L’Encyclopédie/1re édition/FONDANT de Rotrou

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Fondant de Rotrou, (Chimie.)[1] chaux absolue d’antimoine faite avec son régule & le nitre, non lavée, & édulcorée avec l’eau de canelle spiritueuse qu’on brûle dessus. Cette préparation est une des cinq qui composent le remede de Rotrou.

La description s’en trouve particulierement dans deux auteurs célebres. Le premier est M. Astruc, qui l’a donnée à la fin de son traité des maladies vénériennes, imprimé pour la premiere fois en 1736 : le second est M. Col de Villars, dans le tome II. de sa chirurgie, qui parut en 1738. Nous allons transcrire celle de M. Astruc, & indiquer les différences qui se trouvent dans celle de M. Col de Villars : nous décrirons ensuite les différens procédés par lesquels on fait en Chimie de l’antimoine diaphorétique ; afin d’indiquer les sources dans lesquelles Rotrou a puisé ; de faire voir que ce fondant ne mérite de porter son nom, que parce qu’il a conservé ou ajoûté des points dont il n’a certainement pas entendu la raison ; & de suppléer aux défauts d’un manuel dont il n’a donné qu’une description très-imparfaite.

Fondant de Rotrou, empyrique de ce nom. Prenez de régule d’antimoine bien préparé & réduit en poudre ; de nitre purifié & pulvérisé séparément, de chaque une livre & demie : mêlez ces deux poudres bien intimement ; projettez-les, selon l’art, par cuillerées dans un creuset rougi au feu. Les projections étant achevées, vous calcinerez la matiere pendant six heures.

Retirez votre matiere du creuset, & la réduisez en poudre avant qu’elle soit refroidie ; passez la par un tamis de crin, & la mettez sur le champ dans un vaisseau de verre, que vous boucherez exactement, pour empêcher qu’elle ne s’imbibe de l’humidité de l’air.

Faites chauffer legerement cette poudre ; versez dessus peu-à-peu six onces d’eau de canelle spiritueuse, par livre de matiere ; remuez-la continuellement, jusqu’à ce que l’eau de canelle soit entierement dissipée.

Cette préparation differe très-peu de l’antimoine diaphorétique non lavé. Astruc, édit. de 1736 & de 1740.

Dans la recette de M. Col de Villars, on met une livre & demie de nitre contre une demi-livre de régule. On couvre le creuset après la détonation ; on calcine la matiere au grand feu ; on la laisse refroidir ; on passe cette matiere qui est blanche, à-travers un tamis fin. On observe d’ailleurs que cette préparation y est intitulée, grand fondant de Paracelse ; ce qui indique, à la vérité, que Rotrou n’a pas prétendu donner ce remede comme de lui, mais a voulu néanmoins s’autoriser du nom d’un grand homme, dont les écrits n’étoient pas assez à sa portée pour qu’il pût le deviner parmi ses énigmes, p. 284. on y ajoûte aussi, p. 281. que le remede du sieur Rotrou, chirurgien de Saint-Cyr, dont on fait beaucoup de cas pour la guérison des écroüelles, consiste dans sa teinture aurifique de Basile Valentin, autre nom supposé, l’élixir aurifique, le grand fondant de Paracelse, l’alkali de Rotrou, & sa pâte en pilules purgatives, & qu’on en donne la description telle qu’elle a été communiquée, pour ne rien omettre de ce qui peut contribuer à la guérison d’une maladie aussi rébelle. M. Astruc les a décrits aussi. Voyez Remede de Rotrou & Ecrouelles.

L’antimoine diaphorétique se fait ou avec l’antimoine crud, ou avec le régule d’antimoine ; ou à sa place, avec quelques autres préparations du même demi-métal. Le premier porte particulierement le nom d’antimoine diaphorétique ; & le second, celui de céruse d’antimoine, chez les chimistes modernes.

Antimoine diaphorétique. Prenez une partie d’antimoine, & trois parties de nitre bien seché. Réduisez-les séparément en poudre bien fine, & les mêlez bien intimement. Ayez un creuset de sept ou huit pouces de diametre, sur environ autant de hauteur, dont le fond soit hémisphérique : placez ce creuset sur une tourte de deux doigts d’épaisseur, dans un fourneau à capsule (Voyez nos Planches de Chimie, leur explication ; & l’article Fourneau) : ajustez-lui un couvercle ; entourez-le de charbons ardens jusqu’au haut, ou du moins à fort peu près ; découvrez-le de tems en tems, pour savoir s’il est rouge ; quand il le sera, projettez-y une cuillerée de votre mélange : il s’en fait sur le champ une détonation assez vive, pendant laquelle il s’éleve une fumée noirâtre & épaisse mêlée de quelques étincelles : la détonation cessée, projettez-y en une autre cuillerée, puis une troisieme, & ainsi de suite, jusqu’à ce que vous en ayez employé cinq ou six ; observant toûjours de laisser finir la détonation, avant que de jetter une nouvelle cuillerée de matiere : au bout de ces cinq ou six cuillerées, que vous aurez dans votre creuset un volume de matiere égal à celui d’un œuf à-peu-près, remuez-la avec une large spatule de fer. Ce résultat sera un peu pâteux, ressemblant en quelque sorte à du plâtre frais gâché ; retirez-le incontinent du creuset : vous le donnerez à un aide, qui le recevra sur un couvercle renversé : la main qui doit tenir le couvercle sera garantie de la chaleur par une poignée épaisse ; & l’autre sera occupée à racler avec une spatule de fer la spatule chargée de la matiere : au sortir du creuset, elle est rouge, & garde quelque tems cet état sur le couvercle : peu-à-peu elle paroît sous sa couleur naturelle, qui est un blanc sale ou jaunâtre : quand elle a perdu sa rougeur, on la jette dans une grande terrine de grais remplie d’eau chaude, par parties & au bord de la terrine.

Pendant que l’aide est occupé à jetter ainsi la matiere dans l’eau, on ne cesse de projetter le mélange avec les précautions que nous avons mentionnées : on racle bien le creuset chaque fois qu’on en retire une mise, afin de n’y en rien laisser, si cela se peut. On continue de la sorte, jusqu’à ce que tout le mélange soit employé, détonné, & jetté dans l’eau.

