Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (trad. Daremberg)/Tome II/X/4

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Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (1856)
Traduction par Charles Victor Daremberg.
Baillière (IIp. 583-624).
LIVRE QUATRIÈME.


Chapitre premier. — Récapitulation des livres précédents.


Dans les deux premiers livres, nous avons suffisamment scruté, au moyen de nombreux exemples pris dans des parties limitées, la méthode générale que nous employons pour les diagnostics des lieux affectés[1]. Mais, ainsi que nous l’avons déclaré et démontré souvent déjà dans d’autres ouvrages, il faut se former et s’exercer aux cas particuliers, si l’on veut, dans les œuvres de l’art, appliquer sûrement et rapidement à la fois chacun des enseignements fournis par les méthodes générales ; en conséquence, il nous a paru préférable maintenant d’exposer les diagnostics rationnels (ceux qu’on obtient, non par les sens seuls, mais par le raisonnement. — Voy. note 1, p. 468) de toutes les parties du corps qui n’apparaissent pas aux sens et susceptibles d’une affection quelconque, en commençant par la tête. Nous avons donc, dans le troisième livre de cet ouvrage, exposé les lésions de la mémoire, de l’intelligence et des autres fonctions que nous nommons ordinairement dirigeantes, en même temps que nous appliquions la méthode à des formes nombreuses d’affections. En effet, nous avons traité dans ce livre du délire qui se manifeste dans les affections phrénétiques, et du délire sans fièvre appelé manie. Nous avons également parlé du léthargus, du carus et des affections épileptiques, mélancholiques et vertigineuses, comme aussi de la céphalée et de l’hémicrânie, de l’apoplexie et autres affections semblables.


Chapitre ii. — Du diagnostic différentiel des affections primaires et sympathiques des yeux et de leurs annexes, affections dont le siége n’est pas accessible à la vue.


Dans le présent livre, qui est le quatrième de l’ouvrage entier, je traiterai des affections des parties profondes de la face, en commençant par les yeux. Parfois un des yeux, parfois les deux éprouvent une paralysie du mouvement ou de la sensibilité, ou des deux facultés à la fois. Parfois encore, dans un œil, la paupière seule est affectée ; parfois aussi la lésion attaque la sensibilité ou le mouvement de ce qu’on nomme proprement globe de l’œil. Quand donc il arrive que, sans aucun mal apparent de l’œil, la sensibilité visuelle se perd, c’est le nerf allant de l’encéphale à l’œil qui en est cause, qu’il soit atteint d’une inflammation ou d’un squirrhe, ou lésé d’une façon quelconque, soit par un écoulement d’humeurs, soit par l’obstruction du conduit qui existe à son centre. Comme partie organique, il éprouve nécessairement ces affections ; et comme partie homoïomère, celles qu’engendrent les huit dyscrasies. En dehors de ces cas, les mêmes accidents ont lieu lorsque le pneuma lumineux n’arrive plus ou arrive en très-petite quantité de son principe situé dans l’encéphale. Quand le mouvement seul de l’un des yeux est aboli, c’est que le nerf de la deuxième paire (3e des modernes), dérivé de l’encéphale, est nécessairement atteint d’une de ces affections que j’attribuais tout à l’heure à l’autre nerf de la première paire. Mais, ainsi que nous l’a enseigné la dissection, comme il existe six muscles qui meuvent l’œil même, et d’autres qui entourent la racine du conduit qui y aboutit (cf. Util. des parties, X, ix), car c’est ainsi que les anatomistes appellent le nerf de la première paire, parce que seul il présente un trou manifeste à son centre, il arrive souvent que, ce nerf n’éprouvant aucune affection, c’est un muscle qui éprouve dans sa substance propre une de ces affections dont je viens de parler, ou bien encore que le nerf aboutissant à ce muscle est lésé. En effet, une portion du nerf issu de la deuxième paire va à chacun de ces nerfs, comme aussi aux muscles qui entourent le conduit ; qu’on considère ces muscles comme deux, comme trois ou comme un seul, peu importe pour le présent sujet, puisque nous savons que ces muscles ont pour fonction de tirer l’œil en arrière et en même temps de l’affermir, afin que le nerf mou, nommé aussi nerf optique et conduit, ne s’écarte de son trajet en aucune façon.

Les nerfs moteurs de l’œil étant donc au nombre de six, si c’est le releveur qui est affecté, dans ce cas tout l’œil paraît abaissé ; si c’est l’abaisseur, il paraît relevé. Si l’affection atteint le muscle qui tire l’œil vers le petit angle, l’œil paraît tiré vers le grand angle, et réciproquement. Si la paralysie frappe un des muscles rotateurs quel qu’il soit, tout l’œil éprouvera une distorsion oblique (strabisme). Comme il existe, ainsi que je le disais, d’autres muscles qui entourent le nerf mou, il faut savoir que leur paralysie rend saillant l’œil tout entier. Cette circonstance n’amène chez la plupart aucune lésion de la vue, le nerf mou s’étant étendu insensiblement et n’éprouvant aucune affection ; s’il en éprouve une, les individus ainsi affectés voient moins bien. S’il arrive que l’affection augmente, évidemment la vue se perdra complétement. Dans le strabisme, la conversion des yeux vers un angle quelconque ne prive pas de la faculté visuelle ; la déviation en haut et en bas, et aussi les déviations obliques, font voir doubles tous les objets.

Comme les muscles qui meuvent la paupière supérieure, car la paupière inférieure est immobile, sont si petits que dans les grands animaux on les voit à peine distinctement, il est naturel qu’on aperçoive difficilement les nerfs qui s’y insèrent. II en est de ces muscles comme des muscles précités : souvent les muscles mêmes éprouvent quelqu’une des affections que nous savons être propres aux muscles ; parfois aussi l’affection atteint un des nerfs qui s’y insèrent. Lorsque le muscle releveur de la paupière supérieure, venant à être paralysé, laissera la paupière lâche, de sorte qu’elle ne pourra découvrir l’œil, les muscles abaisseurs, car il y en a deux, ne pourront fermer l’œil. Si l’un d’eux seul est affecté, la paupière sera tiraillée vers le muscle antagoniste, de sorte qu’elle paraîtra brisée [verticalement] au niveau de la ligne intermédiaire (partie de leur contour), celle qui est à leur extrémité (c’est-à-dire à leur point de contact) ; une partie, celle où se trouve le muscle affecté, sera tirée en haut, tandis que l’autre, où se trouve le muscle non affecté, sera tirée en bas[2].

Telles sont les affections des parties des yeux dans lesquelles les lieux affectés sont invisibles ; d’autres affections s’y produisent par sympathie. Ainsi, il s’y manifeste des symptômes semblables aux images (myiodopsie) qui se présentent dans les suffusions (cataractes), non par une affection propre de l’œil, mais par sympathie avec une affection de l’orifice de l’estomac ou de l’encephale. Il faut distinguer ces visions propres aux suffusions de celles qui proviennent de l’estomac, d’abord parce que dans les suffusions elles se produisent dans un œil seul ou dans les deux également. Généralement, au contraire, les visions qui résultent d’une humeur malfaisante contenue dans l’estomac, se présentent aux deux yeux à la fois ; celles qui se manifestent dans les suffusions ne débutent pas dans les deux yeux, et n’apparaissent pas en même temps. Elles se distinguent, en second lieu, par le temps. En effet, si trois, quatre mois ou davantage, après qu’on a observé les symptômes des suffusions, vous ne trouvez, en examinant les pupilles, aucune trace d’obscurcissement, vous conclurez que l’affection vient de l’orifice de l’estomac ; au cas où il ne se serait pas encore écoulé un temps suffisant, vous demanderez d’abord aux malades si tous les accidents se montrent ainsi constamment tous les jours, depuis le début de l’affection, sans intervalle d’un seul jour complétement exempt de visions, ou s’il s’est passé quelques journées pendant lesquelles leur état était si satisfaisant, qu’ils devaient croire que leur santé était parfaite. En effet, l’affection continue paraît indiquer une suffusion ; intermittente, elle fait soupçonner que le trouble provient de l’estomac, surtout si le malade reconnaît qu’il n’a aucune vision quand la coction s’est bien opérée en lui, plus encore lorsqu’il sent un picotement à l’orifice de l’estomac en même temps que les visions se manifestent, et davantage encore lorsque, les matières mordicantes étant vomies, les symptômes cessent. Vous pourrez, en interrogeant le malade, savoir ces choses dès le premier jour où vous le verrez, lorsque les yeux sont, comme je le disais, exactement dans leur état naturel. Si l’une des pupilles est un peu obscurcie ou trouble, ou, pour dire en un mot, si elle n’est pas parfaitement pure, il existe un commencement de suffusion. Si certaines gens n’ont pas naturellement les pupilles très-pures, il faut examiner si toutes les deux paraissent dans le même état, et savoir de plus si le temps pendant lequel ont existé ces symptomes ne suffit pas encore [à la formation d’une véritable suffusion]. Dans ce dernier cas, ordonnez qu’on prenne moins d’aliments qu’à l’ordinaire, et des aliments qui ne renferment aucune humeur malfaisante. Puis, le jour suivant, si la coction s’est bien opérée, informez-vous si les visions sont survenues. S’il n’en est pas apparu, ou s’il ne s’en est montré que de très-légères, c’est que le symptôme provenait de l’orifice de l’estomac ; si les visions persistent également, il faut savoir que ce n’est pas par sympathie, mais par une diathèse propre qu’elles surviennent dans les yeux, et plus encore s’il en est ainsi quand on a pris le médicament à l’aloès. J’appelle médicament à l’aloès ce que d’autres nomment le médicanent sacré amer (ἱερὰ πικρά), ou simplement le médicament amer. En effet, si les visions tiennent à une affection de l’orifice de l’estomac, le malade sera guéri très-aisément en prenant ce médicament, en même temps que la bonne coction reparaîtra ; de sorte que le diagnostic du lieu affecté et sa guérison concorderont. Quant à moi, vous le savez, j’ai guéri par lettres des individus vivant en pays étrangers et ayant cette affection même, sans les avoir vus, J’ai reçu de l’Ibérie, de la Celtique, de l’Asie et de la Thrace des lettres où l’on me priait d’envoyer quelque médicament, si j’en connaissais d’estimé, contre des commencements de suffusion, sans aucune lésion apparente de la pupille. Je demandai qu’on m’informât d’abord si l’affection datait d’un temps éloigné, et je réclamai les autres indications que j’énoncais un peu plus haut. Quand on m’eut répondu que six mois ou un an s’étaient écoulés depuis le début de l’affection, que les deux yeux également se trouvaient mieux à la suite de bonnes coctions, et qu’ils étaient irrités à la suite de mauvaises coctions et des picotements de l’orifice de l’estomac ; que les vomissements de bile les soulageaient, je ne fis plus désormais aucune question sur la pupille, parfaitement convaincu qu’il existait une affection, non pas propre aux yeux, mais dépendant sympathiquement de l’estomac. J’envoyai le médicament amer ; je guéris d’abord et avant tout ces gens, puis par eux beaucoup d’autres de leurs compatriotes. En effet, tous ceux à qui j’en envoyai, étant instruits, et sachant, par les détails que je leur avais donnés, diagnostiquer les lieux affectés, les reconnurent désormais avec facilité eux-mêmes, et prescrivirent avec succès le médicament amer.

Des symptômes semblables à ceux des suffusions se présentent souvent, l’encéphale étant affecté, dans certaines formes ou variétés de phrénitis, comme vous voudrez les nommer, car il existe deux phrénitis simples, et une troisième, composée des deux autres. En effet, certains phrénétiques, ne commettant absolument aucune erreur dans le discernement sensible des choses visibles, ne sont pas dans leur état normal quant aux jugements intellectuels. D’autres, au contraire, ne commettent aucune erreur de jugement, mais sont entraînés d’une façon désordonnée par leurs sens. Il arrive à d’autres d’être lésés des deux façons. Voici comment se comportent l’une et l’autre affection :

Un individu en proie à la phrénitis, et demeurant dans sa maison, à Rome, avec un esclave ouvrier en laine, se leva de son lit et vint à la fenêtre, d’où il pouvait voir les passants et en être vu. Puis leur montrant chacun des vases en verre qu’il possédait, il leur demandait s’ils lui ordonnaient de les jeter. Ceux-ci l’engageant, avec des rires et en battant des mains, à les jeter, notre malade, les prit à la main, les lança tous successivement au bruit des rires et des acclamations. Puis il leur demanda s’ils voulaient qu’il jetât aussi l’esclave, et, sur leur réponse affirmative, il le jeta par la fenêtre. Les spectateurs, le voyant tomber de haut, cessèrent de rire, et, s’élançant, ils relevèrent le malheureux brisé. — J’observai l’affection opposée non pas seulement chez d’autres, mais encore sur moi-même, dans ma jeunesse. Atteint pendant l’été d’une fièvre ardente, je croyais voir voltiger sur mon lit des fétus de couleur sombre, et sur mes vêtements des flocons de même couleur. Je cherchais à les saisir, mais n’en pouvant prendre un avec mes doigts, je renouvelais mes tentatives avec plus d’application et d’insistance. J’entendis deux de mes amis présents se dire entre eux : « Oh ! le voici déjà qui est pris de crocidisme et de carphologie. » Je compris parfaitement que je souffrais ce qu’ils disaient, et comme je sentais en moi-même que mon intelligence n’éprouvait aucun dérangement : « Vous avez raison, leur dis-je ; venez donc à mon aide pour que la phrénitis ne s’empare pas de moi. » Ils s’occupèrent à pratiquer sur la tête des affusions convenables ; tout le jour et la nuit, je fus agité de rêves si pénibles, qu’ils m’arrachaient des cris et me faisaient bondir ; mais tous les symptômes s’apaisèrent le jour suivant.

