L’Art de se connaître soi-même/01/09

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CHAP. IX.

Où l’on continüe à montrer ce que peut le sentiment de nôtre immortalite sur nôtre cœur.


C Ertes l’idée de nôtre immortalité ne sauroit être trop présente à nôtre esprit pour nôtre consolation, dans ce cercle éternel des tristes objets qui nous environnent, & au milieu de ces disgraces publiques & particulières, que la severité de Dieu a diversifiées en tant de manieres, pour donner lieu à la douce varieté de ses délivrances & de ses consolations.

Que nous importe aprés tout, que nous soyons & infirmes & mortels dans nôtre corps ? Cet état ne sauroit durer. Qu’avons nous à faire de nous embarasser de soins & de prévoyances pour le court avenir de cette vie. N’avons nous pas un autre avenir, qui merite bien d’occuper principalement nôtre cœur & nôtre esprit ? En vain le monde nous menaceroit. Que peut-il faire ? On peut nous écraser : mais on ne peut nous détruire. Que le monde perisse, que la nature croule, que les élemens perissent, que nôtre corps se change en poussiere, ou en vers, ou en vapeur, qu’il descende vers la terre ou qu’il se dissipe en l’air. Les ruines du monde ne destruiront pas nôtre esprit, & ne dissoudront point ce qui n’est pas même capable de dissolution. Nous croyons être dans un corps qui est nous mêmes. Nous nous trompons. Cette argile n’est point nous, & ne le sera jamais. Dieu la rétablira avec honneur, pour servir de tabernacle à l’esprit qu’elle avoit premierement logé : mais ce ne sera plus avec la même soumission, ni avec la même dépendance. L’esprit ne suivra plus la condition du corps : mais le corps suivra autant qu’il est possible, la condition de l’esprit, & comme l’esprit s’estoit abaissé jusqu’à l’état des corps, pour fuïr Dieu, & s’attacher à la terre, le corps semblera vouloir s’élever jusqu’à l’état de l’esprit, pour quitter la terre & pour aller glorifier Dieu dans le Ciel.

Certainement on ne doit point être surpris, que l’Évangile nous console, je ne diray pas, mieux que n’avoit fait la sagesse humaine : mais encore beaucoup mieux que la Loy toute divine qu’elle étoit, en ce qu’il nous révele clairement la vie & l’immortalité, qui font les seuls objets capables de satisfaire un esprit & un cœur comme le nôtre & qu’ainsi il a des divins raports avec nous. Mais comme nous trouvons dans cet objet tout ce qui nous peut consoler dans le sentiment de tant de miseres qui nous environnent, aussi y découvre-t-on tout ce qui peut nous élever veritablement.

Le sentiment de nôtre immortalité joint à la consideration de la gloire & du bonheur, que la Religion nous promet, nous éleve plus que le monde, plus que la sagesse tant vantée des Philosophes, & même plus que les vertus que les hommes ont connues.

On y trouve la grandeur des passions, la grandeur de l’entendement qui regne sur les passions, & la grandeur de la vertu qui regle l’entendement. Je dis qu’on y trouve la grandeur des passions, & il ne faut point que cette expression choque personne, car bien que les passions soient en quelque sens de grandes foiblesses, il est certain qu’elles sont entées en quelque sorte sur les sentimens de la dignité & de la grandeur naturelle de l’homme.

La haine, la colere, les emportemens, qui sont des passions si criminelles, & qui nous rendent également contraires à l’humanité & au Christianisme, viennent si vous y prenés garde d’un sentiment de nôtre propre excellence mal dirigé & accompagné des illusions de l’amour propre, qui nous fait concevoir de l’excellence en nous, exclusivement à ceux qui nous ont offensé ; comme si nos ennemis n’étoient point des hommes aussi bien que nous. Ce qui montre que ce sentiment de nôtre excellence est dans tous les hommes, c’est que ceux là même qui ont le moins de part à l’estime des autres, ne laissent pas de s’estimer eux-mêmes & de se consoler par là de l’infamie publique. On ne prétend point ici justifier toutes les extravagances d’un homme rempli de présomption, qui se préfere à ceux à qui il doit du respect. Nullement, je say qu’il y a de l’excés & un excés criminel dans cette disposition de cœur : mais l’excés n’est peut-être point là où les hommes s’imaginent qu’il est ; & si l’on veut que j’exprime toute ma pensée ; le déreglement ne vient pas tant de ce que les hommes s’estiment trop, que de ce qu’ils ne s’estiment pas assés. Je dis qu’ils ne s’estiment pas assés eux-mêmes, parce qu’ils s’estiment préférablement aux autres hommes qui ont la même nature & les mêmes perfections. Un homme qui s’estime par les avantages exterieurs, qui le distinguent, semble renoncer par là même aux perfections de la nature humaine qui luy sont communes avec les autres. Il est dans le même état à peu prés que se trouvoit Neron, lors que pouvant se faire valoir par le caractère d’Empereur il aspiroit à la gloire de paroître bon Cocher. Certainement rien n’est si no- | ble dans l’homme que l’homme. C’est | se mépriser soy-même en quelque sor

, .que de vouloir se faire principalement valoir par les avantages, qui font la différence des conditions & la distinction des personnes dans la societé, puis que c’est renoncer à ce qu’il y a en efset de plus estimable en foy. II faut renverser ici les voyes de l’orgueil, comme l’orgueil semble vouloir renverser les voyes de la Providence ; il faut que les avantages exterieurs soient une occasion de rendre à Dieu ses hommages, & non pas une occasion de luy dérober ce qui luy apartient.