Après l’y avoir laissé un certain tems, décantez cette premiere eau ; édulcorez encore votre chaux 7 ou 8 fois avec de l’eau bouillante ; laissez-l’y quelques heures chaque fois : quand vous aurez décanté l’eau du dernier lavage, mettez votre chaux sur un filtre, ou tout simplement sur un papier gris, pour en essuyer la plus grande humidité. Achevez de la sécher à une chaleur douce, ou à un air chaud.

Il y a des substances métalliques qui ne perdent les dernieres portions de leur phlogistique, que bien difficilement, & qui demandent des calcinations longues, quand elles sont seules : pour vaincre la difficulté & abréger les peines, on a recours à des moyens étrangers : tel est le nitre, dans l’opération dont il s’agit ; par son intermede, on vient à bout de réduire l’antimoine crud en une chaux absolue, en suivant le manuel que nous venons de détailler.

Si on prend l’eau du premier lavage, & qu’on la fasse évaporer & crystalliser, on a 1°. du tartre vitriolé : 2°. du nitre non décomposé, en poussant l’évaporation un peu plus loin ; c’est la quantité surabondante à ce qu’il en faut pour enlever le phlogistique à l’antimoine employé : 3°. enfin un alkali fixe en desséchant la matiere. On a donné le nom de nitre antimonié à tous ces sels confondus ensemble. Mais il est aisé de voir que cette dénomination est absolument fausse, & ne convient à aucun de ces trois sels : tous contiennent une portion de la chaux la plus subtile de l’antimoine : l’alkali fixe qui en tient le plus, en devient plus caustique, voyez Pierre à Cautere & Nitre : on ne l’en sépare que par un acide, voyez Matiere perlée. Voici donc comment la chose s’est passée.

Une portion de nitre détonne avec le soufre, dont le phlogistique embrasé enflamme & décompose l’acide nitreux qu’il dégage de sa base : cette base constitue une partie de l’alkali fixe qu’on trouve dans le lavage. Mais le phlogistique du soufre n’est pas plûtôt séparé de l’acide vitriolique, que cet acide devenu libre trouvant du nitre près de lui, chasse son acide, & s’introduit à sa place. L’acide nitreux s’enflamme encore ou se dissipe ; & la nouvelle combinaison forme du tartre vitriolé. Le soufre en se dégageant du régule d’antimoine (voyez la calcination de l’antimoine crud), emporte aussi avec lui une partie de son phlogistique, tant par son phlogistique que par son acide. Mais le nitre détonne encore en même tems avec le régule d’antimoine, dont le phlogistique agité par le feu produit sur ce sel le même effet que celui du soufre : d’où résulte une nouvelle portion d’alkali fixe, qui agit encore sur le régule, s’il en reste de non décomposé, voyez plus bas céruse d’antimoine ; en sorte que ce régule est réduit par cette action à l’état d’une pure terre ou chaux absolue. Voyez Nitre, Nitre alkalisé par le charbon, & Sel polychriste de Glaser.

Telle est la méthode que donne M. Roüelle ; cette correction se publie aussi en Allemagne. En suivant celles qui se trouvent décrites dans les auteurs, on avoit beaucoup de peine à faire l’antimoine diaphorétique bien blanc : il étoit presque toûjours jaune ; & il étoit impossible de lui faire perdre ce défaut. Cet inconvénient venoit de ce qu’on le laissoit trop longtems dans le creuset après la détonation : on avoit beau le laver, jamais on ne réparoit ce défaut qu’il avoit contracté par une trop longue calcination : c’est en partie pour ce motif, qu’il faut retirer la matiere du creuset à différentes reprises.

Si l’antimoine diaphorétique se trouvoit brun, alors ce défaut ne viendroit plus de la longueur de la calcination, mais de l’antimoine qui se trouve quelquefois mêlé de fer & d’autres métaux, sur-tout à la base du cône. Voyez Safran de Mars antimonié.

Ce premier inconvénient en entraînoit un second. La matiere calcinée pendant deux, quatre, & même six heures, comme quelques chimistes l’ont demandé, devenoit dure comme une pierre : elle adhéroit si fortement au creuset, qu’il falloit souvent le casser pour l’en tirer : en sorte qu’elle étoit mêlée de quelques morceaux du creuset, ou qu’il en falloit perdre beaucoup pour l’en séparer : & avec quelques soins qu’on la pulvérisât, ce qui exigeoit beaucoup de tems & de peines, elle n’étoit jamais si bien divisée qu’elle le devient par le lavage qui succede à une calcination presque momentanée. En effet, il est aisé de concevoir qu’il se faisoit pendant ce tems une espece de demi-vitrification, par laquelle l’alkali fixe s’unissoit assez intimement avec la chaux de l’antimoine, pour lui rester combiné en grande partie malgré le lavage. C’est de cette union que naissoit l’accrétion considérable de poids que l’antimoine diaphorétique avoit acquise. On suppose ici que le lavage ne fût point employé, comme il paroît par quelques descriptions.

On craindra peut-être qu’une calcination si legere en apparence ne remplisse pas les vûes de cette opération, dans laquelle on a pour but de réduire l’antimoine en une chaux pure & dégagée de tout phlogistique. Mais on sera convaincu qu’une pareille crainte ne porte que sur un fondement illusoire, quand on aura fait attention qu’il reste dans l’eau du lavage du nitre non décomposé ; parce qu’il ne s’est point trouvé de phlogistique qui ait pû le faire détonner ; & que dans la circonstance présente, au lieu de deux parties de ce sel, on en employe jusqu’à trois, pour n’avoir aucun soupçon qu’il puisse rester dans l’antimoine diaphorétique la moindre molécule de régule ou de chaux non absolue qui ait échappé à son action. On ne nie pourtant pas qu’il se trouve dans l’antimoine diaphorétique des parties régulines en nature, & sous leur forme métallique, en même tems qu’il s’y trouve du nitre non décomposé : mais ce défaut provient souvent de l’inexactitude du mélange, dans lequel plusieurs molécules régulines ne sont pas assez enveloppées de nitre pour en être totalement décomposées ; pendant que d’un autre côté, ce sel en masse ne trouve point de phlogistique embrasé qui puisse lui procurer la détonation. Dans cette circonstance, l’alkali forme par la détonation imparfaite de l’antimoine, met une barriere entre le nitre & ce demi-métal : mais cet inconvénient sera moins considérable avec trois parties de nitre qu’avec deux, en supposant la même inexactitude dans le mélange, que l’on conseille cependant d’éviter. C’est encore pour la même raison que nous avons prescrit de remuer sans cesse la matiere dans le creuset : ce seroit peut-être assez de deux parties de nitre ; mais celui qui est en excès n’est pas perdu ; il se retrouve dans l’eau du lavage, dont on le sépare en évaporant & crystallisant.