Il est donc évident que l’origine des symptômes qui tiennent, eu égard à l’espèce, à une seule et même cause, ne dérive pas du même lieu primitivement affecté chez ceux qui, comme nous l’avons dit, éprouvent des affections de l’encéphale par sympathie avec l’estomac. En effet, lorsqu’il s’est amassé dans l’encéphale une humeur bilieuse, accompagnant une fièvre ardente, l’encéphale souffre quelque chose de semblable à ce qu’éprouvent les objets rôtis devant le feu ; il se produit, dans ce cas, une fumée comme en dégage l’huile des lanternes. Cette fumée, s’insinuant par les vaisseaux qui aboutissent à l’œil, devient pour eux la cause des visions. En effet, vous avez vu, dans les dissections, qu’avec les nerfs descendent à l’œil des artères et des veines, issues de celles qui forment le plexus de la membrane choroïde. Mais terminons ici ce discours suffisamment étendu.

À l’égard des autres parties des yeux, disons immédiatement, et d’une façon générale, que notre but est maintenant d’indiquer le diagnostic, non des parties nettement visibles, qui ne conservent pas leur constitution physique, mais de celles dont l’affection ne se manifeste pas aux sens. En effet, dans les cas où l’on voit clairement qu’une partie de la pupille est rompue (procidence de l’iris), ou tiraillée de côté, ou dilatée ou resserrée contre nature (mydriasis ou myosis), cette affection n’exige aucune sagacité dans le diagnostic ; il appartient à l’art medical de savoir quelle est la diathèse qui l’a produite, et ce sujet a été traité dans notre ouvrage Sur les causes des symptômes. Je n’ai donc pas à m’occuper dans ce livre des parties affectées des yeux qui sont accessibles aux sens, non plus que des affections qui naissent dans ces parties. En effet, les noms des affections sont donnés dans un petit livre qui a pour titre : Diagnostic des affections des yeux. Les causes, comme je le disais, sont Indiquées dans le livre Sur les causes des symptômes (voy. Dissert. sur la pathologie).


Chapitre iii. — Des affections de la langue, et à ce propos définition et distinction des différentes affections du cerveau qui intéressent le mouvement et la sensibilité.


Il convient donc maintenant de passer à la langue. Nous voyons que dans la langue c’est tantôt le mouvement, tantôt le sens du goût qui est lésé, et tantôt, avec le sens du goût, celui du toucher. Or il n’existe pas des nerfs pour le toucher et d’autres nerfs pour le goût, comme pour le mouvement [et le sentiment]. En effet, les nerfs issus de la troisième paire (portion de la 5e paire des modernes ; voy. Util. des parties, IX, viii, t. I, p. 584) ont l’appréciation non-seulement des objets tactiles, mais encore des objets sapides. Le sens du goût est plus souvent lésé que celui du toucher, bien qu’il réside dans les mêmes nerfs, parce qu’il exige une appréciation plus exacte[3]. En effet, le sensorium du toucher est le plus grossier, comme celui de la vue est le plus subtil. Après la vue, vient au second rang, pour la subtilité, le sens de l’ouïe, et pour l’épaisseur, comme après le toucher c’est le goût qui est le plus grossier, le sens de l’odorat se trouve au milieu des quatre. Le mouvement de la langue dérive de la septième paire des nerfs (12e paire des modernes ; voy. Ibid., chap. xii et xiii), issus de l’encéphale, dans le voisinage du principe de la moelle dorsale. Quand donc les deux parties de l’encéphale, la droite et la gauche, se trouvent affectées dans cette région, il y a danger d’apoplexie (paralysie générale). Quand c’est une partie seulement, cela se termine par une paraplégie qui abolit parfois le mouvement seul dans une moitié de la langue, et parfois se jette sur les parties inférieures de la tête, tantôt les unes, tantôt les autres, et parfois sur toute une partie du corps jusqu’à l’extrémité des pieds. On voit donc la langue être la seule des parties de la face atteinte de la susdite lésion, sans que les sens du toucher et du goût soient lésés en elle. La cause en est évidente pour vous qui avez vu les nerfs se détacher de la partie antérieure de l’encéphale pour se rendre à la face, et de la partie postérieure [ainsi que de la moelle] pour se distribuer à toutes les parties qui sont au-dessous de la face dans l’animal tout entier ; de ces derniers nerfs fait aussi partie la paire qui aboutit aux muscles de la langue, muscles qui accomplissent volontairement les mouvements de cet organe. Il est donc naturel, quand la partie antérieure seule de l’encéphale est affectée, que le mouvement de la langue demeure intact, tandis que toutes les autres parties de la face perdent leurs mouvements sensitifs et volontaires dans une partie, soit la droite, soit la gauche. Si la partie antérieure tout entière de l’encéphale est affectée, nécessairement son ventricule supérieur est également affecté par sympathie, et les fonctions intellectuelles sont lésées. L’individu ainsi affecté est privé de sensibilité et de mouvement, sans éprouver aucune lésion de la respiration ; cette affection est appelée carus, de même qu’on appelle apoplexie celle où la respiration est si fortement lésée, que les individus respirent avec une grande force, difficilement et comme ceux qui ronflent dans un profond sommeil. La disparition de l’apoplexie est très-souvent suivie de l’affection dite paraplégie, tandis que la terminaison du carus est généralement le retour à la bonne santé.

Le carus se manifeste dans les affections des muscles crotaphytes, comme l’a démontré Hippocrate (Articul., § 30 ; cf. t. I, p. 656-7), et dans les maladies aiguës, comme l’a écrit le même Hippocrate. Entre les deux affections, le carus et l’apoplexie, se trouve l’épilepsie, qui amène des convulsions de tout le corps, et qui pourtant n’aboutit pas à une paraplégie. Une humeur froide ou épaisse, ou excessivement visqueuse, est cause de ces trois maladies. Mais, dans les carus et les épilepsies, ce sont les ventricules qui ordinairement sont plus affectés, et le corps de l’encéphale l’est moins ; dans les apoplexies, c’est le corps qui l’est davantage. Dans les carus, les parties antérieures sont plus affectées ; dans les apoplexies et les épilepsies, les antérieures et les postérieures le sont également. Dans les catalepsies et dans les affections dites catoché, les parties postérieures sont plus affectées. Mais quand un os est perforé par le trépan, si le ventricule moyen est comprimé, le carus s’empare de l’individu, sans convulsion ni gêne de la respiration, caractères qui sont propres, l’un à l’épilepsie, l’autre à l’apoplexie, comme le maintien de la respiration naturelle est un caractère du carus et de la catalepsie. Le carus s’accompagne de l’occlusion des paupières ; dans la catalepsie, les paupières sont ouvertes. De même que dans la trépanation, si quelqu’un, appuyant sans soin le méningophylax[4], a comprimé la méninge plus qu’il ne convient, le carus se manifeste ; de même lorsqu’un os du crâne, brisé violemment, comprime les ventricules du cerveau, et surtout le ventricule moyen, le carus survient également. Cette affection se montre encore à la suite des vives douleurs, la puissance du pneuma psychique s’étant écoulée avec elles. J’appelle pneuma psychique, comme vous savez, le pneuma des ventricules de l’encéphale, qui est le premier organe servant à l’âme pour envoyer dans toutes les parties du corps la sensibilité et le mouvement. Il m’a donc paru préférable de définir actuellement les affections de l’encéphale, et à cause de leur rapport avec le sujet en question, et parce qu’il en a été parlé d’une façon assez indéterminée dans le livre précédent.

Je reviens aux affections de la langue, dont les unes sont communes à cause de ses relations avec l’encéphale et les nerfs, et dont les autres sont propres à la langue seule. De même que, par ses rapports avec l’encéphale, la langue était lésée dans son mouvement par les affections de la septième paire (12e des modernes), de même elle est gênée dans sa sensibilité par celles de la troisième, que les anatomistes nomment nerf mou, laquelle s’insère, comme vous savez, et se distribue dans la tunique qui enveloppe la langue : ainsi se comporte une partie des nerfs de la septième paire dans les muscles qui meuvent la langue. Les affections propres à la langue seront trouvées sans difficulté par ceux qui se rappellent ce que j’ai dit tout à l’heure (chap. ii) des affections propres aux yeux. En effet, les dyscrasies des muscles de la langue, comme parties homoïomères, gênent ses mouvements, de même que les dyscrasies de la membrane externe qui la recouvre gênent l’exercice des deux sens du toucher et du goût. Quant aux affections organiques, inflammations, squirrhes, œdèmes, érysipèles et suppurations, toutes sont écartées du présent traité, attendu qu’elles sont diagnostiquées par les yeux et le toucher ; car notre but est d’examiner toutes les parties dont nous ne pouvons discerner les affections par la vue ni par le tact, et qui doivent être découvertes à l’aide de certains signes, par un procédé démonstratif, et, pour dire en un mot, par le raisonnement.


Chapitre iv. — Méthode à suivre dans le diagnostic des affections de l’oreille.


En raisonnant de même à l’égard de l’ouïe, toutes les affections qui se manifestent dans les cavités visibles des oreilles ne réclament pas un diagnostic par le raisonnement. Pour celles qui surviennent quand le conduit auditif paraît exempt d’affection, mais que l’organe de l’ouïe est lésé dans sa fonction acoustique, nous les diagnostiquons par la méthode rationnelle. Si le sens de lésé. Si l’ouïe seule est affectée, nous conjecturons que le nerf propre est affecté avec les autres parties de la face, nous pensons que la diathèse contre nature se trouve dans l’encéphale, lequel est affecté comme partie homoïomère ou comme partie organique.


Chapitre v. — Des affections de la face. — Notions anatomiques qui servent à les expliquer.


Ce n’est pas seulement le mouvement, mais encore la sensibilité de toutes les parties de la face qui se perdent quelquefois entièrement, ou sont lésés, tantôt par une affection idiopathique des parties compromises dans leurs fonctions, tantôt par celle des nerfs qui y vont de l’encéphale, tantôt par une affection de l’encéphale même. Toutes ces variétés se distingueront les unes des autres par les symptômes qui s’y joignent. En effet, lorsqu’une seule partie de la face est affectée dans sa sensibilité, dans son mouvement ou dans les deux facultés à la fois, cette partie seule est cause de la diathèse, soit par sa substance propre qui éprouve une affection organique ou une dyscrasie, soit par les nerfs qui, de la troisième paire, se portent à ces parties. Mais quand plusieurs parties à la fois sont affectées, il faut examiner si dans leur état naturel elles tiennent leur sensibilité d’un seul principe de nerfs ou de plusieurs. Ainsi, nous avons vu par les dissections que la troisième paire (5e des modernes) fournit aux muscles temporaux, aux masséters, aux lèvres et aux ailes du nez la sensibilité et le mouvement, le mouvement seul à la langue, comme à toutes les parties de la bouche ; que la deuxième paire (3e des modernes), meut les muscles seuls des yeux, comme la première fournit aux yeux mêmes la sensibilité visuelle. Pour tous les organes donc qui reçoivent leurs nerfs de la troisième paire, quand on les voit lésés dans une partie seulement, rappelez-vous toujours cela sans que nous le disions, il faut considérer que la protopathie dérive du nerf. Quand la lésion se trouve dans les deux parties, l’affection n’est pas propre au nerf, elle réside primitivement dans le lieu de l’encéphale d’où dérivent les nerfs. Quand les deux parties de l’encéphale, la gauche et la droite, sont affectées dans la région de la troisième paire, les parties voisines sont affectées par sympathie, et conséquemment les nerfs de la deuxième et de la troisième paire sont lésés, et la lésion de ces nerfs est suivie de la lésion de toutes les parties des yeux. Quand un muscle ou un nerf seuls sont affectés d’une manière quelconque, soit par idiopathie, soit par sympathie, la partie est tirée vers le muscle opposé ; si le muscle moteur de la partie droite de la lèvre est paralysé, cette partie de la lèvre est tirée vers la région gauche ; si c’est la partie gauche, elle est tirée vers la région droite. Il en est de même pour la mâchoire entière, pour les ailes du nez, pour les deux joues, qui, mues, vous le savez, par le muscle large (peaucier), sont tirées du côté opposé à la partie paralysée. Ce muscle ne reçoit pas ses nerfs de la troisième paire, ils lui viennent des vertèbres du cou dans presque toute son étendue ; une faible portion, la région la plus élevée du muscle, est la seule où s’insèrent les nerfs de la cinquième paire (7e et 8e des modernes ; 7e de Willis).


