Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Archélaüs 4

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ARCHÉLAÜS, roi de Cappadoce, au temps d’Auguste, était arrière-petit-fils d’Archélaüs, Cappadocien de nation [a], général d’armée en Grèce pour Mithridate contre Sylla. Ce général, qui s’était tant signalé à la défense du Pirée [b], abandonna le parti de Mithridate dans la seconde guerre, et prit celui des Romains. Il laissa un fils nommé comme lui Archélaüs qui, sur la nouvelle que les Romains allaient attaquer les Parthes, se rendit auprès de Gabinius, gouverneur de Syrie, pour avoir part à l’expédition [c]. Le sénat changea de dessein : l’armée de Gabinius fut destinée au rétablissement du roi d’Égypte [d], qui avait imploré l’assistance du peuple romain, pour recouvrer la couronne sur sa propre fille Bérénice. Archélaüs accompagna Gabinius dans cette guerre ; mais il le quitta pour s’en aller à Alexandrie, où il épousa Bérénice (A). Il ne posséda pas longtemps la couronne qu’il acquit par ce mariage ; car il perdit la vie au bout de six mois [e], dans un combat contre les troupes de Gabinius, l’an de Rome 698 (B). Il avait obtenu de Pompée une dignité fort honorable (C) : c’était le pontificat de Comane dans la Cappadoce [f]. Son fils Archélaüs la posséda après lui [g], jusqu’à ce que César la lui eût ôtée, l’an 707 de Rome, pour la donner à un autre (D). On ignore la suite de ses aventures ; mais on sait qu’il fut marié à une très-belle femme, nommée Glaphyra, et qu’il en eut deux garçons, dont l’un s’appelait Sisinna, et l’autre s’appelait Archélaüs. Le premier disputa le royaume de Cappadoce à Ariarathes, qui le possédait. Marc Antoine fut juge de ce différent, l’an 713 de Rome, et le termina selon les désirs de Sisinna [h]. Le beau sexe avait trop de pouvoir sur lui, et Glaphyra était une trop belle femme, pour que le procès eût une autre issue. Il y a des historiens qui la traitent de courtisane [i] : c’est le moyen de faire beaucoup mieux comprendre pourquoi Marc Antoine jugea si favorablement pour Sisinna : mais quelque vraisemblance qu’il y ait dans ces médisances, il ne serait pas impossible que l’amitié de Marc-Antoine pour cet Archélaüs qui épousa Bérénice [j] l’eût fait agir. On ne sait point ce que Sisinna devint : on sait seulement qu’Ariarathes remonta sur le trône de Cappadoce ; car il fallut que Marc Antoine l’en chassât l’an 718 de Rome : et alors il conféra ce royaume à Archélaüs, autre fils de Glaphyra [k]. C’est celui qui paraît à la tête de cet article. Il devint fort puissant [l], et il témoigna sa reconnaissance à Marc Antoine son bienfaiteur, en lui amenant de bonnes troupes durant la guerre Actiaque [m]. Il fut si heureux, que cela ne le mit point mal dans l’esprit d’Auguste : on le laissa possesseur de la Cappadoce, et il fut presque le seul à qui l’on fit de pareilles grâces [n]. Il aida Tibère, l’an 734, à rétablir Tigranes dans l’Armémie [o], et il obtint d’Auguste la petite Arménie, et une bonne partie de la Cilicie [p]. Il établit sa résidence dans l’île d’Éleuse (E), proche de la côte de Cilicie ; et s’étant marié avec Pythodoris, veuve de Polémon, roi du Pont, il augmenta considérablement sa puissance ; car, comme les fils de Polémon n’étaient encore que des enfans, il eut sans doute l’administration de leur royaume conjointement avec leur mère (F). Il se signala d’une manière éclatante à faire sa cour à Caïus César, envoyé dans l’Orient par Auguste son grand-père [q]. Cela lui fut très-funeste dans la suite (G) : car Tibère, se souvenant qu’il n’avait reçu aucune civilité de lui pendant son séjour à Rhodes, et qu’au contraire Caïus César en avait reçu mille honneurs, s’en voulut venger dès qu’il se vit maître de Rome ; et pour cet effet, il le cita, et lui donna le sénat pour juge (H) des accusations qu’on aurait à lui intenter. L’âge, la goutte, et plus que tout cela l’indignité du traitement, le firent bientôt mourir (I), encore que le sénat n’eût rien prononcé contre lui. On croit qu’il évita l’arrêt du sénat, en faisant semblant d’extravaguer (K). Il mourut l’an de Rome 770, le 52e. de son règne, après quoi la Cappadoce fut réduite en province (L). On se vantait d’une très-ancienne et très-glorieuse race dans sa maison (M). Nous dirons dans l’article de Glaphyra quelque chose de ses descendans. Il n’est pas hors d’apparence qu’il ait composé des livres (N). L’adresse dont il se servit pour apaiser l’indignation farouche d’Hérode envers Alexandre son fils, témoigne qu’il savait faire des tours de maître [r]. Quelques-uns l’ont confondu avec Archélaüs fils d’Hérode (O). Je n’ai point trouvé qu’Eutrope dise ce qu’un auteur moderne lui impute ; savoir qu’Archélaüs légua son royaume, en mourant, au peuple romain, et que ce fut sur ce titre que la Cappadoce fut réduite en province [s]. M. de Tillemont pouvait être très-assuré d’une chose dont il doute [t] ; c’est que le même Archélaüs, qui était roi de Cappadoce, obtint par la faveur d’Auguste une partie de la Cilicie, et l’Arménie mineure. M. Moréri a fait plusieurs péchés d’omission dans cet article. Son continuateur n’en a fait qu’un de commission ; mais qui en vaut quatre, tant il est énorme (P). On verra ce que c’est dans la dernière remarque de cet article.