Il résulte que la méthode des chimistes qui projettent l’antimoine crud en poudre sur le nitre, doit être proscrite.

Dans cette opération on employe un creuset large & à fond même presque plat, afin que la petite quantité de mélange qu’on y a mise, détonne à-la-fois, ou le plus promptement qu’il est possible, & sur-tout pour avoir la commodité de l’en retirer. On attend qu’il soit rouge, pour que la détonation se fasse sur le champ ; il seroit inutile d’y rien mettre avant ce tems. Le couvercle sert à le garantir de la chûte des charbons. On sait que ces sortes de corps portent avec eux un principe inflammable, qui ne manqueroit pas de réduire en régule une partie de chaux proportionnelle ; inconvénient diamétralement opposé aux fins qu’on se propose : il s’y trouve, à la vérité, du nitre qui pourroit le consumer ; mais il peut se faire aussi qu’il ne s’y en trouve point dans l’endroit où tombera la molécule de charbon : c’est pour la même raison qu’on ne garnit pas le creuset de charbons ardens au-dessus de ses bords.

La précaution de projetter par cuillerées, & d’attendre que la premiere soit détonnée avant que d’en projetter une seconde, a pour but de rendre la calcination plus lente & plus complete, & d’éviter la perte de matiere que l’adhésion des vapeurs poussées par le feu ne manqueroit pas d’occasionner dans la méthode contraire. Cette perte d’ailleurs n’est pas le seul inconvénient qui soit la suite du choc des vapeurs ; il arrive encore qu’une molécule réguline poussée hors du creuset vers la fin de la détonation n’y retombe que quand elle est tout-à-fait cessée, & ne se calcine point-du-tout.

Si l’on ne suit pas les mêmes voies pour le foie de Rullandus (V. Antimoine), c’est qu’il n’y importe pas comme ici, que la chaux antimoniale soit absolue.

Un autre inconvénient qui résulte de la détonation d’une grande quantité de matiere à-la-fois, c’est que le feu y est si vif qu’il la vitrifie ; & ainsi au lieu d’une chaux d’antimoine bien divisée, qui est ce qu’on se propose, on auroit cette même chaux vitrifiée avec l’alkali fixe du nitre.

On attend que la matiere du creuset ait perdu à-peu-près son ignition, pour la jetter dans l’eau : sans cela elle éclabousseroit & feroit explosion ; parce que l’eau déjà chaude étant tout-à-coup frappée & mise en expansion par un corps embrasé, ne manqueroit pas de le faire sauter de toutes parts, au danger de l’artiste : c’est pour la même raison qu’on n’en jette dans l’eau que peu-à peu & aux bords de la terrine. Une petite quantité présente plus de surface à l’eau, à proportion de son volume ; & s’il arrive qu’elle soûleve l’eau qui la couvre, elle en fait moins jaillir aux bords de la terrine, où elle est moins profondément plongée.

La chaux de l’antimoine sortant du creuset est, abstraction faite de la grande quantité du tartre vitriole & de la petite portion du nitre, un alkali fixe rendu caustique par la chaux demi-métallique de l’antimoine. Voyez ci-dessous céruse d’antimoine. C’est à-dessein de lui enlever ces différens sels qu’on repete les lavages, & de favoriser par-là la division des molécules d’antimoine diaphorétique, que ces sels interposés tenoient unis par leur intermede. C’est encore pour la même raison qu’on sait ces sortes de lavages en grande eau ; car plus il y en a, plus les molécules ont dequoi s’étendre, & plus elles sont divisées ; sans compter que les sels en sont mieux dissous.

De huit onces d’antimoine & de vingt-quatre de nitre, Lemery a eu onze onces un gros d’antimoine diaphorétique : les calculs de Mender se trouvent à-peu-près les mêmes. Comme cette accrétion de poids vient, selon toute apparence, des débris des sels, au moins pour la plus grande partie, il n’est pas étonnant qu’on n’en retire pas autant de régule à proportion, si on réduit l’antimoine diaphoretique. Voyez Réduction.

Selon la doctrine commune des chimistes, si au lieu d’employer un creuset, on projette la matiere en de très-petites quantités dans une cornue de terre tubulée & rougie au feu, & laquelle on adapte plusieurs ballons enfilés dont le dernier est ouvert, les vapeurs noirâtres & épaisses dont nous avons parlé, passent dans les récipiens, & s’y condensent. On y trouve un antimoine diaphorétique très-divisé, & un phlegme legerement acide & alkali volatil, ainsi qu’on peut s’en convaincre par l’expérience : c’est la petite portion de l’acide nitreux, qui ayant été dégagée par l’acide vitriolique du soufre, est échappée à l’embrasement. Le phlegme est de l’acide vitriolique & de l’acide nitreux décomposés : ces vapeurs ainsi retenues reçoivent le nom de clyssus simple d’antimoine. Quelques auteurs prétendent aussi qu’il y a de l’acide vitriolique ; & en ce cas elles doivent prendre celui de clyssus composé, selon Mender.

On fait encore, selon Lemery, l’antimoine diaphorétique dans les vaisseaux fermés, en se servant d’un pot ou d’une cucurbite de terre, surmontée de trois aludels aussi de terre, & d’un chapiteau de verre, auquel on adapte un récipient. Voyez Aludel, Fleurs de soufre, Fleurs d’Antimoine. La cucurbite est fenêtrée, pour qu’on y puisse projetter le mélange, dont les doses sont toûjours les mêmes. On trouve dans la cucurbite une masse semblable à celle que l’on a retirée du creuset : mais les parois des aludels sont tapissées de fleurs blanches d’autant plus émétiques qu’elles sont plus élevées : en sorte qu’il n’y a guere que les plus basses, ou celles que la trusion a élevées, qui soient assez dépouillées de leur phlogistique, pour n’être que diaphorétiques.

