Kama Soutra (trad. Liseux)/V

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Traduction par Isidore Liseux.
France Loisirs (p. 195-246).

CINQUIÈME PARTIE

DES ÉPOUSES D’AUTRUI

I

Des caractéristiques des hommes et des femmes. Pourquoi les femmes résistent aux poursuites des hommes. Des hommes qui ont du succès auprès des femmes, et des femmes dont la conquête est facile


On peut s’adresser aux épouses d’autrui dans les occasions déjà énumérées au Chapitre V de la Ier Partie de cet ouvrage ; mais avant tout il convient d’examiner la possibilité de leur acquisition, leur aptitude à cohabitation, le danger de s’unir avec elles, et l’effet consécutif de ces unions. Un homme peut s’adresser à l’épouse d’autrui afin de sauver sa propre vie, lorsqu’il s’aperçoit que son amour pour elle augmente graduellement d’intensité. Ces degrés d’intensité sont au n’ombre de dix, et se reconnaissent aux symptômes suivants :

1. Amour de l’œil.

2. Attachement de l’esprit.

3. Réflexion constante.

4. Absence de sommeil.

5. Émaciation du corps.

6. Dégoût des plaisirs et divertissements.

7. Mise à l’écart de la pudeur.

8. Folie.

9. Défaillance.

10. Mort.

D’anciens auteurs disent qu’un homme doit se rendre compte des dispositions, de la sincérité, de la pureté et des instincts d’une jeune femme, comme aussi de l’intensité ou de la faiblesse de ses passions, an observant la forme de son corps et certains signes ou marques caractéristiques. Mais Vatsyayana est d’avis que la forme du corps et les signes ou marques caractéristiques ne sont ici que des indices trompeurs, et qu’il faut juger les femmes d’après leur conduite, l’expression extérieure de leurs pensées et les mouvements de leur corps.

Maintenant, en règle générale, Gonikaputra dit qu’une femme s’éprend d’amour pour tout bel homme qu’elle voit, et de même fait un homme à la vue d’une belle femme ; mais souvent ils ne vont pas plus loin, par divers motifs. En amour, les circonstances consécutives sont particulières à la femme. Elle aime sans regarder au juste ou à l’injuste, et n’essaie pas de conquérir un homme pour atteindre simplement tel ou tel objet. De plus, si un homme l’aborde le premier, elle s’en éloigne naturellement, alors même qu’elle serait disposée à s’unir avec lui. Mais si les efforts de l’homme pour la gagner sont répétés et renouvelés, elle finit par consentir. L’homme, au contraire, a beau s’être d’abord épris amour : il maîtrise ses sentiments par des considérations de moralité et de sagesse, et, quoiqu’il pense souvent à la femme, il ne cède pas, même aux efforts qu’elle fait pour le gagner. Quelquefois, il fait de son côté un effort pour conquérir l’objet de ses affections, et, s’il échoue, il ne s’en occupe plus. Il arrive aussi que, la femme une fois gagnée, il devient indifférent pour elle. Quant à dire qu’un homme ne se soucie pas de ce qui est aisément gagné, et ne désire que ce qu’il ne peut obtenir sans peine, il serait oiseux d’insister.

Les causes qui font repousser à une femme les poursuites d’un homme sont les suivantes :

1. Affection pour son mari.

2. Désir de Postérité légale.

3. Manque d’occasion.

4. Colère d’être abordée trop familièrement par un homme.

5. Différence des rangs sociaux.

6. Manque de certitude, à cause de l’habitude qu’a l’homme de voyager.

7. Soupçon que l’homme puisse être attaché à quelque autre personne.

8. Crainte que l’homme ne tienne pas ses intentions secrètes.

9. Pensée que l’homme est trop dévoué à ses amis, et qu’il a trop de condescendance pour eux.

10. Appréhension qu’il ne soit pas sérieux.

11. Sorte de honte parce que c’est un homme illustre.

12. Crainte qu’il ne soit puissant, ou d’une passion impétueuse, dans le cas de la femme-biche.

13. Sorte de honte parce qu’il est trop habile.

14. Souvenir d’avoir vécu avec lui en termes amicaux seulement.

15. Mépris de son manque de connaissance du monde.

16. Défiance de son vil caractère.

17. Indignation de ce qu’il ne paraît pas s’apercevoir de son amour pour lui.

18. Dans le cas d’une femme éléphant, supposition que c’est peut être un homme-lièvre, ou de faible passion.

19. Crainte qu’il ne lui arrive quelque malheur à cause de sa passion.

20. Défiance d’elle-même et de ses propres imperfections.

21. Peur d’être découverte.

22. Désillusion en lui voyant les cheveux gris ou l’air mesquin.

23. Crainte qu’il ne soit poussé par son mari pour éprouver sa chasteté.

24. Supposition qu’il ne soit trop scrupuleux en fait de moralité.

Quelle que soit la cause que l’homme arrive à deviner, il doit, dès le début, s’efforcer de la détruire. Ainsi, la honte que peuvent produire sa grande position ou ses talents, il la combattra en faisant preuve l’un amour passionné. Si la femme allègue le manque d’occasion ou la difficulté de pénétrer jusqu’à lui, il lui indiquera quelque moyen l’accès facile. Si elle a pour lui un respect excessif, il l’enhardira en se faisant très familier. Si elle le soupçonne d’avoir un caractère vil, lui prouvera sa valeur et sa sagesse. À l’accusation de négligence il opposera un surcroît d’attentions, et à la crainte les encouragements propres à la dissiper.

Les hommes qui obtiennent généralement du succès auprès des femmes sont les suivants :

1. Les hommes très versés dans la science d’amour.

2. Les hommes habiles à raconter des histoires.

3. Les hommes familiarisés avec les femmes depuis leur enfance.

4. Les hommes qui ont captivé leur confiance.

5. Les hommes qui leur font des présents.

6. Les hommes qui parlent bien.

7. Les hommes qui font des choses à leur goût.

8. Les hommes qui n’ont pas précédemment aimé d’autres femmes.

9. Les hommes qui jouent le rôle de messagers.

10. Les hommes qui connaissent leurs côtés faibles.

11. Les hommes qui sont désirés par d’honnêtes femmes.

12. Les hommes qui sont en relations avec leurs amies.

13. L,es hommes qui ont bon air.

14. Les hommes qui ont été élevés avec elles.

15. Les hommes qui sont leurs voisins.

16. Les hommes qui sont adonnés aux plaisirs sexuels, encore bien que ce soient leurs propres domestiques.

17. Les amants des filles de leur nourrice.

18. Les hommes récemment mariés.

19. Les hommes qui aiment les pique-niques et parties de plaisir.

20. Les hommes d’un caractère libéral.

21. Les hommes connus pour être très forts (hommes taureaux).

22. Les hommes entreprenants et braves.

23. Les hommes qui surpassent leur mari en savoir et en bon air, en bonnes qualités et en libéralité.

24. Les hommes dont l’habillement et la manière de vivre sont magnifiques.

Les femmes qui sont aisément conquises sont les suivantes :