Chapitre iv. — Des affections de la moelle épinière et des diverses espèces d’angines qui en sont la conséquence. — Passage d’Hippocrate sur les incurvations de l’épine et commentaire sur ce passage. — Que chaque espèce de lésion de la moelle a des symptômes spéciaux. — Notions anatomiques qui expliquent ces diverses particularités. — Galien, revenant aux angines, discute les différents noms qu’elles ont reçus, et indique quelle affection correspond précisément à ces dénominations.


Il convient maintenant de passer aux affections de la moelle épinière. Ici les affections de la moelle sont enseignées d’une manière concise ; mais il n’en est pas de même en ce qui concerne la connaissance des œuvres mêmes que la moelle accomplit. En effet, si l’on ne se rappelle pas dans quelle partie du corps arrive chaque paire de nerfs issue de la moelle, il est impossible de connaître au niveau de quelle vertèbre la moelle est affectée, tandis que pour qui s’en souvient la connaissance du lieu affecté est très-facile. À cette connaissance de toutes les autres parties, on joindra encore celle des nerfs dérivés de la moelle épinière. Ainsi, dès que les premières vertèbres sont affectées, il se déclare, une angine (κυνάγχη) ou συνάγχη), rarement il est vrai, et encore plutôt chez les enfants que chez les hommes faits. Hippocrate l’a ainsi décrite dans le second livre des Épidémies (sect. II, § 24).

« Les accidents[5] éprouvés par les individus affectés de cynanche furent les suivants (1re catégorie, déplacement en avant) : Les vertèbres du cou se tournaient en dedans (en avant), chez les uns plus, chez les autres moins. En dehors (en arrière), le cou présentait manifestement une dépression, et le malade éprouvait de la douleur quand on touchait cette région, Le mal siégeait un peu plus bas que l’os appelé dent (à cause de l’apophyse odontoïde : 2e vert.), d’où il résulte que la maladie était moins aiguë. Chez quelques malades, la tumeur était tout à fait arrondie, avec une circonférence plus étendue. Si ce qu’on appelle dent n’était pas déplacé, le pharynx était sans inflammation et exempt d’affection ; le gonflement de la région sous-maxillaire ne ressemblait pas à la tuméfaction inflammatoire. Chez personne les glandes ne se gonflèrent, elles étaient plutôt dans l’état naturel ; les malades ne remuaient pas facilement la langue, mais elle leur semblait plus volumineuse et plus pendante. Les veines sublinguales (ranines) étaient apparentes ; la déglutition des liquides était impossible, ou du moins très difficile, et la boisson remontait dans le nez, si les malades se forçaient ; ils parlaient du nez ; la respiration n’était pas très-élevée. Il y en eut quelques-uns chez qui les vaisseaux (artères) des tempes, de la tête et du cou battaient. Dans les cas qui devenaient très-graves, les tempes étaient chaudes, quand, du reste, il n’y avait pas de fièvre. La plupart n’éprouvaient aucune suffocation, à moins qu’ils n’entreprissent d’avaler soit leur salive, soit toute autre chose. Les yeux n’étaient pas enfoncés non plus. Quand le déplacement des vertèbres était direct et sans inclinaison latérale, les malades ne devenaient pas paraplectiques. Si j’apprends que quelques malades aient succombé, je le rappellerai ; mais ceux que je connais maintenant ont échappé ; les uns guérissaient très-promptement, mais le plus grand nombre allaient jusqu’à quarante jours ; néanmoins ils étaient pour la plupart sans fièvre ; beaucoup aussi gardaient pendant longtemps une partie du gonflement morbide ; la déglutition et la voix conservaient encore les traces de la maladie ; la luette se fendait, présentait une certaine atrophie désagréable, sans qu’elle eût l’apparence malade. — (2e catégorie, déplacement latéral). Quant aux malades qui étaient affectés d’un déplacement latéral, de quelque côté que se portassent les vertèbres, ils étaient tous paralysés de ce côté, et éprouvaient des contractions de l’autre. Cet état était surtout apparent à la face, à la bouche et au voile (διάφραγμα) qui est de chaque côté de la luette (voile du palais) ; de plus, la mâchoire inférieure était dérivée en proportion, mais la paraplégie ne s’étendait pas, comme ordinairement, à tout le corps ; celle-ci dépendant de l’angine ne dépassait pas le bras. Ces malades expectoraient des matières cuites et s’essoufflaient promptement ; ceux chez qui la vertèbre faisait saillie en avant expectoraient aussi. Les malades qui avaient en même temps la fièvre, avaient plus de dyspnée, rendaient de la salive en parlant, et avaient les veines très-gonflées. Tous avaient les pieds très-froids, mais surtout ces derniers, et ceux-là pouvaient aussi se tenir moins facilement debout, même ceux qui ne mouraient pas très-rapidement. Tous ceux que j’ai observés sont morts. »

J’ai déjà reproduit textuellement tout ce passage dans le second livre de mes Commentaires sur le second livre des Épidémies. Si je l’ai de nouveau transcrit tout entier ici, c’est qu’Hippocrate montre sur beaucoup de sujets l’existence d’une angine rarement observée par nous sans affection propre du larynx. Il montre, en outre, qu’elle a son origine dans les premières vertèbres, dont la deuxième (axis) porte l’apophyse dite odontoïde, d’où le nom de dent que plusieurs ont donné à cette vertèbre entière. Il dit encore que l’angine provenant d’une vertèbre inférieure à celle-ci n’est pas aussi aiguë que celle qui provient de la seconde. Il est de toute évidence, en effet, que les parties élevées de l’épine sont plus importantes que les parties plus basses. Lors donc que la diathèse naît beaucoup plus bas que les deux premières vertèbres, il en résultera une lésion bien moins grave encore. En effet, nous avons appris par la dissection que les nerfs du diaphragme naissent après la quatrième et la cinquième vertèbre ( Voy. Util. des parties, XIII, v et ix), Le traité Sur les causes de la respiration (ouvrage perdu) nous a appris encore que la respiration naturelle est accomplie par le diaphragme seulement, que l’action des muscles intercostaux s’y ajoute lorsque nous avons besoin d’une inspiration plus forte, comme aussi l’action des muscles supérieurs, quand nous avons besoin d’une inspiration très-forte. Ce n’est pas seulement en vue d’une respiration grande ou très-grande que nous mettons en action ces muscles, mais encore pour d’autres causes que nous avons énumérées dans l’ouvrage Sur la difficulté de respirer.

Présentement, il suffira d’emprunter au passage cité d’Hippocrate ce qu’il est nécessaire de savoir pour le diagnostic des lieux affectés, en nous rappelant d’abord l’explication que nous donnions dans nos commentaires Sur les articulations, à propos de ce texte (§ 41, t. IV, p. 176) : « Toutes les vertèbres du rachis qui, par suite de maladies, sont déplacées et font saillie en arrière (ἐς τὸ κυφόν). » Il prétend que non-seulement le déplacement des vertèbres en avant, qui se nomme lordose (λόρδωσις), mais encore celui des vertèbres en arrière (scoliose), sont une conséquence des tensions qui s’opèrent à la région interne (antér.), les corps nerveux (ligaments) étant tirés [ou les vertèbres repoussées] par les tumeurs contre nature qui se produisent en cet endroit[6]. Lors donc que la traction a lieu dans une seule vertèbre, il arrive que le rachis éprouve une lordose en cette partie, et de même pour deux ou trois vertèbres de suite. Lorsque, entre les vertèbres tirées, une ou plusieurs vertèbres demeurent exemptes d’affection, ces vertèbres se creusent. Lorsque la traction a lieu dans un des côtés, le droit ou le gauche, le rachis éprouve une scoliose de ce côté (incurvation latérale), Hippocrate, dans le passage cité (Épid.), a mentionné les deux cas : la lordose, quand il dit : « les vertèbres déplacées en ligne directe (c’est-à-dire d’arrière en avant) ; » la scoliose, quand il dit : « les vertèbres inclinant d’un côté ou de l’autre. » Il ajoute une remarque très-exacte et très-utile à lire au sujet de la lordose, « personne n’en devient paraplectique », c’est-à-dire paralysé d’une partie[7]. Pour la scoliose, dit-il, la paraplégie s’étend jusqu’au bras, c’est-à-dire qu’elle ne descend pas plus bas dans les côtés, les reins ou les jambes.

Nous devons donc savoir d’abord que des symptômes différents accompagnent une affection propre de la moelle épinière ou une simple dyscrasie, ou une dyscrasie avec un flux d’humeur, comme dans les érysipèles, les inflammations et les ulcérations ou une compression de l’épine, résultant du déplacement d’une, ou de plusieurs vertèbres. En effet, dans les cas où la moelle même éprouve une affection propre au côté gauche ou droit, sans déplacement des vertèbres du côté seul où l’affection s’est produite, toutes les parties inférieures du corps situées directement sous le côté affecté éprouvent une lésion dans leur sensibilité et leur mouvement. Quand la moelle épinière tout entière est affectée, toutes les parties gauches et droites situées sous la partie lésée sont également paralysées, Quand une vertèbre s’incline en arrière ou en avant (cyphose ou lordose), il arrive parfois qu’aucune des parties inférieures n’est lésée dans sa sensibilité ou son mouvement. Il arrive aussi qu’elles sont lésées, suivant la distinction énoncée par Hippocrate dans son livre Sur les articulations. En effet, lorsqu’il se produit une luxation angulaire de l’épine, comme lui-même la nomme (Articulations, § 47, p. 202 ; cf. aussi § 46, p. 196), c’est-à-dire lorsqu’elle éprouve une flexion non pas graduelle, mais brusque, comme par l’effet d’une fracture, toutes les parties inférieures sont lésées nécessairement. Quand la luxation circulaire (en arc, κυκλοτερῶς) se forme peu à peu, les parties placées au-dessous de la vertèbre déplacée n’éprouvent aucune affection notable. Mais la luxation latérale lèse essentiellement toutes les parties auxquelles arrivent les nerfs issus de l’intervalle des vertèbres déplacées. Cela a lieu davantage dans le cou, moins dans le thorax, beaucoup moins encore dans les lombes. En effet, comme dans le cou, les vertèbres s’enchevêtrent les unes aux autres, chacune des deux contribue également à former le trou par lequel sort le nerf. Dans les vertèbres du thorax, la plus élevée y contribue davantage, la plus basse moins. Dans les lombes, le nerf tout entier sort de la vertèbre plus élevée. Ainsi, dans cette région la luxation latérale des vertèbres, entraînant avec elle la moelle même et le nerf, permet au nerf de sortir naturellement sans compression. Au cou, les nerfs sortant de l’intervalle compris entre les deux vertèbres sont comprimés dans les scolioses, aux parties où le rachis a éprouvé la luxation, et sont tendus dans les autres parties. Les tensions sont suivies de convulsion quand survient une inflammation grave, et les compressions entraînent la paralysie des parties auxquelles aboutit le nerf comprimé (cf. Util. des parties, XIII, iii).

II était donc naturel qu’à la suite des cas d’angines, rapportés dans le passage cité plus haut, les paraplégies parvinssent jusqu’aux bras, attendu que les bras tirent leurs nerfs de l’extrémité du cou. En effet, après le cou vient le thorax ; et les nerfs dérivés des trous des vertèbres qui en font partie vont, non pas aux bras, mais aux muscles intercostaux, à l’exception de quelques nerfs courts issus des premières vertèbres. Ainsi, dans les déplacements des vertèbres cités tout à l’heure, les joues seules, sans la mâchoire, comme étant mues par le muscle large (peaucier), sont lésées ; les autres parties de la face demeurent complétement exemptes de lésion, n’éprouvant aucune gêne ni dans leur sensibilité ni dans leur mouvement. II est donc évident que ceux des muscles qui tirent des vertèbres cervicales les prolongements nerveux qui se distribuent en eux, sont lésés par les affections de ces vertèbres et des nerfs qui en dérivent. Vous avez appris par la dissection des nerfs issus de l’épine quels sont ces muscles et quel est leur nombre ; vous savez aussi tout ce qu’il est nécessaire de connaître sur les symptômes qui accompagnent les gibbosités, les lordoses et les scolioses des vertèbres du rachis ; vous trouvez tous ces détails soigneusement exposés dans le troisième Commentaire sur le livre Des articulations (§ 1 et suiv,), avec les démonstrations propres dont je vous rappelle maintenant les points essentiels. J’en ai déjà signalé quelques-uns ; je vais citer maintenant ceux dont je n’ai pas encore parlé pour ne rien omettre dans notre discours.

