Ennéades (trad. Bouillet)/II/Livre 1/Notes

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Les Ennéades de Plotin,
Traduction de M. N. Bouillet
Ennéade II, livre i :
Du Ciel | Notes
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DEUXIÈME ENNÉADE.


LIVRE PREMIER.

DU CIEL.

Ce livre est le quarantième dans l’ordre chronologique.

Dans la Vie de Plotin, p. 29, il est intitulé Du Monde, et il est cité souvent sous ce titre par Simplicius, Philopon, etc. La raison en est que les mots ϰόσμος et οὐρανὸς étaient synonymes (Voy. la note de la page 143). Les auteurs latins employaient aussi mundus pour cœlum : « Mundum, et hoc quod alio nomine cœlum appellare libuit, cujus circumflexu teguntur cuncta. » (Pline l’ancien, Hist. Nat., II, 1.)

§ I. SOURCES AUXQUELLES PLOTIN A PUISÉ.

Les sources où Plotin a puisé sont les dialogues de Platon, principalement le Timée, et les écrits d’Aristote, surtout le livre Du Ciel, comme nous l’avons indiqué par les notes placées au bas des pages 144, 145, 146, 148, 150, 161, 153, 154.

En composant ce livre, Plotin paraît avoir eu pour but principal de justifier la doctrine de Platon et de la défendre contre les critiques qu’Aristote lui adresse dans le traité De l’Âme, où il dit en parlant du Timée :

« Cette théorie de Timée est erronée, aussi bien que la plupart de celles qu’on a données sur l’âme, en ce qu’on unit l’âme au corps dans lequel on la place, sans avoir en outre déterminé comment est le corps et pour quelle cause il est ainsi fait. » (De l’Âme, I, 3, p. 133 de la trad. de M. Barthélemy Saint-Hilaire.)

Dès le début de son livre, Plotin fait allusion à l’objection d’Aristote (§ 1, p. 143) :

« Si l’on admet que le monde, être corporel, a toujours existé et existera toujours, et que l’on rapporte à la volonté de Dieu[1] la cause de sa perpétuité, on énoncera peut-être une chose vraie, mais on n’expliquera rien. »

Au § 2, p. 146, Plotin revient sur l’objection d’Aristote et la développe en ces termes :

« Comme tout animal est composé d’une âme et d’un corps, il faut que le ciel doive la permanence de son individualité soit à la nature de son âme, soit à celle de son corps, soit à celle de tous les deux. Si l’on pense qu’il est incorruptible par la nature de son corps, l’âme ne sera plus nécessaire en lui que pour former un être animé [en s’unissant au corps du monde]. Si l’on suppose au contraire que le corps, corruptible de sa nature, ne doit qu’à l’âme son incorruptibilité, il est nécessaire, dans cette hypothèse, de faire voir que l’état du corps ne se trouve pas naturellement contraire à cette constitution et à cette permanence (car, dans les objets constitués par la nature, il ne saurait y avoir un défaut d’harmonie), mais qu’au contraire la matière doit ici contribuer par ses dispositions à l’accomplissement de la volonté divine. »

§ II. MENTIONS ET CITATIONS QUI ONT ÉTÉ FAITES DE CE LIVRE.

En traitant de la résurrection, saint Augustin discute les arguments par lesquels Plotin essaie de démontrer dans ce livre l’immortalité du monde :

« Les philosophes Platoniciens soutiennent que les corps terrestres ne peuvent être éternels[2], bien qu’ils ne balancent pas à déclarer que toute la terre, qui est un membre de leur dieu, non du Dieu souverain, mais pourtant d’un grand dieu, c’est-à-dire du Monde, est éternelle. Puis donc que le Dieu souverain leur a fait un autre dieu, savoir le Monde, supérieur à tous les autres dieux créés, et puisqu’ils croient que ce dieu est un animal doué d’une âme raisonnable ou intellectuelle, qui a pour membres les quatre éléments, dont ils veulent que la liaison soit éternelle et indissoluble, de crainte qu’un si grand dieu ne vienne à périr[3], pourquoi la terre, qui est le nombril dans le corps de ce grand animal, serait-elle éternelle, et les corps des autres animaux terrestres ne le seraient-ils pas, si Dieu le veut ? Il faut, disent-ils, que la terre soit rendue à la terre, et, comme c’est de là que les corps des animaux terrestres ont été tirés, ils doivent y retourner et mourir. Mais si quelqu’un disait la même chose du feu, soutenant qu’il faut lui rendre tous les corps qui en ont été tirés pour en former les animaux célestes, que deviendrait l’immortalité promise par le Dieu souverain à tous ces dieux[4] ? Dira-t-on que cette dissolution ne se fait pas pour eux, parce que Dieu, dont la volonté, comme le dit Platon, surmonte tout obstacle, ne le veut pas[5] ? Qui empêche donc que Dieu ne le veuille pas non plus pour les corps terrestres, puisqu’il peut faire que ce qui a commencé existe sans fin, que ce qui est formé de parties demeure indissoluble, que ce qui est tiré des éléments n’y retourne pas ? Pourquoi ne ferait-il pas que les corps terrestres fussent impérissables ? Est-ce que Dieu n’est puissant qu’autant que le veulent les Platoniciens, au lieu de l’être autant que le croient les Chrétiens ? Vous verrez que les philosophes ont connu le pouvoir et les desseins de Dieu, et que les prophètes n’ont pu les connaître, c’est-à-dire que les hommes inspirés de l’esprit de Dieu ont ignoré sa volonté, et que ceux-là l’ont découverte qui ne se sont appuyés que sur d’humaines conjectures !