L’adepte Geber n’a parlé de l’antimoine qu’en passant. Le moine anonyme qui vivoit au douzieme siecle, & qui est connu sous le nom emblématique de Basile Valentin (voyez Chimie), est le premier qui ait traité des préparations de l’antimoine. On y trouvera le diaphorétique minéral, sous le nom de poudre blanche d’antimoine, dans le petit nombre d’opérations positives qu’il a données parmi les secrets d’Alchimie, sous le nom de ce demi-métal : en voici la traduction. Prenez de bon antimoine de Hongrie, ou de tout autre pays, pourvû qu’il soit bien pur : réduisez-le en poudre fine ; mêlez-le avec parties égales de nitre purifié de la troisieme cuite. Projettez & faites détonner ce mélange peu-à-peu dans un creuset neuf vernissé, entouré de charbons ardens…….. mettez en poudre fine la masse dure qui est restée dans le creuset ; mettez cette poudre dans un vase vernissé ; versez dessus de l’eau commune tiede ; décantez cette eau après l’avoir laissée rasseoir. Répétez ce lavage jusqu’à ce que vous ayez emporté tout le nitre : séchez votre matiere ; faites-la détonner de nouveau avec son poids égal de nitre : lavez & détonnez une troisieme fois : enfin réduisez en poudre subtile la masse résultant de cette troisieme opération : mettez-la dans une cucurbite ; versez dessus de bon esprit de vin : bouchez-bien exactement votre vaisseau : pendant l’espace d’un mois que vous le tiendrez en digestion, vous y mettrez de nouvel esprit-de-vin neuf ou dix fois, & ferez brûler celui qui aura digéré dessus : séchez lentement votre préparation ; calcinez-la ensuite pendant un jour entier dans un creuset rouge : portez cette poudre dans un lieu humide, où vous la laisserez tomber en défaillance sur me table de pierre ou de verre, ou dans des blancs d’œufs durcis : il s’en fait une liqueur qu’on seche & convertit de nouveau en poudre.

Voilà certainement une préparation qui coûte bien du tems, des peines, & de l’esprit-de-vin : mais que résulte-t-il de tout ce merveilleux appareil ? On entrevoit à-travers l’obscurité de cette description, que la premiere détonation donne un foie (faux) de Rullandus, que les lavages dépouillent du tartre vitriolé, & de son foie d’antimoine : ensorte que le soufre grossier reste avec une matiere vitreuse que Kerkringius appelle la poudre de Ruilandus. Voyez son foie à l’art. Antimoine. La seconde fournit après le lavage une céruse d’antimoine, selon les modernes, ou antimoine diaphorétique, qui ne sont autre chose qu’une chaux absolue d’antimoine ; & la troisieme, qu’on ne lave point cette même chaux d’antimoine privée des dernieres parties régulines qui pouvoient n’être pas encore décomposées, quoiqu’on la regarde communément comme chaux absolue, après la seconde détonation, & de l’alkali fixe, ou nitre alkalisé, & peut-être du nitre ; à moins que la calcination n’ait été très-long-tems soûtenue. L’esprit-devin digéré dessus ne peut donner qu’une teinture de tartre qu’on décompose en le brûlant (voyez Teinture de Tartre), & en calcinant la matiere. Cette poudre mise dans un lieu frais, n’est susceptible de défaillance que par son alkali fixe, qui doit être en petite quantité : c’est cette liqueur seule qu’on prend pour évaporer. Il reste donc après tant de travaux un peu d’alkali fixe mêlé d’une petite quantité de terre provenant de ses débris, & d’une moindre quantité encore de la chaux la plus subtile de l’antimoine, qu’il a pû tenir suspendue & entraîner avec lui, quoique l’acide de l’esprit-de-vin ait pû en précipiter une partie. Voyez Matiere perlée. Aussi ne faut-il pas s’étonner que Basile Valentin ait attribué des vertus miraculeuses à sa poudre blanche : nous en ferons grace au lecteur. Il est bon de remarquer que c’est la préparation que les anciens chimistes appelloient céruse d’antimoine.

Le compilateur Libavius n’entend pas mieux la préparation d’antimoine diaphorétique, qu’il décrit aussi mal. Calcinez, dit-il, de l’antimoine crud & du nitre, jusqu’à ce qu’ils ne donnent plus de vapeurs : faites bouillir cette chaux dans plusieurs eaux ferrées ; macérez la pendant un mois dans de l’esprit-de-vitriol, que vous changerez toutes les semaines : faites la rougir plusieurs fois dans un creuset, & l’éteignez dans du vinaigre à chaque fois : enfin mettez-la digérer dans de l’esprit de-vin ou de l’eau de chardon-bénit. Il faut avoüer cependant qu’il en résulte vraiment de l’antimoine diaphorétique, où il y aura peut-être un atome de fer qu’y aura porté l’eau ferrée, qui a dû emporter l’alkali fixe, ce nitre, & le tartre vitriolé. L’esprit-de-vitriol digéré sur la matiere ; le vinaigre, en supposant qu’on ait employé assez de nitre pour la réduire en une chaux absolue ; l’esprit-de-vin, & l’eau de chardon-bénit, n’y font ni bien ni mal : & si la préparation lui coûte plus de tems & autant de peines à-peu-près que celle de Basile Valentin, au moins n’en perd-il pas les fruits, comme ce moine qui réduit tout à rien. Libavius, lib. II. alchem. tract. ij. de extract. pp. 188. 1606.

Lemery, Boerhaave, Mender, & Geoffroy, employent également trois parties de nitre. Le premier laisse calciner la matiere pendant deux heures ; le second, pendant un quart-d’heure, & reproche à Basile Valentin qu’il se donne bien des peines pour dépouiller son antimoine diaphorétique du nitre fixant, pendant qu’il ne lui reste presque autre chose que du nitre fixé. Il croit que le nitre fixe la chaux d’antimoine, comme Lemery s’est imaginé que le soufre de ce demi-métal en étoit fixé ; erreur que son savant critique a relevée d’une façon qui ne laisse rien à desirer ; ainsi que les reproches que Mender fait mal-à-propos à Boerhaave, sur ce que cet auteur regarde l’antimoine diaphorétique comme insipide & sans vertu. On observe encore que Mender fait fondre la matiere détonnée, & renchérit conséquemment sur la mauvaise méthode des deux premiers. Enfin Geoffroy veut aussi que le soufre de l’antimoine soit fixé par l’acide du nitre, & confond les noms de céruse d’antimoine, & d’antimoine diaphorétique.