1. Les femmes qui se tiennent à la porte de leur maison.

2. Les femmes qui sont toujours à regarder dans la rue.

3. Les femmes qui passent leur temps à bavarder dans la maison du voisin.

4. Une femme qui a constamment les yeux sur vous.

5. Une messagère.

6. Une femme qui vous regarde de côté.

7. Une femme ont le mari a pris une autre femme sans juste cause.

8. Une femme qui déteste son mari, ou qui en est détestée.

9. Une femme qui n’a personne pour la surveiller et la maintenir.

10. Une femme qui n’a pas eu d’enfants.

11. Une femme dont la famille ou caste n’est pas bien connue.

12. Une femme dont les enfants sont morts.

13. Une femme qui aime beaucoup la société.

14. Une femme qui est, en apparence, très affectionnée pour son mari.

15. La veuve d’un acteur.

16. Une veuve.

17. Une femme pauvre.

18. Une femme qui aime les plaisirs.

19. La femme d’un homme qui a plusieurs frères plus jeunes que lui.

20. Une femme vaniteuse.

21. Une femme dont le mari lui est inférieur en rang et en talents.

22. Une femme qui est fière de son adresse dans les arts.

23. Une femme dont l’esprit est troublé par la folie de son mari.

24. Une femme qui, dans son enfance, a été mariée à un homme riche, et Qui ne l’aimant pas lorsqu’elle grandit, désire un homme plus à son goût par ses qualités de caractère, ses talents et sa sagesse.

25. Une femme que son mari maltraite sans cause.

26. Une femme qui n’est pas respectée d’autres femmes, ses égales en rang ou en beauté.

27. Une femme dont le mari passe son temps à voyager.

28. La femme d’un joaillier.

29. Une femme jalouse.

30. Une femme cupide.

31. Une femme immorale.

32. Une femme stérile.

33. Une femme paresseuse.

34. Une femme lâche.

35. Une femme bossue par derrière.

36. Une femme naine.

37. Une femme contrefaite.

38. Une femme vulgaire.

39. Une femme qui sent mauvais.

40. Une femme malade.

41. Une vieille femme.

Il y a aussi, sur ce sujet, deux versets dont voici le texte :

"Le désir, inspiré par la nature, accru par l’art, et dont la sagesse écarte tout danger, devient ferme et sûr. Un homme adroit, confiant dans son habileté, qui observe soigneusement les idées et les sentiments des femmes, et qui sait détruire les causes de leur éloignement des hommes, est généralement heureux avec elles."

II

Des moyens d’aborder une femme et des efforts à faire pour la conquérir

D’anciens auteurs sont d’avis que les jeunes filles se laissent moins facilement séduire par l’entremise de messagères, que par l’action personnelle de l’homme ; mais que les femmes mariées, au contraire, cèdent plus facilement aux intermédiaires qu’à l’amant lui-même. Vatayana, lui, estime que, toutes les fois que cela est possible, l’homme doit agir de son propre chef, et c’est seulement lorsqu’il y a impossibilité absolue de ce faire qu’on doit recourir à l’office des messagères.

Quant à dire que les femmes qui agissent hardiment et librement cèdent aux efforts personnels de l’homme, et que celles qui ne possèdent pas ces qualités cèdent à des messagères, c’est pure plaisanterie. Or, quand un homme agit lui-même, en cette matière, il doit, avant tout, faire la connaissance de la femme qu’il aime, de la manière suivante :

1. Il s’arrangera pour être vu de la femme dans quelque occasion naturelle ou spéciale. L’occasion est naturelle, lorsque l’un d’eux se rend à la maison de l’autre ; elle est spéciale, lorsqu’ils se rencontrent soit chez un ami, ou un compagnon de caste, ou un ministre, ou un médecin, soit aux cérémonies de mariage, aux sacrifices, aux festivals, aux funérailles et aux parties de jardin.

2. Quel que soit le moment où ils se rencontrent, l’homme doit avoir soin de regarder la femme de telle façon qu’elle puisse deviner l’état de son esprit ; il tirera sa moustache, produira un son avec ses ongles, fera tinter ses bijoux, mordra sa lèvre inférieure, et fera d’autres signes de même sorte. Lorsqu’elle le regardera, il parlera d’elle et d’autres femmes à ses amis, et il se montrera libéral, ami des plaisirs. S’il est assis à côté d’une femme de sa connaissance, il bâillera, se tortillera le corps, contractera ses sourcils, parlera très lentement comme s’il était fatigué, et l’écoutera avec indifférence. Il pourra aussi entretenir, avec un enfant ou quelque autre personne, une conversation à double sens, qui paraîtra se raporter à une tierce personne, mais qui, en réalité, aura pour objet la femme qu’il aime ; et de cette façon il lui fera connaître son amour, en ayant l’air de s’occuper des autres plus que d’elle même. Il fera sur la terre, avec ses ongles ou avec un bâton, des marques qui s’adresseront à elle ; il embrassera et baisera un enfant en sa Présence, lui donnera avec sa langue le mélange de noix de bétel et de feuilles de bétel, et lui pressera le menton avec ses doigts d’une manière caressante. Il fera tout cela en temps et lieu convenables.

3. L’homme caressera un enfant assis sur les genoux de la femme, et lui donnera quelque jouet, qu’il lui reprendra ensuite. Il pourra ainsi entretenir avec elle une conversation au sujet de cet enfant, et de la sorte il se familiarisera graduellement avec elle ; il s’étudiera aussi à se rendre agréable à ses parents. La connaissance, une fois faite, deviendra un prétexte pour la visiter souvent dans sa maison ; et alors il causera de quelque sujet d’amour, elle absente, mais assez près cependant pour qu’elle puisse l’entendre. L’intimité grandissant, il lui confiera une sorte de dépôt ou gage, dont il retirera de temps à autre une petite portion ; ou bien il lui donnera quelques substances parfumées, ou des noix de bétel, pour qu’elle les lui garde. Après cela, il fera son possible pour la mettre en bonnes relations avec sa propre femme, les engagera à causer confidentiellement et à s’asseoir ensemble dans des lieux solitaires. Afin de la voir fréquemment, il s’arrangera de manière que les deux familles aient le même orfèvre, le même joaillier, le même vannier, le même teinturier et le même blanchisseur.