  1. Plutarch., in Syllâ, pag. 466, C.
  2. Appian., in Mithridat. Voyez la dernière remarque.
  3. Strabo, lib. XII, pag. 384, et lib. XVII, pag. 547. Dio, lib. XXXIX.
  4. Il s’appelait Ptolomée Aulètes.
  5. Strabo, lib. XVII, pag. 547.
  6. Idem, lib. XII, pag. 384.
  7. Idem, ibid.
  8. Appian., lib. V Belli civilis, pag. 675.
  9. Voyez l’article Glaphyra.
  10. Plutarchus, in Antonio, pag. 917.
  11. Dio, lib. XLIX, pag. 469.
  12. Voyez la remarque (L), à la fin.
  13. Plutarchus, in Antonio, pag. 944.
  14. Dio, lib. LI, initio.
  15. Josephus, Antiquitates, lib. XV, cap. V.
  16. Dio, lib. LIV, ad ann. 734. Vide etiam Strabonem, lib. XII, pag. 368 et 382, et lib. XIV, pag. 461.
  17. L’an de Rome 753.
  18. Joseph. Antiquit., lib. XVI, cap. XII, et de Bello Judaïco, lib. I, cap. XVII.
  19. Noldius, de Vitâ et Gestis Herodum, pag. 194.
  20. Histoire des Empereurs, tome I, pag. 33.

(A) Il épousa Bérénice. ] Nous ferons un article de cette princesse, où nous examinerons si le père Noris a dû dire qu’elle attira Archélaüs, en lui promettant de l’épouser.

(B) Il perdit la vie dans un combat contre les troupes de Gabinius, l’an de Rome 608. ] Ceci ne s’accorde point avec le XVIIe. livre de Strabon, où on lit que Ptolomée, ayant été rétabli dans son royaume, fit mourir sa fille, et son gendre Archélaüs. Je ferai voir, dans l’article de Bérénice, que Strabon s’est trompé là, et qu’il s’est même contredit. Comptez à coup sûr pour une faute de Moréri ces paroles : Ptolomée, ayant été rétabli en 699, fit mourir Archélaüs et Bérénice.

(C) Il obtint de Pompée une dignité fort honorable. ] Le père Noris prétend que le pontife de Comane était souverain du lieu. Hunc Archelaum, dit-il [1], Pompeius sacerdotem Bellonæ ac Comanorum principem (utraque enim dignitas unà eidemque conferebatur) constituerat, cuivis Dynastæ parem opibus, ex Appiano in Mithridat, pag. 252. Nous examinerons en un autre lieu [2] s’il a raison.