Vous devez savoir que les vertèbres perdent leur position propre à la suite d’une chute, d’un coup ou de quelque tumeur contre nature qui tire les corps nerveux attachés aux vertèbres mêmes et à la moelle. Ces corps sont de deux espèces : les uns appartiennent aux parties naturelles, les autres aux parties contre nature ; ce sont certaines tumeurs qu’Hippocrate (Artic., § 41, p. 180) a comprises sous une seule dénomination, celle de tubercules crus (φύματα). Il est donc évident que, dans le cas cité plus haut et consigné au IIe livre des Épidémies, les muscles situés sur les vertèbres du cou étaient affectés ; peut-être existait-il aussi quelque tumeur tuberculeuse qui leur faisait cracher, dit-il, des matières cuites par suite de la coction des tubercules. Pourquoi donc Hippocrate désigne-t-il les malades comme atteints d’angine (κυναγχινούς) ? Est-ce parce que leur respiration était pénible, sans qu’il y eût affection du thorax et du poumon ? C’est par ce concours de symptômes, en effet, que l’angine diffère de la péripneumonie et de la pleurésie, et de plus encore par un sentiment de resserrement dans le pharynx (λάπυγξ. Voy. Dissert, sur les termes anat.). On voit donc Hippocrate, dans le traité Sur le pronostic (§ 23), désigner, sous le titre d’angines (κυνάγχαιesquinancies) toutes les affections de cette région qui produisent une gêne dans la respiration. Voici comment il s’exprime : « Les esquinancies sont très-dangereuses ; elles enlèvent rapidement le malade. Celles qui ne produisent aucun symptôme manifeste au pharynx, au cou, et qui cependant causent une douleur très-vive et une orthopnée, étouffent et font périr le malade le jour même, le second, le troisième ou le quatrième jour. Celles qui, du reste, causent une douleur semblable, mais qui occasionnent des tuméfactions et des rougeurs dans le pharynx, sont excessivement pernicieuses ; elles durent néanmoins un peu plus que les précédentes. Celles où le pharynx et le cou se couvrent de rougeurs sont plus longues encore ; c’est de celles-ci principalement qu’on réchappe, lorsque le cou et la poitrine présentent des rougeurs, et que l’érysipèle ne rentre pas. » D’après cela, on comprendra que, sous le seul titre de cynanches (κυνάγχαι), il désigne toutes les affections de cette région qui lèsent en quelque manière la respiration, les médecins n’étant pas encore habitués à nommer l’une cynanche par un c, l’autre synanche par un s ; et encore bien moins à dire parasynanche ou paracynanche. En effet, la recherche superflue dans les dénominations a commencé avec l’insouciance pour les choses ; en conséquence, on a forgé quatre noms : on a dit et écrit que ces noms désignaient quatre affections, et on n’en a pas donné les signes distinctifs. Je me suis donc propose, en lisant le passage du second livre des Épidémies, de trouver quelles sont les quatre affections : la première a lieu lorsque le pharynx est enflammé ; j’appelle pharynx la région interne de la bouche, à laquelle aboutit l’extrémité de l’œsophage et du larynx. — La deuxième affection se produit lorsque, sans inflammation apparente d’aucune des parties de la bouche, ni du pharynx, ni même des parties externes, le malade éprouve un sentiment de suffocation dans le larynx. — Après celles-ci, la troisième se manifeste lorsque la région externe du pharynx est enflammée ; — et la quatrième, lorsque la région externe du larynx partage l’affection de la région interne.

Outre ces affections, il s’en produit dans le cou une, qu’ils ont omise, par la luxation des vertèbres à la partie antérieure, soit que les muscles en rapport avec elles s’élèvent en une tumeur contre nature, soit qu’il s’y forme quelque tubercule. Parfois encore l’œsophage est lésé avec les vertèbres ; parfois la lésion attaque les muscles qui le rattachent au larynx, et, outre ceux-ci, les muscles propres du larynx même par lesquels il est ouvert. Toutes ces affections occasionnent une gêne dans la respiration, elles n’amènent cependant pas le danger de la suffocation. Les malades avalent difficilement, et souffrent surtout quand la boisson leur remonte dans le nez. Parfois, l’inflammation même faisant des progrès, la tumeur envahit le pharynx et la langue, comme Hippocrate (Épid., II, loc. cit.) l’a écrit. Mais le sujet dont il s’agit actuellement n’exige pas l’exposition de semblables affections sympathiques ; car l’affection de la langue entraîne la perte d’autres fonctions.


Chapitre vii. — Des cas où une seule fonction est lésée quand plusieurs lieux sont affectés ; application de cette donnée à la respiration. — Des affections de la moelle par atonie dans leurs rapports avec les lésions de la respiration. — Faits tirés de la pratique de Galien. — Nécessité des connaissances anatomiques pour expliquer les lésions des parties. — Ignorance des contemporains de Galien relativement à l’anatomie des nerfs.


Dans les cas où une seule fonction est lésée et où plusieurs lieux sont affectés, notre but actuel est de découvrir ces lieux, en les distinguant par la variété des symptômes. En effet, la respiration ne saurait être lésée, si un quelconque des organes respiratoires n’est atteint d’une affection primaire ou sympathique. Mais comme les organes mêmes de la respiration se trouvent être nombreux, et que, de plus, il y a un nombre non médiocre de parties qui peuvent être affectées sympathiquement, il y a naturellement beaucoup de distinctions qui servent à découvrir les lieux affectés primitivement et ceux qui le sont par sympathie. Il est donc possible immédiatement, d’après le seul mode de la respiration, de former une conjecture sur le lieu affecté et sur sa diathèse, Supposons, en effet, que le patient en respirant remue le thorax tout entier, de manière qu’en avant le mouvement remonte jusqu’aux clavicules ; de chaque côté, jusqu’au sommet de l’épaule (ἐπώμις) ; en arrière, jusqu’aux omoplates. Il résulte de cette respiration une indication de trois diathèses : la première, d’une chaleur inflammatoire dans le poumon et le cœur ; une autre, d’un rétrécissement dans un des organes respiratoires ; la troisième, d’une faiblesse de la faculté motrice des muscles du thorax. Il faut donc, à la vue d’une pareille respiration, examiner d’abord le pouls ; il indiquera la quantité de la chaleur, comme il est écrit dans le livre Sur les pronostics tirés du pouls (III, ii), En second lieu, on considérera l’expiration, et on examinera si elle est fréquente, précipitée, avec exsufflation, et en troisième lieu, on palpera le thorax dans la région du sternum. Si on le trouve brûlant, on a ainsi tous les signes de la plénitude de chaleur, signes auxquels s’ajoutent par surcroît ceux que fournissent une face et des yeux rouges, une tête brulante, une soif ardente, une langue sèche et rugueuse, et le sentiment du patient lui-même qui se plaint d’être en feu. Si, les signes de l’inflammation étant médiocres, le thorax se dilate fortement, cela marque un rétrécissement des organes respiratoires ; dans ce cas, où le larynx éprouve quelque affection, où le thorax et le poumon sont remplis d’une quantité d’humeurs, où il se forme dans ces cavités quelque excroissance du genre de celles qu’on nomme tubercule cru (φῦμα). Pour le larynx, nous avons exposé toutes les affections primaires ou sympathiques qu’il présente ; celles du poumon et [de la cavité] du thorax (voy. chap. viii et suiv.) seront, un peu plus loin, distinguées soigneusement. Notre but, pour le moment, est d’exposer les affections de la moelle résultant soit d’autres causes, soit de ce qu’on nomme atonie.

L’atonie dérive parfois de l’encéphale, dont la moelle tire les deux facultés sensitive et motrice. Parfois aussi la moelle seule est atteinte d’une affection primaire, et, par suite, d’une dyscrasie propre qui s’est formée soit dans sa totalité, soit dans des parties différentes. Beaucoup de médecins n’y ont pas songé, bien que souvent ils aient vu certains malades tellement paralysés qu’ils pouvaient à peine remuer les doigts de la main, et cependant respirer avec toutes les parties du thorax, sans qu’une chaleur brûlante les contraignît à une grande respiration. Cela arrive aussi en raison de la cause suivante : le diaphragme, quand il est assez robuste, produit seul la respiration sans violence, dans les cas où l’animal est au repos ; quand il est faible, il ne peut seul accomplir la fonction de la respiration. Il est aidé dans ce cas par les muscles intercostaux, et aussi, lorsque l’animal a encore besoin d’une respiration plus forte, par tous les muscles supérieurs, dont les plus considérables meuvent manifestement avec eux les épaules. Lors donc que vous voyez un individu employant à respirer toutes les parties du thorax et néanmoins ne respirant pas fréquemment, examinez, dans ce cas, à quel point se dilatent le thorax et les ailes du nez. Vous trouverez qu’il les contracte et produit une petite dilatation du thorax, non pas comme ceux dont la force respiratoire est accrue par la quantité de chaleur dans des fièvres brûlantes (causus) ; car ceux-ci dilatent considérablement le thorax tout entier, non pas à l’instar de ceux qui éprouvent un rétrécissement des organes respiratoires, ainsi que cela se voit dans les angines et les dyspnées résultant d’un flux (κατάῤῥος) abondant et fréquent, ni comme ceux qui sont sous l’influence des deux causes, par exemple dans les péripneumonies ; ce sont, en effet, ceux-là qui respirent avec le plus de force et de fréquence.

Il en est de l’atonie spéciale d’une des parties du thorax comme de la faiblesse générale ; elle contraint les malades à dilater toutes les parties du thorax. Ainsi le gymnaste Secundus, qui pouvait observer ce qu’il souffrait, prétendait ressentir nettement l’atonie du diaphragme, qui le forçait à mouvoir toujours les muscles intercostaux et parfois aussi les muscles supérieurs. Parfois encore, serrant avec une ceinture les régions des hypochondres, il lui suffisait du diaphragme pour respirer dans le temps où il était en repos. Cette atonie était-elle inhérente au muscle même du diaphragme, ou aux nerfs qui y aboutissent, ou à tous les deux ? Cela m’a paru difficile à distinguer. — J’ai observé la même respiration chez un autre individu qui avait reçu une forte ruade de cheval dans les hypochondres, et qui, par suite, avait failli succomber à une inflammation du diaphragme. Échappé au danger, il conserva toujours cette atonie du diaphragme. — Un autre, qui entrait en convalescence d’une violente péripneumonie, éprouvait de la gêne dans la sensibilité des parties postérieures et internes du bras, et également dans la plupart des parties de l’avant-bras jusqu’à l’extrémité des doigts, quelques-uns même des doigts étaient quelque peu lésés dans leur mouvement. Il arriva chez cet individu que les nerfs des premier et second espaces intercostaux furent lésés. Le premier de ces nerfs, remarquable par sa grandeur, s’enfonce très-avant, uni à celui qui le précède, mais partagé en beaucoup de ramifications, que nous avons vues dans les dissections, et dont quelques-unes arrivent jusqu’à l’extrémité des doigts par la région interne de l’avant-bras. Le second nerf, qui est ténu et n’est uni à aucun autre, se dirige sous le derme, vers le bras, à travers l’aisselle, se ramifiant dans le derme de la région interne et postérieure du bras[8]. Notre homme guérit promptement par l’application d’un médicament à l’origine des nerfs des premier et second espaces intercostaux. — Également d’autres sujets, dont les deux jambes se paralysaient peu à peu, furent guéris par l’application de médicaments dans cette région des lombes où les nerfs des jambes sortent de la moelle épinière, sans que nous eussions posé aucun médicament sur les jambes elles-mêmes, siége de la paralysie. En effet, l’affection n’était pas propre aux jambes, mais à la moelle. — Chez un autre individu, une suppuration considérable s’étant établie dans la région d’une des fesses et dans les premières parties de la jambe qui y fait suite, les nerfs de cette jambe furent mis à nu dans l’opération, et la région malade étant guérie, le membre tout entier avait un mouvement difficile. Cela me fit supposer que de l’inflammation précédente il restait quelque chose de squirrheux dans un des nerfs ; c’est pourquoi, conformant le traitement à une semblable diathèse, j’appliquai des médicaments convenables sur la région affectée seule, et j’obtins une guérison complète (cf. III, xiv).

