Du devoir des catholiques dans la question de la liberté d’enseignement/Chapitre XI

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Du devoir des catholiques dans la question de la liberté d’enseignement
Au bureau de l’univers (p. 40-44).
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XI


Nous sommes loin d’avoir épuisé la série des arguments qui établissent en général une opposition radicale entre les intérêts et les droits du catholicisme d’une part, et les prétentions de l’Université de l’autre. Mais il convient d’entrer dans l’examen des circonstances spéciales où se trouve en ce moment la question de la liberté d’enseignement, et de passer en revue les motifs de satisfaction et d’alarmes qui doivent dériver pour nous des discussions récentes.

Le premier et le plus décisif des avantages que nous avons obtenu a été d’avoir frappé l’attention en soulevant un vaste coin du voile sous lequel se dérobaient, aux yeux des observateurs superficiels ou insouciants, la véritable nature de l’enseignement universitaire et les véritables dispositions de ses organes. Il est peu de catholiques, je pense, qui aient pu conserver des illusions à ce sujet, après la publication si providentielle des fragments posthumes de M. Jouffroy ; il en est peu qui soient restés sourds à l’avertissement contenu dans les paroles mémorables où cet infortuné, si vanté et si regretté par nos adversaires, a raconté quel avait été pour lui le résultat de la science qu’il enseignait au nom de l’État à la jeunesse française. « La divinité du christianisme une fois mise en doute à mes yeux,… je sus alors qu’au fond de moi-même il n’y avait rien qui fût debout, que tout ce que j’avais cru sur moi-même, sur Dieu et sur ma destinée en cette vie et en l’autre, je ne le croyais plus… Puisque je rejetais l’autorité qui me l’avait fait croire, je ne pouvais plus l’admettre[1] ! » Elles resteront ces paroles, malgré les efforts que l’Université a faits pour les anéantir ; elles resteront comme un témoignage irréfutable de la nature réelle de l’enseignement qu’on substitue à celui de l’Église, et qu’on prétend imposer par la ruse et la force aux générations futures.

L’effet de cette première et précieuse révélation a été complété par l’excellente discussion entamée contre l’Université par M. l’évêque de Chartres, avec un zèle et une franchise qu’on ne saurait assez admirer, tandis que les paroles énergiques qu’employaient M. le cardinal de Bonald et M. l’évêque de Belley, pour mettre en garde leurs fidèles contre les chaires de pestilence, trouvaient leur justification immédiate dans une foule de citations chaque jour renouvelées, et jusqu’à présent demeurées sans réplique.

Après ces révélations écrasante : sur les antécédents littéraires des membres les plus considérables de l’Université ; après ce fameux rapport de son chef sur l’instruction secondaire, où la vérité est presque toujours déguisée quand elle n’est pas trahie, et où les droits de la liberté et de la religion sont si dédaigneusement passés sous silence ; après l’odieuse tentative faite par l’organe le plus accrédité du gouvernement et de l’Université pour rendre l’enseignement de nos séminaires suspect des plus abominables turpitudes ; enfin, après l’explosion simultanée des colères universitaires par la bouche de MM. Michelet[2], Pierquin de Gembloux[3], Libri[4] et Quinet[5], il faut être volontairement aveugle pour ne pas savoir à quoi s'en tenir sur l’esprit qui anime la majorité active du corps universitaire, et sur le degré de confiance que méritent les affirmations de M. Cousin et de M. Villemain, lorsqu’ils ont osé, l’un déclarer à la chambre des pairs[6] qu’il ne s'enseignait dans aucun des cours de philosophie du royaume une seule proposition directement ou indirectement contraire à la foi catholique ; et l’autre, dire solennellement au roi[7] que renseignement universitaire était irréprochable !



  1. Pages 113 et 115 de l’édition posthume, avant les coupures faites par MM. Cousin et Damiron.
  2. Leçons au Collège de France, publiées depuis par lui-même. M. Michelet a été longtemps professeur d’histoire dans un collège de Paris, puis maître de conférences pendant huit ans à l’École normale, où il a formé l'élite des jeunes professeurs de l’Université actuelle. Il dit de lui-même dans sa leçon du 26 mai (p. 75) : « On me connaissait dès lors par mes livres, et par mon enseignement de l’École normale, enseignement que mes élèves répandaient sur tous les points de la France.
  3. Discours contre les Jésuites, au Collège de Nevers. M. Pierquin est inspecteur de l’Académie de Bourges
  4. Revue des Deux Mondes, du 1er mai et du 15 juin 1843. M. Libri est professeur à la Faculté des Sciences de Paris, et depuis ses deux manifestes contre le clergé et la doctrine catholique, il a été nommé professeur au collège de France.
  5. Leçons du Collège de France, publiées par lui-même. M. Quinet a été professeur à la Faculté des Lettres de Lyon, avant d’être appelé au Collège de France, qui ne relève pas directement de l’Université. Il a, du reste, dans la susdite leçon, parfaitement posé la question qui nous occupe, en ces termes : « Quel est, selon l’esprit des institutions nouvelles, le droit de discussion et d’examen dans l’enseignement public ? En termes plus précis encore, un homme qui enseigne ici publiquement au nom de l’État, devant des hommes de croyances différentes, est-il obligé de s’attacher à la lettre d’une communion particulière, de porter dans toutes ses recherches cet esprit exclusif, de ne rien laisser voir de ce qui pourrait l’en séparer même un moment ? » Et il répond comme de raison par la négative ce qui l’autorise à annoncer à ses élèves un « Évangile renouvelé par les penseurs, les écrivains, les poëtes, les philosophes au Christ agrandi, renouvelé, sorti comme une seconde fois du sépulcre. » La logique de M. Quinet est sincère, et nous le croyons conséquent avec les bases actuelles de l’Université. Il a dit avec la franchise que comporte sa position ce qui est déguisé dans l’enseignement de l’ordre inférieur, et plus contrôlé que le sien. Il faut observer d’ailleurs que ni lui ni aucun des trois autres orateurs qui sesont constitués les défenseurs de l’Université, n’ont reçu la moindre marque d’improbation ou le moindre avertissement public de la part du Ministre qui, peu de jours auparavant, déclarait au roi que l’enseignement universitaire était irréprochable.
  6. Séance du 15 mai 1843
  7. Réception du 1er mai 1843, discours prononcé à la tête du Conseil Royal