Essais/édition Michaud, 1907/Livre I/Chapitre 26

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Michel de Montaigne
Traduction Michaud

Chapitre 26
Texte 1595
Texte 1907
C’est folie de rapporter le vray et le faux à nostre suffisance.


CHAPITRE XXVI.

C’est folie de rapporter le vray et le faux à nostre suffisance.


Ce n’est pas à l’aduenture sans raison, que nous attribuons à simplesse et ignorance, la facilité de croire et de se laisser persuader. Car il me semble auoir appris autrefois, que la créance estoit comme vne impression, qui se faisoit en nostre ame ; et à mesure qu’elle se trouuoit plus molle et de moindre résistance, il estoit plus aysé à y empreindre quelque chose. Vt necesse est lancem in libra ponderibus impositis deprimi : sic animum perspicuis cedere. D’autant que l’ame est plus vuide, et sans contrepoids, elle se baisse plus facilement souz la charge de la première persuasion. Voylà pourquoy les enfans, le vulgaire, les femmes et les malades sont plus suiets à estre menez par les oreilles. Mais aussi de l’autre part, c’est vne sotte présomption, d’aller desdeignant et condamnant pour faux, ce qui ne nous semble pas vray-semblable : qui est vn vice ordinaire de ceux qui pensent auoir quelque suffisance, outre la commune. I’en faisoy ainsin autrefois, et si i’oyois parler ou des esprits qui reuiennent, ou du prognostique des choses futures, des enchantemens, des sorcelleries, ou faire quelque autre conte, où ie ne peusse pas mordre,

Somnia, terrores magicos, miracula, sagas,
Nocturnos lémures, portentàque Thessala :


il me venoit compassion du panure peuple abusé de ces folies. Et à présent ie treuue, que i’estoy pour le moins autant à plaindre moy mesme. Non que l’expérience m’aye depuis rien faict voir, au dessus de mes premières créances ; et si n’a pas tenu à ma curiosité : mais la raison m’a instruit, que de condamner ainsi résolument vne chose pour fausse, et impossible, c’est se donner l’aduantage d’auoir dans la teste, les bornes et limites de la volonté de Dieu, et de la puissance de nostre mère nature : et qu’il n’y a point de plus notable folie au monde, que de les ramener à la mesure de nostre capacité et suffisance. Si nous appelons monstres ou miracles, ce où nostre raison ne peut aller, combien s’en présente il continuellement à nostre veuë ? Considérons au trauers de quels nuages, et comment à tastons on nous meine à la cognoissance de la pluspart des choses qui nous sont entre mains : certes nous trouuerons que c’est plustost accoustumance, que science, qui nous en oste l’estrangeté :

Iam nemo fessus saturusque videndi,
Suspicere in cœli dignatur lucida templa :


et que ces choses là, si elles nous estoyent présentées de nouueau, nous les trouuerions autant ou plus incroyables qu’aucunes autres.

Si nunc primùm morialibus adsint
Ex improuiso, ceu sint obiecta repente,
Nil magis his rebus poterat mirabile dici,
Aut minus antè quod auderent fore credere gentes.


Celuy qui n’auoit iamais veu de riuiere, à la première qu’il rencontra, il pensa que ce fust l’Océan : et les choses qui sont à nostre cognoissance les plus grandes, nous les iugeons estre les extrêmes que nature face en ce genre.

Scilicet et fluuius qui non est maximus, ei est
Qui non antè aliquem maiorem vidit, et ingens
Arbor homoque videtur, et omnia de génère omni
Maxima quæ vidit quisque, hæc ingentia fingit.