Les hommes qui peuvent se faire estimer par dessus les autres ne considèrent guere ces choses : mais quand la fortune, comme ils parlent, ou finjustice des hommes les a dépouillés de ces avantages, la nature ne leur manque point, & ne sentant plus cette grandeur imaginee qui leur venoit du dehors, ils sentent toujours leur grandeur naturelle, dont JTeftèt legitime devroit être, de

t leur faire souffrir fort indifféremment le mépris que les autres ont pour eux : mais qui par un effet de leur corruption sert á les rendre inflexibles & à jetter dans leur ame indignée des semences d’un orgueil mécontent, que la crainte fait taire : mais qui se débonde au moindre jour de paroître ; & montre que dans quelque état que les hommes se trouvent, ils ne font pas plus dociles à souffrir le mépris des plus grands que celuy des plus petits.

La grandeur a laquelle J’orgueil aspire consiste en deux choses, premierement à s’étendre, ôtensuitte à se perpetuer ; à s’etendre malgré la condition de la nature corporelle, qui est si bornée ; & à se perpetuer malgré la deitinée des choses temporelles, qui durent si peu.

II n’est pas necessaire de faire voir que nôtre vanité n’obtient point ces deux fins qu’elle se propose. Chacun le voit assés, puis qu’en étendant ses conquestes, on étend son injustice plutôt que son excellence, & que les marbres qui semblent perpetuer nôtre gloire ne font ordinairement s’éterniser nôtre vanité., Mais Mais la nature & la grâce sont plus heureuses que la corruption. La nature répand, pour ainsi dire, l’homme dans tout lunivers en attachant ses sentimens aux objets qui l’en vironnent, & faisant par là la majesté, la beauté, la magnificence & le prix de toutes les parties de lunivers, qui nous donnent le plus d’admiration. La grâce donne encore à l’homme une plus grande étendue par le commerce qu’elle luy fait avoir avec Dieu ; & à l’égard de l’imKiortalité, nous n’avons garde d’en chercher d’imaginaires, lors que nous en avons une reelle ; ni de rîous tourmenter pour vivre dans la memoire des autres hommes, êtant assurés de vivre éternellement en nous mêmes & en Dieu.

Aussi la mort deitinée de Dieu pour confondre les desseins de nôtre orgueil, ce ministre de fa Majesté & de fa justice qui luy fait une reparation si éclatante de Tinsolence que nous avions eue de vouloir nous glorifier maigré luy, ne fait que nous consirmer dans les sentimens de cette élévation de l’homme, me, qui suit la nature & que la grâce accompagne. .’’ ï!

C’est une vaine grandeur que celle qui fuit un Prince sur le trône, & qui ne m’accompagne point dans le lit Pinfirmité, qui m’environne pendant h vie & qui disparoit au moment de fa mort, qui paroit à nos yeux & qui se perd aux yeux de son esprit. Tout le monde voit en luy le maître des autres. U trouve en foy un homme qui s’ennuye, quL souffre & qui va bientôt mourir.

Je ne me revétiray donc point de biens, de richesses, de possessions, décharges, de dignités, de gloire, de savoir* deloquence, d’actions memorables, de conquestes, applaudissemens pour grossir le fantôme de l’orgucil & paroître plus grand que les autres hommes : mais j’ôteray enflûre, la grandeur for-’ cée & rétendue qui n’est point naturelle, en éloignant les objets de la cupidité, & me tenant au niveau des autres hommes j’obtiendray par ceu» humble égalité ce qu’une préference iliperbe n’auroit jamais obtenu. Je me revétiray de toutes les splendeurs du * ciel ciel & de toutes les beautés de la terre,

des biens de la grâce & des trésors de la nature, pour rendre toutes ces choies à celuy qui m’en a revétu & trouver dans cette restitution même une gloire que je n’avois pas rencontrée dans toutes mes usurpations. Je m’éleveray au dessus de toutes les choses qui m’environnent par l’idée distincte de mes persections, dont les choses du dehors ne font point capables : mais je ne monteray si haut que pour descendre plus bas en la presence de celuy, qui produit en moy toutes ces persections, & qui peut même diversifier à l’infini les ièntimens de mon excellence & de fa bonté.

L’ambition croit s’élever beaucoup & se tirer hors du pair des autres hommes, parce qu’elle nous met en état de leur commander ; & j’avoue qu’elle a raison dans le systeme de l’orgueil, qui ne mesure le prix des avantages qu’il possede, que par le degré délégation qu’ils luy procurent sur les autres.