Et il lui fera ouvertement de longues visites, sous le prétexte de quelque affaire qu’il traite avec elle ; et une affaire en amènera une autre de façon à les maintenir toujours en relations. Si elle désire quelque chose, si elle a besoin d’argent, ou si elle veut acquérir de l’adresse dans tel ou tel art, il lui insinuera qu’il a la volonté et le pouvoir de taire tout ce qu’elle désire, de lui donner de l’argent, ou de lui enseigner tel ou tel art, tout cela étant dans ses moyens. Il entretiendra avec elle des discussions, en compagnie d’autres personnes, parlera de ce qui a été dit et fait par d’autres, examinera différents objets, tels que des joyaux, des pierres précieuses, etc. À ces occasions, il lui montrera certaines choses qu elle pourra ne point connaître ; et si elle vient à être en désaccord avec lui sur les choses elles mêmes ou sur leur valeur, il ne la contredira pas, mais assurera qu’il est de son avis sur tous les points.

Ainsi finissent les manières de faire connaissance avec la femme qu’on désire.

Maintenant, lorsqu’une jeune fille est familiarisée avec un homme ainsi qu’il est décrit plus haut, et qu’elle lui a manifesté son amour par les différents signes extérieurs et les mouvements de son corps, l’homme doit faire tous ses efforts pour la posséder. Mais comme les jeunes filles n’ont pas d’expérience de l’union sexuelle, il convient de les traiter avec la plus grande délicatesse, et l’homme devra user de grandes précautions. Cela n’est pas nécessaire, bien entendu, avec les autres femmes qui sont accoutumées au commerce sexuel. Lorsque les intentions de la jeune fille ne seront plus douteuses et qu’elle aura mis de côté sa peur, l’homme commencera à faire usage de son argent et ils échangeront ensemble des vêtements, des anneaux et des fleurs. En cela, l’homme prendra un soin tout particulier à ce que ses cadeaux soient beaux et précieux. Elle lui donnera aussi un mélange de noix de bétel et de feuilles de bétel, et s’il se rend à quelque partie de plaisir, il lui demandera la fleur qu’elle a aux cheveux ou celle qu’elle porte à la main. Si c’est lui même qui lui donne une fleur, elle aura un doux parfum et sera marquée de signes qu’il y aura imprimés avec ses ongles ou ses dents. Progressivement et graduellement il dissipera ses craintes, et finira par la conduire dans quelque lieu solitaire, où il l’embrassera et la baisera. Enfin, à l’occasion d’une noix de bétel qu’il lui donnera, ou qu’il en recevra, ou d’un échange de fleurs qu’ils feront ensemble, il lui touchera et pressera les parties secrètes, donnant ainsi à ses efforts une conclusion satisfaisante.

Lorsqu’un homme a entrepris de séduire une femme, il ne doit pas essayer d’en séduire une autre dans le même temps. Mais après avoir réussi avec la première, et en avoir jouir durant un laps de temps considérable, il peut entretenir son affection en lui faisant des cadeaux qui lui plaisent, et commencer dès lors le siège d’une autre femme.

Si un homme voit le mari d’une femme qu’il aime aller à quelque endroit près de sa maison, il s’abstiendra de jouir de la femme, lors même qu’elle pourrait être facilement gagnée à ce moment là. Un homme sage, et qui a le souci de sa réputation, ne songera pas à séduire une femme peureuse, timide, de caractère léger, bien surveillée, ou qui possède un beau père ou une belle mère.

III

Examen de l’état d’esprit d’une femme

Lorsqu’un homme essaie de séduire une femme, il doit examiner son état d’esprit, et agir comme il va être dit :

Si elle l’écoute, sans toutefois lui manifester en aucune manière ses propres intentions, il essaiera de la gagner au moyen d’une entremetteuse.

Si elle le rencontre une fois, et qu’elle vienne de nouveau à le rencontrer, mieux habillée qu’auparavant, ou si elle va le trouver dans quelque endroit solitaire, il peut être certain qu’avec un peu de violence il arrivera à ses fins. Une femme qui laisse un homme lui faire la cour, mais ne lui cède pas, même après un long temps, Peut être considérée comme une tricheuse en amour ; cependant, vu l’inconstance de l’esprit humain, il sera possible de triompher d’une telle femme, si l’on entretient toujours avec elle d’étroites relations.

Lorsqu’une femme évite les attentions d’un homme et, soit par respect pour lui, soit par orgueil personnel, ne veut ni le rencontrer n’y l’approcher, on pourra cependant, quoique avec difficulté, en venir à bout, soit en s’efforçant de se familiariser avec elle, soit en se servant d’une très habile entremetteuse.

Lorsqu’un homme fait la cour à une femme, et qu’elle le repousse avec des mots injurieux, il doit sur le-champ y renoncer.

Lorsqu’une femme repousse un homme, mais en même temps lui témoigne par ses actes de l’affection, il faut lui faire l’amour de toute manière.

Une femme qui rencontre un homme dans des endroits solitaires, et qui le laisse la toucher de son pied, tout en ayant l’air, à cause de l’indécision de son esprit, de ne pas s’en apercevoir, pourra être gagnée avec de la patience et des efforts persévérants, comme il va être dit :

S’il arrive qu’elle dorme dans son voisinage, il l’enlacera de son bras gauche, et, à son réveil, il observera si elle le repousse sérieusement, ou seulement de façon à laisser voir qu’elle ne demande pas mieux qu’il recommence. Et ce qui se fait avec le bras peut aussi se faire avec le pied. Si l’homme réussit en ce point, il l’embrassera plus étroitement ; et si elle ne veut pas rester embrassée et se lève, mais le conduit avec lui de même sorte le jour suivant, il en conclura qu’elle n’est pas éloignée de lui céder. Si toutefois elle ne reparaissait pas, l’homme essaierait de la gagner au moyen d’une entremetteuse ; et si, après avoir disparu quelque temps, elle reparaît de nouveau et se conduit avec lui comme ordinaire, il en conclura qu’elle n’a plus d’objection à s’unir à lui.

