Essai sur les mœurs/Chapitre 3

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CHAPITRE III.

Des Indes.

En suivant le cours apparent du soleil, je trouve d’abord l’Inde, ou l’Indoustan, contrée aussi vaste que la Chine, et plus connue par les denrées précieuses que l’industrie des négociants en a tirées dans tous les temps que par des relations exactes. Ce pays est l’unique dans le monde qui produise ces épiceries dont la sobriété de ses habitants peut se passer, et qui sont nécessaires à la voracité des peuples septentrionaux.

Une chaîne de montagnes, peu interrompue, semble avoir fixé les limites de l’Inde, entre la Chine, la Tartarie, et la Perse ; le reste est entouré de mers. L’Inde, en deçà du Gange, fut longtemps soumise aux Persans ; et voilà pourquoi Alexandre, vengeur de la Grèce et vainqueur de Darius, poussa ses conquêtes jusqu’aux Indes, tributaires de son ennemi. Depuis Alexandre, les Indiens avaient vécu dans la liberté et dans la mollesse qu’inspirent la chaleur du climat et la richesse de la terre.

Les Grecs y voyageaient avant Alexandre, pour y chercher la science. C’est là que le célèbre Pilpay écrivit, il y a deux mille trois cents années, ses Fables morales, traduites dans presque toutes les langues du monde. Tout a été traité en fables et en allégories chez les Orientaux, et particulièrement chez les Indiens. Pythagore, disciple des gymnosophistes, serait lui seul une preuve incontestable que les véritables sciences étaient cultivées dans l’Inde. Un législateur en politique et en géométrie n’eût pas resté longtemps dans une école où l’on n’aurait enseigné que des mots. Il est très-vraisemblable même que Pythagore apprit chez les Indiens les propriétés du triangle rectangle, dont on lui fait honneur. Ce qui était si connu à la Chine pouvait aisément l’être dans l’Inde. On a écrit longtemps après lui qu’il avait immolé cent bœufs pour cette découverte : cette dépense est un peu forte pour un philosophe. Il est digne d’un sage de remercier d’une pensée heureuse l’Être dont nous vient toute pensée, ainsi que le mouvement et la vie ; mais il est bien plus vraisemblable que Pythagore dut ce théorème aux gymnosophistes qu’il ne l’est qu’il ait immolé cent bœufs[1].

Longtemps avant Pilpay, les sages de l’Inde avaient traité la morale et la philosophie en fables allégoriques, en paraboles. Voulaient-ils exprimer l’équité d’un de leurs rois, ils disaient que « les dieux qui président aux divers éléments, et qui sont en discorde entre eux, avaient pris ce roi pour leur arbitre ». Leurs anciennes traditions rapportent un jugement qui est à peu près le même que celui de Salomon. Ils ont une fable qui est précisément la même que celle de Jupiter et d’Amphitryon ; mais elle est plus ingénieuse. Un sage découvre qui des deux est le dieu, et qui est l’homme[2]. Ces traditions montrent combien sont anciennes les paraboles qui font enfants des dieux les hommes extraordinaires. Les Grecs, dans leur mythologie, n’ont été que des disciples de l’Inde et de l’Égypte. Toutes ces fables enveloppaient autrefois un sens philosophique ; ce sens a disparu, et les fables sont restées.

L’antiquité des arts dans l’Inde a toujours été reconnue de tous les autres peuples. Nous avons encore une relation de deux voyageurs arabes, qui allèrent aux Indes et à la Chine un peu après le règne de Charlemagne, et quatre cents ans avant le célèbre Marco-Paolo. Ces Arabes prétendent avoir parlé à l’empereur de la Chine qui régnait alors ; ils rapportent que l’empereur leur dit qu’il ne comptait que cinq grands rois dans le monde, et qu’il mettait de ce nombre « le roi des éléphants et des Indiens, qu’on appelle le roi de la sagesse, parce que la sagesse vient originairement des Indes ».