Mais premierement il est bien certain que fautorité humaine ne donne aux

9 hom hommes aucun empire sur l’esprit de leurs semblables ; quoy que peut-êcre ils s’imaginent le contraire en posant les déferences extérieures qu’on a pour eux, déferences qui paroissent s’adresser à leur personne : mais qui, vont tout droit à leur fortune. Ceux qui en jugent le plus sainement respectent l’ordre de Dieu & les voyes de fa sagesse dans leur élévation, ils soumettent leurs corps aux Princes, parce qu’ils soumettent leurs ames à Dieu : cependant ceux qui regnent sur les corps ne regnent pas pour cela sur les ames. On les estime s’ils le meritent. On les méprise s’ils sont dignes de mépris j & on les méprise même avec d’autant plus de

chagrin contre ce qui les soumet & les abaisse ; de forte que si la crainte les oblige a respecter pour leur interest fautorité établie & si la Religion leur fait respecter l’ordre de Dieu, il ne laisse pas de demeurer dans leur cœur une secrette disposition à murmurer contre cette élévation légitime ; ce qui fait que les hommes sont si précipités & si te

plaisir, que les hommes

du

meraires meraires dans les jugemcns qu’ils font de leurs Princes, & qu’ils ne pardonnent jamais rien à leurs maîtres par la secrette aversion qu’ils ont pour la dépendance & pour le commandement. Enfin il est certain queTEmpire ne naît point d’aucune prérogative naturelle, que les uns ayent sur les autres. C’est pourquoy on a sagement établi cet u» sage d’aitacher la grandeur temporelle à U naissance, cela se fait apparemment pour ménager l’orgueil des autres hom* mes qui souffriraient trop, fì toutes les préferences qu’on est obligé de faire des autres à eux pour le bien de la societé venoient d’une préference de mérite.

II semble qu’en cela il aytplu à Dieu de prendre des mesures dans le plan de fa sagesse, pour empêcher que l’homme ne succombât aux tentations de la vaine gloire. Car il a voulu que les sentimens confus de nôtre nature attachassent la gloire dU monde à des objets exterieurs & étrangers à nôtré égard, Sc que les idées distinctes ne peussent nous

faire revenir de cette erreur, & nous apprendre que cette gloire dons la plus excellente partie d’elle-même sort de nôtre fond, sans connokre que c’est Dieu qui la produit immediatement en nous.

Nous trouvons dans le principe que nous avons établi non seulment la grandeur des pallions : mais encore celle des vertus.

II n’est pas necessaire pour le justifier d’en faire un catalogue exact. II ne faut tjue les considérer consusément comme elles se présenteront à notre imagination.

La temperance est sans doute une vertu qui éleve l’homme : mais la temperance ne peut être soutenue que par les motifs de son immortalité & du bonheur éternel auquel on aspire. J’avoue que la raison toute seule est capable de nous aprendre à ne point faire de tort à notre santé & à ne devenir point les ennemis de nous-mêmes par les excés de la débauche ; mais cette consideration ne nous mene pas bien loin, puis que intemperance ne consiste pas simplement dans les excés du plaisir j mais ausli à user moderément de la volupté désendue. Ce qui peut nous élever jusqu’à cette haute astìéte, où il faut être pour s’abstenir du plaisir illicite, c’est la consideration de l’Eternité pour laquelle nous sommes faits.

La justice qui se pratique dans le monde n’a pas une grande élévation, puis qu’on veut qu’elle ne soit autre chose qu’une crainte d’un retour Pinjustice, & que nous n’apprehendions de faire tort aux autres que par la crainte de nous en faire à nous-mêmes : Cela est bon quand un homme ne pratique la justice que dans les veiies baises & bornées de la terre : mais quand un homme est juste, parce que rempli des vastes pensées de f eternité il veut s’attacher à un intercst qui soit digne de son attachement, on peut dire qu’il est équitable, sans foiblesie, & que fa vertu est toujours semblable à elle même.

Le desinteressement passe pour un jeu de l’amour propre, qui met à profit le renoncement apparent à de petites choses, pour arriver plus sûrement à une plus grande utilité. Cela est vray du desinteressement politique & artificieux cieux d’un homme du monde. Car renfermant toutes ses prétentions & tous ses avantages dans les courtes limites de cette vie, le moyen de concevoir qu’il ne desire aucun des biens que les autres hommes recherchent, ou plutôt qui ne voit que s’il semble tourner le dos à la fortune, c’est pour la rencontrer plus infailliblement ; il n’en est pas de même d’un homme qui se considère par raport à l’Eternité, s’il est interessé, c’est d’une espèce d’interesl si grand, si sublime, que non seulem ment il n’a point à rougir de l’avouer : mais que c’est là ce qui fait toute fa gloire. Immortel comme il est, il luy est honorable de prendre son effort vers l’Eternité, & de riavoir que dédain & que mépris pour toutes les choses qui pourroient l’en détourner. II ressemble dans cet état à un grand Monarque qui rougit, lors qu’on le surprend dans des occupations basses & se donne bien de garde de paroître interessé dans les petites choses, appelle comme il est à de grands & importans emplois, & ne devant rouler que de vastes desseins dans son esprit.