On fait encore de l’antimoine diaphorétique avec l’antimoine crud, toutes les fois qu’on traite ce demi-métal de maniere qu’il soit converti en une chaux absolue blanche & divisée ; soit que l’action du feu aidée de celle de l’air, dissipe tout son phlogistique sans intermede ; soit qu’elle se trouve mêlée de matieres hétérogenes : car il peut se trouver encore quelques molécules d’antimoine diaphorétique parmi la chaux qui reste sur le filtre à-travers lequel on passe la dissolution du régule d’antimoine par les sels, sitôt après la détonation de ses scories, & du faux foie de Rullandus.

Enfin par la propriété qu’a l’acide nitreux d’enlever le phlogistique à la plûpart des substances métalliques, il réduit l’antimoine en chaux absolue, si on y fait dissoudre ce demi-métal. Dépouillé de son principe inflammable, il tombe au fond du vase où se fait l’expérience ; il n’est qu’une terre insipide, pourvû toutefois qu’on l’ait préalablement lavé avec exactitude. Une petite portion d’antimoine reste dissoute dans la liqueur, & forme les deux sels de M. Roüelle, l’une en plus & l’autre en moins d’acide qu’il soit possible. Le soufre surnage sous la forme d’une matiere jaunâtre pultacée. Basile Valentin fait aussi une poudre fixe d’antimoine avec l’eau forte : mais il ne faut pas regarder son procédé comme positif. Voyez Nitre.

L’eau régale produit le même phénomene en conséquence de ce que l’acide nitreux y domine. Voyez Nitre. L’acide nitreux & l’eau régale attaquent l’antimoine crud avec rapidité : l’effervescence est vive & produit de la chaleur. Ces deux procédés donnent de l’antimoine diaphorétique par la voie humide, & fournissent les moyens de connoître au juste la quantité de soufre que contient l’antimoine crud.

Céruse d’antimoine. Réduisez en poudre fine séparément une partie de régule d’antimoine & trois parties de nitre ; mêlez-les intimement : faites-les détonner dans un creuset : jettez la matiere dans l’eau bouillante : décantez ; lessivez sept ou huit fois, & faites sécher votre résultat. Ce procédé exige les mêmes précautions que celui de l’antimoine diaphorétique.

Cette chaux d’antimoine n’est ni plus blanche ni plus divisée que celle que nous avons faite par la précédente méthode : ce procédé n’est donc pas préférable au premier, sans compter qu’il est dispendieux & exige plus de tems. On retire aussi la masse du creuset, si-tôt que la détonation est achevée : sans quoi elle ne manqueroit pas de jaunir, de même que dans la précédente préparation.

Si l’on fait évaporer & crystalliser l’eau du premier lavage, on a 1°. du nitre qui est la quantité excédante celle qu’il a fallu pour décomposer le régule employé : 2°. en poussant l’évaporation jusqu’à siccité, de l’alkali fixe rendu caustique par une petite portion de chaux antimoniale, avec laquelle il fait union, qu’il tenoit suspendue dans la liqueur : c’est encore de la matiere perlée. S’il ne s’y trouve point de sel polychreste, c’est que le régule d’antimoine ne contenoit pas la substance nécessaire à sa formation ; savoir l’acide vitriolique du soufre, qui dans l’antimoine diaphorétique, s’est uni à l’alkali fixe du nitre décompose. Ainsi dans cette opération, le phlogistique du régule produit le même, ou à-peu-près le même phénomene que celui du charbon. Voyez Nitre alkalisé par le charbon. Si-tôt que ce pincipe inflammable est mis en agitation, & dégagé par l’action du feu, il dégage l’acide nitreux de sa base, lequel se consume & dissipe en partie. Il suit que le régule doit rester dans le creuset avec l’alkali, sous la forme d’une chaux blanche dépouillée de son phlogistique en entier.

Mais il ne faut pas croire que le nitre alkalise le régule par son acide seul : son alkali produit le même phénomene, indépendamment du concours de son acide. La calcination n’en va donc que plus vite, quand on employe le nitre ; & cela par deux raisons : la premiere, c’est que l’acide nitreux dégagé de sa base, rencontrant quelques portions régulines, doit certainement leur enlever une partie de leur phlogistique, avant que de se consumer ou de se dissiper ; & la preuve que la chose se passe de la sorte, c’est qu’il y a une legere détonation qui est certainement dûe à l’acide nitreux, & non à sa base alkaline : la seconde, c’est qu’avec l’alkali fixe seul, il faut aller assez lentement, pour que ce sel ne se fonde point avec le régule. Si l’on donnoit le feu trop fort, surtout au commencement de l’opération, il en résulteroit d’abord une matiere vitreuse très-foncée, qu’il faudroit réduire en poudre, pour lui enlever plus promptement les dernieres portions du principe du feu ; & sur la fin, un verre peu coloré, dont le lavage ne pourroit séparer les substances qui entrent dans sa composition. Voyez Réduction. Si l’on a entretenu le feu par degrés, on a un alkali fixe rendu caustique par la chaux d’antimoine avec laquelle il est combiné.

C’est une des raisons pour lesquelles on employe le lavage : mais il est d’autant plus nécessaire en pareil cas, qu’il sert encore à séparer de la chaux les dernieres portions de régule qui ont pû échapper à la détonation ; comme plus pesantes & moins divisées, elles gagnent le fond, sur-tout quand on a la précaution d’agiter la lessive. Cette considération porte également sur la préparation de l’antimoine diaphorétique.

Si au lieu de trois parties de nitre, c’en seroit assez de deux pour la préparation de l’antimoine diaphorétique ; à plus forte raison suffiroient-elles pour la céruse. Mais on agit encore de la sorte pour n’avoir aucun soupçon qu’il puisse rester la moindre molécule de régule sans être décomposée ; le nitre excédent se retrouve par la crystallisation. Il s’en trouve une beaucoup plus grande quantité en nature dans la préparation de la céruse d’antimoine, que dans celle de l’antimoine diaphorétique, proportion gardée ; parce qu’il n’en a pas fallu pour détonner avec le soufre, & que l’acide vitriolique de ce minéral n’en a point converti en tartre vitriolé. Mais il faut observer que la longueur de la calcination de la céruse doit changer ces phénomenes : outre cela, la présence du soufre peut non-seulement accélérer la calcination, mais encore la rendre plus complete avec la même quantité de nitre.

