La Chanson du vieux marin/7

La bibliothèque libre.
Traduction par Auguste Barbier.
Librairie Hachette et Cie (p. 13-14).


SEPTIÈME PARTIE


This Hermit good lives in that wood
Which slopes down to the sea.
How loudly his sweet voice he rears!
He loves to talk with marineres
That come from a far countree.
Ce bon ermite vit dans le bois qui descend jusqu’à la mer. Comme il fait monter hautement sa douce voix vers le ciel ! Il aime à causer avec les marins revenant des contrées lointaines.

He kneels at morn, and noon, and eve —
He hath a cushion plump:
It is the moss that wholly hides
The rotted old oak-stump.
Il prie le matin, à midi, et le soir, — et, pour prier, il a un coussin bien rondelet. C’est de la mousse qui recouvre entièrement le tronc pourri d’un vieux chêne.

The skiff-boat neared: I heard them talk, 'Why, this is strange, I trow! Where are those lights so many and fair, That signal made but now?' Le canot s’approcha. J’entendis les gens qui le conduisaient dire : — Voilà qui est étrange, en vérité ! Où sont ces lumières si nombreuses et si belles qui tout à l’heure nous faisaient des signes ?

'Strange, by my faith!' the Hermit said —
'And they answered not our cheer!
The planks looked warped! and see those sails,
How thin they are and sere!
I never saw aught like to them,
Unless perchance it were
— C’est vraiment étrange ! dit l’ermite. Elles n’ont pas répondu à notre appel. Voyez ces planches déjetées, voyez ces voiles, comme elles sont usées et flétries. Je n’en ai jamais vu de semblables.

Brown skeletons of leaves that lag
My forest-brook along;
When the ivy-tod is heavy with snow,
And the owlet whoops to the wolf below,
That eats the she-wolf’s young.'
Je ne puis les comparer qu’aux feuilles jaunes qui jonchent les bords du ruisseau de mon bois, quand les rameaux du lierre sont chargés de neige et quand le hibou hurle au loup qui, par-derrière, mange le petit de la louve.

'Dear Lord! it hath a fiendish look —
(The Pilot made reply)
I am a-feared'—'Push on, push on!'
Said the Hermit cheerily.
— Cher Seigneur Dieu ! cela a un mauvais aspect, répliqua le pilote… Je suis tout effrayé. — Pousse au vaisseau, pousse… dit hardiment l’ermite.

The boat came closer to the ship,
But I nor spake nor stirred;
The boat came close beneath the ship,
And straight a sound was heard.
Le canot vint plus près du navire, mais je ne parlai ni ne bougeai. Lorsqu’il fut tout à fait sous le vaisseau, un bruit soudain se fit entendre.

Under the water it rumbled on,
Still louder and more dread:
It reached the ship, it split the bay;
The ship went down like lead.
Ce fut d’abord un grondement sous l’onde qui devint de plus en plus profond et terrible. Il arriva jusqu’au navire, il ouvrit l’eau du golfe, puis le vaisseau s’enfonça dans la mer comme un plomb.

Stunned by that loud and dreadful sound,
Which sky and ocean smote,
Like one that hath been seven days drowned
My body lay afloat;
But swift as dreams, myself I found
Within the Pilot’s boat.
Étourdi par ce bruit épouvantable qui ébranlait le ciel et l’océan, je restai flottant sur les flots comme un homme qui a été submergé depuis sept jours ; mais, aussi promptement qu’en un rêve, je me trouvai dans le canot du pilote.

Upon the whirl, where sank the ship,
The boat spun round and round;
And all was still, save that the hill
Was telling of the sound.
Sur le tourbillon où plongea le navire, le canot fit plusieurs tours ; puis tout redevint calme, excepté la colline qui retentissait encore du bruit.

I moved my lips — the Pilot shrieked
And fell down in a fit;
The holy Hermit raised his eyes,
And prayed where he did sit.
Je remuai les lèvres, le pilote poussa un cri et tomba en défaillance. Le saint ermite leva les yeux et se mit à prier à l’endroit où il était assis.

I took the oars: the Pilot’s boy,
Who now doth crazy go,
Laughed loud and long, and all the while His eyes went to and fro.
'Ha! ha!' quoth he, 'full plain I see,
The Devil knows how to row.'
Je pris les rames ; — le mousse, qui maintenant est quasi fou, poussa de longs et forts éclats de rire, et, tournant les yeux de côté et d’autre, se mit à dire : — Ha ! ah ! je vois pleinement que le diable s’y connaît à ramer.

