L’Encyclopédie/1re édition/SUISSE

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SUISSE, on donne ce nom en Bourgogne à la salamandre terrestre. Voyez Salamandre.

Suisse, la, (Géog. mod.) pays d’Europe, séparé de ses voisins par de hautes montagnes. Ses bornes ne sont pas aujourd’hui les mêmes que dans le tems que ce pays étoit connu sous le nom d’Helvétie ; la Suisse moderne est beaucoup plus grande.

L’étendue du pays occupé présentement par les Suisses, par les Grisons & par leurs autres alliés, est proprement entre les terres de l’Empire, de la France & de l’Italie. Il confine vers l’orient avec le Tirol ; vers l’occident, avec la Franche-comté ; vers le nord, avec le Sungtgaw, avec la Forêt-noire & avec une partie de la Suabe ; & vers le midi, avec le duché de Savoie, la vallée d’Aoste, le duché de Milan, & les provinces de Bergame & de Bresce. Ce pays, en le prenant dans sa plus grande largeur, s’étend environ l’espace de deux degrés de latitude, savoir depuis le 45d. 45. jusqu’au-delà du 47. & demi, & il comprend environ quatre degrés de longitude, c’est-à-dire depuis le 24. jusqu’au 28. Sa longueur est conséquemment d’environ 90 lieues de France, & sa largeur de plus de 33.

De cette façon, aujourd’hui comme autrefois, la Suisse est bornée au midi par le lac de Geneve, par le Rhône & par les Alpes, qui la séparent des Vallaisans & du pays des Grisons ; mais à l’occident, elle ne se trouve bornée qu’en partie par le mont Jura, qui s’étend du sud-ouest au nord-est, depuis Geneve jusqu’au Botzberg, en latin Vocetius, comprenant au-delà du Jura le canton de Bâle, avec deux petits pays, qui autrefois étoient hors de la Suisse, & dont les habitans portoient le nom de Rauræci. A l’orient & au nord, elle est encore bornée aujourd’hui par le Rhin, à la réserve de la ville & du canton de Schaffouse, qui sont au-delà de ce fleuve & dans la Suabe.

La Suisse n’est pas seulement séparée de ses voisins, mais quelques cantons le sont l’un de l’autre par des suites de montagnes, qui leur servent également de limites & de fortifications naturelles. Elle est séparée particulierement de l’Italie par une si longue chaîne des Alpes, que l’on ne peut pas aller d’un pays à l’autre sans en traverser quelqu’une. Il n’y a que quatre de ces montagnes par lesquelles on puisse passer de la Suisse en Italie, ou du-moins n’y en a-t-il pas davantage où il y ait des chemins pratiqués communément par les voyageurs. L’une est le mont Cenis, par lequel on passe par la Savoie dans le Piémont ; la seconde est le S. Bernard, entre le pays nommé le bas-Valais & la vallée d’Aoste ; la troisieme est le Sampion, située entre le haut-Valais & la vallée d’Ossola, dans le Milanez ; & la quatrieme est le S. Godard, qui conduit du canton d’Ury à Bellinzona, & aux autres bailliages suisses en Italie, qui faisoient autrefois partie de l’état de Milan. C’est dans cette étendue de pays montagneux, dit le comte d’Hamilton,

Que le plus riant des vallons,
Au-lieu de fournir des melons,
Est un honnête précipice,
Fertile en ronces & chardons ;
L’on y respire entre des monts,
Au sommet desquels la genisse,
Le bœuf, la chevre, & les moutons,
Ne grimpent que par exercice,
Si fatigués, qu’ils ne sont bons
Ni pour l’usage des maisons,
Ni pour offrir en sacrifice.

Il ne faut pourtant pas s’imaginer que ces montagnes soient des rocs nuds, comme celles de Gènes. Elles portent la plûpart de bons pâturages tout l’été, pour des vastes troupeaux de bétail ; & l’on trouve dans certains intervalles des plaines fertiles, & d’une assez grande étendue.

La subtilité de l’air qu’on respire dans la Suisse & les diverses rivieres qui y prennent leur source prouvent que ce pays est extrèmement élevé. L’Adde, le Tésin, la Lintz, l’Aar, la Russ, l’Inn, le Rhône & le Rhin en tirent leur origine. On y peut ajouter le Danube, car quoiqu’à la rigueur il prenne naissance hors des limites de la Suisse, néanmoins c’est dans le voisinage de Schaffouse. La source de l’Ille est près de Bâle, & celle de l’Adige, quoique dans le comté de Tirol, est pourtant sur les confins des Grisons.