(D) César ôta cette dignité au fils d’Archélaüs, pour la donner à un autre. ] Hirtius raconte que César disposa de ce bénéfice en faveur de Nicomèdes qui alléguait de fort justes prétentions : Id homini nobilissimo Nicomedi Bithynio adjudicavit, qui regio Cappadocum genere ortus, propter adversam fortunam majorum suorum mutationemque generis jure minimè dubio, vetustate tamen intermisso, sacerdotium id repetebat [3]. Le père Noris assure que César conféra cette dignité à Lycomèdes, après avoir vaincu Pharnaces ; mais tous ceux qui consulteront Hirtius verront aisément que ce fut avant le combat. Quant au nom de Lycomèdes, on le voit dans les éditions de Strabon [4]. Il est certain aussi que l’on voit dans Dion un Lycomède dépouillé de ses états par Auguste, après la fuite de Marc Antoine [5], et qu’il pourrait bien être celui que César éleva au pontificat de Comane ; car il régnait dans une partie de la Cappadoce. On en fera ce qu’on voudra. L’épithète de Bithynien, dont Hirtius s’est servi, favorise plus la leçon de Nicomèdes [6] que celle de Lycomèdes.

(E) Il établit sa résidence dans l’île d’Eleuse. ] C’est ce que Strabon et Josephe nous apprennent : Post Corycum Eleusa insula est continenti propinqua. Eam Archelaüs condidit ac regiam sibi fecit, cùm totam asperam Ciliciam, exceptâ Seleuciâ, esset nactus [7]. Josephe remarque qu’Hérode, ayant abordé à Éleuse dans la Cilicie, y trouva Archelaüs, roi de Cappadoce [8]. C’est là que les envoyés d’Hérode eurent ordre de porter la lettre qu’il écrivait à Archélaüs [9]. Cet historien observe qu’Éleuse s’appelait Sebaste [10]. Ne serait-ce point Archélaüs qui, pour faire sa cour à Auguste, aurait fait ce changement de nom ?

(F) Il eut sans doute l’administration du royaume de Pont. ] Le père Noris l’affirme rondement et absolument [11] : j’ai mieux aimé employer une expression qui signifiât, non pas qu’on trouve ce fait dans les anciens livres ; mais qu’on le doit juger très-conforme aux apparences. Ce qui m’a porté à me servir de ce petit ménagement est de voir que Strabon ne dit autre chose, si ce n’est que Pythodoris demeura avec son mari Archélaüs pendant qu’il vécut : Αὐτὴ δὲ συνῴκησεν Ἀρχελάῳ, καὶ συνέμεινεν ἐκείνῳ μέχρι τέλους [12]. Ipsi Archelao nupsit, et cum eo dum is in vivis permansit vitam exegit. Elle savait commander : il ne serait donc pas impossible qu’elle eût voulu gouverner seule les états de ses enfans : Γυνὴ σώϕρων καὶ δυνατὴ προί̈ςασθαι πραγμάτων [13], prudens mulier et prœesse rebus gnara.

(G) Ses soins pour C. César lui devinrent très-funestes dans la suite. ] J’ai déjà remarqué plus d’une fois que tel qu’on méprise est destiné par la Providence à une haute fortune [14] : malheur alors à ceux qui l’ont méprisé. Peu de gens sont aussi équitables que Louis XII, qui disait qu’un roi de France ne devait pas venger les injures faites au duc d’Orléans. Notre Archélaüs agissait selon les lumières de la politique : il savait qu’Auguste aimait tendrement son petit-fils ; et, selon toutes les apparences, ce jeune prince devait succéder à son aïeul. Tibère, dans l’île de Rhodes, était dans une espèce de disgrâce, qui ne lui présageait point l’empire. Archélaüs croyait ne hasarder rien en le négligeant, et on l’avertit même qu’il se commettrait en cultivant cette amitié. Il crut que tous les honneurs qu’il rendait à Caïus César seraient un fonds assuré de biens et de récompenses pour toute sa vie. Il se trompa : il ne connut pas assez l’habileté de Livie à débarrasser pour son fils le chemin du trône. Caïus, et son frère, ne vécurent pas long-temps : elle en savait apparemment la raison. Après tout, la plus fine politique est le plus souvent de ménager, lors même qu’ils sont en disgrâce, tous ceux qu’on voit dans la route du grand pouvoir [15]. Apportons les autorités qui nous apprennent le ressentiment de Tibère : Rex Archelaüs, c’est Tacite qui parle [16], quinquagesimum annum Cappadocia potiebatur, unvisus Tiberio quòd eum Rhodi agentem nullo officio coluisset : nec id Archelaüs per superbiam omiserat, sed ab intimis Augusti monitus, quia florente Caio Cæsare, missoque ad res Orientis intuta Tiberii amicitia credebatur. Dion dit à peu près la même chose : Tiberius Cappadociæ Regem Archelaum, infensus ei quia cùm olìm sibi is supplicâsset, suoque patrocinio usus, cùm ab incolis apud Augustum accusaretur, fuisset, Rhodi se neglexisset, ad Catum in Asiam venientem officiosè coluisset, insimulatum quasi novis rebus studeret, evocavit Romam [17]. Nous apprenons de ce passage que Tibère se plaignait non-seulement de l’incivilité d’Archélaüs, mais aussi de son ingratitude. La circonstance du lieu pouvait encore aigrir l’’empereur ; car l’île d’Éleuse, résidence d’Archélaüs, n’était éloignée de Rhodes que de quinze mille pas [18].