Lorsqu’une femme offre à un homme une occasion et lui manifeste son amour, il se mettra en devoir d’en jouir. Les manières dont une femme manifeste son amour sont les suivantes :

1. Elle s’adresse à un homme sans qu’il lui ait parlé le premier.

2. Elle se montre à lui dans des endroits secrets.

3. Elle lui parle en tremblant et avec des mots inarticulés.

4. Elle a les doigts de la main et les orteils des pieds moites de transpiration, et son visage rayonne de plaisir.

5. Elle s’occupe à lui masser le corps et à lui presser la tête.

6. En le massant, elle ne travaille que d’une main seulement, et avec l’autre elle touche certaines parties de son corps.

7. Elle reste les deux mains placées sur son corps, sans remuer, comme si quelque chose l’avait surprise ou si elle était épuisée de fatigue.

8. De temps en temps elle penche son visage sur ses cuisses, et s’il la prie de les lui masser, elle n’y manifeste aucune répugnance.

9. Elle place une de ses mains tout à fait sans mouvement sur son corps, et quoique l’homme la tienne pressée entre deux de ses membres, elle ne la retire pas pour autant.

10. Enfin, lorsqu’elle a résisté à tous les efforts de homme pour en venir à bout, elle revient le trouver le jour suivant pour lui masser de nouveau le corps.

Lorsqu’une femme ne donne point encouragement à un homme et ne l’évite pas non plus, mais se tient cachée ans quelque endroit solitaire, on pourra la gagner au moyen d’une servante de son voisinage. Si, appelée par l’homme, elle tient la même conduite, il faudra recourir alors à une habile entremetteuse. Mais si elle refuse de rien faire dire à l’homme, il devra bien réfléchir avant de continuer ses poursuites.

Ainsi finit l’examen de l’état d’esprit d’une femme.

Un homme doit s’introduire le premier auprès d’une femme, et alors tenir avec elle une conversation. Il lui fera quelques ouvertures d’amour, et si, d’après ses réponses, il s’aperçoit qu’elle accueille favorablement ces ouvertures, il se mettra à l’œuvre pour en venir à ses fins, sans aucune crainte. Une femme qui, à la première entrevue, trahit son amour par des signes extérieurs, devra être gagnée très aisément. De même une femme lascive qui, si on lui parle amoureusement, répond aussitôt par des paroles où se révèle l’amour, doit être considérée comme gagnée à l’instant même. À l’égard de toutes les femmes, qu’elles soient sages, simples ou confiantes, il est de principe que celles qui manifestent ouvertement leur amour sont aisément gagnées.

IV

Des devoirs d’une entremetteuse

Si une femme a manifesté son amour ou son désir par des signes ou des mouvements de son corps, et qu’ensuite elle ne se laisse plus loir que rarement ou pas du tout, ou s’il s’agit d’une femme rencontrée pour la première fois, l’homme doit employer une entremetteuse pour s’approcher d’elle.

Or l’entremetteuse, après s’être insinuée dans la confiance de la femme en agissant suivant ses dispositions, essaiera de lui faire haïr ou mépriser son mari en tenant avec elle d’artificieuses conversations en lui parlant de médecines pour avoir des enfants, en lui racontant les contes de diverses sortes sur les voisins, des histoires sur les femmes des autres, et en célébrant sa beauté, sa sagesse, sa générosité, son bon naturel. Elle lui dira : "C’est en vérité bien dommage que vous, une femme si excellente sous tous les rapports, soyez sous la domination d’un tel mari. Belle dame, il n’est pas fait même pour vous servir." L’entremetteuse parlera ensuite à la femme de la faible passion de son mari, de sa jalousie, de sa coquinerie, de son ingratitude, de son aversion pour les plaisirs, de sa sottise, de sa mesquinerie, et de tous les autres défauts qu’il peut avoir et qu’elle pourra bien connaître. Elle insistera particulièrement sur tel défaut ou imperfection qui lui paraîtra devoir être plus sensible à la femme. Si l’épouse est une femme-biche, et le mari un homme-lièvre, il n’y a rien à dire ; mais s’il était un homme-lièvre, et elle une femme-jument ou une femme-éléphant, alors elle lui ferait sentir la disproportion.

Gonikaputra est d’avis que, dans le cas où la femme en est à sa première intrigue, ou qu’elle n’a fait connaître son amour qu’avec toutes sortes de réticences, l’homme doit alors se procurer et lui envoyer une entremetteuse qui la connaisse déjà et en qui elle fait confiance.

Mais revenons à notre sujet. L’entremetteuse parlera à la femme du dévouement et de l’amour de l’homme, et lorsqu’elle verra grandir sa confiance et son affection, elle lui dira alors ce qu’elle devra faire, le la manière suivante : "Écoutez ceci, belle dame ; voilà un homme, de bonne famille, qui vous a vue, et qui en perd la tête. Le pauvre jeune homme, d’une nature si sensible ! il n’a jamais été aussi rudement éprouvé, et je crains bien qu’il ne succombe à son affliction, qu’il ne finisse par en mourir !" Si la femme prête à ces paroles oreille favorable, alors, le jour suivant, l’entremetteuse, qui observé des signes de bon augure sur son visage, dans ses yeux dans sa conversation, lui Parera de nouveau de l’homme, et contera les histoires d’Ahaffa et d’Indra, de Sacountala et hyanti, ou d’autres semblables qui pourront s’adapter à l’occasion.

Elle lui vantera la force de l’homme, ses talents, son habileté dans soixante-quatre sortes de plaisirs mentionnées par Babhravya, bonne mine, et sa liaison avec quelque noble dame, n’importe que ce dernier point soit vrai ou non.

De plus, l’entremetteuse notera avec soin la conduite de la femme à son égard. Si elle lui est favorable, voici quels seront ses procédés :

Elle l’accueillera d’un air souriant, s’assiéra tout près d’elle, et lui demandera : "Où avez-vous été ? Qu’avez-vous fait ? Où avez-vous dîné? Où avez-vous dormi ? Où vous êtes-vous assise ?" Elle ira aussi trouver l’entremetteuse dans des endroits solitaires ; là, elle lui contera des histoires, bâillera contemplativement, poussera de longs soupirs, lui donnera des présents, la fera ressouvenir de quelque joyeuse journée, et la renverra en souhaitant de la revoir, et en lui disant d’un air enjoué : "Oh ! jolie parleuse, pourquoi m’avez-vous dit ces méchantes paroles ?" Puis elle observera que ce serait péché d’avoir commerce avec cet homme ; et elle ne dira rien des rendez-vous ou conversations qu’elle aura déjà pu avoir avec lui, mais désirera qu’on l’interroge là-dessus, et enfin rira de la passion de l’homme, mais sans lui en faire un crime.

Ainsi finit la conduite de la femme avec l’entremetteuse.