Entre le nombre de lacs de la Suisse, ceux de Constance, de Geneve, de Neufchâtel, de Zurich & de Lucerne sont très-considérables ; les deux premiers ont près de 18 lieues de longueur, & quelquefois 2, 3 ou 4 de largeur ; ils sont également beaux & poissonneux.

Jules César est le premier qui ait fait mention du peuple helvétique comme d’une nation. Il rapporte au commencement de ses commentaires la guerre qu’il eut avec les Helvétiens. Pendant son gouvernement des Gaules, ils firent une irruption en Bourgogne, avec le dessein de se transplanter dans un pays plus agréable & plus capable que le leur, de contenir le nombre infini de monde dont ils fourmilloient. Pour exécuter d’autant mieux ce projet, ils brûlerent douze villes qui leur appartenoient, & quatre cens villages, afin de s’ôter toute espérance de retour. Après cela, ils se mirent en marche avec leurs femmes & leurs enfans, faisant en tout plus de trois cens soixante mille ames, dont près de cent mille étoient en état de porter les armes. Ils voulurent se jetter dans le gouvernement de César par la Savoie ; mais ne pouvant passer le Rhône à la vue de son armée qui étoit campée de l’autre côté de ce fleuve, ils changerent de route, & pénétrerent par la Franche-comté. César les poursuivit, & leur livra plusieurs combats avec différens succès, jusqu’à ce qu’à la fin il les vainquit dans une bataille rangée, les obligea de revenir chez eux, & réduisit leur pays à l’obéissance des Romains, le joignant à la partie de son gouvernement, appellé la Gaule celtique.

Ils vécurent sous la domination romaine jusqu’à ce que cet empire même fut déchiré par les inondations des nations septentrionales, & qu’il s’éleva de nouveaux royaumes de ses ruines. L’un de ces royaumes fut celui de Bourgogne, dont la Suisse fit partie jusque vers la fin du xij. siecle. Il arriva pour-lors que ce royaume fut divisé en plusieurs petites souverainetés, sous les comtes de Bourgogne, de Maurienne, de Savoie, de Provence, ainsi que sous les dauphins du Viennois & sous les ducs de Zéringen.

Par ce démembrement, la Suisse ne se trouva plus réunie sous un même chef. Quelques-unes de ses villes furent faites villes impériales. L’empereur Frédéric Barberousse en donna d’autres avec leur territoire (pour les posséder en fief de l’empire), aux comtes de Habspourg, desquels la maison d’Autriche est descendue. D’autres villes suisses, du moins leur gouvernement héréditaire, fut accordé au duc de Zéringen. La race de ces ducs s’éteignit dans le xiij. siecle : ce qui fournit l’occasion aux comtes de Habspourg d’aggrandir leur pouvoir dans tout le pays. Mais ce qui mit la liberté de la Suisse le plus en danger, ce fut le schisme qui partagea si fort l’empire dans le même siecle, lorsqu’Othon IV. & Frédéric II. étoient empereurs à la fois, & alternativement excommuniés par deux papes qui se succéderent. Dans ce désordre tout le gouvernement fut bouleversé, & les villes de la Suisse en particulier sentirent les tristes effets de cette anarchie ; car comme ce pays étoit rempli de nobles & d’ecclésiastiques puissans, chacun y exerça son empire, & tâcha de s’emparer tantôt d’une ville, tantôt d’une autre, sous quelque prétexte que ce fût.

Cette oppression engagea plusieurs villes de la Suisse & de l’Allemagne d’entrer ensemble en confédération pour leur défense mutuelle ; c’est par ce motif que Zurich, Ury & Schwitz conclurent une alliance étroite en 1251. Cependant cette union de villes ne se trouvant pas une barriere suffisante contre la violence de plusieurs seigneurs, la plûpart des villes libres de la Suisse, & entr’autres les trois cantons que je viens de nommer, se mirent sous la protection de Rodolphe de Habspourg, en se réservant leurs droits & leurs franchises.

Rodolphe étant devenu empereur, la noblesse accusa juridiquement les cantons de Schwitz, d’Ury & d’Underwald de s’être soustraits à leur domination féodale, & d’avoir démoli leurs châteaux. Rodolphe qui avoit autrefois combattu avec danger ces petits tyrans, jugea en faveur des citoyens.