G La La Liberalité n’a pour lordinaire que l’apparence du desinteressement. Un homme liberal ne méprise point ce qu’il donne : mais il estime davantage encore la gloire de le donner ; & d’ailleurs il veut s’aquerir des droits sacrés. & inviolables sur le cœur de ceux qu’il favorise de ses bienfaits. La liberalité ; ordinaire n’est qu’une espèce de commerce & de trafic delicat de l’amour : propre, qui faisant semblant s’obliger les autres, ne fait que s’obliger foymême en se les aquerant. Tout cela est, vray dans la. sphère des biens temporels ; où l’homme du monde se suppose. Dans ; ce cercle d’objets corruptibles la cupi-. dité ne donne que pour recevoir, ellene fait point des pertes qui l’appauvrissçnt. Mais élevés vous aútdessus de ces ; objets, corruptibles & vous découvrirez un autre monde, qui vous rendant méprisable celuy que vous aviés connu, vous mettra en état de donner sans, esperance d’aucune remuneration humaine.

. Vous prenés un soin extréme de cacher les. veiies interessées de vôtre cœur, .

P«irca parce que d’un côté vous avés le sentiment de ce que vous êtes, & que de l’autre vous connoisles la valeur fi mediocre des objets qui font vôtre attachement. Devenés capable de cet interest infini, & vous n’aurés que faire de le cacher. Un cœur ouvert vers le Ciel n’a que faire de se déguiser. Il n’a qu’à se connoître, à agir sur ce principe, &à se montrer tel qu’il est. La honte que nous avons lors qu’on nous voit de trop prés, ne vient point de ce que nous nous connoissons trop bien : mais de ce que nous n’avons point fceu nous connoître ;

Telle est la Pudeur, la vertu du monde poli & raisonnable : ou plutôt le déguisement artificieux de nôtre intemperance & de nôtre volupté, qui ne nous empêchant point de penser avec plaisir aux mêmes voluptés, dont nous ne parlons qu’avec peine, a bien le soin de regler nos desirs ; comme si la corruption consii toit dans les expressions plutôt que dans les scntimens. . Gette vertu toute défectueuse & toute fausse qu’elle est jusques là a pourtant une assés èelle source. Il est cec\.i G a tain tain qu’elle nait d’un sentiment de nôtre excellence naturelle. Si nous n’étions destinés par la nature qu’aux actions animales, comme nous concevons que les bestes n’ont que cette fin, nous ne rougirions non plus qu’elles de ces actes, qui portent le caractère de la conformité que nous avons avec elles : mais immortels & incorruptibles, comme nous sommes naturellement, il est bien difficile que dans quelque état Rabaissement & dignorance où le péché nous ayt réduits, nous n’entre voyions quelque chose de cette dignité qui nous distingue si noblement & qu’ainsi nous n’ayons quelque honte de tout ce qui semble nous abaisser.

Mais enfin cette vertu, comme nous lavons déja dit, ne s’éleve pas bien haut, lors qu’on ne la pratique que par le sentiment consus de la nature & de J’éducation. Si vous voulés qu’elle purifie vôtre cœur, comme vos paroles, vous n’avés qu’à sortir de cet horizon de vôtre vanité, & monter jusqu’à Dieu, qui est le principe de vôtre immortalité. Le commerce que vous aurés avec luy vous élevera d’une forte, que sons aucune violence & sans aucune difficulté vous vous sentirés disposé à renoncer à toute affection indigne de vous & de luy. Certes il n’appartient point à l’homme charnel & animal de rougir des bassesses de la nature : il n’appartient qu’à l’homme immortel d’en avoir de la cons usion. La pudeur d’un homme du monde peut aspirer à gagnes l’estime des autres par une pureté étudiée. Mais l’homme immortel cherche à se pouvoir estimer soy-même, s’il craint de ne pouvoir s’honnorer dans la veiie de ses persections. En effet la débauche enferme le doute de fa veritable condition. L’intemperance consommée est la prostitution d’une ame qui renonce à ia dignité, & c’est dire qu’on n’est point different des bestes que de rénoncer à la pudeur & de s’abandonner à la sensualité.