Consuetudine oculorum assuescunt animi, neque admirantur, neque requirunt rationes earum rerum, quas semper vident. La nouuelleté des choses nous incite plus que leur grandeur, à en rechercher les causes. Il faut iuger auec plus de reuerence de cette infinie puissance de nature, et plus de recognoissance de nostre ignorance et foiblesse. Combien y a il de choses peu vray-semblables, tesmoignees par gens dignes de foy, desquelles si nous ne pouuons estre persuadez, au moins les faut-il laisser en suspens : carde les condamner impossibles, c’est se faire fort, par vne téméraire presumption, de sçauoir iusques où va la possibilité. Si Ion entendoit bien la différence qu’il y a entre l’impossible et l’inusité ; et entre ce qui est contre l’ordre du cours de nature, et contre la commune opinion des hommes, en ne croyant pas témérairement, ny aussi ne descroyant pas facilement : on obserueroit la règle de Rien trop, commandée par Chilon.Quand on trouue dans Froissard, que le Conte de Foix sçeut en Bearn la defaicte du Roy Jean de Castille à luberoth, le lendemain qu’elle fut aduenue, et les moyens qu’il en allègue, on s’en peut moquer : et de ce mesme que nos Annales disent, que le Pape Honorius le propre iour que le Roy Philippe Auguste mourut à Mante, fit faire ses funérailles publiques, et les manda faire par toute l’Italie. Car l’authorité de ces tesmoings n’a pas à l’aduenturc assez de rang pour nous tenir en bride. Mais quoy ? si Plutarque outre plusieurs exemples, qu’il allègue de l’antiquité, dit sçauoir de certaine science, que du temps de Domitian, la nouuelle de la bataille perdue par Antonius en Allemaigne à plusieurs iournees de là, fut publiée à Rome, et semée par tout le monde le mesme iour qu’elle auoit esté perduë : et si Cæsar tient, qu’il est souuent aduenu que la renommée a deuancé l’accident : dirons-nous pas que ces simples gens là, se sont laissez piper après le vulgaire, pour n’estre pas clair-voyans comme nous ? Est-il rien plus délicat, plus net, et plus vif, que le iugement de Pline, quand il luy plaist de le mettre en ieu ? rien plus esloigné de vanité ? ie laisse à part l’excellence de son sçauoir, quand ie fay moins de conte : en quelle partie de ces deux là le surpassons nous ? toutesfois il n’est si petit escolier, qui ne le conuainque de mensonge, et qui ne luy vueille faire leçon sur le progrez des ouurages de nature.Quand nous lisons dans Bouchet les miracles des reliques de Sainct Hilaire : passe : son crédit n’est pas assez grand pour nous oster la licence d’y contredire : mais de condamner d’vn train toutes pareilles histoires, me semble singulière impudence. Ce grand Sainct Augustin tesmoigne auoir veu sur les reliques Sainct Geruais et Protaise à Milan, vn enfant aueugle recouurer la veuë : femme à Carthage estre guérie d’vn cancer par le signe de la croix, qu’vne femme nouuellement baptisée luy fit : Hesperius, vn sien familier auoir chasse les esprits qui infestoient sa maison, auec vn peu de terre du Sepulchre de nostre Seigneur : et cette terre depuis transportée à l’Église, vn paralytique en auoir esté soudain guery : vne femme en vne procession ayant touché à la chasse S. Estienne, d’vn bouquet, et de ce bouquet s’estant frottée les yeux, auoir recouuré la veuë pieça perduë : et plusieurs autres miracles, où il dit luy mesmes auoir assisté. Dequoy accuserons nous et luy et deux S. Euesques Aurelius et Maximinus, qu’il appelle pour ses recors ? sera-ce d’ignorance, simplesse, facilité, ou de malice et imposture ? Est-il homme en nostre siècle si impudent, qui pense leur estre comparable, suit en vertu et piété, soit en sçauoir, iugement et suffisance ?

Qui vt rationem nullam afferrent, ipsa autoritate me frangerent.