Lorsque la femme aura manifesté son amour comme il vient d’être dit, l’entremetteuse l’attisera en lui apportant des gages amoureux de la part de l’homme. Mais si la femme ne le connaît pas bien personnellement, l’entremetteuse l’amènera à ses fins en célébrant et en exaltant ses bonnes dualités, et en lui contant des histoires de son amour pour elle. Uddalaka dit à ce propos que si un homme et une femme ne se connaissent pas personnellement, et s’ils ne se sont pas montré l’un à l’autre des signes d’affection, l’emploi d’une entremetteuse est inutile.

Les disciples de Babhravya, d’un autre côté, affirment que s’ils se sont montré l’un à l’autre des signes d’affection, quoique ne se connaissant pas personnellement, il y a lieu d’employer une entremetteuse. D’après Gonikaputra, cet emploi est de saison pourvu qu’ils se connaissent, lors même qu’il n’y aurait pas eu de signes d’affection.

Vatsyayana, lui, établit que même s’ils ne se connaissent pas personnellement et ne se sont montré l’un à l’autre aucun signe d’affection, tous les deux cependant peuvent donner leur confiance à une entremetteuse.

Or l’entremetteuse fera voir à la femme les présents, tels que noix de bétel et feuilles de bétel, parfums, fleurs et anneaux, que l’homme pourra lui avoir donnés pour elle, et sur ces présents seront imprimées les marques des dents et des ongles de l’homme, avec d’autres signes.

Sur l’étoffe qu’il pourra lui envoyer, il dessinera avec du safran ses jeux mains jointes ensemble, pour signifier son ardente prière.

L’entremetteuse fera voir aussi à la femme des figures ornementales de différentes sortes découpées dans des feuilles, ainsi que des ornements d’oreilles et des chapelets de fleurs contenant des lettres d’amour où sera exprimé le désir de l’homme, et elle la déterminera à lui envoyer en retour des présents affectueux. Une fois ces présents acceptés de part et d’autre, l’entremetteuse, de sa propre initiative, arrangera entre eux un rendez -vous.

Les disciples de Babhravya disent que ce rendez-vous doit avoir lieu à l’époque où l’on visite le temple une divinité, ou à l’occasion de foires, parties de jardin, représentations théâtrales, mariages, sacrifices, festivals et funérailles, ou encore lorsqu’on va se baigner à la rivière, ou bien en temps de calamités naturelles, d’incursions de brigands ou d’invasion du pays par l’ennemi.

Gonikaputra est d’avis que ces rendez-vous doivent de préférence le donner dans les demeures de femmes amies, de mendiants, d’astrologues et d’ascètes. Mais Vatsyayana décide que le seul lieu convenable à ce sujet est celui dont l’entrée et la sortie sont faciles, où il a été pris des dispositions Pour éviter tout accident, et où l’homme, ayant une fois pénétré dans la maison, peut la quitter au moment voulu sans risquer une rencontre fâcheuse.

Maintenant, voici quelles sont les différentes sortes d’entremetteuses ou messagères :

1. Une entremetteuse qui prend sur elle le fardeau de l’affaire. Une femme qui, après avoir observé la passion mutuelle d’un homme et d’une femme, les met en rapport et mène l’intrigue par la seule Puissance de son intellect, s’appelle une entremetteuse qui prend sur elle tout le fardeau de l’affaire. Cette espèce d’entremetteuse est principalement employée lorsque l’homme et la femme se connaissent déjà et ont déjà conversé ensemble ; dans ce cas, elle n’est pas envoyée seulement par l’homme (ce qui a toujours lieu dans tous les autres cas), mais aussi par la femme. On donne aussi ce nom à une entremetteuse qui, s’apercevant que tel homme et telle femme se conviennent l’un à l’autre, essaie de les unir quoiqu’ils ne se connaissent pas encore.

2. Une entremetteuse qui exécute seulement une partie limitée de l’affaire. Une entremetteuse qui, après s’être aperçue qu’une partie de l’affaire était déjà faite, ou que l’homme a déjà risqué ses avances, se charge de parfaire le reste, s’appelle une entremetteuse qui exécute seulement une partie limitée de affaire.

3. Une entremetteuse qui porte simplement une lettre. Une entremetteuse qui porte simplement des messages entre un homme et une femme qui s’aiment, mais sans pouvoir se rencontrer souvent, s’appelle une porteuse de lettre ou message.

On donne aussi ce nom à celle qui est envoyée par l’un des amants, pour informer l’autre de l’heure et du lieu d’un rendez-vous.

4. Une entremetteuse qui agit pour son propre compte.

Une femme qui va trouver un homme et lui dit qu’elle a goûté l’union sexuelle avec lui dans un rêve ; qui lui exprime sa colère de ce que sa femme l’a querellé pour l’avoir appelée le nom de sa rivale au lieu du sien propre ; lui donne un objet quelconque portant les marques de ses dents et de ses ongles ; lui déclare que depuis longtemps elle savait être désirée de lui, et lui demande en particulier laquelle a meilleure mine, de sa femme ou d’elle même : une telle personne s’appelle une entremetteuse pour son propre compte.

L’homme ne doit lui donner des rendez-vous et converser avec elle qu’en particulier et secrètement.

On donne aussi ce nom à une femme qui, après avoir promis à une autre d’agir pour elle, conquiert l’homme pour son propre compte en faisant personnellement sa connaissance, et cause ainsi l’échec de l’autre femme. De même à un homme qui s’affirmant comme entremetteur pour un autre et ne connaissant pas la femme auparavant, la conquiert pour lui et cause ainsi l’échec de l’autre.

5. L’entremetteuse d’une jeune femme innocente.

Une femme qui a gagné la confiance de l’innocente jeune femme d’un homme et qui, possédant ses secrets sans avoir exercé aucune pression sur son esprit, connaît d’après ses confidences la manière dont son mari se comporte avec elle, pourra lui enseigner l’art de se faire aimer de son mari, en la parant de manière à exprimer son amour, et en lui apprenant comment et quand se mettre en colère, ou en faire mine ; puis, après avoir fait elle-même des marques d’ongles et de dents sur le corps de la jeune femme, elle l’engagera à faire venir son mari pour lui montrer ces marques et l’exciter ainsi à la jouissance : une telle femme s’appelle l’entremetteuse d’une jeune femme innocente. Dans ce cas, le mari répondra à sa femme par l’intermédiaire de la même personne.