Albert d’Autriche, au lieu de suivre les traces de son pere, se conduisit, dès qu’il fut sur le trône, d’une maniere entierement opposée. Il tâcha d’étendre sa puissance sur des pays qui ne lui appartenoient pas, & perdit par sa conduite violente, ce que son prédécesseur avoit acquis par la modération. Ce prince ayant une famille nombreuse, forma le projet de soumettre toute la Suisse à la maison d’Autriche, afin de l’ériger en principauté pour un de ses fils. Dans ce dessein, il nomma un certain Grisler bailli ou gouverneur d’Ury, & un nommé Landerberg, gouverneur de Schwitz & d’Underwald ; c’étoient deux hommes dévoués à ses volontés. Il leur prescrivit de lui soumettre ces trois cantons, ou par la corruption, ou par la force.

Ces deux gouverneurs n’ayant rien pu gagner par leurs artifices, employerent toutes sortes de violences, & exercerent tant d’horreurs & de traitemens barbares, que le peuple irrité n’obtenant aucune justice de l’empereur, & ne trouvant plus de salut que dans son courage, concerta les mesures propres à se délivrer de l’affreux esclavage sous lequel il gémissoit.

Il y avoit trois hommes de ces trois cantons dont chacun étoit le plus accrédité dans le sien, & qui pour cette raison furent les objets principaux de la persécution des gouverneurs ; ils s’appelloient Arnold Melchtal, du canton d’Underwald ; Werner Stauffacher, du canton de Schwitz ; & Walter Furst, de celui d’Ury. C’étoient de bons & d’honnêtes paysans ; mais la difficulté de prononcer des noms si respectables, a nui peut-être à leur célébrité.

Ces trois hommes naturellement courageux, également maltraités des gouverneurs, & unis tous trois par une longue amitié que leurs malheurs communs avoient affermie, tinrent des assemblées secretes, pour délibérer sur les moyens d’affranchir leur patrie, & pour attirer chacun dans leur parti, tous ceux de son canton, auxquels il pourroit se fier, & qu’il sauroit avoir assez de cœur pour contribuer à exécuter les résolutions qu’ils prendroient. Conformément à cette convention, ils engagerent chacun trois amis sûrs dans leur complot, & ces douze chefs devinrent les conducteurs de l’entreprise. Ils confirmerent leur alliance par serment, & résolurent de faire, le jour qu’ils fixerent, un soulevement général dans les trois cantons, de démolir les châteaux fortifiés, & de chasser du pays les deux gouverneurs avec leurs créatures.

Tous les historiens nous apprennent que cette conspiration acquit une force irrésistible par un évenement imprévu. Grisler, gouverneur d’Ury, s’avisa d’exercer un genre de barbarie également horrible & ridicule. Il fit planter sur le marché d’Altorff, capitale du canton d’Ury, une perche avec son chapeau, ordonnant sous peine de la vie, de saluer ce chapeau en se découvrant, & de plier le genou avec le même respect que si lui gouverneur eût été là en personne.

Un des conjurés, nommé Guillaume Tell, homme intrépide & incapable de bassesse, ne salua point le chapeau. Grisler le condamna à être pendu, & par un rafinement de tyrannie, il ne lui donna sa grace, qu’à condition que ce pere, qui passoit pour archer très-adroit, abattroit d’un coup de fleche, une pomme placée sur la tête de son fils. Le pere tira, & fut assez heureux ou assez adroit pour abattre la pomme, sans toucher la tête de son fils. Tout le peuple éclata de joie, & battit des mains d’une acclamation générale. Grisler appercevant une seconde fleche sous l’habit de Tell, lui en demanda la raison, & lui promit de lui pardonner, quelque dessein qu’il eût pu avoir. « Elle t’étoit destinée, lui répondit Tell, si j’avois blessé mon fils. » Cependant effrayé du danger qu’il avoit couru de tuer ce cher fils, il attendit le gouverneur dans un endroit où il devoit passer quelques jours après, & l’ayant apperçu, il le visa, lui perça le cœur de cette même fleche, & le laissa mort sur la place. Il informa sur le champ ses amis de son exploit, & se tint caché jusqu’au jour de l’exécution de leur projet.

Ce jour fixé au premier Janvier 1308, les mesures des confédérés se trouverent si bien prises, que dans le même tems les garnisons des trois châteaux furent arrêtées & chassées sans effusion de sang, les forteresses rasées, & par une modération incroyable dans un peuple irrité, les gouverneurs furent conduits simplement sur les frontieres & relâchés, après en avoir pris le serment qu’ils ne retourneroient jamais dans le pays. Ainsi quatre hommes privés des biens de la fortune & des avantages que donne la naissance, mais épris de l’amour de leur patrie, & animés d’une juste haine contre leurs tyrans, furent les immortels fondateurs de la liberté helvétique ! Les noms de ces grands hommes devroient être gravés sur une même médaille, avec ceux de Mons, des Doria & des Nassau.