Il en est pour toutes les autres parties comme pour celles de la face (voy. plus haut, chap. v) ; lorsqu’une action est abolie, il faut croire que le muscle qui l’exécute ou le nerf de ce muscle est affecté. Plusieurs fonctions sont-elles lésées, si c’est dans une seule région, il arrive parfois que tous les muscles mêmes sont lésés par une cause commune ; il est possible aussi qu’un nerf commun à ces muscles soit affecté. Exemple : un homme, en prenant des poissons dans une rivière, éprouva un refroidissement du siége et de la vessie tel, qu’il rendait involontairement ses excréments et son urine ; il fut guéri complétement par les médicaments chauds appliqués sur les muscles affectés. Un autre, sans cause apparente, offrant ces mêmes symptômes, fut guéri à grand’peine, après un long temps, par des médicaments nombreux, les nerfs de l’os sacré ayant été affectés.

Après avoir répété ce que je disais dès le début, je passerai donc à un autre sujet. Celui qui, par la dissection, connaît à quelle partie se rend chacun des nerfs issus de la moelle, diagnostiquera exactement les lieux affectés. Vous avez vérifié par les œuvres de l’art la justesse de cette remarque, en voyant souvent l’utilité manifeste qui résultait pour les patients d’un pareil diagnostic. En effet, non-seulement beaucoup de médecins frottent nuit et jour les jambes et les bras avec des médicaments échauffants, sans profit ni résultat, négligeant le lieu où soit la moelle soit quelqu’un des nerfs issus de cette moelle est lésé. Naguère encore ils ont ulcéré la tête d’un malade en y appliquant les médicaments les plus échauffants, dans l’idée que par ces moyens ils rappelleraient la sensibilité fortement lésée. Ce malade, nous le guérîmes, après avoir découvert le lieu affecté et par les autres symptômes et par les causes procatarctiques, l’interrogeant sur chacune de ces causes ; parmi ces causes se trouvait celle-ci : il me dit que, dans un voyage, il avait été exposé à une pluie battante avec un vent violent, et que le manteau dont il avait le cou enveloppé avait été tellement trempé, qu’il avait distinctement senti le refroidissement très-vif qui s’emparait de cette partie. Celui donc qui sait que des premières vertèbres du cou remontent à la tête quatre nerfs qui communiquent la sensibilité au derme de la tête (voy. Util. des parties, XIII, iv et v, et XVI, vi et suiv.), eût reconnu aisément le lieu affecté ; et ce lieu guéri, le derme de la tête l’était en même temps, n’ayant par lui-même aucune affection primaire. Mais les médecins, ne connaissant ni ces nerfs ni ceux qui se trouvent dans chaque partie du derme tout entier, au lieu d’appliquer le remède sur une partie très-limitée, à l’origine du nerf, tourmentent les parties qui ne sont nullement affectées. Quant à moi, je vous ai démontré souvent que plusieurs nerfs ont comme leur racine dans la moelle même, que d’autres se détachent, pour ainsi parler, des grands troncs issus de la moelle, et que ces nerfs eux-mêmes, à leur tour, se ramifient et se distribuent, les uns dans des parties très-nombreuses du derme, d’autres dans des parties moins nombreuses. Aussi, je suis étonné lorsque je vois des hommes instruits en anatomie ignorer ces faits, et chercher dans les paralysies la cause pour laquelle ce n’est pas toujours le mouvement et la sensibilité des parties paralysées qui sont abolis, mais tantôt le mouvement, tantôt la sensibilité, et tantôt le mouvement et la sensibilité. Ils pensent en effet que les extrémités des nerfs distribués dans les muscles se dirigent vers le derme, et qu’en conséquence, lorsque le nerf ramifié dans le muscle est affecté dans les diathèses graves de ce nerf, il y a lésion à la fois de la sensibilité et du mouvement ; que dans les diathèses moindres, il conserve encore la sensibilité qui n’exige pas une grande force pour l’exercer (cf. p. 500, note 3), mais perd le mouvement qui ne peut avoir lieu sans une force puissante. En effet, parfois un muscle qui meut toute la jambe ou le bras, et qui par conséquent a besoin de force, ne pouvant plus agir lorsqu’il est affecté, rend le membre immobile, tandis que la faculté sensitive qui sert à distinguer les impressions que reçoit la partie, reste dans ce membre exempte de lésion parce qu’elle n’a pas besoin d’une grande force. En effet, les parties faibles ne sont pas moins sujettes aux affections ; elles le sont plutôt davantage, et le diagnostic de l’affection se tire suffisamment même de l’affaiblissement d’une faculté. Ainsi, pour une semblable paralysie, leur raisonnement est vraisemblable ; mais pour la paralysie où la sensibilité est perdue et le mouvement conservé, ils donnent des raisons si frivoles que mieux vaudrait pour eux garder le silence. Quelques-uns, comprenant la difficulté de la question, n’ont pas hésité à dire qu’on n’a jamais vu une forme telle de la paralysie, où, la sensibilité étant abolie, le mouvement soit conservé. En effet, il n’est rien que n’osent ceux qui s’abstiennent des œuvres de l’art et qui se proclament chefs de secte ; ils sont prêts à tous les mensonges, rapportent, comme les ayant vus, certains faits qu’ils n’ont pas même aperçus en songe, tandis que pour maints autres dont ils sont incessamment témoins, ils prétendent ne les avoir jamais aperçus.


Chapitre viii. — Du rejet du sang par la bouche. — Distinction très-exacte des diverses sources de ce sang. — De l’ulcération qu’entraîne le crachement de sang qui vient de la rupture d’un vaisseau du poumon. — Le sang rejeté par la bouche provient quelquefois de la morsure d’une sangsue logée dans le nez, dans le pharynx, dans l’œsophage ou l’estomac.


Les médecins ont déjà reconnu que le sang est vomi par l’œsophage et l’estomac, et qu’il est rejeté par la toux des organes respiratoires. Le sang qui vient de la région du pharynx et de la luette est rejeté du gosier en raclant, comme celui qui vient de la bouche est simplement craché. Cependant, nous voyons souvent, lorsqu’il descend de la tête avec assez d’abondance, principalement s’il tombe en dedans (en arrière) de la luette, vers le pharynx, que son expulsion est accompagnée de toux ; tombant en effet subitement dans le larynx, il provo que la toux. Ce qu’il importe donc dans ce cas, c’est de ne pas s’imaginer que le sang remonte des organes respiratoires, comme je sais que certains médecins l’ont supposé faussement ; leur propre erreur leur a fait croire que beaucoup d’excellents confrères se sont trompés en déclarant que l’hémorrhagie accompagnée de toux est très-dangereuse parce qu’elle indique une grave affection du poumon[9] ; attendu que la rupture d’un petit vaisseau dans le poumon n’est pas chose indifférente. II est possible aussi que, par érosion (δίαβρωσις), corrosion (ἀνάβρωσις) ou, comme on voudra l’appeler, un rejet précipité de sang ait souvent lieu avec toux. Si une personne qui antérieurement crachait souvent, par intervalles, un peu de sang en toussant, vient, en effet, plus tard, sans être tombée d’un lieu élevé, sans avoir été violemment renversée dans des luttes ou à la palestre, et sans que le thorax ait été soumis à une pression, si, dis-je, cette personne vient à éprouver une hémorrhagie abondante avec toux, il est à supposer qu’une notable érosion occasionne ce crachement considérable avec toux. Un grand nombre des individus ainsi affectés ont rejeté avec le sang quelques parties du poumon. Il convient donc d’examiner avec soin si les crachats sont écumeux. C’est là, en effet, l’indication la plus positive que le crachat vient du poumon, comme aussi lorsqu’une portion d’une bronche ou d’une tunique, soit d’artère, soit de veine, ou de la chair même du poumon, est expectorée. Rien de ceci n’apparaît chez ceux qui en toussant crachent du sang de la cavité du thorax (voy. V, iv), de même qu’il n’est pas ressenti de douleur quand l’expectoration vient, du poumon, qui reçoit deux nerfs très-petits de la sixième paire (9e-11e des modernes, 8e de Willis) issue de l’encéphale, nerfs qui se distribuent dans la membrane externe dont il est enveloppé (plèvre pulm.), sans pénétrer dans la profondeur du viscère, Au thorax, comme vous savez, il existe beaucoup de nerfs dans les parties internes, beaucoup de nerfs dans les parties externes, ce qui le rend très-promptement sensible aux diathèses douloureuses. Mais comme le thorax est musculeux et osseux, tandis que le poumon n’est pas comprimé et qu’il est poreux, la douleur du thorax est obscure, celle du poumon est peu émoussée. Si donc une personne, souffrant dans une partie quelconque du thorax, crache en toussant un sang qui n’est ni abondant ni rouge, mais déjà noirâtre et grumeux, cela indique une affection primaire du thorax. Le sang remonte par le poumon comme le pus dans les affections purulentes, pus qui est reconnu par les sens comme étant renfermé entre le thorax et le poumon. Ainsi encore le crachat apparaît coloré d’une manière quelconque dans les pleurésies, et cela sera énoncé dans le livre suivant, qui est le cinquième (chap.  fine ; cf. II, x). Actuellement il convient de parler des ulcérations qui surviennent dans les crachements de sang.

Ces ulcérations se produisent particulièrement dans le poumon et paraissent incurables aux uns, difficiles à guérir à d’autres[10]. Dans le thorax, la plupart des vaisseaux rompus qui ont occasionné des crachements de sang s’agglutinent ; et quand même l’ulcération persiste longtemps, elle ne devient pas entièrement incurable. Au contraire, les ulcérations chroniques du poumon, fussent-elles guéries, y laissent un résidu calleux et fistuleux, qui avec le temps s’excorie aisément pour de petites causes ; et, avec les matières crachées, remonte parfois ce que les médecins nomment croûte d’ulcère (ἐφελκίς, (voy. I, i, p. 471) et quelque gouttelette de sang. Ces accidents sont communs aux ulcères qui surviennent dans un autre lieu, mais les matières provenant de l’œsophage et de l’estomac sont vomies ; celles des reins et de la vessie sont rendues avec l’urine ; celles des intestins sont rejetées avec les excréments ; celles des organes respiratoires ne sauraient être crachées sans qu’il y ait toux.

Si quelqu’un rend du sang par le nez et par la bouche plusieurs jours de suite, sans douleur ou pesanteur de tête, soit actuelle, soit passée, et sans coup reçu dans cette partie, il faut examiner soigneusement dans toute son étendue le méat du nez et la région de la bouche qui communique avec le nez. En effet, ce symptôme est produit souvent par une sangsue logée dans cette région, laquelle grossit chaque jour, en sorte que si dans les premiers jours elle échappait aux yeux par sa petitesse, après trois ou quatre jours elle s’apercevrait aisément[11]. De même, parfois, le sang est vomi par l’estomac quand une sangsue a été avalée. Un pareil sang est ténu, ichoreux, qu’il vienne de l’estomac, du nez ou de la bouche, de sorte qu’en l’examinant, en observant de plus l’habitude de l’individu, en l’interrogeant sur les circonstances antérieures, on peut par tout cela deviner la vérité sur la question. — Voyant un homme d’une santé irréprochable vomir un sang de cette espèce, je jugeai bon de l’interroger sur la manière dont il avait vécu les jours précédents. Entre autres détails, il raconta qu’une nuit, se trouvant altéré, il avait bu de l’eau assez impure d’une fontaine, eau que lui avait apportée son esclave. À ces mots, je lui demandai si l’on avait vu des sangsues dans l’eau de cette fontaine, et comme il me dit qu’on en voyait, je lui donnai un médicament convenable qui lui fit vomir la sangsue. — Un autre individu rendait le sang par le nez et par la bouche ; j’appris par son récit que, se trouvant à la campagne pendant l’été, il s’était diverti avec d’autres personnes, dans un marais, à ces exercices auxquels les jeunes gens se livrent ordinairement dans l’eau, et sachant que dans cette eau il existait des sangsues, je conduisis le patient à la lumière, et tournant le méat du nez directement vers les rayons du soleil, je vis dans ce lieu où le nez communique avec la région de la bouche, la queue d’une sangsue cachée dans le méat. J’ai cru utile de vous rapporter ces exemples.


Chapitre ix. — Que les lésions de la voix dépendent de l’affection tantôt des muscles, tantôt des nerfs, tantôt du pharynx, tantôt des organes essentiels de la voix, tantôt qu’elles sont produites par absence de la matière même de cette fonction. — Corrélation des diverges actions des organes phonétiques, expiration, exsufflation, etc. — Quels sont les organes propres à ces diverses actions ?