6. Une femme mariée servant d’entremetteuse à son mari.

Lorsqu’un homme emploie sa propre femme pour gagner la confiance d’une femme qu’il veut posséder, et l’envoie chez elle pour lui vanter la sagesse et l’habileté de son mari, on appelle la première une femme mariée qui sert d’entremetteuse. Dans ce cas, la femme courtisée fera aussi connaître à l’homme ses sentiments par l’intermédiaire de sa propre femme.

7. Une entremetteuse muette.

Lorsqu’un homme envoie une jeune fille ou une servante chez une femme sous un prétexte ou sous un autre, et cache une lettre dans son bouquet de fleurs, ou dans ses ornements d’oreilles, ou fait sur elle quelque marque avec ses dents ou ses ongles, cette jeune fille ou cette servante s’appelle une entremetteuse muette. Dans ce cas, l’homme doit attendre une réponse de la femme par l’intermédiaire de la même personne.

Une personne qui porte à une femme un message à double sens, au relatif à quelque fait passé, ou inintelligible à d’autres, s’appelle une entremetteuse qui joue le rôle du vent. Dans ce cas, on doit demander une réponse par l’intermédiaire de la même femme.

Ainsi finissent les différentes sortes d’entremetteuses.

Une femme astrologue, une servante, une mendiante ou une femme artiste sont bien au courant du métier d’entremetteuse, et réussissent vite à gagner la confiance des autres femmes. Chacune d’elles peut à volonté exciter l’inimitié entre deux personnes, ou exalter l’amabilité de telle ou telle femme dont elle prend l’intérêt, ou décrire les arts pratiqués par d’autres femmes dans l’union sexuelle. Elles peuvent aussi parler en termes pompeux de l’amour d’un homme, de son adresse dans les plaisirs sexuels, de la passion que d’autres femmes, plus belles encore que celle à qui elles s’adressent, ressentent pour lui, et expliquer les difficultés qui peuvent le retenir dans sa maison.

Enfin, une entremetteuse, par l’artifice de sa conversation, peut rapprocher une femme d’un homme, lors même que la femme n’y aurait pas songé, ou que l’homme l’aurait crue au-dessus de ses prétentions. Elle peut aussi ramener à une femme un homme qui, pour une cause ou une autre, s’en serait séparé.

V

De l’amour des personnes en charge pour les épouses d’autrui

Les rois et leurs ministres n’ont pas d’accès dans les demeures des citoyens, et, de plus, leur manière de vivre est constamment surveillée, observée et imitée par la multitude : exactement comme le monde animal, voyant le soleil se lever, se lève avec lui, et lorsqu’il se couche le soir, se couche de nouveau à son imitation. Les personnes en charge doivent donc éviter de faire en public aucun acte blâmable, que leur position leur interdit et qui serait digne de censure. Mais si un tel acte paraît nécessaire, elles doivent alors employer les moyens convenables, tels qu’ils sont décrits ci.après :

Le principal d’un village, l’officier du Roi y préposé, et l’homme dont le travail consiste à glaner du blé, peuvent séduire des villageoises en leur faisant une simple demande. Aussi les voluptueux donnent-ils le nom de ribaudes à cette catégorie de femmes.

L’union des hommes sus-mentionnés avec cette catégorie de femmes a lieu à l’occasion d’un travail non Payé, de l’emmagasinage des récoltes dans leurs greniers, de l’entrée dans la maison ou de la sortie d’objets, du nettoyage des maisons, du travail des champs, de l’achat du coton, de la laine, du lin, du chanvre, du fil, et dans la saison de l’achat, vente et échange de divers autres articles, comme aussi au moment où se font divers autres travaux. De la même façon, les surveillants de parcs aux vaches jouissent des femmes dans ces parcs ; et les officiers qui ont la surveillance des veuves, des femmes sans appui et de celles qui ont quitté leurs maris, ont avec ces femmes un commerce sexuel. Les plus adroits font leur besogne en rôdant la nuit dans le village. Il y a aussi des villageois qui entretiennent des relations avec les femmes de leurs fils, étant la plupart du temps seuls avec elles. Enfin les surveillants des marchés ont fort affaire aux villageoises, lorsque celles-ci viennent au marché pour leurs achats.

Durant le festival de la huitième lune, c’est-à-dire, durant la brillante moitié du mois de Nargashirsha, comme aussi durant le festival de clair de lune du mois de Kartika, et le festival de printemps de Chaitra, les femmes des villes et des cités visitent généralement les femmes du harem du Roi, dans le palais royal. Ces visiteuses, étant connues des femmes du harem, sont admises dans leurs appartements particuliers ; elles y passent la nuit en conversations, en sports et en amusements à leur goût, et s’en vont le matin. À cette occasion, une servante du Roi, qui saura d’avance la femme pue le Roi désire, accostera, en ayant l’air de flâner, telle ou telle femme qui s’apprête à rentrer chez elle, et l’invitera à venir voir les curiosités du palais.

Avant même ces festivals, elle peut avoir fait dire à cette femme qu’à l’occasion du festival elle veut lui montrer toutes les choses intéressantes du palais. Et, effectivement, elle lui fera voir le berceau de plantes grimpantes en forme de corail, la maison du jardin avec son plancher incrusté de pierres précieuses, le berceau de grappes de raisin, l’édifice sur l’eau, les passages secrets dans les murs du palais, les peintures, les animaux de chasse et de sport, les machines, les oiseaux, et les cages aux lions et aux tigres. Ensuite, étant seule avec elle, elle lui parlera de l’amour que lui porte le Roi et lui vantera l’heureuse fortune que lui procurerait son union avec le Roi, l’assurant d’ailleurs d’un secret strictement gardé. Si la femme accepte cette offre, elle l’en récompensera par de jolis présents dignes du Roi, et, après l’avoir accompagnée à quelque distance, la congédiera avec de grandes marques d’affection.

Il peut arriver aussi que les femmes du Roi, ayant fait la connaissance du mari de la femme que le Roi désire, invitent cette femme à venir les visiter dans le harem ; et alors, une servante du Roi, envoyée là tout exprès, agira comme il est dit ci-dessus.

Ou bien une des femmes du Roi fera la connaissance de la femme que le Roi désire, en lui envoyant une de ses suivantes qui, devenue plus intime avec elle, l’engagera à venir voir le palais royal. Puis, lorsqu’elle aura visité le harem et pris confiance, une a l’idée du Roi, envoyée tout exprès, agira comme il est dit ci-dessus.

Ou bien la femme du Roi invitera celle que le Roi désire à venir au palais royal, Pour voir pratiquer l’art dans lequel la femme du Roi peut exceller, et lorsqu’elle sera venue au harem, une servante du Roi, envoyée tout exprès, agira comme il est dit ci.dessus.

