L’Alcoran (Traduction de Du Ryer)/28

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Traduction par André Du Ryer.
Antoine de Sommaville (p. 367-377).



LE CHAPITRE DE L’HISTOIRE,
contenant quatre-vingt huit verſets,
eſcrit à la Meque.


AU Nom de Dieu clement & miſericordieux. Dieu eſt treſ-pur, il entend tout, il eſt treſ-ſage. Ces myſteres ſont les myſteres du livre, qui diſtingue la verité d’avec le menſonge, Je te raconte l’hiſtoire de Moïſe & de Pharaon avec verité pour le contentement des vray-croyans. Pharaon eſtoit puiſſant en terre, il traitoit ſes ſubjets comme bon luy ſembloit, il en tourmentoit une partie, il eſgorgeoit leus enfans, il mal traitoit leurs femmes, & eſtoient de ceux qui ſaliſſoient la terre, je les eſt fait ſucceſſeurs du Royaume de Pharaon, je les ay eſtably dans ſes eſtats, J’ay fait voir à Pharaon, à Hman, & à leur armée ce qu’ils appréhendoient le plus, nous avons dit à la mere de Moïſe, allete ton enfant, ſi tu crains qu’on luy faſſe mal jette le dans le Nil, n’aye point de pour, & ne t’afflige pas je te le rendray entre tes bras, & le mettray au nombre des Prophetes. Les domeſtiques de Pharaon l’ont rencontré ſur l’eau & l’ont ſauvé pour eſtre un jour leur ennemy, & pour les tourmenter, parce que Pharaon, Haman & leurs gens eſtoient infidelles ; La femme de Pharaon luy a dit; Je te prie de ne pas faire tuer cet enfant, mes yeux ſe rejoüiſſent de le voir, il ſera un jour utile à noſtre ſervice comme noſtre fils ; mais ils ne ſçavoient pas (ce qui leur en devoit arriver ;) le cœur de ſa mere a eſté delivré d’aprehenſion lors qu’elle l’a veu entre les mains de la femme de Pharaon, & peu s’en a fallu quelle n’ait fait cognoiſtre quelle eſtoit ſa mere, nous luy avons fait prendre patience, & a crû en nos promeſſes ; Elle a dit à ſa ſœur de le ſuivre pas à pas, elle le ſuivit de loin ſans faire connoiſtre quelle fut ſa ſœur, ny quelle prit garde à luy. Nous avions auparavant deffendu à Moïſe de ſuccer le laict d’autre nourrice que celuy de ſa mere, la ſœur a dit aux domeſtiques de Pharaon ; Voulez-vous que je vous enſeigne une nourrice & des gens qui le nourriront fidellement ? Nous l’avons fait rendre à ſa mere pour le nourrir, elle a mis fin à ſa triſteſſe quand elle a connu & veu que Dieu eſt veritable en ce qu’il promet, mais la plus grande partie du peuple ne le connoit pas; Lors que Moïſe a eſté aagé de trente à trente trois ans, nous luy avons donné la ſcience & la ſageſſe, je recompenſe ainſi les gens de bien ; Moïſe entrant un jour dans la ville, rencontra deux hommes qui le battoient, l’un eſtoit des enfans d’Iſraël, & l’autre eſtoit Egyptien & de ſes ennemis, ſur qui il ſe jetta & le tua, apres ce il dit, le Diable m’a tanté, il eſt l’ennemy découvert des hommes, Seigneur je t’ay offenſé, pardonne moy, il luy pardonna, il eſt clement & miſericordieux ; Seigneur puis que tu m’as fait tant de grace, je ne donneray jamais ayde ny ſecours aux infidelles. Il demeuroit dans la ville avec crainte, & ſe tenoit ſur ſes gardes, le lendemain il a rencontré une autre fois celuy qu’il avoit deffendu le jour auparavant qui ſe battoit encore avec un autre Egyptien, & luy a demandé ſecours ; Moïſe luy dit, tu es un ſeditieux, il luy reſpondit ; ô Moïſe me veux tu tuer, comme celuy que tu tuas hier ? Veux-tu eſtre un tueur de monde ou homme de bien ? Peu de temps apres un homme accourut à luy de l’extremité de la ville qui luy dit; ô Moïſe les miniſtres de Pharaon ont conſpiré contre toy, ils te veulent faire mourir, ſauve-toy, & ſuis mon conſeil ; Il ſortit de la ville avec crainte, ſe tenant ſur ſes gardes, priant ſon Seigneur de le delivrer des mains des infidelles, il s’en alla du collé de Madian, &dit, Seigneur ne permets pas que je ſuive un mauvais chemin ; il rencontra un grand nombre de perſonnes qui faiſoient boire leurs troupeaux ; il y trouva deux filles qui ne pouvoient