La Chasse au Météore/Chapitre VII

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Hetzel (p. 66-75).

VII

Dans lequel on verra Mrs Hudelson très chagrine de l’attitude du docteur, et où l’on entendra la bonne Mitz rabrouer son maître d’une belle manière.

À ces plaisanteries du Whaston Punch, que répondirent Mr Dean Forsyth et le docteur Hudelson ? Rien du tout, et cela pour l’excellente raison qu’ils ignorèrent l’article de l’irrespectueux journal. Ignorer les choses désagréables que l’on peut dire de nous, c’est encore le plus sûr moyen de n’en pas souffrir, eût dit M. de la Palisse avec une incontestable sagesse. Toutefois, ces moqueries plus ou moins spirituelles sont peu agréables pour ceux qu’elles visent, et si, dans l’espèce, les personnes visées n’en eurent point connaissance, il n’en fut pas de même de leurs parents et de leurs amis. Mitz particulièrement était furieuse. Accuser son maître d’avoir attiré ce bolide qui menaçait la sécurité publique !… À l’entendre, Mr Dean Forsyth devrait poursuivre l’auteur de l’article, et le juge John Proth saurait bien le condamner à de gros dommages et intérêts, sans parler de la prison qu’il méritait pour ses calomnieuses insinuations.

Quant à la petite Loo, elle prit la chose au sérieux, et, sans hésiter, donna raison au Whaston Punch.

« Oui, il a raison, disait-elle. Pourquoi Mr Forsyth et papa se sont-ils avisés de découvrir ce maudit caillou ? Sans eux, il serait passé inaperçu, comme tant d’autres qui ne nous ont point fait de mal. »

Ce mal ou plutôt ce malheur auquel pensait la fillette, c’était l’inévitable rivalité qui allait exister entre l’oncle de Francis et le père de Jenny, avec toutes ses conséquences, à la veille d’une union qui devait resserrer plus étroitement encore les liens unissant les deux familles.

Les craintes de miss Loo étaient fondées, et ce qui devait arriver arriva. Tant que Mr Dean Forsyth et le docteur Hudelson n’avaient eu que des soupçons réciproques, aucun éclat ne s’était produit. Si leurs rapports s’étaient refroidis, s’ils avaient évité de se rencontrer, les choses, du moins, n’avaient pas été plus loin. Mais, à présent, depuis la note de l’observatoire de Boston, il était publiquement établi que la découverte du même météore appartenait aux deux astronomes de Whaston. Qu’allaient-ils faire ? Chacun d’eux revendiquerait-il la priorité de cette découverte ? Y aurait-il à ce sujet des discussions privées, ou même de retentissantes polémiques auxquelles la presse whastonienne donnerait certainement une hospitalité complaisante ?

On ne savait, et l’avenir seul répondrait à ces questions. Le certain, en tout cas, c’est que, ni Mr Dean Forsyth, ni le docteur Hudelson ne faisaient plus la moindre allusion au mariage, dont la date approchait trop lentement au gré des deux fiancés. Lorsqu’on en parlait devant l’un ou devant l’autre, ils avaient toujours oublié quelque circonstance qui les rappelait à l’instant dans leur observatoire. C’était là, d’ailleurs, qu’ils passaient le plus clair de leur temps, chaque jour plus préoccupés et plus absorbés encore.

En effet, si le météore avait été revu par des astronomes officiels, c’est en vain que Mr Dean Forsyth et le docteur Hudelson cherchaient à le retrouver. S’était-il donc éloigné à une distance trop considérable pour la portée de leurs instruments ? Hypothèse après tout plausible, que rien toutefois ne permettait de vérifier. Aussi, ils ne se départissaient pas d’une surveillance incessante, de jour, de nuit, profitant de toutes les éclaircies du ciel. Si cela continuait, ils finiraient par tomber malades.

Tous deux s’épuisaient en vains efforts pour calculer les éléments de l’astéroïde, dont ils s’entêtaient respectivement à s’estimer l’unique et exclusif inventeur. Il y avait là une chance sérieuse de solutionner leur différend. Des deux astronomes ex æquo, le plus actif mathématicien pouvait encore obtenir la palme.