Ou bien une mendiante, d’accord avec la femme du Roi, dira à la femme que le Roi désire, et dont le mari peut avoir perdu sa fortune ou avoir quelque chose à craindre du Roi : "Cette femme du Roi a de l’influence sur lui ; elle est, de plus, naturellement bienveillante ; c’est à elle, par conséquent, que nous devons avoir recours en cette affaire.

Je me charge de vous faire entrer au harem, et elle écartera toute cause de danger et de crainte de la part du Roi." Si la femme accepte cette offre, la mendiante la conduira deux ou trois fois au harem, et la femme du Roi lui promettra sa protection. Ensuite, lorsque la femme, enchantée de l’accueil et de la protection promise, retournera au harem, une servante du Roi, envoyée tout exprès, agira comme il a été dit.

Ce qu’on vient de dire au sujet de la femme d’un homme qui a quelque chose à craindre du Roi s’applique aussi aux femmes de ceux qui sollicitent du service auprès du Roi, ou qui sont opprimés par les ministres du Roi, ou qui sont pauvres, ou qui ne sont pas satisfaits de leur position, ou qui désirent gagner la faveur du Roi, ou qui veulent devenir fameux parmi le peuple, ou qui sont opprimés par les membres de leur propre caste, ou qui veulent faire affront à leurs compagnons de caste, ou qui agissent en espions du Roi, ou qui ont quelque objet à atteindre.

Enfin, si la femme que le Roi désire vit avec un homme qui n’est pas son mari, alors le Roi peut la faire arrêter, et l’ayant réduite en esclavage, à cause de son délit, la placer dans le harem. Ou encore, le Roi ordonnera à son ambassadeur de chercher querelle au mari de la femme qu’il désire, et il emprisonnera celle-ci comme la femme d’un ennemi du Roi, pour la placer ensuite dans le harem.

Ainsi finissent les moyens de gagner secrètement les épouses d’autrui.

Les moyens ci-dessus mentionnés de gagner les épouses d’autrui se pratiquent généralement dans les palais des Rois. Mais un Roi ne doit jamais pénétrer dans le domicile d’une autre personne ; car Abhira, roi des Kottas, fut tué par un blanchisseur tandis qu’il était dans une maison étrangère, et Jajasana, roi des Kashis, fut massacré en pareille occasion sur l’ordre de ses cavaliers.

Mais, suivant les coutumes de quelques pays, les Rois ont certaines facilités de faire l’amour aux femmes d’autres hommes. Ainsi, dans le pays des Andhras, les nouvelles mariées ont l’usage de se présenter au harem du Roi, avec des présents, le dixième jour de leur mariage ; puis, après avoir été possédées par le Roi, elles sont congédiées. Dans le pays des Vatsagulmas, les femmes des Premiers ministres vont trouver le Roi le soir et se mettent à son service. Dans le pays des Vaidharbas, les belles femmes des indigènes passent un mois dans le harem du Roi, sous prétexte de leur affection pour sa personne.

Dans le pays des Aparatakas, les citoyens envoient en présents leurs belles femmes aux ministres et aux Rois. Et enfin, dans le pays des Saurashtras, les femmes de la ville et de la campagne se rendent au harem royal pour le plaisir du Roi, soit ensemble, soit séparément.

Il y a aussi, sur ce sujet, deux versets, doit voici le texte :

"Les procédés ci-dessus décrits, et d’autres semblables, sont les moyens employés par le Roi à l’égard des épouses d’autrui. Mais un Roi, qui est préoccupé du bien être de son peuple, ne doit en aucun cas les mettre en pratique." "Un Roi, qui a triomphé des six ennemis de l’humanité, que sont la Luxure, la Colère, l’Avarice, l’Ignorance spirituelle, l’Orgueil et l’Envie, devient le maître du monde entier."

VI

Des femmes du harem royal et de la garde de sa propre épouse

Les femmes du harem royal ne peuvent voir ni rencontrer aucun homme, tant elles sont strictement gardées ; et leurs désirs ne sauraient d’ailleurs être satisfaits, leur unique mari étant commun à tant de femmes. Pour cette raison, elles se donnent entre elles du plaisir de différentes façons, ainsi qu’il va être dit :

Elles habillent en hommes les filles de leurs nourrices, ou leurs amies, ou leurs servantes, et accomplissent alors leur objet au moyen de bulbes, racines et fruits qui ont a forme du Lingam ; ou bien elles se couchent sur une statue ont le Lingam est apparent et en érection.

Certains Rois compatissants prennent ou s’appliquent des médicaments qui leur permettent de jouir de plusieurs femmes dans la même nuit, quoique peut-être ils n’y soient guère portés de leur propre mouvement. D’autres jouissent avec celles de leurs femmes seulement qui ont leur préférence ; d’autres enfin prennent chacune de leurs femmes à tour de rôle, régulièrement. Tels sont les moyens de jouissance qui prévalent dans les contrées de l’Est, et ce qui est dit de la jouissance de la femme est aussi applicable à l’homme.

Toutefois, par l’entremise de leurs servantes, les dames du harem royal reçoivent assez souvent dans leurs appartements des hommes déguisés en femmes. Leurs servantes et les filles de leurs nourrices, qui sont au fait de tous les secrets du lieu, ont pour mission d’engager les hommes à pénétrer ainsi dans le harem, en leur parlant de la bonne fortune qui les y attend, des facilités d’entrée et de sortie, de la grande étendue du palais, de la négligence des sentinelles, et de la condescendance des surveillants pour la personne des épouses royales. Mais ces femmes ne doivent (mais, au moyen de mensonges, décider un homme à entrer dans le harem, car ce serait probablement occasionner sa perte.

Quant à l’homme lui même, il fera mieux de renoncer à pénétrer dans le harem, si aisé qu’en soit l’accès, à cause des nombreux désastres auxquels il s’y trouvera exposé. Si cependant il veut y entrer, il doit premièrement s’assurer s’il existe une sortie facile, s’il est partout entouré du jardin de plaisance, s’il y a différents compartiments qui en dépendent, si les sentinelles sont négligentes, si le Roi en est absent ; et alors, au moment où les femmes du harem lui font signe, il observera soigneusement les localités et entrera par le chemin qui lui sera indiqué. Si la chose lui est possible, il rôdera chaque jour autour du harem, se familiarisera, sous un prétexte ou sous un autre, avec les sentinelles, et se montrera aimable pour les servantes du harem qui pourront connaître son dessein, et auxquelles il exprimera son regret de ne pouvoir encore atteindre le but e ses désirs. Enfin, il laissera tout l’office d’entremetteuse à la femme qui aura accès dans le harem, et il s’étudiera à reconnaître les émissaires du Roi.

