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Encyclopédie méthodique/Economie politique/ADMISSION DES MINISTRES PUBLICS

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Panckoucke (1p. 56-57).

ADMISSION DES MINISTRES PUBLICS, s. f. Qu’un ambassadeur soit envoyé vers un prince ; qu’il soit muni d’une lettre de créance & d’amples pouvoirs ; qu’il soit même annoncé au prince vers lequel il est envoyé, ou à ses ministres, cela ne suffit pas pour entrer en négociation, & se mettre en devoir de remplir l’objet de son ministère ; il faut de plus qu’il soit accrédité & reconnu en qualité de ministre public du prince qui l’envoie.

Il y a deux sortes d’admissions : l’une publique & solemnelle, accompagnée de cérémonies plus ou moins éclatantes, selon l’usage des cours ; l’autre simple, privée & particulière, sans aucune sorte de formalité. La présentation solemnelle de la lettre de créance, l’audience publique, l’entrée accompagnée de tout l’éclat de l’ambassade, forment l’admission publique. La communication réelle de l’envoyé ou de l’ambassadeur avec le souverain ou ses ministres, des conférences sur l’objet de sa mission, des mémoires reçus, des réponses rendues constituent la seconde espèce d’admission qui, pour être dépouillée de tout l’appareil éclatant de l’ambassade, n’en est pas moins réelle, & suffit pour établir le caractère de ministre public. Il est aussi bien autorisé, aussi formellement & peut-être plus essentiellement reconnu par la seconde que par la première ; car on doit regarder comme l’essentiel de l’ambassade, non la pompe extérieure qui la décore, mais la négociation qui en est l’objet.

Un souverain peut-il refuser d’admettre un ministre public qui lui est envoyé ? Le ministre publie reçoit son caractère du souverain qui l’envoie, par la lettre de créance dont il est porteur ; mais il n’en peut faire usage que par l’admission du souverain auprès duquel il est envoyé : cette admission est libre ; l’envoi d’un ambassadeur n’impose point un devoir rigoureux de l’admettre. Prétendre qu’on doit recevoir un ambassadeur quel qu’il soit, & de quelque part qu’il vienne, ce seroit soumettre la volonté d’un souverain à celle d’un autre, & par-là donner atteinte à son indépendance. On n’agit donc point contre le droit des gens en refusant d’admettre un ambassadeur, quand même il seroit envoyé par une puissance alliée. Ce refus peut être un manque d’égards, une marque de mépris, un outrage même, s’il n’est appuyé de bonnes raisons, mais ce n’est pas une infraction du droit des gens.

Les causes qui font recuser un ambassadeur ou autre envoyé, peuvent se rapporter 1o. à celui qui envoie ; 2o. à la personne de l’envoyé ; 3o. à l’objet de sa mission. On refuse quelquefois d’admettre un ministre qui vient de la part d’un ennemi ou d’un prince dont on a sujet de se plaindre. Le sénat romain renvoya les ambassadeurs de Tarquin, après que ce prince eut été chassé de Rome ; les hollandois ne voulurent recevoir aucun ministre du roi d’Espagne, avant qu’il eût reconnu leur état pour une république libre & indépendante. Un homme noté publiquement d’infamie, un aventurier, un fourbe célèbre par des impostures publiques, un ministre qui vient protester contre les droits & les entreprises du souverain vers lequel il est envoyé, ou qui est chargé de lui faire quelque proposition odieuse, tendant à le brouiller avec ses alliés, ou de fomenter quelque sédition dans l’état, comme le marquis de Bedmar, ambassadeur d’Espagne à Venise, mérite de n’être pas admis, ou d’être renvoyé dès son arrivée sur les frontières.

Du reste, comme le refus d’admettre un ministre est une sorte d’outrage à celui qui l’envoie, le prince qui le refuse a besoin d’une cause grave & légitime, pour n’être pas accusé de violer, sinon le droit des gens, au moins les bienséances & les égards que les souverains & les peuples se doivent les uns aux autres.

Un souverain peut-il refuser de reconnoître le caractère d’un ministre public après l’avoir admis ? Les contradictions ne sont pas plus rares entre les souverains dans les affaires politiques, qu’entre les particuliers dans les évenemens ordinaires de la vie. Vers la fin du dernier siècle, dom Bernardo de Quiros fut envoyé par la cour de Madrid auprès des États-Généraux, en qualité d’ambassadeur extraordinaire. Son admission fut privée, parce que le pensionnaire à qui il montra ses lettres de créance, lui dit honnêtement que son caractère étant assez connu des États-Généraux par les dépêches reçues des ministres d’Espagne, il n’avoit pas besoin de délivrer publiquement ses lettres de créance. Dom Bernardo de Quiros les garda donc sans les présenter ; mais il communiqua, en sa qualité d’ambassadeur, avec les ministres des États-Généraux. Quelques mois après, les procédés de la cour de Madrid contre le sieur Schonenberg, ministre des hollandois, déterminèrent les États-Généraux à prononcer une interdiction contre dom Bernardo de Quiros, c’est-à-dire, à lui déclarer qu’on ne recevroit aucun mémoire de lui, jusqu’à ce que sa cour eût réparé sa faute. Malgré cette déclaration, il continua à négocier toutes les affaires qui se présentèrent ; il fournis des mémoires non signés, il est vrai, auxquels on fit réponse ; il conféra souvent avec le pensionnaire & le président, &c. En 1699, époque où l’on s’occupa du traité de partage de la succession d’Espagne, le roi ayant écrit à dom Bernardo de Quiros de présenter à ce sujet un mémoire aux États-généraux, il alla trouver le président de semaine, qui avoit ordre des États-Généraux de refuser le mémoire, sous prétexte des procédés violens de la cour de Madrid contre le sieur Schonenberg. Les États-Généraux autorisèrent la conduite du président de semaine, & M. de Quiros se plaignit avec justice de ce que, par l’énoncé de leur résolution, ils sembloient le regarder comme n’ayant point encore été admis ni reconnu en qualité de ministre du roi catholique ; il prouva très-bien que son admission avoit eu une notoriété suffisante. Les lecteurs curieux trouveront les détails de cette dispute dans le Dictionnaire de M. Robinet, article Admission.

Voyez, pour ce qui regarde le cérémonial de l’admission publique & solemnelle, les mots Audience, Entrée, Lettres de créance.