Du devoir des catholiques dans la question de la liberté d’enseignement/Chapitre XIV

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Du devoir des catholiques dans la question de la liberté d’enseignement
Au bureau de l’univers (p. 51-54).
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XIV

Voyons maintenant à quoi se réduit ce qui a été tenté jusqu’à présent depuis la consécration du principe de la liberté renseignement dans la Charte ? Un petit nombre de pairs et de députés ont réclamé au sein des chambres législatives la réalisation de ce principe : un petit nombre d’écrivains ont soutenu dans la presse, avec la plus louable persévérance, les droits de l’Église et de la société contre le monopole ; un petit nombre de pétitionnaires ont demandé au parlement la restitution du libre exercice de la puissance paternelle ; enfin, un nombre encore plus petit d’évêques ont dénoncé publiquement l’enseignement universitaire. Nous savons bien que la grande majorité des évêques ont adressé au ministère des plaintes énergiques et réitérées contre la direction de cet enseignement et contre le déni de justice qu’implique le maintien du monopole : nous avons même vu des lettres et des mémoires émanés de plumes épiscopales qui eussent à coup sûr ébranlé l’opinion des plus indifférents, si la publicité ne leur eût pas manqué. Mais quel a été le résultat de ces démarches confidentielles ? Aucun. Les ministres répondent d’une façon évasive, et tandis que leurs cartons sont remplis des plaintes de l’épiscopat, ils répliquent effrontément aux orateurs qui leur objectent ces doléances, qu’ils ne savent ce qu’on veut dire, et ils font vanter dans leurs journaux la sagesse et la prudence de la majorité des évêques français, par opposition à ceux d’entre ces prélats qui ont commis le crime de confier au pays tout entier le secret de leurs douleurs. Ces plaintes secrètes de l’épiscopat sont si complètement inutiles que depuis treize années il n’a pas été pris par le pouvoir universitaire une seule mesure propre à consoler ou à rassurer, même provisoirement, le clergé et les pères de famille chrétiens. Leurs démarches personnelles n’ont pas mieux réussi que leurs plaintes par correspondance. Que se passe-t-il en effet ? Un évêque arrive à Paris le cœur chargé d’amertume et de tristesse par la connaissance qu’il a de l’état déplorable de la jeunesse dans son diocèse : il se rend au Château ; il écoute un auguste interlocuteur qui de son côté écoute fort peu ou n’écoute point ; il recueille les touchantes paroles d’une reine si grande par sa piété et par ses épreuves, mais dont le plus grand malheur assurément serait de voir sa piété servir de voile à l’indifférence ou à l’hostilité du pouvoir contre l’Église. Il descend ensuite vers le ministre, et là, comme plus haut, ne reçoit que des expressions vagues de sympathie et de confiance dans l’avenir, des promesses sans garantie et sans valeur : on porte, lui dit-on, les intérêts de la religion dans son cœur ; on désire les servir de son mieux ; mais les difficultés sont grandes, les esprits sont échauffés ; il faut surtout se garder du zèle imprudent qui gâte tout ; les choses s’arrangeront ; le gouvernement est animé des meilleures intentions ; le bien se fera petit à petit ; le projet de loi sera présenté très-prochainement, pourvu toutefois que le ministère ne soit point gêné par les déclamations inopportunes du parti religieux ; sur quoi l’on accorde quelque faveur insignifiante et passagère. L’évêque s’en va en pensant peut-être qu’après tout ce ministre n’est pas si mauvais qu’on le dit : le ministre se félicite avec ses confidents de ce qu’après tout, avec de bonnes paroles, on peut venir à bout de la majorité sage et prudente de l’épiscopat[1] : et pendant ces conversations, comme avant, comme après, le monopole s’étend et s’enracine de plus en plus ; les plus âpres dispositions de son code illégal sont appliquées avec une rigueur croissante, et la main cupide du despotisme universitaire s’étend jusque sur les maîtrises des cathédrales, où il est interdit à plus de douze enfants d’apprendre à la fois le latin et le chant ecclésiastique [2].




  1. On sait que les affidés de l’Université affectent de distinguer entre les évêques anciens et nouveaux ; et de ce que les prélats qui ont le plus énergiquement l’Université, comme M. l’évêque de Chartres, M. l’évêque de Belley et M. l’évêque de Châlons, ont été nommés avant 1830, ils concluent qu’il n’y a qu’à laisser mourir ce qu’ils appellent l’épiscopat de la Restauration, pour pouvoir compter sur l’amortissement de cette résistance redoutable
  2. Lettre de M. Danjou, organiste de la métropole de Paris, dans l'Univers du 15 juillet 1815