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Encyclopédie méthodique/Economie politique/ADMINISTRATION

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Panckoucke (1p. 54-56).

ADMINISTRATION, s. f. c’est en général le gouvernement & la gestion des officiers d’un état, d’une communauté, d’un particulier, &c. Ce mot se dit aussi des fonctions des juges & de celles des ecclésiastiques : ainsi on dit administration de la justice, administration des sacremens, voyez le Dictionnaire de Jurisprud. Mais ce mot s’applique d’une manière spéciale au gouvernement intérieur des états ; & lorsqu’on parle de l’administration, en termes absolus, on désigne l’administration de la chose publique, qui est réellement l’administration par excellence. C’est dans ce sens que nous allons en parler, non pour traiter en particulier des diverses branches du gouvernement, qui trouveront leur place dans la suite de cet ouvrage, chacune sous son titre particulier, mais pour donner quelques principes généraux, applicables à tous les régimes politiques.

Le but de toute administration est de procurer le bien-être des peuples, de les faire jouir des droits qui leur appartiennent, & de les garantir de toute oppression. Il ne faut pas espérer que ce but soit jamais rempli d’une manière parfaite : l’administration la plus voisine de la perfection est celle qui assure le bonheur du plus grand nombre, & le met à l’abri des passions du petit nombre. La plus sage est celle qui veille incessamment sur soi-même ; celle dont la vigilance entretient & répare sans cesse une machine que le mouvement affoiblit & dégrade à chaque instant. Un gouvernement équitable fait ensorte que chaque individu jouisse, avec le plus d’égalité qu’il est possible, des avantages de l’association ; car le dernier des citoyens a le même droit à un bonheur proportionné à son état, à son mérite, à ses talens, que le citoyen le plus distingué, que le monarque lui-même.

Une même forme d’administration ne convient pas à tous les peuples. Distingués par des climats, par des mœurs, par des opinions, des préjugés & des besoins divers, ils ne comportent pas le même régime. L’étendue plus ou moins vaste d’un état, sa position, ses productions, doivent encore mettre des différences entre les formes qu’il est nécessaire de donner à l’administration ; mais toute administration doit avoir des principes fixes, des principes analogues à la constitution politique, au caractère national, aux mœurs & aux usages reçus, à la religion dominante, aux qualités du climat, aux productions du sol, aux ressources de l’industrie, à la distinction des différens ordres de citoyens & à l’esprit qui les anime ; en un mot, à toutes les circonstances où se trouve une nation, & que le gouvernement ne peut contrarier sans produire quelque désordre. Une administration incertaine, qui se règle sur des caprices, n’a ni force ni sûreté ; elle ne procure aux peuples ni repos ni bonheur : on la voit changer selon les idées, les systêmes ou les fantaisies des administrateurs. Ses variations continuelles désespèrent, & personne n’est tranquille sur son sort ; on craint sans cesse des révolutions qui détruisent les arrangemens les plus sages, ou qui établissent des réglemens dangereux ou indifférens. Ces bouleversemens mettent le désordre dans les fortunes, l’inquiétude dans les esprits, & souvent le murmure sur la langue des citoyens les plus modérés : il est en Europe telle nation que l’inconstance de ses ministres perdroit, si l’immensité de ses ressources ne la soutenoit pas. Heureux l’état dont le régime est assez sagement établi, pour que les ministres se succèdent, sans que l’administration change !

Presque toutes les formes d’administration ont leurs avantages & leurs inconvéniens. Dans la perception des deniers publics, la ferme & la régie ont leur bon & leur mauvais côté ; dans le commerce, la liberté indéfinie fait quelquefois autant de mal que la gêne des privilèges & des jurandes : il n’est pas besoin de prouver cette assertion par un plus grand nombre d’exemples. La meilleure administration sera donc celle qui offre le plus d’avantages & le moins d’inconvéniens : & celle-là sûrement aura le plus d’avantages & le moins d’inconvéniens, qui sera le mieux adaptée à la constitution & aux loix fondamentales de l’état, au génie & au caractère de la nation, à la forme de son culte, &c.

Si tous les hommes étoient vertueux, s’ils suivoient tous les lumières de la raison, ils seroient faciles à gouverner ; mais ceux qui obéissent & ceux qui commandent, ont des passions qu’il s’agit de diriger vers le bien public : on s’efforceroit envain de les anéantir ; & d’ailleurs, sans les passions des individus, les états n’auroient point de prospérité.

Rien n’est plus rare qu’une administration sage qui rende les peuples heureux ; mais est-il plus commun de trouver des familles bien gouvernées ? Il ne faut donc pas espérer que les chefs qui commandent aux grandes familles dans lesquelles le genre humain est partagé, auront toujours les vertus, les talens & le génie nécessaires pour faire agir avec précision de vastes corps dont les ressorts sont très-compliqués. Les princes sont des hommes, leurs ministres sont des hommes ; ils font le mal souvent à leur insu, parce qu’ils sont trompés par l’apparence du bien.