(H) Tibère le cita, et lui donna le sénat pour juge. ] C’est Dion qui le rapporte : Insimulatum quasi novis rebus studeret, evocavit Romam, ac Senatûs judicio tradidit [19]. C’était donc d’un crime d’état que l’on l’accusait. Tacite ne semble pas donner là : il insinue fort clairement que Tibère eut la bonne foi de ne se plaindre que de l’incivilité d’Archélaüs, et qu’il lui fit espérer que par sa présence et par ses prières, il pourrait obtenir pardon : Ut versâ Cæsarum sobole imperium adeptus est, elicit Archelaum matris litteris, quæ non dissimulatis offensionibus clementiam offerebat, si ad precandum veniret [20]. Cette bonne foi sur l’article des offenses personnelles cachait un piége très-dangereux. Le roi de Cappadoce ne l’aperçut pas, ou n’osa agir en homme qui s’en fût aperçu. Il partit de la main pour se rendre à Rome, fut très-mal reçu de Tibère, et se vit peu après mis en justice : Ille ignarus doli, vel si intelligere crederetur vim metuens, in urbem properat, exceptusque immiti à principe, et mox accusatus in Senatu [21]. Suétone n’a parlé qu’en gros de cette action de Tibère : Reges infestos suspectosque comminationibus magis et querelis quàm vi repressit : quosdam per blanditias atque promissa extractos ad se non remisit, ut.... Archelaum Cappadocem [22]. Je ne sais si Archélaüs, malgré son âge, ne fut point tenter de remuer quelque chose après le décès d’Auguste ; car il est parlé d’un de ses complots [23], qui ne peut concerner que ce temps-là.

(I) L’âge, la goutte.... le firent bientôt mourir. ] Continuons d’entendre Tacite : Hox accusatus in Senatu non ob crimina quæ fingebantur, sed angore, simul fessus senio, et quia regibus æqua nedum infima insolita sunt, finem vitæ spontè an fato implevit. Cet historien ne sait si Archélaüs se fit mourir, ou s’il succomba sous le poids de son infortune ; mais on peut inférer de son récit que ce prince ne fut point condamné, et encore moins puni de mort. Dion nous apprendra plus de circonstances.