C’est vne hardiesse dangereuse et de conséquence, outre l’absurde témérité qu’elle traîne quant et soy, de mespriser ce que nous ne conceuons pas. Car après que selon vostre bel entendement, vous auez estably les limites de la vérité et de la mensonge, et qu’il se treuue que vous auez nécessairement à croire des choses où il y a cncores plus d’estrangeté qu’en ce que vous niez, vous vous estes des-ia obligé de les abandonner.Or ce qui me semble apporter autant de desordre en nos consciences en ces troubles où nous sommes, de la Religion, c’est cette dispensation que les Catholiques ont de leur créance. Il leur semble faire bien les modérez et les entenduz, quand ils quittent aux aduersaires aucuns articles de ceux qui sont en debat. Mais outre ce, qu’ils ne voyent pas quel aduantage c’est à celuy qui vous charge, de commancer à luy céder, et vous tirer arrière, et combien cela l’anime à poursuiure sa pointe : ces articles là qu’ils choisissent pour les plus légers, sont aucunefois tres-importans. Ou il faut se submettre du tout à l’authorité de nostre police ecclésiastique, ou du tout s’en dispenser. Ce n’est pas à nous à establir la part que nous luy deuons d’obéissance. Et d’auantage, ie le puis dire pour l’auoir essayé, ayant autrefois vsé de cette liberté de mon chois et triage particulier, mettant à nonchaloir certains points de l’obseruance de nostre Église, qui semblent auoir vn visage ou plus vain, ou plus estrange, venant à en communiquer aux hommes sçauans, i’ay trouué que ces choses là ont vn fondement massif et tressolide : et que ce n’est que bestise et ignorance, qui nous fait les receuoir auec moindre reuerence que le reste. Que ne nous souuient il combien nous sentons de contradiction en nostre iugement mesmes ? combien de choses nous seruoyent hyer d’articles de foy, qui nous sont fables auiourd’huy ? La gloire et la curiosité, sont les fleaux de nostre ame. Cette cy nous conduit à mettre le nez par tout, et celle là nous défend de rien laisser irrésolu et indécis.

CHAPITRE XXVI.

C’est folie de juger du vrai et du faux avec notre seule raison.

L’ignorance et la simplicité se laissent facilement persuader ; mais si l’on est plus instruit, on ne veut croire à rien de ce qui paraît sortir de l’ordre naturel des choses. — Ce n’est peut-être pas sans motif que la simplicité et l’ignorance nous paraissent naturellement portées à plus de facilité à croire et à se laisser persuader, car il me semble avoir appris jadis que croire est pour ainsi dire le résultat d’une sorte d’impression faite sur notre âme, qui reçoit d’autant mieux ces empreintes qu’elle est plus tendre et de moindre résistance. « Comme le poids fait nécessairement pencher la balance, ainsi l’évidence entraîne l’esprit (Cicéron) » ; plus l’âme est vide et n’a rien encore qui fasse contrepoids, plus elle cède aisément sous le faix des premières impressions ; voilà pourquoi les enfants, le vulgaire, les femmes, les malades sont plus sujets à être menés par les oreilles. Par contre, c’est une sotte présomption que de dédaigner et de condamner comme faux tout ce qui ne nous semble pas vraisemblable, défaut ordinaire de ceux qui s’estiment avoir plus de raison que le commun des mortels. Ce défaut, je l’avais autrefois ; si je venais à entendre parler d’esprits qui reviennent, de présages, d’enchantements, de sorcelleries ou raconter quelque autre chose que je ne pouvais admettre : « Songes, visions magiques, miracles, sorcières, apparitions nocturnes et autres prodiges de Thessalie (Horace) », je prenais en pitié ce pauvre peuple dont on abusait par ces folies.