pas abreuver leurs animaux, il leur dit, que faites-vous icy vous deux ? Nous n’avons pas la force de tirer de l’eau pour faire boire nos beſtes, nous attendons le Berger, noſtre pere eſt trop vieil pour en puiſer ; Il tira de l’eau du puy pour abreuver leurs troupeaux, & ſe retira à l’ombre à cauſe de la chaleur du Soleil, diſant, Seigneur, je ſuis privé de toutes les graces que tu m’as cy-devant données, je ſuis maintenant pauvre & neceſſiteux ; une de ces filles ſe vint le trouver toute honteuſe & luy dit, mon pere t’appelle pour te recompenſer de la peine que tu as priſe d’abreuver nos animaux; Lors qu’il fut auprés de ce vieillard, il raconta ce qui luy eſtoit arrivé ; ce vieillard dit, ne crains rien, je te delivreray des mains des meſchans, Une de ſes filles dit à ſa ſœur, donne à manger à cet homme, & le recompenſe de ſes peines, il nous a aydé avec affections leur pere luy dit, je te veux marier à une de mes deux filles à condition que tu auras du ſoin de mes troupeaux l’eſpace de huict ans; dix ans ſi tu veux, dit Moïſe, je ne te quitteray pas, tu me trouverras homme de bien, je te ſerviray les deux termes, ou huict ou dix ans ſi tu l’as agreable, Dieu eſt teſmoin de ce que je dis ; Apres le terme paſſé, Moïſe quitta la maiſon de ſon beau pere, ſe retirant avec ſa femme, il vit de loing un grand feu du coſté de la montagne, & dit à ſa femme, arreſtez-vous icy, je voids le feu du tout-Puiſſant, je reviendray bientoſt, je vous en apporteray une eſtincelle, peut-eſtre que vous en ſerez rechauffée : Lors qu’il a eſté auprés de ce feu, on luy a crié du coſté droict du valon d’un lieu eſlevé & d’un buiſſon ; O Moïſe, je ſuis Dieu Seigneur de l’Univers, jette ton baſton terre; lors qu’il vid mouvoir ſon baſton, comme s’il euſt eu vie, il s’enfuit de peur, & ne retournoit plus, O Moïſe, approche & ne crains rien, tu es en un lieu de ſeureté, mets ta main dedans ta pochette, elle en ſortira blanche & luiſante ſans mal, retire ton bras dedans ta manche elle retournera en ſon premier eſtat, ton baſton & ta main ſeront deux ſignes de ma toute-puiſſance auprez de Pharaon & de ſes miniſtres qui contreviennent à mes commandemens. Moïſe dit, Seigneur j’ay tué un Egyptien, j’ay peur qu’ils ne me faſſent mourir, commande à Aaron qui eſt éloquent de venir avec moy pour m’aider, & pour confirmer ce que je diray ; je crains qu’ils me démentent : Je te donneray ton frere pour t’aider, je vous donneray à tous deux la force de vous garder de leur malice, allez faire ce qui vous eſt commandé, vous ſerez victorieux & tous ceux qui vous ſuivront : lorſque Moïſe a eſté auprez de Pharaon, qu’il luy a fait voir mes miracles, & preſché mes commandemens à ſes Miniſtres, ils ont dit, cela n’eſt que magie & enchantement, nous n’avons pas oüy parler de ces choſes a nos predeceſſeurs. Moïſe dit, le Seigneur connoiſt celuy qui enſeigne le droict chemin & celuy qui doit avoir part dans le Paradis, les infidelles ſeront tres-malheureux. Pharaon dit à ſes miniſtres, connoiſſez-vous un autre Dieu que moy ? O Haman, faits moy faire des ſacrifices & baſtir un Temple, m’abuſeray-je au Dieu de Moïſe ? je crois qu’il eſt au nombre des menteurs. Il s’eſt enorgueilly en terre avec ſes miniſtres, & ont crû qu’ils ne ſeroient jamais aſſemblez devant moy pour eſtre jugez, nous l’avons ſurpris avec ſes gens, & les avons fait perir dedans la mer, conſidere quelle eſt la fin des infidelles, nous les avons abandonnez, & ſont au nombre des condamnez au feu d’Enfer ; ils ne trouveront perſonne qui les protege au jour du Jugement, nous les avons maudits en terre, & ſeront au jour de la reſurrection abominables à tout le monde. Nous avons enſeigné nos commandemens à Moïſe apres avoir exterminé pluſieurs infidelles auparavant ſa venuë, Nous luy avons donné le livre pour ſervir de lumiere au peuple, le conduire au droict chemin, & acquerir noſtre grace, peut-eſtre