(K) On croit qu’il évita l’arrêt du sénat, en faisant semblant d’extravaguer. ] Dion assure qu’Archélaüs, accablé de sa vieillesse, passait pour un homme qui radotait ; qu’il avait néanmoins tout son bon sens, mais qu’il contrefit le fou, parce qu’il ne voyait que ce seul moyen de sauver sa vie [24] ; qu’avec tout cela, il aurait passé le pas, si un faux témoin n’avait été l’accuser de s’être servi de menaces, et d’avoir dit que, quand il serait retourné en son royaume, il montrerait à Tibère qu’il ne manquait point de vigueur. Cela fit rire, et détourna Tibère du dessein de le faire mourir. Il était si faible, si atténué, qu’il le fallut porter en litière dans le sénat. Dion ajoute que, pour le coup, Archélaüs évita la mort ; mais qu’il mourut peu après. Le texte de ma remarque n’est point démenti par Dion ; car si le faux témoin sauva la vie à Archélaüs, ce ne fut qu’à cause qu’on jugea que les menaces dans un homme aussi confisqué que lui étaient une preuve certaine de délire, de radoterie, de rechute dans l’état d’enfance, etc. À ceci peut-on connaître que Xiphilin n’avait pas le goût fort bon. Il a supprimé la feinte folie d’Archélaüs. Or c’est un fait qu’il fallait garder, quelque court que l’on voulût être. David, Brutus, et quelques autres se sont utilement servis de cette feinte : j’en conviens ; mais ce sont pourtant des aventures singulières, et qu’un abréviateur doit retenir. N’oublions pas que Dion observe qu’Archélaüs avait été autrefois réellement fou, à telles enseignes qu’Auguste lui avait donné un tuteur qui fut régent du royaume. Je ne sais si ce ne serait point en cette rencontre qu’il eut recours à la protection de Tibère. Il y eut recours se voyant accusé par ses sujets ; mais ne pourrait-il pas avoir été accusé de folie, dans un temps qu’il lui restait assez de raison pour souhaiter qu’on ne le mit point en tutelle, et pour soutenir que ses sujets par belle malice le voulaient faire passer pour incapable du gouvernement ? Il serait difficile d’éclaircir cela. Les anciens historiens avaient tellement pour maxime de ne rapporter que le gros des choses qu’ils ne fournissent guère de lumières par rapport à certains petits détails. Leur maxime est très-bonne ; mais il y a un art de spécifier les faits en peu de mots et en passant, qui serait d’un grand usage si on le voulait, ou si on le savait pratiquer. Une histoire in-folio, par le moyen de cet art, lèverait mille disputes, éclaircirait cent choses particulières, sans être plus longue de cinquante pages.

(L) Après sa mort, la Cappadoce fut réduite en province. ] Velleius Paterculus, Tacite, Dion et plusieurs autres l’assurent formellement [25]. Voici les propres termes des trois premiers : Tib. Cæsar.... ut has armis ità auctoritate Cappadociam populo R. fecit stipendiarium [26]. Regnum in provinciam redactum est [27]. Paulò post obiit (Archelaüs) ac indè Cappadocia quoque Romanorum juris effecta, equitique regenda data [28]. Ce fut Germanicus qui exécuta cet ordre [29]. Appien s’est donc bien trompé, lorsqu’il a dit que le royaume de Cappadoce fut réduit en province sous Auguste [30]. Le père Noris, qui a relevé cette faute d’Appien, en a trouvé deux bien considérables dans Riccioli, l’une de généalogie, et l’autre de chronologie [31]. Les paroles qu’il rapporte de cet auteur sont celles-ci : Summoto Mithridate, creatus est Cappadocum consensu à Romanis Ariobarzanes ; tandem Archelao pronepote mortuo Romæ consulibus C. Cælio Rufo et L. Pomponio, ut ait Tacitus, id est anno 84 ante Christum, desiit regnare in Cappadociâ [* 1]. Ces paroles ont tout l’air d’un passage mutilé : il n’est point rare que des imprimeurs sautent des lignes tout entières. Quoi qu’il en soit, Archélaüs ne descendait point d’Ariobarzane ; voilà l’erreur généalogique de Riccioli ; et le consulat de C. Cælius Rufus et de L. Pomponius, sous lequel il mourut à Rome, tombe à l’an 17 de Jésus-Christ : voilà l’erreur de chronologie. Strabon témoigne en termes formels qu’Archélaüs n’était point parent d’Ariobarzane : Ità rex ab iis factus est Ariobarzanes, cujus in tertiâ stirpe genus defecit. Exindè Archelaüs ab Antonio rex est constitutus nulla affinitate ipsis conjunctus [32]. L’erreur que Noldius impute à Jornandes est bien différente de celle d’Appien. Il veut que la Cappadoce soit devenue une province sous l’empereur Claude, et cela en vertu du testament d’Archélaüs [33]. Au reste, les revenus de la Cappadoce étaient si considérables, lorsqu’Archélaüs mourut, que Tibère se crut en état, par l’acquisition qu’il en fit, de se passer de la moitié d’un impôt qu’il faisait lever : Regnum (Archelai) in provinciam redactum est, fructibusque ejus levari posse centesimæ vectigal professus Cæsar, ducentesimam in poterum statuit [34]. Il soulagea même cette province, et n’en voulut pas tirer tout ce qu’elle avait fourni au dernier roi [35].