1l faut faire à peu prés le même jugement de la Modestie que de la Pudeur. Si lapprobation des hommes étoit un assés grand bien pour nous, nous n’aurions aucune raison de cacher le G 3 dessein dessein que nous avons conceu de nous lattirer, ni la joye que cette approbation nous donne : mais comme le même instinct qui nous persuade nôtre excellence, nous convainc en secret que cette estime est trop peu de chose pour y borner toutes nos prétentions, il ne faut pas s’étonner si nous prenons tant de peine pour cacher l’envie que nous avons d’être estimés, pu l’estime que nous avons pour nous mêmes. Cependant si l’on y regarde de prés, on trouvera qu’il n’y a ordinairement que de la fausseté & de l’hypocrisie dans cette vertu telle qu’elle est pratiquée dans le monde. Les hommes qui font modestes quand on les loue, ne le font nullement quand on les blâme. II ne faut pas s’en étonner ; car il n’y a pas beaucoup de force dans une vertu que nôtre foiblesse produit, & l’on ne s’éleve pas bien haut, lors que l’on retombe sans le centre de fa vanité, qui fait une grandeur apparente & un abaissement effectif. La Modestie qui vient de ce qu’on se connoît immortel & par conséquent au dessus de cette estime qui "./ O s’atta s’áctache aux choses temporelles, a bien une autre force & une autre élévation. Elle méprise presque également le blâme & la louange ; & ne nous fait estimer que les choses qui se raportent à cette grande éternité, qui est la regle par raport à laquelle nous mesurons le prix de toutes choses. Et comme on voit que les personnes fort eminentes, ou qui paroissent telles à leurs propres yeux, semblent plus capables de modestie que les autres, parce que leur élévation réelle ou imaginaire les met comme au dessus des scntimens des hommes du commun j ainsi pouvons nous dire avec plus de verité encore, qu’un homme bien instruit par les idées distinctes de la nature & par les promesses de la Religion des hautes destinées de l’homme, n’est guére tenté de s’éblouir dans quelque degré de prosperité & de gloire temporelle qu’il se trouve.

Je diray bien davantage, l’Humilité qui est lame de la modestie & de toutes les vertus, ne peut naître que du sentiment de nôtre grandeur naturelle.

G 4 Tan Tandis que vous ne serés aucun état de l’homme, entant qu’homme, vous ne pourrés estimer que ces foibles avantages qui font la différence des conditions & la distinction des personnes ; & vous ne pourres par consequent vous empécher d’avoir du mépris pour ceux qui manquent de ces avantages, de les traiter avec peu de consideration, de vous préferer a eux, & de vous élever comme sur leur bassesse, ce qui est le plus dangereux caractère de l’orgueil : mais st vous êtes persuadé que c’est l’homme, qui est principalement digne d’estime dans l’homme, vous respec terés dans le prochain ce qui luy est commun avec vous, & quoy que l’ordre de la societé qui est celuy de Dieu même établissant de la subordination entre vous, vous assure fa soumission & ses hommages exterieurs, vous aurés pour luy une consideration interieure semblable à celle qu’il a pour vous, & vous démêlcrés à travers ces courtes dépendances qui vòus rendent son superieur, une grandeur originaire & éternelle qui vous le rend vôtre égal dans ce que

vous vous estimés le plus de vôtre condition.

C’est alors que l’on peut concevoir que l’homme est moderé dans labondance des biens temporeIs, constant dans Tadversité, & magnanime par tout. Si la moderation que les hommes du monde font paroitre dans les plus hautes élévations, n’est qu’une envie secret te de paroître plus grands que les choses qui les élevent, la moderation de l’homme immortel n’est qu’un sentiment de son excellence, qui l’éleve en efset au dessus de toutes les choses qui sembloient pouvoir faire son élévation. II n’appartient qu’à l’orgueil de se déguiser pour cacher la disproportion qui se trouve entre ce qu’il est, & ce qu’il croit être dans le monde. La pieté qui voit des atomes là où le monde imagigine des Colosses n’a qu’à se tenir dans cette assiette fi élevée qui luy esl naturelle, pour voir passer fous les pieds & la vaine pompe des grandeurs humaines & l’amas aussi vain des disgrâces & des calamités qui, comme un tourbillon qui passe, agite cette argile & renverse ces G f ttber tabernacles de poussiere. Le mondain peut afsecter une constance qu’il n’a pas, pour faire croire qu’il est plus fort que Tadversité & que fa sermeté le met au dessus de la mauvaise fortune* Ce sentiment ne sied pas bien à un homme qui renserme toutes ses ressources dans le temps : mais il est bien placé dans cet homme qui se sent fait pour l’éternité. Sans se contrefaire pour pa« ïoître magnanime, la Nature & la Religion s’elevent assés pour le faire souffrir jans impatience, & le rendre confiant sans affectation.

Un tel homme peut remplir l’idée & le plan de la supréme valeur, lors que fa vocation l’appelle à s’exposer aux dangers de la guerre, & faire voir aux hommes, ce qu’ils n’ont jamais veu dans le monde, un homme brave par raison, & brave sans se ménager, sa valeur ne devra point toute sa force à la stupidité qui Tempéche de réflechir sur ce qu’il fait, à l’exemple qui l’oblige à suivre les autres dans le peril, aux considerations du monde qui ne luy permettent point de reculer ou l’èonneur i ïappel lappelle ; & à cet amas enfin de considerations dont il se fait un voile, pour s’empêcher de voir le danger qui le menace. L’homme immortel s’expose à la mort, parce qu’il sait bien qu’il ne peut mourir.

Il n’y a point de Heros dans le monde, puis qu’il n’y en a point qui ne craigne la mort, ou qui ne doive son intrepidité à fa propre foiblesse. Pour être brave, on cesse d’être homme j & pour aller à la mort, on commence à se perdre de veiie : mais l’homme immortel s’expose, parce qu’il se connoit.