Ils devaient au moins prendre garde de ne pas tomber dans cette contradiction manifeste, de soutenir d’un côté que l’âme ne saurait être heureuse si elle ne fuit toute sorte de corps[6], et de dire de l’autre que les âmes des dieux sont bienheureuses[7], quoique éternellement unies à des corps, celle même de Jupiter, qui pour eux est le monde, étant liée à tous les éléments qui composent cette sphère immense de la terre aux deux. Platon veut que cette âme s’étende selon des lois musicales depuis le centre de la terre jusqu’aux extrémités du ciel, et que le monde soit un grand et heureux animal dont l’âme parfaitement sage ne doit jamais être séparée de son corps, sans toutefois que cette masse composée de tant d’éléments divers puisse la retarder ni l’appesantir[8]. Voilà les libertés que les philosophes laissent prendre à leur imagination, et en même temps ils ne veulent pas croire que des corps terrestres puissent devenir immortels par la puissance de la volonté de Dieu, et que les âmes y puissent vivre éternellement bienheureuses sans en être appesanties, comme font cependant leurs dieux dans des corps de feu, et Jupiter même, le roi des dieux, dans la masse de tous ces éléments ? S’il faut qu’une âme, pour être heureuse, fuie toute sorte de corps, que leurs dieux abandonnent donc les globes célestes ; que Jupiter quitte le ciel et la terre ; ou, s’il ne peut s’en séparer, qu’il soit réputé misérable. Mais nos philosophes reculent devant cette alternative : ils n’osent point dire que leurs dieux quittent leur corps, de peur de paraître adorer des divinités mortelles, et ils ne veulent pas les priver de la félicité, de crainte d’avouer que des dieux sont misérables. » (Cité de Dieu, XIII, 17, t. III, p. 25 de la trad. de M. Saisset).

Macrobe, dans son Commentaire sur le Songe de Scipion (II, 12), cite ce livre dans les termes suivants :

« Denique et Plotinus alio in loco, quum de corporum assumptione dissereret, et hoc dissolvi pronuntiaret quiquid effluit, objecit sibi : Cur ergo elementa, quorum fluxus in aperto est, non similiter aliquando solvuntur ? et breviter tantæ objectioni valideque respondit : ideo clemente, licet fluant, nunquam tamen solvi, quia non foras effluunt ; a ceteris enim corporibus quod effluit recedit, elementorum fluxus nunquam ab ipsis recedit elementis[9]. »

Macrobe a encore dans un autre passage du même ouvrage (II, 13) reproduit les idées de Plotin, mais sans nommer cette fois notre auteur :

« Sciendum est quod duobus modis immortalitas intelligitur. Aut enim ideo est immortale quid, quia per se non est capax mortis, aut quia procuratione alterius a morte defenditur. Ex his prior modus ad animas, secundus ad mundi immortalitatem refertur. Illa enim suapte natura a conditione mortis aliena est ; mundus vero animæ beneficio in hac vilae perpetuitate retinetur[10]. »

Proclus[11], dans son Commentaire sur le Timée (p. 166), cite le § 2 de ce livre de Plotin : « Les choses célestes sont immuables, comme l’ont dit parmi les philosophes anciens Proclus de Mallos [philosophe stoïcien] et Philonide, et parmi les modernes tous les Platoniciens depuis Plotin. »

Proclus mentionne encore ce livre de Plotin à la page 73 du même traité.

Simplicius cite le § 2 de Plotin dans son Commentaire sur le traité Du Ciel (p. 3, 5, 26) ; il y dit à la page 3 :

« Plotin mentionne ces hypothèses dans son livre Du monde : car, voulant démontrer d’après Platon l’éternité du ciel, il dit : « Dans le système d’Aristote, l’immutabilité des astres s’explique aisément, etc[12]. »

La citation qu’il fait de Plotin, à la page 5, commence ainsi :

« Le grand Plotin et Xénarque, dans les discussions auxquelles ils se livrent au sujet de la quinte-essence d’Aristote[13], etc. »

Jean Philopon (Adversus Proclum de Æternitate mundi, XIII, 15) cite aussi le § 2 en ces termes :

« Plotin dit dans son traité Du monde : « Quoique les corps soient dans un écoulement continuel[14]... quoiqu’on regarde le corps du ciel comme étant composé des mêmes éléments que les animaux terrestres. »



  1. Voy. le passage du Timée de Platon qui est cité plus haut, p. 428, note 1.
  2. Voy. Enn. II, liv. i, § 1, p. 143-145.
  3. Voy. ibid., § 3-5. p. 146-150.
  4. Voy. ibid., § 5, p. 140.
  5. Voy. ibid., § 1, p. 143.
  6. Voy. p. 431.
  7. Voy. Enn. II, liv. iii, § 9, p. 180.
  8. Voy. Enn. II, liv. ii, § 1, p. 160.
  9. Voy. Enn. II, liv. i, § 2, p. 145-146.
  10. Voy. ibid., § 3-4, p. 146-149.
  11. Pour les idées de Proclus sur le Ciel et l’Univers en général, Voy. M. Berger, Exposition de la Doctrine de Proclus, p. 69-76.
  12. Voy. p. 145 de ce volume.
  13. Voy. ibid.
  14. Voy. ibid.