(M) On se vantait d’une très-ancienne et très-glorieuse race dans sa maison. ] Glaphyra, fille du dernier Archélaüs, et femme d’Alexandre, fils d’Hérode, parlait souvent de la noblesse de sa maison, et se vantait de descendre de Temenus, du côté paternel, et de Darius, fils d’Hystaspes, du côté maternel [36].

(N) Il n’est pas hors d’apparence qu’il ait composé des livres. ] Pline nous fournit toute cette probabilité. Il cite plusieurs fois Archélaüs, et l’on juge qu’en deux endroits il entend Archélaüs roi de Cappadoce. Il lui donne cette qualité dans l’une de ces deux citations : Archelaüs qui regnavit in Cappadociâ, dit-il [37] ; et comme il s’agit là de certaines particularités qui concernent l’ambre, le père Hardouin ne doute pas qu’il ne faille entendre le même Archélaüs dans le chapitre VII du XXXVIIe. livre de Pline, où un Archelaüs est cité touchant les propriétés d’une espèce de pierre précieuse [38]. Il ne doute point non plus que cela ne soit tiré du livre de Lapidibus cité par Plutarque [39]. Je m’en rapporte à ce qui en est ; et, pour dire quelque chose de plus certain, j’indiquerai un endroit de Pline, où Archélaüs est compté parmi les rois qui ont écrit de l’agriculture [40]. J’ai parlé ci-dessus [41] d’un autre Archélaüs que Pline allègue souvent.

(O) On l’a confondu avec Archélaüs fils d’Hérode. ] Le père Noris a convaincu Riccioli de cette faute [42]. Ce dernier auteur a prétendu que Tibère plaida pour Archélaüs devant Auguste, dans le procès qu’Archélaüs eut avec ses frères, touchant la succession d’Hérode, et il prétend le prouver par ce passage de Suétone : Civilium officiorum rudimentis Archelaum, Trallianos, et Thessalos, variâ quosque de causâ, Augusto cognoscente defendit [43] : et comme Velleius Paterculus lui apprend que Tibère quitta Rhodes pour retourner à Rome, l’an 755, il conclut qu’en cette année-là, et non pas en 751 ou plus tôt, Archélaüs fut fait ethnarque. Le père Noris lui montre par le passage de Dion, rapporté ci-dessus [44], que les paroles de Suétone se doivent entendre d’Archélaüs roi de Cappadoce. Il pouvait ajouter une instance qui ruine l’hypothèse de Riccioli, c’est que Tibère soutint la cause d’Archélaüs avant que d’aller à Rhodes. Cela est clair par les paroles de Dion, et se peut inférer manifestement de celles de Suétone, qui met le plaidoyer pour Archélaüs en tête de toutes les causes entreprises par Tibère, lorsqu’il fit, si j’ose parler ainsi, ses premières campagnes de robe longue : civilium officiorum rudimenta. Torrentius croit, tout comme Riccioli, que Suétone a voulu parler du grand procès d’Archélaüs fils d’Hérode, et il nous renvoie à Josèphe [45]. Comment n’a-t-on point vu que Josèphe n’eût point ignoré ce bon office de Tibère, et qu’il en aurait parlé, s’il l’avait su ? J’ai été surpris que le père Noris, qui fait de si fréquentes et de si vigoureuses sorties sur le jésuite Salian, l’ait épargné en cette rencontre. Ce jésuite est tombé dans la même faute que Riccioli : il a censuré Casaubon d’avoir appliqué [46] le passage de Suétone à Archélaüs, roi de Cappadoce : il lui a représenté que la cause de ce prince fut agitée sous l’empire de Tibère ; il a soutenu qu’il faut donc entendre ici Archélaüs fils d’Hérode ; et il a prouvé, par cette supposition, que Jésus-Christ demeura deux ans en Égypte : car, dit-il, Tibère n’était pas encore retourné à Rome l’an 2 de Jésus-Christ : il était pourtant à Rome lorsque Archélaüs disputa avec ses frères sur la succession d’Hérode, puisqu’il l’honora de sa protection [47]. Voilà comment on entasse faute sur faute, dès qu’on pose mal son fondement. Il est clair comme le jour que le roi de Cappadoce eut un procès devant Auguste, avant que Tibère se retirât dans l’île de Rhodes [48].