D’après ces remarques, il faut bien comprendre qu’il y a lésion quand même toute l’action de la partie n’est pas perdue ; nous l’avons dit souvent, mais il n’est pas mauvais de le répéter encore ici. Je rappelle, à vous qui le savez, que la voix et le langage ne sont pas la même chose ; que la voix est l’œuvre des organes phonétiques, et le langage celui des organes de la parole, dont le plus essentiel est la langue, à l’action de laquelle contribuent efficacement le nez, les lèvres et les dents. Je rappelle encore que les organes phonétiques sont le larynx, les muscles qui le meuvent, et tous les nerfs qui de l’encéphale leur apportent leur faculté. Si donc les muscles qui ferment ou qui ouvrent le larynx deviennent immobiles, une aphonie complète s’emparera de l’individu ainsi affecté. De même, si les muscles se meuvent difficilement, ou si leur mouvement a quelque chose de palpitant ou de tremblant, la voix subit une lésion conforme à l’affection ; il en est encore ainsi lorsque ces muscles éprouvent une convulsion ou un mouvement tumultueux. Si la puissance de ces muscles est affaiblie, soit par une affection propre, soit par une affection des nerfs qui les meuvent, la voix devient obscure et grêle, Si un des muscles qui meuvent le larynx éprouve une affection quelconque, la voix ne subira qu’une lésion légère, l’individu ainsi affecté ne sera pas complètement aphone ni réduit à une voix très-grêle. De même que pour les muscles qui meuvent le larynx, les plus importants sont ceux qui l’ouvrent et le ferment ; de même, les plus essentiels des nerfs phonétiques sont les nerfs récurrents qui font partie, eux aussi, de la sixième paire des nerfs issus de l’encéphale (9e-11e des mod. ; 8e de Willis), comme les autres nerfs qui s’insèrent au larynx, et dont ils diffèrent en ce qu’ils ne se détachent pas de la sixième paire dans le cou, mais lorsqu’ils sont arrivés dans la région du thorax. Il n’est pas de chirurgien assez inepte pour couper, sans le savoir, cette sixième paire tout entière ; mais quelquefois, par ignorance, ils déchirent les nerfs récurrents. Parfois encore, dans les blessures graves de la trachée, l’un ou l’autre de ces nerfs ou tous deux sont coupés. Refroidis par suite des opérations, ils gênent l’émission de la voix jusqu’à ce qu’ils aient recouvré, en se réchauffant, leur tempérament naturel. La voix éprouve encore une lésion manifeste dans son acuité et son étendue, lorsque les muscles du pharynx sont impuissants à lui donner de l’intensité. Si la tunique commune au pharynx et au larynx se trouve imprégnée d’une humidité considérable, la voix est fortement lésée. Par la même raison, les catarrhes rendent la voix rauque, c’est un fait connu de tout le monde. La même chose arrive quand on a beaucoup crié. Cela produit, en effet, une affection analogue à une inflammation dans la tunique susdite et dans les muscles du larynx ; il est de toute évidence que par l’inflammation des muscles intérieurs du larynx, l’affection devient une cynanche, laquelle lèse à la fois la voix et la respiration. Le même résultat est produit généralement par toutes les tumeurs contre nature qui surviennent dans les voies de la respiration, ou qui les compriment extérieurement. C’est ainsi que l’inflammation de l’œsophage qui vient à comprimer la tunique de la trachée-artère sur laquelle s’attachent les extrémités des cartilages sigmoïdes de la trachée, porte atteinte à la respiration et à la voix. La luxation en avant des vertèbres du cou, dont nous avons parlé précédemment (chap. vi), produit le même effet. Toutes ces affections surviennent dans la voix par une lésion particulière des organes propres à cette fonction, lésion résultant soit d’une affection primaire, soit d’une affection sympathique, peu importe au sujet que nous traitons.

Elle éprouve d’autres affections quand elle est privée de sa substance propre. Or, nous avons démontré dans le traité Sur la voix (ouvrage en partie perdu), que la matière de cette fonction est, pour parler génériquement, l’expiration, et selon l’espèce et la variété propre, l’exsufflation, qui est une émission précipitée du pneuma produite par l’action des muscles intercostaux (voy. t. I, p. 466). C’est ainsi que les blessures graves du thorax, ou généralement les paralysies d’une partie du thorax, font d’abord que l’animal perd la moitié de sa respiration, et accidentellement la moitié de sa voix. Pour les lésions de la voix résultant de l’apoplexie, du carus, de l’épilepsie et du catoché, elles surviennent par une raison commune aux actions volontaires, que les premières parties de la moelle soient seules affectées, ou que l’encéphale soit affecté avec elles. Par suite de la relation qui existe entre ces cinq actions, l’expiration, l’exsufflation sans bruit (ἄψοφος), l’exsufflation bruyante, la voix, le langage, toutes sont compromises par la lésion de la première citée, aucune ne l’est par la lésion de la dernière. Avec la deuxième, les trois suivantes sont lésées ; avec la troisième, les deux dernières le sont ; avec la quatrième, la dernière seule est lésée. En effet, si l’animal ne respire absolument pas, soit par les deux côtés du thorax ou par un seulement, dans le premier cas il ne tardera pas à être suffoqué ; dans le second, il sera réduit à une moitié de respiration et de voix, ayant perdu désormais l’autre moitié des deux actions, dont je nomme l’une ordinairement exsufflation sans bruit, et l’autre exsufflation bruyante. Si l’expiration est conservée, et que l’exsufflation ait péri, les trois autres actions périssent aussi, l’exsufflation bruyante, la voix et le langage. Semblablement, la perte de la voix entraîne celle du langage. Pour nous qui connaissons les muscles qui exécutent ces actions, nous pourrons calculer quels sont ceux d’entre eux qui éprouvent une affection propre, et quels sont ceux dont la fonction a été lésée accidentellement. Si vous avez oublié ce que révèlent les dissections, le traité Sur les causes de la respiration et celui Sur la voix vous le rappelleront. J’en ai également parlé dans le second livre de l’ouvrage Sur l’anatomie des animaux vivants (ouvrage perdu). En effet, l’expiration est produite par la contraction de tous les muscles du thorax ; l’exsufflation, qui est une expiration violente, est produite principalement par les muscles intercostaux ; l’exsufflation bruyante par ceux du pharynx ; la voix même par ceux du larynx. La langue, en articulant le son, sert au langage avec le concours des dents, des lèvres et aussi des ouvertures du nez, du palais et du gosier, et en outre du mince ligament (frein) de la langue elle-même. Aussi les individus sujets au bégaiement, au bredouillement, ou à quelque défaut semblable de la parole, ont une lésion des organes du langage résultant, soit d’une conformation naturelle, soit d’une cause postérieure. Il en est ainsi des gens dont le méat nasal est obstrué par un polype ou par une autre cause, qui ont perdu quelqu’une des dents antérieures, ou dont la lèvre est mutilée. Pour les causes qui produisent ce qu’on appelle voix grêle, ou les autres espèces et affections de la voix rauque, retentissante, aiguë, rude et voilée, nous en avons suffisamment parlé dans l’ouvrage Sur la voix.


Chapitre x. — De l’état des organes respiratoires dans la dyspnée. — Quels sont les signes à l’aide desquels on distingue les causes qui donnent lieu aux diverses espèces de ce symptôme, et quel est en particulier le rôle des muscles respiratoires, lesquels sont dans leur action subordonnés les uns aux autres.


Nous avons donné assez de détails précédemment sur la dyspnée en exposant les affections de la moelle (chap. vi et vii) ; après les avoir rappelés, j’ajouterai ce qui manque encore à ce sujet. Je voudrais, d’une façon générale, que vous eussiez présent le souvenir de ce que vous ont présenté les dissections des muscles qui meuvent le thorax et les nerfs qui arrivent à ces muscles. Puis, en visitant le malade atteint de la dyspnée, vous examinerez d’abord s’il meut tous les muscles du thorax ou seulement les muscles intercostaux, sans les muscles supérieurs, ou encore le diaphragme avec les muscles intercostaux. Si vous voyez qu’il meut tous les muscles, songez qu’un mouvement semblable provient d’une des trois causes que je vais signaler, et cherchez à distinguer laquelle de ces trois causes agit actuellement. S’il ne les meut pas tous, cherchez une autre distinction. Supposons un individu qui meut tous les muscles, de façon que la poitrine s’élève manifestement avec les omoplates. Dans ce cas, qui est un des trois, il faut absolument qu’il y ait affaiblissement des forces, ou rétrécissement des voies respiratoires, ou chaleur considérable dans le cœur et le poumon, deux de ces causes, et parfois, mais rarement, les trois causes pouvant coïncider. Si les trois se rencontrent, le patient mourra promptement ; s’il s’en trouve deux, il en réchappera avec peine. S’il n’y en a qu’une, l’affection finira, en tenant compte des distinctions propres, par la mort ou la guérison. L’affaiblissement des forces, quand il est seul, gagne les trois espèces des muscles moteurs, et les provoque tous au mouvement, attendu qu’une seule catégorie de ces muscles est impuissante à mouvoir fortement ; en effet, si, par exemple, le diaphragme seul suffit à mouvoir, comme dans l’état normal, il n’a besoin ni des muscles intercostaux, ni des muscles supérieurs ; mais puisque sa force est défaillante, il meut lentement tous les muscles, ne produit chez eux une action ni fréquente, ni très-rare non plus. Donnez donc une attention particulière à ces signes, car avec eux tout le reste se distingue aisément. Quand donc une chaleur considérable s’est amassée dans les organes respiratoires, l’animal agit par tous les muscles du thorax, mais il leur imprime une activité rapide, précipitée et violente lorsque cet état de chaleur se manifeste sans l’affaiblissement des forces. La défaillance des forces ne produit un mouvement ni rapide ni très-précipité lorsqu’elle existe sans chaleur brûlante ; aussi dans ce cas ne dilate-t-on pas beaucoup toutes les parties du thorax. Elle a cela de commun avec la dyspnée survenue par suite d’une inflammation excessive, que tous les muscles du thorax agissent. Mais la respiration gênée dans son étendue, sa fréquence et sa rapidité par une chaleur considérable, présente encore cette particularité, que l’expiration du pneuma échauffé et brûlant a lieu avec exsufflation. Quand il y a affaiblissement de la faculté, le pneuma, sans produire d’exsufflation par la bouche, sort par le nez seulement, lequel, dans les inspirations, présente une contraction manifeste des ailes, ce qui est encore un signe grave de l’affaiblissement de la faculté. Dans les rétrécissements des organes respiratoires, le thorax tout entier se dilate d’une façon considérable, rapide et fréquente ; mais les individus ainsi affectés présentent une expiration sans exsufflation. Quand il y a coïncidence de chaleur et de rétrécissement des organes respiratoires, comme dans les péripneumonies, la respiration, quoique très-forte, très-fréquente et très-rapide ne leur suffisant pas, les malades se dressent sur leur séant, sentant que le thorax tout entier se dilate plus aisément dans cette position. En effet, quand ils sont couchés, le thorax s’affaisse sur lui-même, les parties situées dans la poitrine retombant sur le rachis. Quand la colonne vertébrale est droite, le thorax se relève avec elle, et ne pèse plus sur Lui-même. C’est de la même façon que respirent encore ceux qui ont la trachée-artère remplie par une humeur abondante ou par un flux venu d’une autre région ; ils diffèrent par un seul point : l’absence d’exsufflation et de chaleur du pneuma expiré. De la même façon, ceux qui ont dans la cavité, entre le thorax et le poumon, une collection abondante de pus, et que l’on nomme empyématiques, soulèvent le thorax tout entier, mais ils ne présentent ni chaleur du pneuma expiré, ni exsufflation, à moins que de plus ils ne soient pris d’une fièvre brûlante. Ces individus sont suffoqués très-promptement par l’affection même, et parce que nécessairement chez tous les empyématiques la force est abattue ; elle ne l’est pas nécessairement dans les fluxions du poumon, ou les péripneumonies ou les asthmes ; au contraire, elle s’affermit et se consolide dans les affections asthmatiques par l’application dans le poumon d’humeurs visqueuses et épaisses, Si un tubercule (φῦμα) de coction difficile s’y est formé, il arrive que le thorax se dilate considérablement, mais que l’air inspiré n’est pas abondant ; c’est pourquoi le patient est forcé d’inspirer constamment, mais sans qu’il y ait exsufflation ; car c’est le caractère propre d’une chaleur abondante. Les individus atteints d’angine arrivent d’une autre façon à la même forme de dyspnée, le rétrécissement existant, non dans les cavités qui reçoivent l’inspiration, mais dans celles qui la transmettent. Ainsi, chez ceux qui ont un abcès, une inflammation, une collection d’humeurs dans les cavités du thorax ou dans le poumon, sans obstruction du larynx et de la trachée-artère, le rétrécissement existant dans les cavités qui reçoivent l’air inspiré, il arrive nécessairement qu’une grande dilatation du thorax a lieu, que le pneuma est attiré en petite quantité, et que le patient est obligé, en conséquence, de respirer rapidement et fréquemment.