qu’ils s’en ſouviendront. Tu n’eſtois pas auprez de Moïſe quand nous luy avons parlé, nous avons creé un autre ſiecle apres luy, tu n’habitois pas en ce temps avec les habitans de Madian, ny tu ne leur enſeignois pas nos commandemens ; c’eſt nous qui t’avons enſeigné l’hiſtoire des ſiecles paſſez, tu n’eſtois pas ſur la montagne lorſque nous avons parlé à Moiſe, nous t’avons envoyé par noſtre grace ſpecialle pour preſcher au peuple les tourmens de l’Enfer, ils n’ont pas encor eu cy-devant un Predicateur ſemblable à toy, peut-eſtre qu’ils y penſeront, lorſqu’ils ont reſſenty quelque punition de leurs pechez; ils ont dit, Seigneur, ſi tu nous euſſe envoyé un Apoſtre pour nous inſtruire, nous aurions obey à tes commandemens & creu en ta loy; & lorſque la verité leur a eſté enſeignée de noſtre part ; ils ont dit, Mahomet fait-il des miracles comme Moïſe ? ne dementent-ils pas ce qu’à fait Moiſe lorſqu’ils diſent que Mahomet & Moïſe ſont deux ſorciers averez; & lorſqu’ils ont dit qu’ils ne croyent ny Prophete ny eſcriture : dis leur, apportez quelque livre de la part de Dieu qui enſeigne mieux le droict chemin que l’ancien Teſtament, & plus ſalutairement que l’Alcoran, je le ſuivray ſi vous dites la verité : S’ils ne ſont pas exaucez lorſqu’ils demanderont ce livre, ſçache qu’ils ne ſuivent que leurs appetits & leur impieté, qui eſt plus devoyé que celui qui ne ſuit que ſa paſſion & qui n’eſt pas conduit de Dieu ? il ne conduit pas les infidelles certainement nous leur avons envoyé l’Alcoran ;.peut-eſtre qu’ils croiront en luy, ceux qui nous aurons ci devant envoyé ce Livre croyent en ce qu’il contient, lors qu’ils l’entendent lire ils diſent, nous croyons en ces paroles c’eſt la verité meſme qui procede de Dieu, nous croyons en l’unité de ſa divine Majeſté, ils ſeront doublement recompenſez, parce qu’ils ont perſeveré à bien faire, ils ont chaſſé le mal par leurs biens-faicts, & ont deſpenſé en bonnes œuvres une partie des biens que nous leur avons donné ; Lors qu’ils ont oüy mal parler de la foy ils ſe ſont retirez, ils ont pris congé de la compagnie & ont dit, vous reſpondrez des vos actions, & nous reſpondrons des noſtres, Ne te ſoucie pas des ignorans, tu ne convertiras pas tous ceux que tu voudras convertir, Dieu convertit & conduit au droict chemin qui bon luy ſemble, & connoiſt tous ceux qui le ſuivent ; ils ont dit, ſi je ſuis le droit chemin avec toy, il me faudra quitter mon pays : Ne les eſtablirois-je pas en lieu de ſeureté où ils trouveront toute ſorte de fruicts pour les enrichir, mais la plus grande partie du peuple ne le connoiſt pas; Combien avons nous exterminé: de Villes qui ſe plaiſoient dans-leur mauvaiſe vie ? Perſonne ne les a plus habitées, excepté fort peu de gens, & avons eſté heritiers de leurs richeſſes; Dieu ne ruinera pas la Meque qu’il n’aye auparavant envoyé un Apoſte pour enſeigner à ſes habitants le droict chemin, Dieu ne ruine point de Ville ſi les habitans ne ſont injuſtes, & s’ils ne deſobeiſſent à ſes commandements; Les biens de ce monde que vous poſſedez vous aggreent, mais les biens du Ciel ſont beaucoup meilleurs & ſont eternels, ne le connoiſſez vous pas ? N’avons nous pas tenu promeſſes à ceux à qui nous avons promis le Paradis ; & à ceux à qui nous avons promis les biens de ce monde, qui ont eſté à la fin au nombre des damnez ? Souviens-toy du jour que ton Seigneur les appellera, & leur dira, où ſont vos ldoles que vous croyez eſtre mes compagnons ? les principaux d’entr’eux diront, Seigneur, voila ceux qui ont eſté devoyez comme nous, nous ſommes innocents de leur idolaſtrie, ils ne nous adoroient pas, On dira ce jour aux Idolaſtres d’invoquer leurs idoles, mais ils ne les exauceront pas, ils ſeront, chaſtiez viſiblement en terre; Souviens-toy du jour que ton Seigneur les apellera, ô& leur dira, Pourquoy n’avez vous pas crû mes Apoſtres & mes Prophetes, ils