(P) Le continuateur de Moréri fait à l’occasion d’Archelaüs une faute énorme. ] Il dit que Scylla (c’est son orthographe), après avoir pris la ville d’Athènes, tua lui-même Archélaüs, général des troupes de Mithridate, au pied des autels, où il s’était réfugié. On cite Aulu-Gelle, l. XIV. Il est certain qu’Aulu-Gelle, au chapitre Ier. du XVe. livre, parle d’une chose dont le continuateur a fait mention, je veux dire d’un expédient employé par Archélaüs pour empêcher que les Romains ne brûlassent une tour de bois qui défendait le Pirée : nous verrons ci-dessous ce que c’est ; mais il est très-faux qu’il dise qu’Archélaüs se réfugia dans un temple, et que Sylla le tua lui-même au pied des autels. Je ne pense pas qu’aucun auteur digne de foi ait dit cela ; car c’est un fait notoire qu’Archélaüs ayant contraint Sylla d’abandonner les attaques du Pirée, et de s’attacher uniquement à la ville, eut le temps de se retirer lorsqu’il la sut prise d’assaut [49]. Sylla le poursuivit, et gagna sur lui de grandes victoires, et l’obligea de faire la paix à des conditions désavantageuses. Archélaüs, se voyant soupçonné de malversation [50], n’osa se fier à Mithridate, et vint trouver Muréna, qui commandait les Romains. Il fut reçu avec honneur, comme Strabon l’a remarqué en plus d’un endroit : Ἦν δὲ οὗτος Ἀρχέλαος ὑιὸς μὲν τοῦ ὑπὸ Σύλλα καὶ τῆς συγκλήτου τιμηθέντος [51]. Fuit hic Archelaus filius ejus cui à Syllâ et senatu honor est habitus.

Le secret de préserver sa tour de bois consistait à la bien frotter d’alun. Je pense que Quadrigarius est le seul historien qui en ait parlé. Les autres disent que ses tours et ses machines furent ruinées par les assiégeans. Il est bien certain que l’alun n’a point la vertu dont Quadrigarius parle. Voici ses paroles : Tum Sulla conatus est et tempore magno eduxit copias ut Archelai turrim unam, quam ille interposuit, ligneam, incenderet. Venit, accessit, ligna subdidit, submovit Græcos, ignem admovit, satis sunt diù conati, nunquàm quiverunt incendere : ità Archelaus omnem materiam obleverat alumine, quod Sulla atque milites mirabantur : et, postquàm non succendit, reduxit copias [52]. Si M. l’abbé de la Roque avait eu connaissance de cet endroit d’Aulu-Gelle, il n’aurait pas dit que « l’histoire remarque que Sylla entreprit autrefois de brûler une tour de bois qu’un des lieutenans de Mithridate défendait, et qu’il n’en put jamais venir à bout, parce qu’elle était enduite d’une certaine drogue dont le nom n’est pas venu jusqu’à nous, qui avait la vertu de réprimer l’activité du feu [53]. » Deux choses m’étonnent : l’une, que puisque Quadrigarius a parlé d’un accident si peu ordinaire, tous les autres historiens n’en aient pas fait mention ; l’autre, que puisque tant d’historiens n’en ont dit mot, Quadrigarius en ait parlé d’une manière si précise. Ces sortes de faits frappent de telle manière les esprits, que la tour de bois incombustible eût été la dernière chose que les relations auraient omise. Sylla l’eût infailliblement insérée dans ses mémoires. Plutarque, qui les cite si souvent [54], l’y aurait vue, et n’aurait eu garde de s’en taire. Concluons de son silence, et de celui de tant d’autres historiens, que le fait est faux. Mais d’où est-ce que Quadrigarius l’avait pris ? Je crois qu’il n’est pas possible de déterrer l’origine de son erreur. Il est bien vrai que l’alun de plume résiste au feu, et ne se consume point ; mais en frotter une tour de bois et la rendre incombustible par ce moyen, est une chose que je crois impraticable.

