.
  18. Idem, ibid., pag. 95.
  19. Charpentier, Vie de Socrate, pag. 57. Il cite les interprètes d’Aristophane in Argumento illius comœdiæ.
  20. Vide Stobæum, Serm. CCXXXVII.
  21. Plutarch., de Fortunâ Alexandri, lib. II, pag. 334. Je me sers de la version d’Amiot.
  22. Plut., de vitioso Pudore, pag. 531. Je me sers de la même traduction.
  23. Voyez l’article Daurat, remarque (F).
  24. Pellisson, Hist. de l’Académie Franç., pag. 278.
  25. Diod. Siculus, lib. XI, c. XXXVIII. Je citerai ses paroles dans la dernière remarque.
  26. Arist., de Repub., lib. V, cap. X. J’ai cité ses paroles dans la remarque (N) de l’article d’Euripide.
  27. Quint. Curtius, lib. VI, cap. XI.
  28. Euseb., in Chron., num. 1585. Helvicus embrasse cette opinion.
  29. Calvisius, ad ann. mundi 3534.
  30. Petav. Rationar. Tempor., part. II, lib. II, sub fin. ex Dexippo.
  31. Diod. Sicul., lib. XIV, c. XXXVIII.
  32. Calvis., ad annum mundi 3550, pag. 156, col. 2.
  33. Athen., lib. V, cap. XVIII, pag. 217, E.
  34. Casaubon., in Athen., pag. 384.
  35. Idem, ibid., pag. 385.
  36. Il appartient à la 2e. année de l’olympiade LXXXVII.
  37. Scaliger, Animadv. in Eusebium, num. 1585, pag. 106.
  38. Thucydides, lib. VI, pag. 341.
  39. Salmasius, Exercitat. Plin., pag. 156, 157.
  40. Scaliger, Animadv. in Eusebium, num. 1585, pag. 106.
  41. Arist., de Repub., lib. V, cap. X, pag. 305.
  42. Idem, ibidem.
  43. Idem, ibidem.
  44. Plutarch., in Amatorio, pag. 768, F.
  45. Plato, in Alcibiade posteriore, pag. 453, 454 ; Æliani Var. Hist., lib. VIII, cap. IX.
  46. Obertus Gifan., in cap. X, lib. V Politic. Aristot., pag. 669.
  47. Idem, ibid.
  48. De hoc bello Archelai adversùm Sirram et Arribæum.…. videatur Thucyd. lib. IV. Gisanius, in Politic. Aristot., lib. V, cap. X, pag. 669.
  49. Idem, ibidem.
  50. Dans la remarque (C).
  51. Diod. Sicul., lib. XIV, cap. XXXVII.
  52. Ἀρχέλαος ὁ βασιλεὺς ἔν τινι κυνηγίῳ πληγεὶς ἀκουσίως ὑπὸ Κρτεροῦ τοῦ ἐρωμένου. Archelaus rex venationi indulgens à Cratero quem in deliciis habebat imprudenter sauciatus. Diodor. Siculus, lib. XIV, cap. XXXVII.
  53. Idem, ibidem.

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