Et cependant autour de nous tout est prodige, et l’habitude seule nous empêche de tout admirer. — À présent, je trouve que j’étais moi-même tout aussi à plaindre ; non que, depuis, quoi que ce soit soit venu ajouter à ce que j’ai cru autrefois, bien que je ne me sois pas fait faute de chercher à vérifier les croyances que je repoussais, mais ma raison m’a conduit à reconnaître que condamner d’une façon absolue une chose comme fausse et impossible, c’est prétendre être à même de juger des bornes et des limites que peuvent atteindre la volonté de Dieu et la puissance de la nature notre mère ; et que la plus grande marque de folie qu’il puisse y avoir au monde, c’est de ramener cette volonté et cette puissance à la mesure de notre capacité et de notre raison. — Si nous appelons monstres ou miracles tout ce que nous ne pouvons expliquer, combien ne s’en présente-t-il pas continuellement à notre vue ? Considérons au travers de quels nuages, par quels tâtonnements, on parvient à nous amener à la connaissance de ce que nous avons constamment sous les yeux, et nous arriverons à reconnaître que c’est plutôt l’habitude que la science qui fait que cela cesse de nous paraître étrange : « Fatigués, rassasiés du spectacle des deux, nous ne daignons plus lever nos regards vers ces temples de lumière (Lucrèce) » ; et ces mêmes choses, si elles nous étaient présentées à nouveau, nous les trouverions autant et plus incroyables qu’aucunes autres : « Si maintenant, par une apparition soudaine, ces merveilles s’offraient pour la première fois à nous, que trouverions-nous à leur comparer ? nous n’aurions rien su imaginer de semblable avant de les avoir vues (Lucrèce). » Celui qui n’avait jamais vu de rivière, à la première qu’il rencontra, crut que c’était l’Océan ; les choses d’entre celles que nous connaissons qui sont les plus grandes, nous les estimons les plus grandes de la nature en leur genre : « Un fleuve qui n’est pas de grande étendue, paraît immense à qui n’en a pas vu de plus grand ; ainsi d’un arbre, ainsi d’un homme et de tout autre objet quand on n’a rien vu de plus grand dans la même espèce (Lucrèce) » ; « familiarisés avec les choses qui, tous les jours, frappent notre vue, nous ne les admirons plus et ne songeons pas à en rechercher les causes (Cicéron). » La nouveauté d’une chose, plus que sa grandeur, nous incite à en chercher l’origine. L’infinie puissance de la nature est à juger avec plus de déférence et en tenant compte davantage de notre ignorance et de notre faiblesse. — Combien de choses peu vraisemblables sont affirmées par des gens dignes de foi ; si leurs témoignages ne suffisent pas pour emporter notre conviction, réservons au moins notre jugement ; car, les déclarer impossibles, c’est se faire fort d’être à même de savoir jusqu’où va la possibilité, ce qui est d’une bien téméraire présomption. Si l’on saisissait bien la différence entre une chose impossible et une chose inusitée, entre ce qui est contre l’ordre de la nature et ce qui est simplement en dehors de ce que nous admettons communément, entre ne pas croire aveuglément et ne pas douter trop facilement d’une chose, on observerait la règle du « Rien de trop », que Chilon nous recommande si fort.

S’il est des choses que l’on peut rejeter parce qu’elles ne sont pas avancées par des hommes qui peuvent faire autorité, il en est de très étonnantes qu’il faut au moins respecter, lorsqu’elles ont pour témoins des personnes dignes de notre confiance. — Quand on trouve, dans Froissart, que le comte de Foix, étant dans le Béarn, apprit la défaite à Juberoth du roi Jean de Castille le lendemain de l’événement et qu’on voit les explications qu’il en donne, on peut s’en moquer. Il peut en être de même quand on lit dans nos « Annales » que le jour même où le roi Philippe-Auguste mourut à Mantes, le pape Honorius lui fit faire des funérailles publiques et donna l’ordre d’en faire autant dans toute l’Italie ; ces témoignages n’ont peut-être pas une autorité suffisante pour nous convaincre. Mais, par contre, si, entre plusieurs exemples qu’il cite chez les anciens, Plutarque dit savoir de source certaine que, du temps de Domitien, la nouvelle de la bataille perdue en Allemagne par Antonius, à plusieurs journées de Rome, y fut publiée et répandue dans le monde entier le jour même où l’action avait lieu ; si César admet qu’il est souvent arrivé que la nouvelle d’un événement en a devancé le fait, nous ne dirons pas d’eux que ce sont des simples d’esprit, qui se sont laissé tromper comme le vulgaire et ne sont pas aussi clairvoyants que nous, — Peut-on exprimer une opinion avec plus de délicatesse, de netteté, de piquant que le fait Pline, quand il lui convient d’en émettre ? impossible de porter des jugements mieux fondés ; sur ces deux points, nous ne saurions le surpasser ; et je ne parle pas ici de son savoir si étendu, dont pourtant je fais moins de cas ; pourtant, il n’est pas si pauvre petit écolier qui ne le taxe d’inexactitude et ne prétende lui en remontrer sur le progrès des œuvres de la nature.