Mais avant tout, je veux que vous vous rappeliez les deux variétés de la respiration grande, résultant soit d’une ample dilatation du thorax, soit de la quantité du pneuma inspiré, Remarquez que je vous rappelle souvent les questions omises par mes prédécesseurs. En effet, les sujets traités par mes devanciers, le nombre des auteurs étant considérable, reviennent aisément à la mémoire, Pour ceux qui n’ont pas été définis par Hippocrate, qui cependant a si bien écrit sur la dyspnée ; pour toutes les questions omises qui n’ont été ni traitées, ni définies par aucun autre des écrivains postérieurs, je regarde comme nécessaire d’appeler souvent l’attention sur elles. Chez les individus qui, sans inflammation ni sans tumeur contre nature ou rétrécissement des organes respiratoires, respirent difficilement dans les fièvres brulantes, la quantité de la substance du pneuma inspiré s’augmente proportionnellement avec la grandeur de la dilatation du thorax. Chez ceux, au contraire, qui ont une tumeur ou un rétrécissement des organes respiratoires sans chaleur brûlante, a lieu une dilatation considérable de la poitrine ; mais la quantité de pneuma inspiré, loin d’être proportionnée à la dilatation, est moindre même que dans l’état normal. La grande dilatation du thorax, accompagnée de la rareté du pneuma, indique une diathèse sans autre distinction. Il faut bien remarquer ici, pour éviter une erreur, que la respiration effectuée par l’action de tous les muscles, quand elle n’a pas lieu par affaiblissement de la faculté, est la même chose que la respiration grande. Voulant une fois l’expliquer clairement, je l’appelai respiration élevée, Je compris, dans cette circonstance, qu’Hippocrate appelle pneuma élevé (μετέωρον, cf., par ex., Épid., II, iii, 1, init.), celui qui est inspiré par les parties supérieures du thorax. De même quand il dit (Pron., § 5) : « Une respiration grande et à longs intervalles dénote le délire, » il est évident qu’il dit grande pour abondante, respiration qui peut avoir lieu sans l’action des muscles supérieurs ou avec leur concours. Souvent, en effet, l’action des muscles intercostaux et celle du diaphragme, en dilatant considérablement le thorax, n’exigent pas l’aide des muscles supérieurs pour l’inspiration d’un pneuma abondant. Qu’une semblable forme de la dilatation indique le délire (cf. V, v), cela a été démontré dans le traité Sur la dyspnée (cf. I, xxii), où étaient retracées les diathèses auxquelles se rattachent toutes les autres dyspnées, Mais actuellement, de même que nous donnons ici une sorte de résumé des affections décrites dans d’autres ouvrages, de même les différences entre les dyspnées ont été traitées pour une partie dans le présent livre (chap. vi, vii, x), et le seront pour une autre dans le suivant (chap. v med.). Comme, en effet, parmi les respirations grandes, il en existe une fréquente présentant plusieurs différences indicatives, celle-ci d’une diathèse, celle-là d’une autre, et une rare indiquant une seule diathèse ; ainsi, parmi les respirations petites, la rare indique un refroidissement des organes respiratoires, et la fréquente, une fatigue non-seulement des organes respiratoires, mais encore des organes mus avec eux, je veux dire le foie, l’estomac, la rate et l’œsophage.

Comme il existe plusieurs diathèses où la souffrance résulte d’un mouvement un peu violent, il faut examiner et distinguer, d’après les autres signes, si c’est une inflammation, un érysipèle, un ulcère, ou un abcès qui occasionne la douleur. Vous savez que souvent des douleurs proviennent de dyscrasies inégales, ou de l’abondance d’un pneuma cru et flatulent lequel, par la compression même qu’il éprouve, distend les parties environnantes et parfois s’échappe violemment ; semblablement, des douleurs proviennent de la quantité d’une humeur chaude et âcre, ou froide et visqueuse, enfermée en un point et ne pouvant sortir. Les organes où sont renfermées ces matières sont grandement affectés quand ils sont dénués de mouvement, ils le sont légèrement quand ils en sont doués. Nous avons, dans notre traité Sur la dyspnée, énoncé la cause pour laquelle un pneuma peu abondant et émis fréquemment indique la gêne des organes mus dans la respiration ; tandis qu’un pneuma rare dénote un fort refroidissement seulement des organes respiratoires, et surtout du poumon et du cœur. Il se produit encore une autre forme de dyspnée, lorsque l’action du thorax est suspendue par un court repos, tantôt dans les inspirations, tantôt dans les expirations, un tel symptôme résultant soit d’une diathèse convulsive des muscles du thorax, soit de la quantité de chaleur, le patient étant obligé de respirer ou d’expirer plus fréquemment.

11 existe encore une autre affection de la respiration que l’on nomme apnée, la respiration paraissant aux yeux faire complétement défaut ; mais la nature proteste contre une telle supposition. Il semble, en effet, impossible que l’animal absolument privé de toute respiration conserve encore la vie ; pourtant les animaux qui se tapissent paraissent ne mouvoir aucunement le thorax. Il faut donc supposer de deux choses l’une, ou que 1a respiration est si faible qu’elle échappe aux sens, ou que l’animal, dans cette circonstance, n’a aucun besoin de respirer, et qu’il lui suffit de la perspiration, qui a lieu par le corps tout entier[12]. Celle-ci, en effet, est accomplie par le cœur au moyen des artères, la respiration est effectuée par l’encéphale au moyen du thorax. Quelle que soit la diathèse qui produit l’apnée, elle paraît être commune à toutes les parties du corps, comme dans les apoplexies, les carus, les épilepsies et les catalepsies. En effet, dans toutes ces maladies, il n’existe aucune affection spéciale des organes respiratoires, non plus que des organes phonétiques, ou de la parole, ou de la marche. Mais l’affection du principe dirigeant (l’encéphale) entraîne par sympathie celle de toutes les parties recevant de lui les facultés qui les régissent. Nous avons traité spécialement de l’apnée, il convient donc de passer actuellement à un autre sujet.


Chapitre xi. — Des différentes espèces d’affections du poumon et de leurs symptômes. — Discussion sur les causes du crachement de sang. — Observations d’affections spéciales du poumon qui ont beaucoup de rapport avec la phthisie ou la bronchorrhée.


Comme il existe une double méthode pour ceux qui s’exercent au diagnostic des lieux affectés, l’une tirée des symptômes apparents, l’autre des parties du corps ; si quelqu’un s’exerce d’après les deux méthodes, il dira deux fois les mêmes choses d’une façon et d’une autre. Ainsi nous avons traité des affections du poumon quand nous étudiions les douleurs (II, ii et suiv.), quand nous parlions du rejet du sang (IV, viii), ou de la dyspnée (ibid., vi-vii, x) ; nous allons encore en parler maintenant. Jamais il ne survient de douleur violente au patient, mais il éprouve un sentiment de pesanteur et parfois de tension aboutissant au sternum ou au rachis ; c’est sur ces points en effet que sont suspendues les membranes qui l’enveloppent. Souvent aussi les malades éprouvent un sentiment de rétrécissement, et, en conséquence, ils respirent fréquemment et rapidement ; sans inspirer beaucoup d’air. Lors donc que ces accidents se produisent sans fièvre, ils indiquent qu’il existe dans le poumon des tubercules, ou une quantité d’humeurs visqueuses ou épaisses, ou d’autres matières abondantes, ou l’infiltration de pus ou de quelque autre humeur visqueuse épaisse ou abondante. Ces cas se distingueront les uns des autres par les symptômes antérieurs, Si un individu en bonne santé, remplissant ses fonctions, commence à éprouver de la gêne dans la respiration et que le symptôme s’accroisse sans que la respiration devienne rauque, on doit soupçonner la production d’un tubercule cru. La raucité avec une respiration bruyante indique la gêne causée par une quantité d’humeurs visqueuses ou épaisses appliquées sur les bronches du poumon sans pouvoir en être détachées. Une gêne subite dans la respiration, avec sentiment de rétrécissement, doit vous indiquer que le poumon est envahi par une fluxion de la tête ou des régions voisines. Lorsque je dis que des humeurs visqueuses, épaisses ou abondantes, se jetant sur le poumon, l’individu éprouve de la gêne dans la respiration, songez que ces matières sont renfermées dans les bronches. En effet, la trachée-artère, comme l’artère lisse, se ramifiant dans le viscère tout entier, la substance des bronches se retrouve dans le poumon tout entier. Les anatomistes appellent bronches (βρογχία) les cartilages de la trachée-artère qui ont la forme d’un sigma. Quand une pleurésie a précédé, qu’ensuite la violence de la fièvre s’est calmée, si un sentiment de pesanteur persiste à l’intérieur des côtés, dans la profondeur du thorax, en même temps qu’un déplacement de liquide paraît s’opérer dans les fréquents changements du décubitus, surtout lorsqu’on passe d’un côté à l’autre, cela indique qu’il s’est amassé du pus ; souvent même on entend distinctement un bruit de fluctuation. Cela démontre, avec ce qui a été déjà dit, que les crachats sont insignifiants, quand le summum de la pleurésie est passé. Si quelque autre humeur séreuse ou pituiteuse, se portant soudain, sans accompagnement de fièvre, dans les cavités du thorax, produit la dyspnée, les matières crachées ne sont pas épaisses ; dans le commencement, elles sont peu abondantes et accompagnées d’une forte toux ; mais une fois cuites, elles sont plus abondantes et expulsées avec une toux moindre. Il arrive de deux façons que les patients crachent peu de matières avec une forte toux, les uns à cause de l’épaisseur ou de la viscosité des humeurs, les autres à cause de leur ténuité, En effet, la matière ténue apportée par le pneuma pendant la toux est divisée par lui et rejaillit à l’entour ; la matière visqueuse ou très-épaisse remonte difficilement, ayant de la peine à se détacher des corps sur lesquels elle est appliquée et ne pouvant être enlevée par la violence momentanée du pneuma. En effet, si le pneuma rendu avec la toux n’est pas abondant et véhément, il ne peut rien entraîner avec lui. Ce qui n’est donc ni trop humide ou aqueux, ni trop épais ou visqueux remonte aisément, surtout lorsque l’individu est doué d’une force efficace. En effet, sans une vigoureuse contraction du thorax, il n’est pas possible de cracher vigoureusement. Or, sans une forte toux, il est impossible aux humeurs épaisses et visqueuses de remonter. Lorsqu’à la dyspnée avec rétrécissement et pesanteur s’ajoute une fièvre aiguë, l’affection est une inflammation du poumon. Si la phlogose est intolérable, et que le sentiment de pesanteur et de rétrécissement soit moins prononcé, le viscère souffre d’un érysipèle. Les affections extrêmes étant définies, il n’y a plus aucune difficulté à reconnaître un érysipèle phlegmoneux ou un phlegmon érysipélateux.

Il survient au poumon d’autres affections sans écoulement d’humeurs par suite d’une dyscrasie inégale ou uniforme. La dyscrasie inégale engendre la toux ; la dyscrasie uniforme, quand elle est médiocre, change le rhythme de la respiration ; quand elle est devenue forte par un excès de chaleur, elle suscite le désir d’air et de boisson froide ; avec le temps, elle aboutit à la fièvre. La dyscrasie froide présente les phénomènes opposés, un désir d’air chaud, de boisson chaude, tant qu’elle est médiocre ; quand elle devient plus forte, le viscère se remplit d’humeurs.