On peut encore, si l’on veut, faire la céruse d’antimoine avec les chaux non-absolues & les verres d’antimoine, en les faisant également détonner avec le nitre ; on pourroit pour lors se dispenser d’employer une aussi grande quantité de ce sel : parties égales suffiroient pour avoir une belle céruse d’antimoine. Mender. C’est la méthode des anciens à-peu-près.

Nous avons dit que l’alkali se combinoit avec le régule pendant la calcination ; mais il ne faut pas s’imaginer, comme Hoffman, que c’est cette union qui empêche que le régule ne se dissipe presque tout en fleurs par le feu, comme il arrive quand il est seul : cette fixité vient de la perte du phlogistique, qui le volatilisoit auparavant.

Dans ce procédé, la détonation est moins vive que dans le précédent, & il y a même telles proportions de nitre qui n’en donnent point-du-tout, soit parce qu’il n’y a point de soufre, soit parce que les molécules de l’antimoine étant par-là moins divisées, il se dégage une moindre quantité de phlogistique dans un seul & même instant, sans compter que le soufre peut favoriser ce dégagement ; ce qui est confirmé par la lenteur de cette calcination. Il y a d’autant moins d’alkali fixe, & il est d’autant moins caustique, qu’on y employe davantage de nitre, & qu’on calcine moins long-tems. Ainsi donc il faut bien peser toutes ces circonstances avant que d’avancer s’il se fait plus de nitre fixe dans cette préparation, que dans celle de l’antimoine diaphorétique. Lémery ayant fait détonner seize onces de régule avec quarante-huit de nitre, on a retiré vingt-quatre onces & demie de céruse bien lavée & bien séchée, & il lui est resté vingt-cinq onces de sel.

Libavius donne la préparation suivante de la céruse d’antimoine. Calcinez le régule avec le nitre dans un vaisseau de verre, que vous échaufferez par degré ; lavez-en le sel, & répétez cette opération encore deux fois, pour fixer & blanchir l’antimoine. Exposez-le ensuite à un feu de reverbere pendant trois jours. Si les anciens qui la pratiquoient prenoient beaucoup de peine, au moins étoient-ils très assûrés d’avoir réduit le régule en une terre insipide & inerte.

Le même Libavius donne le nom de turbith à la chaux d’antimoine faite avec le régule, dissous par l’acide nitreux, qu’on faisoit bouillir après cela dans du vinaigre, & ensuite dans de l’eau de roses : mais il est évident que ces deux décoctions deviennent inutiles. Page 188.

Si l’on fait digérer de l’esprit-de-vin sur la céruse d’antimoine non-lavée, il se fait une teinture rouge. Voyez Teinture de Tartre. Si on allume cet esprit-de-vin dessus, & qu’on l’y fasse brûler tout entier, il reste une liqueur lixivielle très-âcre. Cette liqueur étant évaporée sur un feu leger, donne un alkali d’un rouge jaunâtre, caustique & tout soluble dans l’eau. La lessive qui en résulte est rougeâtre & fort âcre. La poudre réguline qu’on sépare de cette teinture est absolument dépouillée de causticité ; elle ne purge ni par le haut ni par le bas, & n’est que diaphorétique. Fred. Hoffman, observat. physico-chim. seleit. p. 254. 4°.

Quand on verse le verre d’antimoine sur une plaque métallique, il s’éleve des fleurs blanches qu’il ne faut pas prendre pour de la céruse d’antimoine, c’est un verre très-divisé. Il faut en dire autant dans la préparation de la neige d’antimoine, des fleurs qui se trouvent entre les deux couvercles du pot. Le régule d’antimoine donne à-peu-près le même produit, toutes les fois qu’on le fond à l’air libre. Les fleurs qui s’élevent dans la préparation du foie de Rullandus, sont encore de même nature, quoique quelques auteurs ayent regardé tous ces produits comme une chaux absolue d’antimoine.

On fait encore une céruse d’antimoine, en dissolvant son régule dans l’eau-forte & l’eau régale, & en versant de l’acide nitreux sur le beurre d’antimoine. Voyez Bézoard minéral. Dans ces trois mélanges, il s’excite une forte effervescence ; il n’est pas plus étonnant que l’eau régale agisse sur le régule, que sur l’antimoine crud : l’acide nitreux en constitue environ les trois quarts. C’est cet acide qui produit tous ces phénomenes ; du moins l’acide marin ne paroît-il y avoir aucune part ; & quand bien même il dissolveroit une partie de régule, il seroit toûjours chassé par l’acide nitreux, comme il arrive dans le bézoard minéral. Par ces trois procédés, on fait une chaux d’antimoine insipide ; mais il n’en est pas de même du beurre d’antimoine, ou de la poudre d’Algaroth, ni de la dissolution du régule d’antimoine par l’acide vitriolique : ces deux sels sont âcres & caustiques. Voyez tous ces articles, & Nitre. Le bézoard minéral en particulier, est une céruse très-divisée : & comme ce n’est qu’en conséquence de sa grande division que la chaux absolue d’antimoine peut produire quelque effet, le bézoard comme plus atténué que les autres chaux absolues, en produit par-là de beaucoup plus considérables, étant donné même en moindre quantité.

Il est évident par tout ce qui précede, que la chaux absolue d’antimoine, par quelle des méthodes décrites qu’elle soit faite, est toûjours la même quant au fond. Quand elle est bien faite, c’est une pure terre insipide, insoluble dans quelque liqueur que ce soit, non-absorbante, & absolument dépouillée de toute éméticité & de toute autre action. Ainsi l’on peut reconnoître celle qui a été falsifiée avec de la craie, ou toute autre terre absorbante, par l’effervescence qu’elle fait pour lors avec les acides.