L’empereur Albert informé de son désastre, résolut d’en tirer vengeance ; mais ses projets s’évanouirent par sa mort prématurée ; il fut tué à Konigsfeld par son neveu Jean, auquel il détenoit, contre toute justice, le duché de Souabe.

Sept ans après cette avanture qui donna le tems aux habitans de Schwitz, d’Ury & d’Underwald de pourvoir à leur sûreté, l’archiduc Léopold, héritier des états & des sentimens de son pere Albert, assembla une armée de vingt mille hommes, dans le dessein de saccager ces trois cantons rebelles, & de les mettre à feu & à sang. Leurs citoyens se conduisirent comme les Lacédémoniens aux Thermopyles. Ils attendirent, au nombre de cinq cens hommes, la plus grande partie de l’armée autrichienne au pas de Morgarten. Plus heureux que les Lacédémoniens, ils porterent le désordre dans la cavalerie de l’archiduc, en faisant tomber sur elle une grêle affreuse de pierres, & profitant de la confusion, ils se jetterent avec tant de bravoure sur leurs ennemis épouvantés, que leur défaite fut entiere.

Cette victoire signalée ayant été gagnée dans le canton de Schwitz, les deux autres cantons donnerent ce nom à leur alliance, laquelle devenant plus générale, fait encore souvenir par ce seul nom, des succès brillans qui leur acquirent la liberté.

En vain la maison d’Autriche tenta pendant trois siecles de subjuguer ces trois cantons ; tous ses efforts eurent si peu de réussite, qu’au lieu de ramener les trois cantons à son obéissance, ceux-ci détacherent au contraire d’autres pays & d’autres villes du joug de la maison d’Autriche. Lucerne entra la premiere dans la confédération en 1332. Zurich, Glaris & Zug suivirent l’exemple de Lucerne vingt ans après ; Berne qui est en Suisse ce qu’Amsterdam est en Hollande, renforça l’alliance. En 1481 Fribourg & Soleure ; en 1501 Basle & Schaffhouse accrurent le nombre des cantons. En voilà douze. Le petit pays d’Appenzell, qui y fut aggrégé en 1513, fit le treizieme. Enfin les princes de la maison d’Autriche se virent forcés par le traité de Munster de déclarer les Suisses un peuple indépendant. C’est une indépendance qu’ils ont acquise par plus de soixante combats, & que selon toute apparence, ils conserveront long-tems.

Les personnes un peu instruites conviennent que le corps helvétique doit plutôt être appellé la confédération que la république des Suisses, parce que les treize cantons forment autant de républiques indépendantes. Ils se gouvernent par des principes tout differens. Chacun d’eux conserve tous les attributs de la souveraineté, & traite à son gré avec les étrangers ; leur diete générale n’est point en droit de faire des réglemens, ni d’imposer des lois.

Il est vrai qu’il y a tant de liaison entre les treize cantons, que si l’un étoit attaqué, les douze autres seroient obligés de marcher à son secours ; mais ce seroit par la relation que deux cantons peuvent avoir avec un troisieme, & non par une alliance directe, que chacun des treize cantons a avec tous les autres.

Les Suisses ne voulant pas sacrifier leur liberté à l’envie de s’agrandir, ne se mêlent jamais des contestations qui s’élevent entre les puissances étrangeres. Ils observent une exacte neutralité, ne se rendent jamais garans d’aucun engagement, & ne tirent d’autre avantage des guerres qui desolent si souvent l’Europe, que de fournir indifféremment des hommes à leurs alliés, & aux princes qui recourent à eux. Ils croyent être assez puissans, s’ils conservent leurs lois. Ils habitent un pays qui ne peut exciter l’ambition de leurs voisins ; & si j’ose le dire, ils sont assez forts pour se défendre contre la ligue de tous ces mêmes voisins. Invincibles quand ils seront unis, & qu’il ne s’agira que de leur fermer l’entrée de leur patrie, la nature de leur gouvernement républicain ne leur permet pas de faire des progrès au-dehors. C’est un gouvernement pacifique, tandis que tout le peuple est guerrier. L’égalité, le partage naturel des hommes y subsiste autant qu’il est possible. Les lois y sont douces ; un tel pays doit rester libre !