Quoy qu’il n’y ayt point de veritable Heros dans le monde nous ne laissons pas d’aymer ceux qui en ont l’apparence. Le Heroïsme dans les principes d’un homme qui renserme ses espe frances dans le monde est une extravagance, & cependant nous ne laissons pas Padmirer malgré nous ceux qui portent ce caractère. Cela vient sans doute d’un sentiment de nôtre grandeur, qui nous apprend consusementôe sans que la raison soit admise à ces mysteres «lu cœur, que l’homme est au

G 6 d*ssut * dessus de tout. On sent un plaisir secret à voir un Heros quereller les destins & la fortune. Nous aymons à le voir au dessus de tous les dangers par fa valeur & au dessus de tous les applaudissemens par fa modestie. Nous voulons que rien ne puisse ébranler son courage &quoy que nous ne puissions souffrir que fa fierté nous méprise, nous aymons qu’elle méprise toutes les injures des élemens, toute la persecution des hommes, & qu’il se montre plus grand que toutes les choses qui sembloient pouvoir s’abaisser. La sermeté est mal placée dans un homme qui perd tout : Mais elle s’accorde avec je ne fay quel sentiment confus.de nôtre grandeur, qui ne trouve rien qui luy soit disproportionné.

C’est de là encore sans doute, qu’est sortie cette idée du Sage, que les Stoïciens ont tâché vainement de remplir. Car en verité leurs paradoxes dans les principes d’un homme, qui ne croit point d’éternité, sont bien extravagans : mais quelque extravagans qu’ils puissent être, ils ne laissent pas de fiure naître, tre, je ne say qu’elle admiration dans nôtre cœur, que nous n’avons pas accoutumé d’avoir pour les choses purement impossibles. Nous noùs moquer ions de la folie d’un homme qui crot> roit avoir des aîles pour voler. La pensée d’un sage qui prétend être au dessus de tous les événemens, qui se considère comme un homme mortel, n’est pas moins insensée. Nous trouvons cependant dans ce dernier sentiment quelque chose qui ne nous déplait point, & que nôtre ame admire sans s’en apercevoir. Cela sans doute ne vient que de ce que ces paradoxes s’accordent avec un sentiment consus de nôtre dignité naturelle qui ne nous abandonne points quoy qu’il nous soit ordinairement inconnu. . . ;

C’est un sentiment caché au milieu des foiblesses & des baiftsses apparentes de nôtre nature, comme les diamans le font dans les entrailles de la terre, mefiés de boue & de crasse ; & comme il faut épurer ces derniers pour en voir l’éclat, & pour en connoître le prix, aussi est-il necessaire de purifier çesenr ù. •, ’ G 7 riment timent de notre grandeur naturelle par les idées de la Religion, pour connoître toute fa beauté.

Le Chrétien soutient ces paradoxes, il remplit le vuide prodigieux qui se trouvoit dans ces maximes. ll n’y en a aucune qui ne devienne raisonnable dans le principe de nôtre immortalité, pourveu qu’elle soit bien entendue.

Si i’on nous dit, que le Sage est sans passion, nous trouverons que ce cara* ctere convient à l’homme immortel, pourveu que par la pastìon vous entendés alteration qui suit ordinairement les pallions, comme il y a apparence que ces Philosophes l’ont entendu ain* £ Car il est difficile qu’un homme fait our l’éternité, s’il agit conformément la juste & veritable connoissance qu’il doit avoir de foy-même, s’embarasse beaucoup ni de% foins, ni des passions q«ii ne regardent que le temps. Il est semblable à un homme qui se trouve sur une haute montagne, lequel entend soufler le vent, gronder le tonnerre, 8i crever la nuée mêlée de seu sons ses pieds, fan* cn être effrayé. Que s’il y • ^ V +l a peu a peu d’hommes qui jouissent de cette serenité, & qui régardent avec indifférence les biens & les maux de cette vie, cela vient de ce qu’ils n’ont pas une as« sés grande connoissance de cette immor* tahté, que la nature leur fait confuse* ment connoître, ou de ce qu’ils ne fa.* vent pas se tenir dans cette ’haute afficte où la Religion les avoit mis. Tout cela montre qu’il n’y a point de Sage parfait ; mais cela ne nous empéche point de conclurre que ce ne soit le caractère du Sage de vivre sans alteration, & qu’on ne trouve ce caractère d’un homme plus ou moins selon qu’il se souvient de ce qu’il est.

Si le Sage doit estre suffisant à luy mêmc, n’avons nous pas raison d’en appliquer l’idée à l’homme immortel, qui ne peut s’apercevoir de fa veritable condition, qui est de venir de Dieu & de retourner à Dieu, sans être bien persuadé que les objets du monde qui l’empéchent de connoître son origine & fa. fin, sont bien éloignés de suffire à ses besoins. Car cette maxime ne doit point s’entendre dans un sens qui exclue Dieu, • •i.. sans sans lequel nous ne sommes rien : mars dans un sens qui exclue le monde, sans lequel il est vray que nous sommes & que nous sommes heureux. J’avoue qu’un homme qui a attaché aux objets de la terre tous ses desirs ne sauroit se .passer du commerce des autres hommes ; sans cela il se plonge dans les idées de la misère & de la vanité attachée à toutes les choses temporelles. II ne sauroit vivre si l’on ne le divertit des pensées de la mort. II ne peut mourir s’il ne voit des personnes qui l’occupent encore des pensées de la vie. Sa bonne fortune lui devient insuportable, s’il ne la partage avec des gens qui l’occupent, & l’empéchent de penser à la necessité fatale, qui luy est imposée de la voir bientôt finir. C’est une creature foible qui tombe dans le précipice, & qui pour retarder d’un moment fa cheute, se prend à tout ce qu’elle rencontre : mais il est surpris de tomber malgré ces vains

