Du devoir des catholiques dans la question de la liberté d’enseignement/Chapitre XIII

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Du devoir des catholiques dans la question de la liberté d’enseignement
Au bureau de l’univers (p. 47-51).
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XII


La sagesse vulgaire nous le dit : Rien n’importe plus que de bien connaître ses amis et ses ennemis. Or, le chef naturel de nos ennemis est le chef actuel de l’Université : à deux reprises différentes, et pendant près de quatre années, il a gouverné ce grand corps ; cela suffît et au-delà pour nous le faire connaître à fond. Nous pouvons donc arrêter notre jugement sur ce que nous avons à attendre de lui ; chose d’autant plus utile que, pendant longtemps encore, il est probable que M. Villemain présidera au département de l’Instruction publique. Non seulement les chances d’un changement de ministère semblent très-éloignées, mais, en supposant même que M. le maréchal Soult et M. Guizot dussent quitter le pouvoir, il ne faudrait pas en conclure que M. Villemain dût les suivre. Reconnaissons-le : M. Villemain s’est fait une position nouvelle et forte, dans le monde politique, à nos dépens, et par la violence habile de son langage au sujet de l’éducation religieuse. Qui ne se souvient de la façon dont cet orateur était décrié, bafoué par les journaux de la gauche dans les premiers temps de son ministère ? Aujourd’hui, et depuis que le même M. Villemain a insulté les jésuites à l’Académie française, et réprimé, comme ils disent, les prétentions catholiques à la tribune des deux chambres, ce n’est plus, dans ces mêmes journaux, qu’un concert d’éloges et de compliments. On le distingue même soigneusement de ses collègues ; ses moindres actes sont entourés de sympathie ; ses moindres paroles recueillies avec une sollicitude touchante ; tant il est vrai que pour tous ces prétendus libéraux, quelles que soient d’ailleurs leurs distinctions d’origine, de position ou même de patrie, l’inimitié contre les droits et les institutions de l’Église catholique établit toujours une alliance instinctive et intime. Si ses collègues voulaient aujourd’hui se débarrasser de lui, il deviendrait aussitôt l’idole d’une popularité redoutable ; s’ils tombent, et qu’il ait envie de leur survivre, nul doute qu’il ne le puisse à son gré : l’extrême facilité avec laquelle il s’est associé à la même politique qu’il flétrissait si énergiquement sous la coalition, ne permet pas de craindre qu’il se laisse arrêter par les légères différences qui pourront exister entre le ministère actuel et celui qui le remplacera un jour. Je suis convaincu que, tant que le pouvoir ne voudra pas accorder franchement la liberté de l’enseignement (et il ne le voudra jamais à moins d’y être contraint), M. Villemain sera le chef et l’âme de la résistance. J’ajouterai, pour ma part, que j’en félicite sincèrement la cause de la liberté, parce qu’en présence d’un tel adversaire on ne songera plus, sans doute, à des transactions, ni à des concessions funestes, qui eussent trop sûrement compromis l’avenir de l’éducation religieuse en France. Sous un homme droit et religieux comme M. de Salvandy, sous M. Cousin lui-même, lequel, pendant son ministère, ne paraissait pas encore atteint de cette sorte de monomanie qui le porte à identifier sans cesse la cause de la philosophie et de la raison avec sa personne et son système ; sous n’importe quel autre ministre plus conciliant et moins inféodé aux passions universitaires, on aurait été sans cesse tenté d’accepter, avec confiance, quelque demi-mesure qui n’eût servi qu’à empirer le mal. Les antécédents de M. Villemain, les dispositions justes et respectueuses envers l’Église manifestées dans plusieurs de ses écrits, surtout la haute indépendance que lui donnait envers l’Université l’éclat de sa position au sein même du corps enseignant, pouvaient ; à coup sûr, faire supposer qu’il prendrait une attitude plus forte et plus généreuse que celle de ses prédécesseurs ; et cette illusion n’a été plus chère à personne qu’à l’auteur de ces pages qui a si longtemps siégé à côté de lui sur les bancs de la faible minorité de la Chambre des Pairs. Malheureusement, c’est le contraire qui est arrivé : aucun ministre n’a adopté avec plus d’acharnement l’esprit égoïste et jaloux de ses subordonnés ; aucun n’a sacrifié plus complètement les devoirs généraux et nationaux du ministre de l’Instruction publique aux intérêts exclusifs et personnels du grand-maître de l’Université.

Dans les premiers temps de son administration on a pu encore se bercer de quelques espérances ; mais elles ont dû disparaître sans retour lors de la présentation du projet de loi de 1841, qui a si cruellement trompé l’attente des prélats distingués, dont on avait demandé l’avis et obtenu l’adhésion conditionnelle, en manifestant des dispositions démenties par le texte et l’esprit de ce projet. Depuis lors, les actes et les paroles de M. Villemain ont porté l’empreinte d’une hostilité avouée et systématique contre la liberté promise par la Charte et réclamée par la religion. Je le répète, cette inimitié patente est un grand bien ; elle simplifie la situation ; elle éloigne une solution insuffisante et dangereuse ; on se serait peut-être laissé trop facilement entraîner à traiter avec la faiblesse bienveillante, avec cette politique mielleuse qui cache sa misère morale sous le voile des bonnes intentions, qui semble s’associer par ses phrases à vos vœux pour un meilleur avenir qu’elle prend à tâche d’ajourner indéfiniment par ses actes. Avec M. Villemain, du moins, on est à l’abri de ce danger ; car, où est le catholique, où est le prêtre, où est l’évêque assez hardi pour se fier à la parole de l’homme qui a déclaré publiquement au roi que l’enseignement de l’Université était irréprochable ?

Qu’on me pardonne la sincérité de mon langage ! je ne parle pas ici à la tribune, je ne suis point astreint aux ménagements parlementaires, je ne m’adresse point à des hommes d’opinions et de croyances diverses, je ne m’adresse qu’à ceux qui sont mes frères par la foi aux mêmes mystères et le dévouement aux mêmes intérêts, et qui ont besoin de connaître la vérité, cette vérité tout entière qu’on met autant de soin à leur déguiser que j’en veux mettre à la leur dire.