  1. (*) Riccioli, Chron. Reformat., tom. I, lib. V, cap. IX, num. 5.
  1. Noris, Cenotaph. Pisana, pag. 255.
  2. Dans l’article Comane.
  3. Hirtius, de Bello Alexandrino, pag. 416.
  4. Lib. XII, pag. 384.
  5. Dio, lib. LI, init.
  6. C’est celle des éditions d’Appien in Mithridat., sub fin.
  7. Strabo, lib. XIV, pag. 461.
  8. Joseph., Antiquit., lib. XVI, cap. VIII.
  9. Idem, ibidem, cap. XVI.
  10. Idem, ibidem, cap. VIII.
  11. Noris, Cenotaph. Pisana, pag. 227. Il ne cite personne.
  12. Strabo, lib. XII, pag. 383.
  13. Idem, ibidem, pag. 382.
  14. Voyez la fin du texte et la remarque (B) de l’article d’Apollodore l’architecte.
  15. Pomponnius Atticus se trouva bien d’une semblable conduite. Voyez la remarque (A) de son article.
  16. Tacit., Annalium lib. II, cap. XLII.
  17. Dio, lib. LVII.
  18. Strabo, lib. XIV, pag. 448.
  19. Dio, lib. LVII.
  20. Tacit., Annalium lib. II, cap. XLII.
  21. Idem, ibid.
  22. Sueton., in Tiberio, cap. XXXVII. Voyez aussi Eutropii lib. VII.
  23. Philostr., in Vitâ Apoll., lib. I, cap. VII.
  24. M. de Tillement, Histoire des Empereurs, tom. I, pag. 107, impute faussement à Dion d’avoir dit qu’Archélaüs fut absous par le sénat, en faisant semblant d’avoir perdu l’esprit.
  25. Strabo, lib. XII, pag. 368. Sueton., in Tiber., cap. XXXVII. Eutrop., lib. VII, cap. VI.
  26. Paterc., lib. II, cap. XXXIX.
  27. Tacit., Annal., lib. II, cap. XLII.
  28. Dio, lib. LVII, pag. 614.
  29. Suet., in Calig., cap. I. Tacit., Annal., lib. II, cap. LVI.
  30. Appianus, in Mithridaticis, pag. 244, apud Noris, Cenot. Pisan., pag. 241.
  31. Noris, Cenot. Pisan., pag. 226.
  32. Strabo, lib. XII, pag. 273.
  33. Jornand., de Regnor. et Tempor. Successior., pag. 645, apud Noldium, de Vitâ Herod., pag. 194.
  34. Tacit., Annal., lib. II, cap. XLII.
  35. Idem, ibid., cap. LVI.
  36. Joseph., de Bello Jud., lib. I, cap. XVII.
  37. Plinius, lib. XXXVII, cap. III, pag. 371.
  38. Harduin., in Indice Autor. Plinii. Voyez aussi Malincrot, Paralipom., pag. 60.
  39. Plut., de Fluviis, pag. 1153.
  40. Plin., lib. XVIII, cap. III, pag. 440.
  41. Dans la remarque (C) de l’article Archélaüs le philosophe.
  42. Noris, Cenot. Pisan., pag. 148.
  43. Suet., in Tiberio, cap. VIII.
  44. Citation (17).
  45. Torrent. in Sueton., Tiber., cap. VIII, et nous renvoie à Euseb., in Chron. et Eccles. Histor., lib. I, et à Josephe, Antiquit., lib. XVII, cap. XI.
  46. Comment. in Suetonium.
  47. Saliani Annales, in Scholis, ad ann. 3 Christi, num. 7.
  48. Voyez Noldius, de Vitâ et Gestis Herodum, pag. 194, et seq.
  49. Vide Appian., in Mithridat.
  50. L’Epitome de Tite-Live marque qu’Archélaüs livra la flotte de Mithridate aux Romains. Aurelius Victor dit que Sylla classem Mithridatis proditione Archelai intercepit.
  51. Strabo, lib. XII, pag. 384. Voyez aussi lib. XVII, pag. 547.
  52. Apud Aul. Gel., lib. XV, cap. I.
  53. Journ. des Savans, du 15 février 1677, pag. 54.
  54. Plutarch., in Vitâ Syllæ.

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