Il suit donc que l’esprit-de-vin ou toute autre liqueur, soit acide, soit spiritueuse ou huileuse, n’occasionneront aucun changement dans les parties de la chaux antimoniale ; puisque les acides minéraux les plus corrosifs ne peuvent l’altérer en aucune façon, ou bien ont déjà exercé toute leur action sur elle. Ainsi c’est se repaître de chimeres, que de croire augmenter ou changer sa vertu par les édulcorations & digestions merveilleuses, que les différens auteurs ont prescrites. Les changemens de couleurs qui arrivent pour lors, sont dus a l’alkali fixe ou nitre décomposé (Voyez Teinture de Tartre) ; & la preuve, c’est que ces phénomenes cessent des qu’on a dépouillé la chaux antimoniale de ce sel. En brûlant l’esprit-de-vin, &c. desséchant, calcinant & filtrant, on détruit tout ce que l’alkali en a pû retenir.

Si, à ce que nous avons détaillé jusqu’ici sur les propriétés de l’antimoine diaphorétique & de la céruse d’antimoine, on joint la connoissance des phénomenes de la teinture du tartre, de la déflagration de l’esprit-de-vin & des huiles essentielles, on aura une critique raisonnée du fondant de Rotrou.

On fait un antimoine diaphorétique martial, connu sous le nom de safran de Mars, antimoine de Stahl. Voyez cet article.

Nous avons dit que la terre de l’antimoine par sa simple qualité de substance métallique, absolument privée de son principe inflammable, n’étoit point émétique. Cette opinion est assez généralement reçûe, & même il y a des auteurs qui soûtiennent qu’elle n’a aucune vertu. Boerhaave est de ce nombre : mais il se combat lui-même en la regardant comme nuisible, & en avançant dans un autre endroit qu’elle aiguise la vertu des purgatifs. Il cite pour exemple la poudre cornachine, dans laquelle elle entre pour un tiers. On conçoit à la vérité qu’une matiere qui n’est ni émétique ni diaphorétique, parce qu’elle est une terre inerte, peut être inutile, mais non nuisible, ni capable d’augmenter la vertu des médicamens. Cependant Boerhaave s’explique là-dessus bien clairement : après avoir dit que l’antimoine diaphorétique non-lavé est un leger irritant, il ajoûte que la chaux pure produit plus de mal ; qu’en la lavant, on lui enleve tout ce qu’elle avoit de bon, & qu’il n’en conseille l’usage qu’en la laissant avec ses sels, ou bien en l’employant dans la poudre cornachine ; que l’expérience confirme avoir plus d’activité en conséquence de l’antimoine diaphorétique, qui n’agit sensiblement que dans ce cas. Ainsi donc Boerhaave doit reconnoître forcément que l’antimoine diaphorétique n’a d’inertie que pour le bien, & point du tout pour le mal. Nous n’entreprenons cependant pas de soûtenir son sentiment ; il avoit l’observation pour lui à la vérité, mais elle ne peut avoir été faite qu’en conséquence d’une préparation susceptible de quelques changemens.

Mender, qui est du sentiment contraire, a bien senti la contradiction évidente qui étoit échappée à Boerhaave ; mais il le combat avec des raisonnemens si peu concluans, qu’on seroit tenté de croire qu’il a tort, pendant que l’expérience a décidé en sa faveur. Avec un pareil garant, nous ne citerons aucune autorité, quoiqu’il y en ait pour lui de très respectables & en fort grand nombre, comme Frédéric Hoffman, &c. mais il y en a aussi contre lui. Il avance donc 1°. qu’il ne faut pas croire qu’une terre insipide n’ait plus de vertu ; puisqu’on voit le contraire de la part du verre d’antimoine & du mercure de vie. 2°. Que d’ailleurs il y a dans l’antimoine diaphorétique, la partie principale du régule : mais on peut répondre à cela que Boerhaave n’attribue aucune vertu à l’antimoine diaphorétique, non-seulement parce qu’il n’a aucune saveur, mais encore parce qu’il est dépouillé de tout principe actif ; ce qui n’est pas également vrai du verre d’antimoine & du mercure de vie, quoique insipides. En second lieu, l’antimoine diaphorétique n’est pas plus actif pour contenir la partie principale du régule, puisque cette même partie est absolument dépouillée du principe du feu qui lui donnoit toute son activité. Voyez à ce sujet les excellentes notes de M. Baron sur Lémery, où les raisons de Mender sont exposées avec netteté, & combattues avec force. Mais si Boerhaave s’est contredit en soûtenant qu’une terre inactive étoit nuisible, & avoit la faculté d’aiguiser la vertu des purgatifs, on peut le concilier avec lui-même, quand il dit que cette terre qui est nuisible, aiguise ; parce qu’il la considere d’abord seule, & ensuite mêlée avec d’autres substances. Ce point a échappé à Mender.

Nous n’irons pas plus loin sans prévenir les objections qu’on pourroit nous faire contre notre opinion, afin d’empêcher qu’on ne tourne contre nous les armes que nous venons de manier contre les autres. On pourroit s’autoriser de l’aveu que nous avons fait, que l’expérience parle pour Mender, pendant que nous convenons que l’antimoine diaphorétique est une terre inerte ; mais on conclura facilement que ces deux propositions n’ont rien qui répugne, si l’on se rappelle que nous avons particulierement insisté sur le lavage à grande eau, comme favorisant la division, & que nous avons avancé que c’étoit cette division qui faisoit tout le mérite de la chaux de l’antimoine. En effet il est aisé de sentir que cette chaux flotera par ce moyen dans les humeurs de nos premieres voies, enfilera l’orifice des veines lactées à la faveur de ce véhicule, & passera dans le sang, où elle produira tous les effets d’un corps dur & inaltérable : ceux de rompre, diviser & atténuer les molécules sanguines & lymphatiques qui pourront s’être réunies pour quelle cause que ce soit, & de procurer aux molécules morbifiques qu’elles en auront détachées, la facilité de parcourir les couloirs qui ne pouvoient les admettre avant ce tems ; ensorte qu’elles pourront être évacuées par les voies ouvertes, comme les vaisseaux perspiratoires, &c.