Il ne faut pas croire cependant que la forme du gouvernement républicain soit la même dans tous les cantons. Il y en a sept dont la république est aristocratique, avec quelque mélange de démocratie ; & six sont purement démocratiques. Les sept aristocratiques sont Zurich, Berne, Lucerne, Basle, Fribourg, Soleure, Schafthouse ; les six démocratiques sont Ury, Schwitz, Underwald, Zug, Glaris & Appenzell. Cette différence dans leur gouvernement semble être l’effet de l’état dans lequel chacune de ces républiques se trouva, avant qu’elles fussent érigées en cantons. Car comme les sept premieres ne consisterent chacune que dans une ville, avec peu ou point de territoire, tout le gouvernement résida naturellement dans le bourgeois, & ayant été une fois restraint à leur corps, il y continue toujours, nonobstant les grandes acquisitions de territoires qu’elles ont faites depuis. Au contraire, les six cantons démocratiques n’ayant point de villes ni de villages qui pussent prétendre à quelque prééminence par dessus les autres, le pays fut divisé en communautés, & chaque communauté ayant un droit égal à la souveraineté, on ne put pas éviter de les y admettre également, & d’établir la pure démocratie.

On sait que la Suisse prise pour tout le corps helvétique, comprend la Suisse propre, les alliés des Suisses, & les sujets des Suisses. La Suisse propre est partagée en seize souverainetés, savoir treize cantons, deux petits états souverains, qui sont le comté de Neuf-Châtel & l’abbaye de S. Gall, une république qui est la ville de S. Gall. Les alliés des Suisses sont les Grisons, les Vallaisans & Genève. Les sujets des Suisses sont ceux qui sont hors de la Suisse, ou ceux qui obéissent à plusieurs cantons qui les possedent par indivis.

Il y a des cantons qui sont catholiques, & d’autres protestans. Dans ceux de Glaris & d’Appenzell, les deux religions y regnent également sans causer le moindre trouble.

Je me suis étendu sur la Suisse, & je n’ai dit que deux mots des plus grands royaumes d’Asie, d’Afrique & d’Amérique ; c’est que tous ces royaumes ne mettent au monde que des esclaves, & que la Suisse produit des hommes libres. Je sais que la nature si libérale ailleurs, n’a rien fait pour cette contrée, mais les habitans y vivent heureux ; les solides richesses qui consistent dans la culture de la terre, y sont recueillies par des mains sages & laborieuses. Les douceurs de la société, & la saine philosophie, sans laquelle la société n’a point de charmes durables, ont pénétré dans les parties de la Suisse où le climat est le plus tempéré, & où regne l’abondance. Les sectes de la religion y sont tolérantes. Les arts & les sciences y ont fait des progrès admirables. Enfin dans ces pays autrefois agrestes, on est parvenu en plusieurs endroits à joindre la politesse d’Athènes à la simplicité de Lacédémone. Que ces pays se gardent bien aujourd’hui d’adopter le luxe étranger, & de laisser dormir les lois somptuaires qui le prohibent !

Les curieux de l’histoire des révolutions de la Suisse consulteront les mémoires de M. Bochat, qui forment trois volumes in-4o. Gesner, Scheuchzer & Wagner ont donné l’histoire naturelle de l’Helvétie. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Suisses, privileges des Suisses en France pour leur commerce ; ils peuvent introduire dans le royaume les toiles du cru & de la fabrique de leur pays sans payer aucuns droits. Ce privilege est fondé sur les traités que nous avons faits avec eux depuis le xv. siecle, ainsi que sur plusieurs arrêts & lettres-patentes qui ont encore expliqué & confirmé ce privilege. Le détail de tous ces titres paroît être ici superflu, il suffira d’en donner les dates. Voyez les traités de 1463, 1475, 1512, 1663 & 1715. Voyez les lettres-patentes & les arrêts de 1551, 1571, 1594, 1602, 1658, 1693, 1692 & 1698.

Sous le nom de Suisses, il faut entendre ici non seulement les peuples des Treize Cantons, mais encore les habitans des ville & abbaye de Saint-Gal, du Valais, de la ville de Mulhausen, & enfin ceux des trois ligues grises & de la comté de Neuchatel. Ils composent tous le louable corps helvétique, & jouissent tous en France des mêmes privileges sans aucune distinction.