And now, all in my own countree,
I stood on the firm land!
The Hermit stepped forth from the boat,
And scarcely he could stand.
Et maintenant me voilà dans mon propre pays, sur la terre ferme. L’ermite sortit du canot ; à peine pouvait-il se tenir sur ses jambes.

'O shrieve me, shrieve me, holy man!'
The Hermit crossed his brow.
'Say quick,' quoth he, 'I bid thee say —
What manner of man art thou?'
Oh ! confesse-moi, confesse-moi, saint homme ! lui dis-je. L’ermite se signa. – Dis vite !… répondit-il, je l’ordonne, dis vite quelle espèce d’homme tu es ?

Forthwith this frame of mine was wrenched
With a woful agony,
Which forced me to begin my tale;
And then it left me free.
Au même instant mon être fut tourmenté par une douloureuse agonie qui me força de commencer mon histoire. Quand je l’eus terminée, je sentis mon cœur déchargé d’un grand poids.

Since then, at an uncertain hour,
That agony returns:
And till my ghastly tale is told,
This heart within me burns.
Depuis, à une heure incertaine, cette agonie me reprend, et jusqu’à ce que mon affreuse histoire soit dite, le cœur me brûle intérieurement.

I pass, like night, from land to land;
I have strange power of speech;
That moment that his face I see,
I know the man that must hear me:
To him my tale I teach.
Je passe, comme la nuit, de terre en terre : j’ai une étrange puissance de parole. Du moment que j’ai vu sa figure, je sais l’homme qui doit m’écouter, et je lui apprends mon histoire.

What loud uproar bursts from that door!
The wedding-guests are there:
But in the garden-bower the bride
And bride-maids singing are:
And hark the little vesper bell,
Which biddeth me to prayer!
Mais quel vacarme sort de cette porte ? Tous les gens de la noce sont là. Sous la treille du jardin, la mariée et les compagnes de la mariée chantent. Silence ! la petite cloche du soir m’ordonne de prier.

O Wedding-Guest! this soul hath been
Alone on a wide wide sea:
So lonely 'twas, that God himself
Scarce seemed there to be.
Ô garçon de noce ! cette âme a été seule sur la vaste, la vaste mer, et cette mer était si solitaire que c’est à peine si Dieu lui-même semblait y être.

O sweeter than the marriage-feast,
'Tis sweeter far to me,
To walk together to the kirk
With a goodly company! —
Ah ! s’il est doux d’être d’une fête de mariage, il est encore plus doux pour moi d’aller à l’église en bonne compagnie ! —

To walk together to the kirk,
And all together pray,
While each to his great Father bends,
Old men, and babes, and loving friends And youths and maidens gay!
D’aller à l’église en compagnie et d’y prier en compagnie, au milieu de gens qui s’inclinent devant le Père suprême, vieillards, enfants, bons amis, gais jeunes gens et joyeuses jeunes filles !

Farewell, farewell! but this I tell
To thee, thou Wedding-Guest!
He prayeth well, who loveth well
Both man and bird and beast.
Adieu, adieu ! mais je te dis ceci, garçon de noce ! il prie bien, celui qui aime bien tout à la fois hommes, oiseaux et bêtes.

He prayeth best, who loveth best
All things both great and small;
For the dear God who loveth us,
He made and loveth all.
Il prie le mieux, celui qui aime le mieux toutes choses, grandes et petites, car le cher Dieu, qui nous aime, les fit toutes et les aime toutes.

The Mariner, whose eye is bright,
Whose beard with age is hoar,
Is gone: and now the Wedding-Guest
Turned from the bridegroom’s door.
Sur ce, le marin à l’œil brillant et à la barbe blanchie par l’âge s’éloigne. Le garçon de noce quitte à son tour la porte du marié.

He went like one that hath been stunned,
And is of sense forlorn:
A sadder and a wiser man,
He rose the morrow morn.
Il s’en alla comme un homme étourdi et qui a perdu le sens. Le lendemain matin, il se leva plus triste, mais plus sage.

Illustration de Gustave Doré
Illustration de Gustave Doré