J’avoue que ces deux Arabes ont rempli leurs récits de fables, comme tous les écrivains orientaux ; mais enfin il résulte que les Indiens passaient pour les premiers inventeurs des arts dans tout l’Orient, soit que l’empereur chinois ait fait cet aveu aux deux Arabes, soit qu’ils aient parlé d’eux-mêmes.

Il est indubitable que les plus anciennes théologies furent inventées chez les Indiens. Ils ont deux livres écrits, il y a environ cinq mille ans, dans leur ancienne langue sacrée, nommée le Hanscrit, ou le Sanscrit. De ces deux livres, le premier est le Shasta, et le second, le Veidam. Voici le commencement du Shasta[3] :

« L’Éternel, absorbé dans la contemplation de son existence, résolut, dans la plénitude des temps, de former des êtres participants de son essence et de sa béatitude. Ces êtres n’étaient pas : il voulut, et ils furent[4]. »

On voit assez que cet exorde, véritablement sublime, et qui fut longtemps inconnu aux autres nations, n’a jamais été que faiblement imité par elles.

Ces êtres nouveaux furent les demi-dieux, les esprits célestes, adoptés ensuite par les Chaldéens, et chez les Grecs par Platon. Les Juifs les admirent, quand ils furent captifs à Babylone ; ce fut là qu’ils apprirent les noms que les Chaldéens avaient donnés aux anges, et ces noms n’étaient pas ceux des Indiens. Michaël, Gabriel, Raphaël, Israël même, sont des mots chaldéens qui ne furent jamais connus dans l’Inde.

C’est dans le Shasta qu’on trouve l’histoire de la chute de ces anges. Voici comme le Shasta s’exprime :

« Depuis la création des Debtalog (c’est-à-dire des anges), la joie et l’harmonie environnèrent longtemps le trône de l’Éternel. Ce bonheur aurait duré jusqu’à la fin des temps ; mais l’envie entra dans le cœur de Moisaor et des anges ses suivants. Ils rejetèrent le pouvoir de perfectibilité dont l’Éternel les avait doués dans sa honte : ils exercèrent le pouvoir d’imperfection ; ils firent le mal à la vue de l’Éternel. Les anges fidèles furent saisis de tristesse. La douleur fut connue pour la première fois. »

Ensuite la rébellion des mauvais anges est décrite. Les trois ministres de Dieu, qui sont peut-être l’original de la Trinité de Platon, précipitent les mauvais anges dans l’abîme. À la fin des temps. Dieu leur fait grâce, et les envoie animer les corps des hommes.

Il n’y a rien dans l’antiquité de si majestueux et de si philosophique. Ces mystères des brachmanes percèrent enfin jusque dans la Syrie : il fallait qu’ils fussent bien connus, puisque les Juifs en entendirent parler du temps d’Hérode. Ce fut peut-être alors qu’on forgea, suivant ces principes indiens, le faux livre d’Hénoch, cité par l’apôtre Jude, dans lequel il est dit quelque chose de la chute des anges. Cette doctrine devint depuis le fondement de la religion chrétienne[5].

Les esprits ont dégénéré dans l’Inde. Probablement le gouvernement tartare les a hébétés, comme le gouvernement turc a déprimé les Grecs, et abruti les Égyptiens. Les sciences ont presque péri de même chez les Perses, par les révolutions de l’État. Nous avons vu[6] qu’elles se sont fixées à la Chine, au même point de médiocrité où elles ont été chez nous au moyen âge, par la même cause qui agissait sur nous, c’est-à-dire par un respect superstitieux pour l’antiquité, et par les règlements même des écoles. Ainsi, dans tous pays, l’esprit humain trouve des obstacles à ses progrès.