L’entrée des toiles étrangeres n’est permise dans le royaume que par les villes de Rouen & de Lyon, en prenant pour cette derniere des acquits à caution aux bureaux de Gax ou de Coulonge, suivant un arrêt du 22 Mars 1692. Mais, en faveur des Suisses seulement, le bureau de Saint-Jean-de Losne est ouvert comme les deux autres, par un arrêt de 1698.

La position du territoire des Suisses & de celui de leurs alliés, ne leur permet pas de faire entrer leurs toiles par Rouen ; ainsi ce n’est qu’à Lyon qu’ils exercent leurs droits, après avoir rempli néanmoins certaines formalités.

Ils sont obligés de faire inscrire leurs noms & enregistrer leurs marques au bureau de la douane. Chaque particulier n’y est admis qu’après avoir constaté son origine devant le président en la jurisdiction de la douane, par des certificats authentiques des magistrats des lieux de sa naissance. La vérité de ces certificats doit être attestée avec serment par deux négocians suisses déja inscrits. Ensuite le procureur du roi & le directeur de la douane sont entendus ; & enfin lorsque rien ne s’y oppose, on expédie des lettres d’inscription, dans lesquelles il est défendu au nouvel inscrit de prêter son nom & sa marque, à peine d’être déchu de son privilege.

Il n’y a que ceux des marchands suisses qui ont rempli ces formalités, qui puissent faire entrer leurs toiles à Lyon sans payer des droits. On exige même que les balles de toiles portent l’empreinte de la marque inscrite (qui par conséquent a été envoyée à un correspondant), & qu’elles soient accompagnées des certificats des lieux d’où elles viennent, portant que ces toiles sont du cru & de la fabrique du pays des Suisses, conformément aux arrêts de 1692 & 1698.

Il semble que de la teneur de ces deux arrêts, les Suisses pourroient inférer que leurs basins doivent être exempts de droits d’entrée comme leurs toiles. Mais il est constant que leurs basins payent les droits ordinaires ; peut-être est-ce parce que tout privilege est de droit étroit, & que les basins ne sont point nommés dans ces privileges, ou bien parce que le coton dont ces basins sont en partie composés, empêche que l’on ne puisse les regarder comme marchandises du cru du pays des Suisses.

Par une concession de François I. en l’année 1515, qui est motivée pour services rendus, & entr’autres prêt d’argent, les marchands des villes impériales avoient obtenu quinze jours de délai, au-delà des quinze jours suivant immédiatement chaque foire, pendant lesquels, conformément aux édits de Charles VII. & de Louis XI. les marchandises ne payent à la sortie de Lyon aucun des droits dûs dans les autres tems. Les Suisses qui n’avoient que dix jours de grace, en demanderent quinze comme les Allemands, ce qui leur fut accordé par Henri II. le 8 Mars 1551. Pour jouir de cette faveur, ils doivent se faire inscrire à l’hôtel-de-ville comme ils le sont à la douane pour l’affranchissement des droits d’entrée. La raison en est que ces droits de sortie, qui sont domaniaux, ont été aliénés à la ville de Lyon en 1630.

Voyez sur tout cet objet les différentes histoires des Suisses, ou au moins le recueil de leurs privileges, imprimé chez Saugrain en 1715 ; le mémoire de M. d’Herbigny, intendant de Lyon ; dans l’état de la France, par le comte de Boulainvilliers ; & le recueil des tarifs, imprimé à Rouen en 1758.

Il peut être important d’ajouter ici que les toiles de Suisse, que l’on envoie de France aux îles & colonies françoises, sont assujetties, par l’article 14. du réglement du mois d’Avril 1717, concernant le commerce de nos colonies, aux différens droits dûs à la sortie & dans l’intérieur du royaume d’une province à l’autre. Voyez Provinces réputées étrangeres.

L’article 3. du même réglement, a exempté de tous ces droits, dans le cas de l’envoi aux colonies, les marchandises & les denrées du cru & de la fabrique de France. Mais comme les toiles de Suisse une fois sorties de leurs ballots, n’ont plus rien qui les caractérise, il paroît qu’il seroit aisé de les envoyer à-travers tout le royaume de Lyon à la Rochelle, pour passer à nos colonies comme toiles françoises.

Afin de prévenir tout abus à cet égard, on pourroit exiger que les toiles de Suisse reçussent dans leur pays, ou lors de l’ouverture des balles en France, une marque particuliere & distinctive. Cette idée s’est présentée si naturellement, que j’ai cru devoir l’ajouter à cet article avant de le terminer. Article de M. Brisson, inspecteur des manufactures, & académicien de Ville-Franche en Beaujollois.