Lorsque nous lisons, dans Bouchet, les miracles opérés par les reliques de saint Hilaire, passe encore ; on peut être incrédule, l’auteur n’a pas assez d’autorité pour que nous ne soyons pas admis à le contredire ; mais condamner du même coup tous les faits semblables qu’on nous rapporte, me semble d’une singulière présomption. — Saint Augustin, ce grand docteur de notre Église, témoigne avoir vu à Milan un enfant aveugle recouvrer la vue par l’attouchement des reliques de saint Gervais et de saint Protais ; une femme, à Carthage, guérie d’un cancer par un signe de croix qui lui est fait par une femme nouvellement baptisée ; Hespérius, un de ses familiers, chasser les esprits qui hantaient sa maison, avec un peu de terre rapportée du sépulcre de Notre-Seigneur ; et plus tard cette terre, transportée à l’église, avoir rendu subitement l’usage de ses membres à un paralytique ; une femme, pendant une procession, ayant touché avec un bouquet la châsse de saint Étienne, et porté ce bouquet à ses yeux, avoir recouvré la vue perdue depuis longtemps déjà, et cite encore plusieurs autres miracles, auxquels il déclare avoir lui-même assisté. Que dirons-nous de lui qui les affirme et des deux saints évêques Aurélius et Maximius, dont il invoque les témoignages ? Dirons-nous que ce sont des ignorants, des simples d’esprit, des gens de facile composition, ou des gens pervers et des imposteurs ? Y a-t-il, dans notre siècle, quelqu’un assez impudent pour oser se comparer à lui, soit sous le rapport de la vertu et de la piété, soit sous celui du jugement et de la capacité ? « Quand ils n’apporteraient aucune raison, ils me persuaderaient par leur seule autorité (Cicéron). » — C’est une audace dangereuse et qui peut avoir de sérieuses conséquences, en dehors même de ce qu’elle a de téméraire et d’absurde, que de mépriser ce que nous ne comprenons pas. Qu’après avoir posé avec votre impeccable jugement la démarcation entre le vrai et le faux il survienne, ainsi que cela est inévitable, des faits que vous ne puissiez nier, dépassant encore plus en surnaturel ceux que vous récusez déjà, vous voilà, par cela même, obligés de vous déjuger.

En matière de religion, ce n’est pas à nous à décider ce que l’on peut ou non concéder aux ennemis de la foi. — M’est avis que ce qui apporte tant de désordres dans nos consciences, en ces temps de troubles religieux que nous traversons, c’est la distinction que les catholiques établissent entre les divers articles de foi. Ils imaginent faire acte de modération et de discernement, en concédant à leurs adversaires certains points en litige ; ils ne voient pas quel avantage ils leur donnent en commençant par leur céder et battre en retraite, et combien leur désistement les excite à poursuivre dans la voie où ils sont entrés. Les points sur lesquels ils cèdent, leur semblent de moindre importance ; il peut se faire qu’ils en aient une très grande. Ou il faut, en tout, se soumettre à l’autorité des pouvoirs ecclésiastiques que nous reconnaissons, ou les récuser en tout ; ce n’est pas à nous à déterminer ce sur quoi nous leur devons, ou non, obéissance. — Bien plus, et je puis le dire parce que je l’ai éprouvé, ayant autrefois usé de cette liberté de trier et de faire choix de certaines pratiques, à l’égard desquelles je jugeais à propos de ne pas observer les obligations que nous impose l’Église, parce que je les trouvais ou par trop inutiles, ou par trop singulières, et étant venu à m’en entretenir avec des hommes possédant à fond la science théologique, il m’a été démontré que ces pratiques reposent sur des raisons de premier ordre et très sérieuses, et que c’est uniquement par bêtise et ignorance que nous les traitons avec moins de déférence que le reste. Que ne nous souvenons-nous en combien de contradictions est tombé notre jugement ! Combien de choses nous tenions hier pour articles de foi et que nous considérons aujourd’hui comme des fables ! La gloire et la curiosité sont[1] les deux fléaux de notre âme : celle-ci nous amène à mettre notre nez partout ; celle-là nous porte à ne rien laisser d’irrésolu et d’indécis.

  1. *