Mais il n’y a peut-être point de question qui ait été plus agitée, & sur laquelle les sentimens soient plus partagés, que sur l’éméticité du régule d’antimoine, combiné avec les acides végétaux & minéraux. Tout le monde convient que l’antimoine privé de soufre, n’est émétique qu’à proportion de ce que sa partie réguline contient de phlogistique ; puisque l’antimoine diaphorétique qui l’a tout perdu quand il est bien fait, n’est plus émétique. Nous croyons qu’on ne nous taxera pas de supposer ce qui est en question, au sujet de l’antimome diaphorétique : mais il y a des auteurs qui veulent que l’éméticité de la partie réguline, ou de la chaux non-absolue de l’antimoine, soit augmentée par les acides végétaux, & diminuée ou détruite par les acides minéraux. D’autres prétendent le contraire exactement. Les premiers avancent pour soûtenir leur sentiment, que la poudre cornachine vieille est émétique ; parce que la creme de tartre a eu le tems de se combiner avec l’antimoine diaphorétique, qui n’étoit pas émétique avant ; que le sirop de limon, mêlé avec le même antimoine diaphorétique, lui donne de l’éméticité. Ils disent, au contraire, qu’on arrête les effets violens de l’émétique par les acides minéraux. Leurs antagonistes disent pour raison, que les acides végétaux donnés intérieurement, arrêtent tout aussi bien que les minéraux, les effets de l’émétique ; & que ces mêmes acides minéraux produisent un émétique beaucoup plus violent que l’ordinaire, qui est fait avec la creme de tartre, comme cela est évident par le mercure de vie. Je crois qu’on peut concilier l’un & l’autre parti sans coup férir. Il est d’expérience que le régule & le verre d’antimoine donnés en substance, à plus grande dose que le tartre stibié, sont moins émétiques que lui, quoiqu’il n’ait peut-être pas la moitié de son poids de parties-régulines : mais celui-ci n’est plus émétique que parce qu’il est dissous, selon l’union. Il faut donc que le régule & le verre pris intérieurement, subissent une dissolution préalablement à toute action, comme il paroît par les pilules perpétuelles. Peu importe par quel acide que ce soit, minéral, animal ou végétal ; mais il ne faut pas que l’acide végétal soit sur-abondant, car il émane pour lors la vertu émétique. On entend ici par sur-abondant, non-seulement une plus grande quantité d’acide combinée avec la partie réguline, mais encore la présence de cet acide à nud dans l’estomac, qui calme vraissemblablement les convulsions de ce viscere. Il ne faut pas non plus que l’acide minéral enleve tout le phlogistique du régule ; il en fait une terre diaphorétique, comme l’acide nitreux : mais on ne peut pas prendre intérieurement l’acide nitreux, assez concentré pour réduire le régule d’antimoine en chaux. Ce n’est donc pas par cette qualité qu’il agit, non plus que les deux autres, mais en fournissant un acide sur abondant à l’émétique déjà dissous par un acide, de même que cela se passe de la part des acides végétaux, qu’on donne pour le même sujet. Ainsi donc les acides, quels qu’ils soient, développeront l’éméticité de la partie réguline, en la dissolvant & s’y combinant à un juste point de saturation : plus loin, ils l’affoibliront, & calmeront le spasme de l’estomac ; & l’acide nitreux ne fait pas même d’exception ici, parce qu’il faut qu’il soit assez affoibli pour tenir en dissolution cette partie réguline, & être donné intérieurement. Voy. aux articles Fer & Nitre, la dissolution de ce métal par l’acide de ce sel. Quant à l’antimoine diaphorétique, qui devient émétique parce qu’il se trouve uni à la creme de tartre, ou au sirop de limon, c’est qu’il est mal fait, & contient encore quelques parties régulines, qui ont été dissoutes par ces acides ; s’il n’étoit pas émétique avant, c’est parce que les parties régulines n’étoient pas dissoutes, & qu’elles ne pouvoient agir sans cela. Or que l’antimoine diaphorétique, même le mieux fait, recele encore quelques particules régulines, qui auront échappé à l’embrasement ; c’est ce qui paroîtra prouvé par la considération suivante. Il reste ordinairement parmi la chaux de l’antimoine diaphorétique, des grains de régule, qui ne sont nullement calcinés, & qui ressemblent à du plomb granulé ; il peut donc bien y avoir, à plus forte raison, des particules de régule qui se trouvent dans le cas de toutes les nuances de calcination, qui s’étendent depuis le régule jusqu’à la chaux absolue d’antimoine inclusivement. S’il ne se trouvoit point de régule d’antimoine en nature, après la calcination de l’antimoine diaphorétique, notre opinion porteroit à faux, ou du moins ne pourroit pas se prouver, mais elle est pleinement confirmée par son existence ; car si l’opération est insuffisante pour commencer à calciner une portion de régule entier, il suit qu’elle le sera encore plus pour achever de calciner celles auxquelles elle a déjà fait perdre une portion de phlogistique, puisqu’il est plus difficile de détruire ces dernieres portions qui sont les plus tenaces & les plus profondément cachées, que de dissiper les premieres qui sont plus superficielles. Cette derniere considération sert de complément à la preuve de la nécessité du lavage en grande eau, & avertit qu’il ne faut prendre qu’environ la moitié de l’antimoine diaphorétique qu’on a fait ; c’est celle-là seule qui flote par le lavage, comme la litharge broyée à l’eau. Quant au reste qui est composé de parties régulines & de chaux dans différens degrés de calcination, il les faut soûmettre de nouveau à la détonation. Il résulte donc de tout ce que nous avons dit, que pour avoir l’antimoine diaphorétique bien blanc, bien divisé, & dans l’état d’une pure terre, il faut ne lui faire subir qu’une calcination instantanée, mais le laver en grande eau, pour séparer ce qui est diaphorétique d’avec les parties régulines que cette legere calcination n’a pû détruire.

Antimoine diaphorétique, (Pharmacie.) Comme la distinction entre céruse d’antimoine & antimoine diaphorétique, ne consiste guere qu’en une différence de noms, & que les artistes habiles font indifféremment l’un ou l’autre, on les confond & on ne les connoît que sous celui d’antimoine diaphorétique. On a coûtume de garder cette préparation dans les boutiques sous la forme de trochisques. Cette chimérique elégance coûte deux peines, celles de les faire & de les réduire en poudre au besoin ; elle doit être proscrite pour les raisons alléguées. L’antimoine diaphorétique entre dans la poudre cornachine & la poudre absorbante. L’antimoine diaphorétique ne devient point émétique en vieillissant, comme quelques auteurs l’ont avancé. Article de M. de Villiers.


  1. Voir erratum