La Chanson du vieux marin/8

La bibliothèque libre.
Traduction par Auguste Barbier.
Librairie Hachette et Cie (p. 15-91).
Illustrations

 Par ta longue barbe grise et ton œil brillant,
↑ Pourquoi m’arrêtes-tu ?

 Le garçon de noce s’assit sur une pierre.
↑ Il ne peut s’empêcher d’écouter.

 La mariée est entrée dans la salle du banquet,
↑ Vermeille comme une rose.

 Le navire fuyait sous le mugissement de la tempête
↑ Et nous courions toujours vers le sud.

 Alors arrivèrent ensemble brouillard et neige
↑ Et il fit un froid extrême.

 La glace était ici, la glace était là,
↑ La glace était tout autour de nous.

 L’oiseau eut de nos mains une nourriture
↑ Comme il n’en eut jamais.

 Avec mon arbalète
↑ Je tuai l’Albatros.

 J’avais fait une chose infernale :
↑ Cela devait nous porter malheur.

 L’eau, l’eau, était partout,
↑ Et nous n’avions pas une goutte d’eau à boire.

 Autour de nous, en troupe et en cercle,
↑ Des feux de mort dansaient à la nuit.

 À neuf brasses, au-dessous de la mer,
↑ L’Esprit nous avait suivis depuis la région de brouillard et de neige.

 Une tache, un brouillard, une forme, que sais-je ?
↑ Et cela toujours approchait, approchait

 Le jeu est fini, j’ai gagné, j’ai gagné,
↑ Dit-elle, et elle siffla trois fois.

 Chacun tourna son visage vers moi
↑ Et dans une angoisse affreuse me maudit, du regard.

 Et pas un saint ne prit pitié
↑ De mon âme à l’agonie.

 Je regardai la mer en putréfaction
↑ Et détournai mes yeux de ce spectacle.

 Sept, jours et sept nuits je vis cette malédiction
↑ Et je ne pouvais mourir.

 La lune mobile monta dans le ciel

 Au delà de l’ombre du navire
↑ J’aperçus des serpents d’eau.

 Et la pluie tomba d’un noir nuage.

 Ils gémirent, s’agitèrent, puis ils se levèrent,
↑ Mais sans parler et sans remuer les yeux.

 La musique cessa ; cependant les voiles
↑ Résonnèrent agréablement jusqu’au milieu du jour.

 Cela fit refluer le sang à ma tête si fort
↑ Que je tombai évanoui sur le pont.

 Au fond de mon âme, j’entendis
↑ Le bruit distinct de deux voix dans les airs.

 Mais pourquoi ce vaisseau marche-t-il si vite
↑ Sans impulsion de vagues et de vent ?

 Sur la baie se répandaient les clartés de la lune.

 Beaucoup de ces figures qui n’étaient que des fantômes,
↑ Se colorèrent de teintes rouges.

 Cette troupe de séraphins agitaient les mains ;
↑ C’était un divin spectacle.

 Il y eut d’abord un grondement sous l’onde
↑ Qui devint de plus en plus profond et terrible.

 Sur le tourbillon où plongea le navire
↑ Le canot fit plusieurs tours.

 Je remuai les lèvres : le pilote poussa un cri
↑ Et tomba en défaillance.

 Oh ! confesse-moi, confesse-moi, saint homme !

 Je passe comme la nuit, de terre en terre :
↑ J’ai une étrange puissance de parole.

 Du moment que j’ai vu sa figure,
↑ Je sais l’homme qui doit m’écouter.

 Quel vacarme sort de cette porte ?
↑ Tous les gens de la noce sont là.

 Cette mer était si solitaire que c’est à peine
↑ Si Dieu lui-même semblait y être.

 Le marin à l’œil brillant et à la barbe
↑ Blanchie par l’âge, s’éloigna.