S’il n’y a pas d’entremetteuse qui ait accès dans le harem, l’homme, alors, se tiendra dans quelque endroit où il puisse voir la femme qu’il aime et qu’il désire posséder.

Si cet endroit est occupé par les sentinelles du Roi, il se déguisera en servante de la dame qui vient dans ledit endroit, ou qui y passe.

Lorsqu’elle le regardera, il lui fera connaître ses sentiments par des signes et gestes extérieurs, et lui montrera des peintures, des objets à double sens, des chapelets de fleurs, des anneaux. Il notera soigneusement la réponse qu’elle lui fera, par mots ou par signes ou gestes, et essaiera alors de pénétrer dans le harem. S’il est certain qu’elle doit venir dans quelque lieu particulier, il s’y cachera, et au moment voulu entrera avec elle mêlé à ses gardes. Il peut aussi aller et venir, caché dans un lit replié, ou dans une couverture de lit ; ou mieux encore, il se rendra le corps invisible au moyen d’applications extérieures, comme celle dont voici la recette :

Brûlez ensemble, sans laisser partir la fumée, le cœur d’un ichneumon, le fruit de la courge longue (tumbi), et les yeux d’un serpent ; broyez les cendres et mêlez dans une égale quantité d’eau. En se mettant sur les yeux cette mixture, un homme peut aller et venir sans être vu.

Il y a d’autres moyens d’invisibilité prescrits par les Brahmanes de Duyana et les Jogas iras.

Un homme peut aussi entrer dans le harem durant le festival de la huitième lune, dans le mois de Nargashirsha, et durant les festivals de clair de lune, alors que les surveillantes du harem sont très occupées ou tout à la fête.

Voici, sur le sujet, les principes posés en règle :

L’entrée de jeunes gens dans le harem et leur sortie ont généralement lieu quand on introduit des objets dans le palais, ou qu’on en fait sortir, ou au moment des festivals à boire, ou lorsque les surveillantes sont excédées de besogne, ou lorsqu’une des épouses royales change de résidence, ou lorsque les femmes du Roi vont aux jardins ou aux foires, ou lorsqu’elles rentrent au palais, ou enfin lorsque le Roi est absent pour un long pèlerinage. Les femmes du harem royal connaissent les secrets les unes des autres, et n’ayant qu’un seul objet en vue, elles se prêtent mutuellement assistance. Un jeune homme qui les possède toutes, et qui leur est commun à toutes, peut continuer à en jouir aussi longtemps que la chose reste secrète et qu’elle ne transpire pas au-dehors.

Maintenant, dans le pays des Aparatakas, les épouses du Roi ne sont pas bien gardées, et beaucoup de jeunes gens pénètrent dans le harem au moyen des femmes qui ont accès au palais royal. Les femmes du roi de Ahira font leur affaire avec les sentinelles du harem, Qu’on nomme Kshtriyas. Les épouses du Roi, dans le pays des Vatsagu mas, font entrer dans le harem, en même temps que leurs messagères, les hommes qui leur conviennent. Dans le pays des Vaidharbas, les fils des épouses du Roi entrent dans le harem à leur volonté, et jouissent des femmes, à l’exception de leurs propres mères. Dans le Stri Rajya, les femmes du Roi s’abandonnent à ses compagnons de caste et à ses parents. Dans le Ganda, les femmes du Roi sont à la discrétion des Brahmanes, de leurs amis, de leurs domestiques et de leurs esclaves.

Dans le Samdhava, les domestiques, les frères de lait et autres personnes de même sorte jouissent des femmes du harem. Dans le pays des Haimavatas, d’aventureux citoyens corrompent les sentinelles et pénètrent dans le harem. Dans le pays des Vanyas et des Kalmyas, les Brahmanes, au su du Roi, entrent dans le harem sous le prétexte de donner des fleurs aux dames, causent avec elles derrière un rideau, et arrivent ensuite à les posséder. Enfin, les femmes du harem du Roi des Prachyas tiennent caché dans le harem un jeune homme, par chaque série de neuf ou dix femmes.

Ainsi font les épouses d’autrui.

Pour ces raisons, chaque mari doit veiller sur sa femme. De vieux auteurs disent qu’un Roi doit choisir, pour sentinelles dans son harem, des hommes bien connus pour n’avoir pas de désirs charnels. Mais ces hommes, quoique affranchis eux-mêmes de désirs charnels, peuvent, par crainte ou avarice, introduire d’autres personnes dans le harem ; ce qui fait dire à Gonikaputra que les Rois doivent placer dans le harem des hommes à l’abri des désirs charnels, de la crainte et de l’avarice. Enfin Vatsyayana observe qu’il peut entrer des hommes sous l’influence de D’arma, et en conséquence il faut choisir des gardiens également inaccessibles aux désirs charnels, à la crainte, à l’avarice et à Dharma.

Les disciples de Babhravya disent qu’un mari doit faire lier sa femme avec une autre, qui lui rapportera les secrets du voisinage, et le renseignera sur la chasteté de sa femme. Mais Vatsyayana répond que des personnes malintentionnées réussissent toujours avec les femmes, et qu’un mari ne doit pas exposer son innocente épouse à se corrompre dans la compagnie d’une coquine.

La chasteté d’une femme se perd par l’une des causes ci-après :

Fréquentation assidue des sociétés et compagnies.

Absence de retenue.

Débauche du mari.

Manque de précautions dans ses relations avec d’autres hommes.

Absences fréquentes et prolongées du mari.

Séjour en pays étranger.

Destruction, par son mari, de son amour et de sa délicatesse de sentiments.

Société de femmes dissolues.

Jalousie du mari.

Il y a aussi, sur ce sujet, des versets dont voici le texte :

« Un homme habile, qui a appris dans les Shastra les moyens de réduire les épouses d’autrui, n’est jamais trompé dans le cas de ses propres femmes. Personne, toutefois, ne doit faire usage de ces moyens pour séduire les épouses d’autrui, parce qu’ils ne réussissent pas toujours et, de plus, occasionnent souvent les désastres, et la destruction de Dharma et d’Artha. Ce livre, dont l’objet est le bienêtre ]es citoyens, et qui leur enseigne les moyens de garder leurs propres femmes, ne doit pas servir simplement de guide pour débaucher les épouses d’autrui. »