Cependant, jusqu’au XIIIe siècle de notre ère, l’esprit vraiment philosophique ne périt pas absolument dans l’Inde. Pachimère, dans ce XIIIe siècle, traduisit quelques écrits d’un brame, son contemporain. Voici comme ce brame indien s’explique : le passage mérite attention.

« J’ai vu toutes les sectes s’accuser réciproquement d’imposture ; j’ai vu tous les mages disputer avec fureur du premier principe, et de la dernière fin. Je les ai tous interrogés, et je n’ai vu, dans tous ces chefs de factions, qu’une opiniâtreté inflexible, un mépris superbe pour les autres, une haine implacable. J’ai donc résolu de n’en croire aucun. Ces docteurs, en cherchant la vérité, sont comme une femme qui veut faire entrer son amant par une porte dérobée, et qui ne peut trouver la clef de la porte. Les hommes, dans leurs vaines recherches, ressemblent à celui qui monte sur un arbre où il y a un peu de miel ; et à peine en a-t-il mangé que les serpents qui sont autour de l’arbre le dévorent. »

Telle fut la manière d’écrire des Indiens. Leur esprit paraît encore davantage dans les jeux de leur invention. Le jeu que nous appelons des échecs, par corruption, fut inventé par eux, et nous n’avons rien qui en approche : il est allégorique comme leurs fables ; c’est l’image de la guerre. Les noms de shak, qui veut dire prince, et de pion, qui signifie soldat, se sont conservés encore dans cette partie de l’Orient. Les chiffres dont nous nous servons, et que les Arabes ont apportés en Europe vers le temps de Charlemagne, nous viennent de l’Inde. Les anciennes médailles, dont les curieux chinois font tant de cas, sont une preuve que plusieurs arts furent cultivés aux Indes avant d’être connus des Chinois.

On y a, de temps immémorial, divisé la route annuelle du soleil en douze parties, et, dans des temps vraisemblablement encore plus reculés, la route de la lune en vingt-huit parties. L’année des brachmanes et des plus anciens gymnosophistes commença toujours quand le soleil entrait dans la constellation qu’ils nomment Moscham, et qui est pour nous le Bélier. Leurs semaines furent toujours de sept jours, divisions que les Grecs ne connurent jamais. Leurs jours portent les noms des sept planètes. Le jour du soleil est appelé chez eux Mithradinan : reste à savoir si ce mot mithra, qui, chez les Perses, signifie aussi le soleil, est originairement un terme de la langue des mages, ou de celle des sages de l’Inde.

Il est bien difficile de dire laquelle des deux nations enseigna l’autre ; mais s’il s’agissait de décider entre les Indes et l’Égypte, je croirais toujours les sciences bien plus anciennes dans les Indes, comme nous l’avons déjà remarqué[7]. Le terrain des Indes est bien plus aisément habitable que le terrain voisin du Nil, dont les débordements durent longtemps rebuter les premiers colons, avant qu’ils eussent dompté ce fleuve en creusant des canaux. Le sol des Indes est d’ailleurs d’une fertilité bien plus variée, et qui a dû exciter davantage la curiosité et l’industrie humaine.