Quant au crachement de sang venu du poumon avec toux par rupture, corrosion ou anastomose (division des vaisseaux à leur abouchement), nous en avons parlé précédemment quand il était question du rejet du sang (IV, viii), maintenant encore nous en parlerons brièvement. Les ruptures dans le poumon se reconnaissent au jet abondant de sang et à sa manifestation soudaine à la suite d’une cause grave antérieure évidente. J’entends par causes antéríeures, la chute d’un lieu élevé, ou dans la palestre, ou dans une lutte, ou celle d’une personne sur une autre ; de même encore le choc sur le thorax d’un corps pesant inanimé quelconque, par exemple, une pierre ou un morceau de bois. — Chez d’autres, la rupture a été précédée d’un mouvement de colère et d’un cri ; chez d’autres, disputant le prix de la cithare ou de la tragédie, un éclat d’une voix aiguë et forte a rompu les vaisseaux, surtout lorsqu’ils se mettent à pousser des cris violents, sans avoir prédisposé le poumon par la déclamation. Voyez les lutteurs : lorsque, sans échauffer ni amollir préalablement leurs muscles par des frictions et des mouvements modérés, ils se livrent à des actes violents, il leur survient des ruptures et des distensions spasmodiques (voy. p. 279 dans ma 2e éd. d’Hippocrate). Le même accident se produit dans le poumon ; et si l’on ne peut par des frictions le prédisposer à des mouvements violents, la déclamation remplit pour lui un office analogue à celui des frictions. — Sans cause apparente extérieure, la quantité de sang rompt un vaisseau dans le poumon, comme dans une autre partie du corps, lorsqu’un froid soudain ou une dyscrasie innée l’a rendu rebelle à l’extension. C’est ainsi qu’Hippocrate a dit (Épid., VI, iii, 6 ; cf., Aph., V, 24) : « Le froid cause la rupture des veines ; » ce n’est pas que par lui-même le froid occasionne ces ruptures, mais en rendant, par le refroidissement, dures et difficiles à étendre les tuniques des vaisseaux, il prédispose ces tuniques à une rupture. La rupture elle-même a pour cause un mouvement violent, et la quantité des humeurs qui par elles-mêmes, ou avec un pneuma cru, froid et flatulent, distendent les veines. Un indice non médiocre de la rupture qui en résulte, c’est une évacuation soudaine d’un sang abondant. — Au lieu de diathèses froides, ce sont des diathèses chaudes qui précèdent l’anastomose, quand un individu use fréquemment de bains chauds, se couche sur un sol échauffé, dans une saison chaude de l’année, et prend des boissons et des aliments chauds. Les évacuations fréquentes de sang provenant d’érosion sont précédées de petits crachements et de flux âcres descendant de la tête au poumon. — Parfois aussi une partie du poumon ou une fausse membrane (ἐφελκίς) est entraînée avec le sang, de sorte qu’une semblable affection du viscère ne peut échapper aux yeux. Quand l’ulcère existe dans la trachée-artère, outre les crachats purulents expulsés avec toux, le patient éprouve encore un sentiment de douleur dans la partie affectée. La petite quantité de la matière évacuée distingue une semblable ulcération de celle du poumon, car dans les ulcères du poumon les crachats de pus sont plus abondants. De même que pour le poumon l’expulsion d’un fragment du viscère indique qu’il est ulcéré, de même nous avons vu parfois le corps de l’épiglotte (cf. I, i, p. 470) rejeté à travers le larynx par suite d’une ulcération, Ce n’est pas le seul signe du lieu affecté que les malades présentent : ils ont aussi le sentiment que la partie est ulcérée, ainsi qu’il a été dit pour la trachée-artère. Les ulcérations du poumon se forment sans causer de douleur ; les ulcérations de la trachée et du larynx occasionnent une douleur légère qui se révèle à peine chez les individus naturellement peu sensibles. Toutes ces affections énoncées jusqu’ici, du poumon, des cavités du thorax et aussi de la trachée-artère et du larynx (car nous avons été induit par une association d’idées à citer aussi ces dernières parties) nous ont offert des cas nombreux ; nous en avons vu peu des affections dont nous allons parler maintenant.

Un individu commença tout à coup à cracher en toussant une humeur très-semblable à de la bile liquide, exempte de toute âcreté, dont la couleur tenait du jaune et du pâle. À partir de ce moment, il en cracha davantage chaque jour. Plus tard, une petite fièvre survint ; il dépérissait, crachant du pus en toussant. Quatre mois après environ, il crachait du pus mêlé de quelques gouttes de sang, la consomption et la fièvre faisant des progrès ; puis il cracha davantage, puis très-abondamment. Après quoi, la fièvre augmentant et les forces étant épuisées, il mourut comme ceux qui meurent de phthisie. — Après cet individu, j’en vis un autre qui fut malade six mois de la même façon ; puis un autre qui le fut plus longtemps. Le premier que je vis semblait, au début, n’avoir aucun mal ; plus tard, il parut dans une situation très-fâcheuse. Pour le second, dès que je l’observai, je reconnus qu’on devait le traiter avec les plus grands soins. Le troisième attira encore plus mon attention. Néanmoins, malgré toutes mes tentatives, aucun d’eux, aucun autre après eux n’en réchappa. Tous, près de mourir, crachaient des parties viciées du poumon, et par là, je constatai clairement qu’ils avaient une affection semblable à celle qu’on voit sur les parties externes rongées par une humeur qui les corrompt. Mais pour ces parties, il est possible de les retrancher et même de les brûler ; rien de ceci n’est praticable dans le poumon, aussi tous les malades meurent-ils. En soignant le dernier que je vis, je m’appliquai à dessécher fortement le viscère avec des parfums et des boissons appropriés à ce but. Je lui enjoignis de respirer tout le jour et de porter constamment à son nez le médicament appelé hédychroon (ἡδύχρουν-de bonne couleur), et quand il se disposait à dormir, de se munir d’une de ces huiles précieuses (μύροι-parfums à la graisse), préparées à Rome, et qu’on appelle foliatés et spicatés (φουλίατά τε καὶ σπικάτα), et de s’en frotter les conduits du nez. Je lui donnais aussi des boissons médicamenteuses, l’antidote dit Mithridate, l’ambrosie, l’athanasie et la thériaque (Voy. Diss. sur la pharmac.). Mais après avoir bu pendant une année toutes ces drogues, il finit par mourir comme les phthisiques, ayant peut-être prolongé sa vie par le susdit régime. — J’ai aussi observé une-autre affection du poumon. En voici l’observation : un individu qui toussait depuis longtemps, et crachait des matières en petite quantité et visqueuses, commença à rendre en toussant une substance semblable à un petit grêlon. Il me l’apporta, me la montra, et peu de jours après en cracha de nouveau (phthisie calculeuse ?). Il me sembla que cette humeur visqueuse qu’il crachait naguère avait pris, en se desséchant, la consistance du grêlon. C’est pourquoi je lui donnai à boire les médicaments qui sont bons pour les asthmatiques. Ces potions bues, il crachait moins de grêlons et à de plus grands intervalles qu’auparavant ; cette affection n’en persista pas moins encore plusieurs années jusqu’à sa mort. Les grêlons, pour la plupart, égalaient en grosseur la graine appelée ers ; il y en avait de plus gros et de plus petits. J’ai vu quelques autres personnes cracher comme ce dernier, et cependant vivre plusieurs années ; de ces personnes, j’en ai vu mourir quelques-unes d’une affection des organes respiratoires, et d’autres d’une autre façon, Néanmoins aucun de ceux qui moururent ne crachait le sang.

Tout le monde connaît ce qui arriva à Antipater (voy. Aétius, VIII, lvii, et Cæl. Aurel., Chron., II, xiii), qui exerçait, non sans éclat, dans la ville de Rome. Âgé de moins de soixante ans et de plus de cinquante, il lui survint une fièvre éphémère, au déclin de laquelle il lui arriva de se tâter le pouls pour savoir ce qu’il avait à faire. Trouvant beaucoup d’irrégularité dans le mouvement des artères, il fut d’abord effrayé ; mais bientôt, sentant qu’il n’avait plus de fièvre, il se mit vite au bain, ayant le corps fatigué par les travaux et les insomnies, puis se soumit à un régime très-léger jusqu’à la fin du troisième jour, en comptant du début de la fièvre. Alors la fièvre n’étant plus revenue, il reprit ses occupations de chaque jour comme auparavant ; mais en se touchant l’artère au carpe, il s’étonna de cette irrégularité persistante du pouls. Me rencontrant un jour, il me tendit la main en riant, et me pria de lui tâter le pouls ; et moi, souriant : « Quelle est l’énigme que tu me proposes, » lui dis-je ? Et lui, riant encore, me supplia de lui tâter le pouls. Je trouvai une grande irrégularité du pouls, non-seulement dans l’ensemble des pulsations qu’on nomme systématique, mais encore dans une seule dilatation de l’artère. Surpris de le voir vivre encore avec un pouls semblable, je lui demandai s’il n’éprouvait pas de gêne dans la respiration. Il déclara n’éprouver aucune gêne sensible. J’observai si quelque changement survenait, lui touchant constamment l’artère du carpe pendant six mois. Comme il demandait au commencement de quelle diathèse je le supposais atteint, et de quelle façon elle pouvait amener un pouls semblable sans fièvre, je lui répondis que, dans mon traité Sur les [causes du] pouls (II, i), j’avais indiqué une semblable irrégularité. Je crois, en effet, qu’elle résulte d’un rétrécissement des grandes artères du poumon (de la valvule mitrale ?). « Mais, lui dis-je, le rétrécissement ne saurait devenir la cause de l’inflammation du viscère qui existe chez toi ; car tu aurais la fièvre. Il reste à supposer que l’obstruction causée par des humeurs liquides visqueuses et épaisses, ou la formation d’un tubercule cru a produit chez toi une semblable diathèse. — J’aurais donc, reprit-il, une orthopnée asthmatique. — Ce que tu dis, répliquai-je, est vraisemblable, et néanmoins n’est pas exact ; car une telle orthopnée résulte bien d’une telle cause, quand l’humeur visqueuse et épaisse s’amasse, non dans les artères lisses, mais dans les trachées. » Je lui prescrivis donc d’adopter un régime tout à fait semblable à celui des asthmatiques, et d’employer des médicaments ayant la même propriété que ceux dont ils usent. Après un intervalle de six mois, comme je l’ai dit, il éprouva une dyspnée assez légère avec une courte palpitation de cœur, d’abord une fois, puis trois, quatre ou plus encore, la dyspnée ayant augmenté jusqu’au quinzième jour environ. Alors soudain la respiration devint très-pénible ; il perdit ses forces, et mourut promptement, comme d’autres individus atteints d’affections du cœur, dont il sera parlé dans le livre suivant.


  1. Voy. Méthode thérapeutique, IX, vi.
  2. Voy. Util. des parties, X, ix, particul. p. 633, et dans la Dissertat. sur l’anatomie, les explications que M. Sichel m’a communiquées sur ce passage.
  3. Voy. I, vi, p. 500, note 3.
  4. Lame métallique qu’on introduisait entre le crâne et les méninges, pour éviter la compression ou la blessure de ces membranes et du cerveau pendant l’opération du trépan. — Voy. Galien, Manuel des dissections, VIII, vii ; Celse, VIII, iii, et la Dissert. sur la Chirurgie.
  5. J’ai suivi le texte de M. Littré, et j’ai reproduit, avec quelques corrections, la traduction que j’ai donnée de ce passage dans mon édition d’Hippocrate, p. 637.
  6. Ταῖς εἶς τὴν ἔξω χώραν τάσεσιν ἕπεσθαι, vulg. et ms. — Hippocrate (§ 41, p. 182) dit « toutes (πάντα) les espèces d’incurvations ou, du moins la plupart, sont dues à des agglomérations qui se forment en dedans (ἔσωθενà la région antér.) du rachis. » On comprend en effet théoriquement que des tumeurs placées en avant du rachis puissent, soit en tirant soit en repoussant, produire une déviation quelconque des vertèbres. Le texte de Galien est donc d’une part trop exclusif, car il ne s’agit pas seulement de tension dans le passage que je viens de rappeler, et de plus Hippocrate dit expressément toutes les espèces de déviations ; enfin il place les agglomérations en avant (ἔσωθεν) ; je crois donc qu’il faut étendre le sens du passage de Galien, substituer ἔσω à ἔξω, et interpréter non pas les tensions qui s’opèrent vers, mais qui s’opèrent à (cf. Util. des parties, XII, xii).
  7. Voy. Dissertation sur les termes de pathologie.
  8. Voy. Dissertation sur l’anatomie.
  9. Le raisonnement est ici elliptique : ces médecins qui croyaient que le sang rejeté par la bouche avec toux vient du poumon, ayant vu guérir des malades qui présentaient cette espèce de rejet de sang, accusaient leurs confrères de penser que toute hémoptysie avec toux était dangereuse, en raison de sa source. Ces deux classes de médecins avaient en réalité également tort : ceux qui croyaient que tout sang rejeté avec toux vient du poumon, et ceux qui soutenaient que toute hémorrhagie de cette nature est éminemment dangereuse.
  10. Voy. Méth. thérap., V, vii et suiv. et Dissert. sur la pathologie.
  11. Ce fait s’observe assez fréquemment en Algérie.
  12. Le chapitre v du livre VI, est en grande partie le développement de ce paragraphe.