ſeront confus & demeureront muets. Celuy qui ſe convertira & qui fera de bonnes œuvres ſera bien-heureux. Ton-Seigneur crée ce qu’il veut, & fait election de qui bon luy ſemble. Loüé ſoit Dieu il n’a point de compagnon, il ſçait ce qui eſt dans le cœur des hommes, & ce qu’ils mettent en evidence, il eſt Dieu, il n’y a point de Dieu que luy, Loüange luy eſt deuë au commencement & à la fin, il commande à toute choſe, & tout le peuple ſera un jour aſſemblé devant luy pour eſtre jugé, Dis leur, Si Dieu vous avoit donné une continuelle nuict juſqu’au jour du Jugement, Quel Dieu y a il autre que luy qui vous puiſſe donner la lumiere ? Ne m’eſcouterez-vous pas ? Si Dieu vous avoit donné un jour continuel juſqu’au jour du Jugement ? Quel Dieu, autre que luy vous pourroit donner la nuit pour repoſer ? Ne conſiderez-vous pas ſes biens-faits & ſa grace ? Il a creé la nuict pour repoſer & le jour pour travailler, peut-eſtre que vous l’en remercierez. Souviens-toy du jour que ton Seigneur appellera les infideles & leur dira, où ſont vos idoles que vous avez adoré ? Nous appellerons un teſmoin de chaque nation & dirons aux idolatres, Apportez vos argumens qui preuvent la pluralité des Dieux, Vous connoiſtrez aujourd’huy vos blaſphemes & qu’il n’y a qu’un ſeul Dieu. Caron eſtoit des gens de Moïſe, il eſtoit orgueilleux à cauſe de ſes richeſſes, nous luy avions donné des treſors ſi grands, que pluſieurs perſonnes eſtoient chargées lors qu’ils emportoient les clefs. Souviens-toy comme ſes gens luy ont dit, Ne te réjouys pas outre meſure de ſes grands biens, Dieu n’ayme pas ceux qui ſe reſjouiſſent ſans raiſon, Demande luy le Paradis avec tes richeſſes, n’oublie pas de faire du bien en ce monde; faits des aumoſnes, des facultez que Dieu t’a données, ne luy ſois pas deſobeïſſant en terre, il n’ayme pas ceux, qui luy deſobeïſſent, ces richeſſes t’ont eſté données parce que tu as enſeigné au peuple l’ancien Teſtament, Ne ſçais-tu pas que Dieu a exterminé pluſieurs perſonnes riches & opulentes aux ſiecles paſſez ? Qui eſt plus fort ? plus Puiſſant ? & plus riche que Dieu ? il ne demandera pas aux meſchans le nombre de leurs pechez il le ſçait tout, il en ſçait le compte. Un jour Caron eſt ſorty en public avec toute ſa ſuite, Ceux qui aymoient les richeſſes de ce monde ont dit, Pleut à Dieu que nous euſſions autant de bien que Caron, il eſt heureux ? mais les plus ſçavants d’entr’eux ont dit, Vous eſtes malheureux, la grace de Dieu eſt plus avantageuſe à ceux qui croyent en ſa loy & qui font de bonne œuvres que tous les treſors de Caron, perſonne ne recevra ſa grace que ceux qui luy obeyront & perſevereront en l’obeyſſance de ſes commandemens. Nous avons oſté à Caron tous ſes treſors, & perſonne e l’a pû proteger contre nous, alors ceux qui avoient ſouhaité ſes richeſſes ont dit, O Miracle ! Dieu donne & oſte les biens à qui bon luy ſemble, ſi Dieu ne nous euſt donné ſa grace, nous ſerions neceſſiteux ; certainement les impies ſeront malheureux. Je donneray le Paradis à ceux qui n’ayment pas la vanité ny le deſordre en terre, & qui auront ma crainte devant les yeux, qui fera bien trouvera, celui qui fera mal, ſera chaſtié ſelon ſes demerites. Celui qui t’a enſeigné l’Alcoran te fera retourner au lieu que tu deſire[1] : Dis aux habitans de ce lieu, que Dieu cognois ceux qui enſeignent le droict chemin, & ceux qui ſe devoyent ; Tu n’attendois pas l’Alcoran, c’eſt une grace ſpeciale de ton Seigneur, ne donne point de ſecours aux infideles, & prens garde qu’ils ne ſe devoyent apres avoir compris ce que je t’ai enſeigné, preſche au peuple l’unité de Dieu, Ne ſois pas au nombre de ceux qui croyent pluſieurs Deïtez, n’adore que Dieu ſeul, il n’y a point de Dieu que lui, toute choſe prendra fin excepté ſa face, Il commande à toute choſe, & tous les hommes ſeront un jour aſſemblez devant lui pour eſtre jugez.

  1. C’et la Meque, Voy Gelaldin.