Le citoyen raisonnable doit se soumettre avec patience aux inconvéniens nécessaires de l’administration sous laquelle le sort l’a placé. Obligé de servir la société dont il est membre, il doit lui consacrer ses forces & ses talens, & ne jamais oublier qu’il lui est défendu de troubler l’ordre d’un tout, dont il n’est qu’une foible partie.

Ce n’est point aux passions qu’il appartient de réformer les abus ; c’est à la raison calme, à l’expérience, à la sagesse libre de préjugés. L’intérêt personnel, presque toujours injuste, n’est pas fait pour décider de l’intérêt général ; celui qui met le trouble dans sa patrie, n’est guères moins criminel que celui qui l’opprime : la société doit tolerer les accidens auxquels elle ne connoît pas de remèdes. Une nation toujours agitée, toujours aux prises avec ses chefs, ressemble à ces malades dont l’esprit inquiet accroît sans cesse leurs maux.

Les écrits sur l’administration sont un excellent moyen de l’éclairer & de la perfectionner ; elle ne sauroit trop inviter les citoyens, dont les lumières égalent les bonnes intentions, à l’aider de ses conseils. Une administration qui craint l’examen, inspire la défiance, & l’on a bonne opinion de celle qui accueille & encourage les discussions : si elle n’est pas toujours à l’abri de la censure, la droiture de ses intentions la met au-dessus du reproche. L’utilité des écrits politiques est prouvée par le fait ; dans tous les états où l’on jouit d’une honnête liberté à cet égard, l’administration est plus instruite & mieux réglée que par-tout ailleurs. On y voit des réglemens utiles, des loix & des délibérations sages, des établissemens vraiment patriotiques. À qui doit-on la plupart de ces bonnes institutions ? Qui les a inspirées ? Qui en a fait voir l’importance & la nécessité ? Qui en a donné les moyens ? Où en a-t-on trouvé le germe & souvent le développement ? Dans les écrits politiques, dans ces ouvrages où l’on discute avec zèle & impartialité ce qu’il convient de faire pour augmenter l’agriculture, encourager l’industrie, accroître le commerce, mettre le meilleur ordre dans les finances, établir une exacte police dans les villes & dans la campagne, répandre par-tout l’abondance & la félicité.

Ces écrits produisent toutes sortes de bons effets. C’est une espèce d’école publique où se forment des sujets capables de remplir les différens emplois du gouvernement : ils y puisent l’instruction, l’amour du travail & le zèle, sans lequel les plus grands talens deviennent inutiles. Ces mêmes ouvrages nous apprennent encore à juger sainement de ce que le ministère fait pour nous, à ne pas croire opiniâtrement nos propres idées ou celles des hommes chagrins qui ne trouvent jamais rien de bon, à ne point blâmer indiscrètement des opérations, dont on ne voit qu’une face, à ne pas s’entêter pour de nouvelles théories qui présentent la plus belle perspective au premier coup d’oeil, à ne pas s’écrier avec une confiance puérile, si j’étois roi, si j’étois ministre.

S’il faut mépriser les politiques inquiets ou violens, qui invectivent sans cesse le ministère, on doit des égards aux critiques judicieux & sensés qui indiquent le remède du mal qu’ils condamnent.

Enfin les discussions sur les matières politiques ont le double avantage d’avertir l’administration des abus, & d’empêcher que le peuple ne s’accoutume à une administration vicieuse ; ce qui seroit le plus grand des malheurs.

Les princes ineptes ou paresseux confient l’administration des affaires publiques à leurs ministres, comme si le gouvernement n’étoit pas un devoir personnel. Sans doute le chef d’une grande monarchie ne peut ni tout voir, ni tout faire par lui-même ; mais il peut & doit être à la tête de tous ses conseils, & ne jamais permettre qu’on ordonne rien d’important sans son aveu.


Les guerres civiles ont ordinairement pour prétexte la mauvaise administration, les abus des tribunaux, le désordre des finances & l’excès des impôts, les vexations, les monopoles exercés par ceux-mêmes qui devraient les réprimer. Les fruits au contraire d’une administration juste & bienfaisante qui fait régner les loix, qui établit l’empire des mœurs, qui bannit le vice & punit le crime, qui récompense le mérite & emploie les talens, qui écoute de justes plaintes, & fait jouir chacun de ses droits sans acception de personne, qui se montre sensible à tous les besoins du peuple & s’occupe des moyens d’y pourvoir, sont la paix au-dedans & au-dehors, la prospérité, l’affection du peuple, le respect des nations voisines ; en un mot, le degré de bonheur pour le souverain & les sujets que comportent les institutions humaines.

Administrations provinciales. Voyez le Dictionnaire des Finances.