Quelques-uns ont cru la race des hommes originaire de l’Indoustan, alléguant que l’animal le plus faible devait naître dans le climat le plus doux, et sur une terre qui produit sans culture les fruits les plus nourrissants, les plus salutaires, comme les dattes et les cocos. Ceux-ci surtout donnent aisément à l’homme de quoi le nourrir, le vêtir, et le loger. Et de quoi d’ailleurs a besoin un habitant de cette presqu’île ? tout ouvrier y travaille presque nu ; deux aunes d’étoffe, tout au plus, servent à couvrir une femme qui n’a point de luxe. Les enfants restent entièrement nus, du moment où ils sont nés jusqu’à la puberté. Ces matelas, ces amas de plumes, ces rideaux à double contour, qui chez nous exigent tant de frais et de soins, seraient une incommodité intolérable pour ces peuples, qui ne peuvent dormir qu’au frais sur la natte la plus légère. Nos maisons de carnage, qu’on appelle des boucheries, où l’on vend tant de cadavres pour nourrir le nôtre, mettraient la peste dans le climat de l’Inde ; il ne faut à ces nations que des nourritures rafraîchissantes et pures ; la nature leur a prodigué des forêts de citronniers, d’orangers, de figuiers, de palmiers, de cocotiers, et des campagnes couvertes de riz. L’homme le plus robuste peut ne dépenser qu’un ou deux sous par jour pour ses aliments. Nos ouvriers dépensent plus en un jour qu’un Malabare en un mois. Toutes ces considérations semblent fortifier l’ancienne opinion que le genre humain est originaire d’un pays où la nature a tout fait pour lui, et ne lui a laissé presque rien à faire ; mais cela prouve seulement que les Indiens sont indigènes, et ne prouve point du tout que les autres espèces d’hommes viennent de ces contrées. Les blancs, et les nègres, et les rouges, et les Lapons, et les Samoyèdes, et les Albinos, ne viennent certainement pas du même sol. La différence entre toutes ces espèces est aussi marquée qu’entre un lévrier et un barbet ; il n’y a donc qu’un brame mal instruit et entêté qui puisse prétendre que tous les hommes descendent de l’Indien Adimo et de sa femme[8].

L’Inde, au temps de Charlemagne, n’était connue que de nom ; et les Indiens ignoraient qu’il y eût un Charlemagne. Les Arabes, seuls maîtres du commerce maritime, fournissaient à la fois les denrées des Indes à Constantinople et aux Francs. Venise les allait déjà chercher dans Alexandrie. Le débit n’en était pas encore considérable en France chez les particuliers; elles furent longtemps inconnues en Allemagne, et dans tout le Nord. Les Romains avaient fait ce commerce eux-mêmes, dès qu’ils furent les maîtres de l’Égypte. Ainsi les peuples occidentaux ont toujours porté dans l’Inde leur or et leur argent, et ont toujours enrichi ce pays déjà si riche par lui-même. De là vient qu’on ne vit jamais les peuples de l’Inde, non plus que les Chinois et les Gangarides, sortir de leur pays pour aller exercer le brigandage chez d’autres nations, comme les Arabes, soit Juifs, soit Sarrasins ; les Tartares et les humains même, qui, postés dans le plus mauvais pays de l’Italie, subsistèrent d’abord de la guerre, et subsistent aujourd’hui de la religion.

Il est incontestable que le continent de l’Inde a été autrefois beaucoup plus étendu qu’il ne l’est aujourd’hui. Ces îles, ces immenses archipels qui l’avoisinent à l’orient et au midi, tenaient dans les temps reculés à la terre ferme. On s’en aperçoit encore par la mer même qui les sépare : son peu de profondeur, les arbres qui croissent sur son fond, semblables à ceux des îles ; les nouveaux terrains qu’elle laisse souvent à découvert ; tout fait voir que ce continent a été inondé, et il a dû l’être insensiblement, quand l’Océan, qui gagne toujours d’un côté ce qu’il perd de l’autre, s’est retiré de nos terres occidentales.

L’Inde, dans tous les temps connus commerçante et industrieuse, avait nécessairement une grande police ; et ce peuple, chez qui Pythagore avait voyagé pour s’instruire, devait avoir de bonnes lois, sans lesquelles les arts ne sont jamais cultivés ; mais les hommes, avec des lois sages, ont toujours eu des coutumes insensées. Celle qui fait aux femmes un point d’honneur et de religion de se brûler sur le corps de leurs maris subsistait dans l’Inde de temps immémorial. Les philosophes indiens se jetaient eux-mêmes dans un bûcher, par un excès de fanatisme et de vaine gloire. Calan, ou Calanus, qui se brûla devant Alexandre, n’avait pas le premier donné cet exemple ; et cette abominable dévotion n’est pas détruite encore. La veuve du roi de Tanjaor se brûla, en 1735, sur le bûcher de son époux. M. Dumas, M. Dupleix, gouverneurs de Pondichéry, l’épouse de l’amiral Russel, ont été témoins de pareils sacrifices : c’est le dernier effort des erreurs qui pervertissent le genre humain. Le plus austère des derviches n’est qu’un lâche en comparaison d’une femme de Malabar. Il semblerait qu’une nation, chez qui les philosophes et même les femmes se dévouaient ainsi à la mort, dût être une nation guerrière et invincible ; cependant, depuis l’ancien Sésac, quiconque a attaqué l’Inde l’a aisément vaincue.