Í’ecours dans l’abîme inévitable qu’il a levant ses yeux. L’homme immortel n’a que faire de ces déguisemens, pour trouver de la consolation & pour se posseder luy-même. II attache à la mort même une idée de gloire & de grandeur, qui luy fait regarder avec chagrin ce qui détourne fa pensée de cet objet. II n’est jamais plus satisfait, que quand il considère la glorieuse condition de son esprit. L’amas des biens temporels luy paroit un amas de poufliére qu’on jette a ses yeux, pour s’empécher de jouïr de fa grandeur, & tout ce qui occupe le cœur &l’esprit des autres hommes l’ennuye, parce qu’il n’empéche de penser à sa felicité. Ce paradoxe n’est donc pas extravagant dans l’esprit d’un homme qui se connoît luy-même & qui s’ayme comme il faut ; s’il manque de verité, c’est par raport à nôtre foiblesse, & ce n’est que nôtre égarement & nôre folie qui le rend insensé.

Que le Sage commande aux Astres, qu’il soit élevé au dessus du Destin, qu’iî soit plus heureux & plus parfait que Jupiter, ce font des expressions d’autant plus excessives qu’elles semblent ensermer de Timpieté : mais on pourioit bien leur d.onner un bon sens, & certes si l’on a voulu dire que l’homme . i immor immortel est élevé au dessus des Astres, . dt enchainement des choses naturel- : les, & de ces Heros érigés en Divinités aprés leur mort, ou de ces Dieux si semblab es aux hommes foibles & déreglés, que le Paganisme avoit inventés, on n’a rien avancé que de veritable. Les Astres ne nous connoissent point : mais nous les connoissons. Nous ne leur devons rien, & ils nous doivent le brillant éclat de leurs persections. U est même, si jè lose dire, plus naturel qu’ils soient dans nôtre dépendance, qu’il ne l’est que nous soyons dans la leur ; & s’il a pieu à l’Auteur de la nature, qu’ils fissent quelque impression necessaire sur nous ; ce n’est point pour leur gloire : mais pour nôtre avantage, qu’il a établi cet ordre dans l’Univers. Le Soleil domi^ ne sur le jour & la Lune sur la nuit : mais Dieu seul domine sur l’hommej & la Religion confirme excellemment les prérogatives de ce dernier, en nous apprenant que Dieu l’a établi dominateur sur les ouvrages de ses mains. Si le destin est un enchainement d’objets exterieurs & de causes secondes, le destin ne peut rien sur l’homme, puis que ces objets perissent, & que l’homme ne perit point. Si Jupiter est un Dieu coupabJe J’ambition, Pinjustice & intemperance, il s’en faut bien que l’idée de cette Divinité prétendue n’égale celle d’un homme, que le sentiment de son immortalité & la grâce de Dieu élevent au dessus de l’orgueil, de linterest, & des voluptés de cette vie.

Comme le Sage des Stoïciens, l’homme immortel est invincible. Comment seroit-on pour abbatre le courage d’un homme à l’égard duquel les dangers de cette vie ne font pas des dangers, ni les miseres de ce monde de veritables miseres ?

L’homme du monde ne peut s’empécher d’être foible. Sa foiblesse se fait jour au travers de ces apparences de magnanimité & de force qu’il afsecte, pour éblouïr les yeux de ceux qui le considèrent, & pour avoir la miserable satisfaction de faire dire qu’il a bien joiié son rôle sur le theatre de la vie humaine, qui est tout ce qui reste à ce maître jdu monde, qui s’est tant donné de peine pour se tirer du pair d’avec les autres hommes. II n’est point dans le monde de constance soutenue. Cette sermeté des Heros est une vertu de machine qui se démonte par le dérèglement du moindre de ses ressors. Celuy qui défioit si fierement les Dieux & la fortune au milieu des dangers à la tête des armées, tremble par la crainte de mourir dans son lit. II bravoit une mort accompagnée d’éclat & de tumulte : mais il ne peut soutenir la vûe d’un trépas paisible & tranquille. Le Philosophe qui se rejouïssoit de souffrir mille disgrâces illustres, mille desastres fameux, consolé par laprobation de ceux qui admiroient fa constance, conçoit une espèce de desespoir, lors qu’il est reduit à être malheureux en secret. Mais si l’homme du monde ne peut s’empécher d’être foible, on peut dire que l’homme immortel auroit bien de la peine à s’empécher d’être constant. Les régards des autres hommes & la societé qu’il a avec eux, qui font la force prétendue des Heros du siecle, font toute la foiblesse de celui-cy. II sesentaffligé i., par par les larmes de ceux qui l’en vironnent. La parc que les autres prenent à fa prétendue misère l’abbat & le rappelle du ciel en terre, s’il est permis de s’exprimer ainsi : mais enfin seul & rendu a luy-même il se trouve au dessus & des accidens qui luy arrivent, & des sentimens que les autres ont de luy. II peut dire ce qu’un sentiment confus de la grandeur de l’homme à fait dire à un Poète Payen.