Il serait encore difficile de concilier les idées sublimes que les bramins conservent de l’Être suprême avec leurs superstitions et leur mythologie fabuleuse, si l’histoire ne nous montrait pas de pareilles contradictions chez les Grecs et chez les Romains.

Il y avait des chrétiens sur les côtes de Malabar, depuis douze cents ans, au milieu de ces nations idolâtres. Un marchand de Syrie, nommé Mar-Thomas, s’étant établi sur les côtes de Malabar avec sa famille et ses facteurs, au vie siècle, y laissa sa religion, qui était le nestorianisme ; ces sectaires orientaux, s’étant multipliés, se nommèrent les chrétiens de saint Thomas : ils vécurent paisiblement parmi les idolâtres. Qui ne veut point remuer est rarement persécuté. Ces chrétiens n’avaient aucune connaissance de l’Église latine.

Ce n’est pas certainement le christianisme qui florissait alors dans l’Inde, c’est le mahométisme. Il s’y était introduit par les conquêtes des califes ; et Aaron-al-Raschild, cet illustre contemporain de Charlemagne, dominateur de l’Afrique, de la Syrie, de la Perse, et d’une partie de l’Inde, envoya des missionnaires musulmans des rives du Gange aux îles de l’Océan indien, et jusque chez des peuplades de nègres. Depuis ce temps il y eut beaucoup de musulmans dans l’Inde. On ne dit point que le grand Aaron convertît à sa religion les Indiens par le fer et par le feu, comme Charlemagne convertit les Saxons. On ne voit pas non plus que les Indiens aient refusé le joug et la loi d’Aaron-al-Raschild, comme les Saxons refusèrent de se soumettre à Charles.

Les Indiens ont toujours été aussi mous que nos septentrionaux étaient féroces. La mollesse inspirée par le climat ne se corrige jamais ; mais la dureté s’adoucit.

En général, les hommes du Midi oriental ont reçu de la nature des mœurs plus douces que les peuples de notre Occident ; leur climat les dispose à l’abstinence des liqueurs fortes et de la chair des animaux, nourritures qui aigrissent le sang, et portent souvent à la férocité ; et, quoique la superstition et les irruptions étrangères aient corrompu la bonté de leur naturel, cependant tous les voyageurs conviennent que le caractère de ces peuples n’a rien de cette inquiétude, de cette pétulance, et de cette dureté, qu’on a eu tant de peine à contenir chez les nations du Nord.

Le physique de l’Inde différant en tant de choses du nôtre, il fallait bien que le moral différât aussi. Leurs vices étaient plus doux que les nôtres. Ils cherchaient en vain des remèdes aux dérèglements de leurs mœurs, comme nous en avons cherché. C’était, de temps immémorial, une maxime chez eux et chez les Chinois que le sage viendrait de l’Occident. L’Europe, au contraire, disait que le sage viendrait de l’Orient : toutes les nations ont toujours eu besoin d’un sage.




  1. On ne peut former que des conjectures incertaines sur ce que les Grecs ont dû de connaissances astronomiques ou géométriques, soit aux Orientaux, soit aux Égyptiens. Non-seulement nous n’avons point les écrits de Pythagore ou de Thalès ; mais les ouvrages mathématiques de Platon, ceux même de ses premiers disciples ne sont point venus jusqu’à nous. Euclide, le plus ancien auteur de ce genre dont nous ayons les écrits, est postérieur d’environ trois siècles au temps où les philosophes grecs allaient étudier les sciences hors de leur pays. Ce n’était plus alors l’Égypte qui instruisait la Grèce, mais la Grèce qui fondait une école grecque dans la nouvelle capitale de l’Égypte. Observons qu’il ne s’était passé qu’environ trois siècles entre le temps de Pythagore, qui découvrit la propriété si célèbre du triangle rectangle, et Archimède. Les Grecs, dans cet intervalle, avaient fait en géométrie des progrès prodigieux ; tandis que les Indiens et les Chinois en sont encore où ils en étaient il y a deux mille ans.

    Ainsi, dès qu’il s’agit de découvertes, pour peu qu’il y ait de dispute, la vraisemblance paraît devoir toujours être en faveur des Grecs.

    On leur reproche leur vanité nationale, et avec raison ; mais ils étaient si supérieurs à leurs voisins, ils ont été même si supérieurs à tous les autres hommes, si l’on en excepte les Européans des deux derniers siècles, que jamais la vanité nationale n’a été plus pardonnable. (K.)

  2. Voyez le Dictionnaire philosophique, au mot Ange, et surtout la Lettre à M. du M***, membre de plusieurs académies, sur plusieurs anecdotes, dans les Mélanges (année 1776).
  3. Voltaire désigne par ce mot le Code de Manou, Manava-Dharma-Sastra. Quant au passage qu’il cite, ce n’est pas, si l’on veut, le début du livre ; mais la phrase se trouve dans le commencement, si nous ne nous trompons : « Celui que l’esprit seul peut percevoir, qui échappe aux organes des sens, qui est sans parties visibles, éternel, l’âme de tous les êtres, etc., ayant résolu dans sa pensée de faire émaner de sa substance les diverses créatures…, etc. » Voilà bien ce que cite Voltaire. Pour le livre qu’il appelle le Veidam, c’est la collection des Védas, dont on connaît aujourd’hui quatre parties : le Rig-Véda, l’Yadjour-Véda, le Sama-Véda, et l’Atharva-Véda. Il y a bien des erreurs dans ce chapitre iii, mais il ne faut pas oublier que voilà cinquante ans seulement que nous avons quelques notions précises sur l’Inde. (G. A.)
  4. Voyez le Dictionnaire philosophique, aux mots Adam, Alcoran, Ange, Ézour-Veidam ; et la neuvième des Lettres chinoises, dans les Mélanges (année 1776).
  5. Le serpent dont il est parlé dans la Genèse devint le principal mauvais ange. On lui donna tantôt le nom de Satan, qui est un mot persan, tantôt celui de Lucifer, étoile du matin, parce que la Vulgate traduisit le mot Hélel par celui de Lucifer (voyez Introduction, paragraphe xlviii). Isaïe, insultant à la mort d’un roi de Babylone, lui dit par une figure de rhétorique : Comment es-tu tombée du ciel, étoile du matin, Lucifer ? On a pris ce nom pour celui du diable, et on a appliqué ce passage à la chute des anges. C’est encore le fondement du poëme de Milton. Mais Milton est bien moins raisonnable que le Shasta indien. Le Shasta ne pousse point l’extravagance jusqu’à faire déclarer la guerre à Dieu par les anges ses créatures, et à rendre quelque temps la victoire indécise. Cet excès était réservé à Milton.

    N. B. Tout ce morceau est tiré principalement de M. Howel, qui a demeuré trente ans avec les brames, et qui entend très-bien leur langue sacrée. (Note de Voltaire.)

  6. Chapitre ier.
  7. Introduction, paragraphe xix.
  8. Voyez Introduction, paragraphe xvii, et, ci-après, le chapitre iv.