Si fraïtui illa batur orbis, impavidum serient ruin£.

Et il peut s’écrier avec un homme à qui la Religion en avoit appris infiniment davantage. Qui est.ce qui mesepa~ ter a de la dilMion de Christ ì fera ce oppression, ou angoisse ì Où est o mort, ta viïtoire ? où est ô sepulcre, ton aiguillon ? • L’homme a creu se mettre au dessus des disgrâces, & de laverité, en s’élevant au dessus des autres hommes. II s’est trompé. II faut qu’il retourne sur ses pas, pour trouver ce qu’il a cherché inutilement jusques icy. Ce n’est point l’orgucil avec ses distinctions forcées &

ses ses contraintes éternelles, qui peut le rendre serme & constant : mais c’est rhumilité en le reduisant à cette égalité naturelle de pers ection & d excellence, que nous avons avec les autres hommes, qui aussi bien que nous viennent de Dieu & rétournent à Dieu.

Que fi c’est dans le sentiment de nôtre immortalité qu’il faut prendre ce qui nous console & qui nous éleve, c’est là encore que nous trouvons tout ça qui peut nous satisfaire veritablement.

Nôtre cœur est une espece de seu qui COstftrme tout, qui monte1 toujours en haut & qui ne dit jamais : C’est aisés. Donnés luy tout ce qu’il peut raisonnablement desirer. Ile ne sera que former de nouveaux desirs. Esl-il le maître de lunivers, où il desire d’autres mondes à conquerir, comme Alexandres ou il se dégoûte de sa propre grandeur, comme ces Empereurs Romains, qui devenus comme les chefs St les maîtres du genre humain, se dégoûtent de leur puissance, trouvant une extreme dispro-. portion entre le bien qu’ils ont obtenu u ; ficl’ar & l’ardeur avec laquelle ils l’ont deiìré. Maîtres du sort des autres hommes, ils ne sont point contens de leur destinée. La satisfaction qu’ils cherchent, les suît. Tybere avoit bien affaire de se faire Empereur pour s’aller ensermer dans son Isle de Caprées, Sc s’y abandonner à ces, voluptés Infames, dont le ragoût coniiste dans la singularité, & dans l’excés du crime. II ne faloit pas être Empereur, il ne faloit qu’être homme pour çela, il ne faloit pas même être un hom-, me, il faloit descendre plus bas, que le» bestes par une débauche monstrueuse : mais c’est que ces excés de volupté étoient comme le desespoir de l’ambition. ij faloit descendre si bas, parce qu’on ne pouvoit monter plus haut. Car de demeurer en repos, le cœur de l’homme n’en est point capable. Ces fameux ; débauchés avoient toujours creu que la felicité consistoit dans la grandeur. Ils se des abusent, quand ils possèdent le dernier degré de celle-ci, & alors ils croyent, ou qu’il faudroit d’autres grandeurs pour être heureux, comme le erpyoit Vainqueur des Perses, ou bien . ., .... .>. v«, ,, fati fatigué de la grandeur, ils se tournent du côte de la volupté, ils tâchent de reparer le temps perdu & cherchent à regagner par la singularité ce qu’ils perdent du côté de la durée : mais ils se dégoûtent de la volupté encore plutôt que de la grandeur, & alors l’ambition les rapelle à la grandeur, comme l’on voit que Tybere, aprés avoir abandonné l’Empire à son favori pour goûter les plaisirs plus tranquillement, est tenté de quitter ses plaisirs pourl’Empire, dont il reprend les foins aprésla mort de Sejan, étant aussi peu content à Rome qu’il 1 feston à Caprées, & portant par tout un cœur insatiable & mécontent. Ce tableau ne represente pas seulement le cœur de Tybere, ruais encore celuy de tous les hommes ; dont l’agitationest perpetuelle & comme necessaire, pendant qu’il s’arrete aux objets du monde. Dieu luy a donné une capacité proportionée â son immortalité, c’est à dire uné capacité infinie. Il est donc impossible qu’il se satisfasse des biens qui perissent. Ce qui finit ne sauroit le remplir. Mais persuadés le de son immortalités donnés luy des biens éternels comme luy, & vous versés qu’il fera satisfait. Mais aprés avoir tâché de connoître la nature, les devoirs, les perfections & les plus grands motifs qui dcteriniijoient lê cœur de l’horame naturellement, ou ses forces morales, il est bon de passer à la consideration de Ces dé reglemcns, dont nous aurons premièrement à considérer la source, pour en connoître ea (fuite les ruisseaux. .

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