Mais leur unique observation avait été de trop courte durée pour donner à leurs formules une base suffisante. Une autre observation, plusieurs peut-être seraient nécessaires, avant qu’il fût possible de déterminer avec certitude l’orbite du bolide. C’est pourquoi Mr Dean Forsyth et le docteur Hudelson, chacun redoutant d’être distancé par son rival, surveillaient le ciel avec un zèle pareil et pareillement stérile. Le capricieux météore ne reparaissait pas sur l’horizon de Whaston, ou, s’il y reparaissait, c’était dans le plus rigoureux incognito.

L’humeur des deux astronomes se ressentait de la vanité de leurs efforts. On ne pouvait les approcher. Vingt fois par jour, Mr Dean Forsyth se mettait en colère contre Omicron, qui lui répondait sur le même ton. Quand au docteur, s’il en était réduit à passer sa colère sur lui-même, il ne s’en faisait pas faute.

Dans ces conditions, qui se fût avisé de parler de contrat de mariage et de cérémonie nuptiale ?

Cependant trois jours s’étaient écoulés depuis la publication de la note envoyée aux journaux par l’observatoire de Boston. L’horloge céleste, dont le soleil est l’aiguille, eût sonné le 22 avril, si le Grand Horloger avait pensé à la munir d’un timbre. Encore une vingtaine de jours, et la grande date naîtrait à son tour, bien que Loo prétendît, dans son impatience, qu’elle n’existait pas dans le calendrier.

Convenait-il de rappeler à l’oncle de Francis Gordon et au père de Jenny Hudelson ce mariage dont ils ne parlaient pas plus que s’il n’eût jamais dû se faire ? Mrs Hudelson fut d’avis qu’il valait mieux garder le silence à l’égard de son mari. Il n’avait point à s’occuper des préparatifs de la noce… pas plus qu’il ne s’occupait de son propre ménage. Au jour venu, Mrs Hudelson lui dirait tout bonnement :

« Voilà ton habit, ton chapeau, et tes gants. Il est l’heure de se rendre à Saint-Andrew. Offre-moi ton bras et partons. »

Il irait, assurément, sans même s’en rendre compte, à la seule condition que le météore ne vînt pas à passer juste à ce moment-là devant l’objectif de son télescope !

Mais si l’avis de Mrs Hudelson prévalut dans la maison de Moriss street, si le docteur ne fut point mis en demeure de s’expliquer sur son attitude vis-à-vis de Mr Dean Forsyth, celui-ci fut rudement attaqué. Mitz ne voulut rien écouter. Furieuse contre son maître, elle entendait, disait-elle, lui parler entre quatre-z-yeux et tirer au clair cette situation tellement tendue que le moindre incident risquait de provoquer une rupture entre les deux familles. Quelles n’en seraient pas les conséquences ? Mariage retardé, rompu peut-être, désespoir des deux fiancés, et spécialement de son cher Francis, son « fieu », comme elle avait coutume de l’appeler, selon une vieille coutume familière et tendre. Que pourrait faire le pauvre jeune homme, après un éclat public qui aurait rendu toute réconciliation impossible ?

Aussi, dans l’après-midi du 22 avril, se trouvant seule avec Mr Dean Forsyth dans la salle à manger, entre quatre-z-yeux conformément à ses désirs, elle arrêta son maître au moment où celui-ci se dirigeait vers l’escalier de la tour.

On sait que Mr Forsyth redoutait de s’expliquer avec Mitz. Généralement, il ne l’ignorait pas, ces explications ne tournaient point à son avantage ; il jugeait donc plus sage de ne pas s’y exposer.

En cette occasion, après avoir regardé en dessous le visage de Mitz, lequel lui fit l’effet d’une bombe dont la mèche brûle et qui ne tardera pas à éclater, Mr Dean Forsyth, désireux de se mettre à l’abri des effets de l’explosion, battit en retraite vers la porte. Mais, avant qu’il en eût tourné le bouton, la vieille servante s’était mise en travers, et, ses yeux dardés sur ceux de son maître dont le regard fuyait peureusement :

« Monsieur, dit-elle, j’ai à vous parler.

— À me parler, Mitz ? C’est que je n’ai guère le temps en ce moment.

Ma fine ! moi non plus, monsieur, vu que j’ai à faire toute la vaisselle du déjeuner. Vos tuyaux peuvent pardi bien attendre comme mes assiettes.

— Et Omicron ?… Il m’appelle, je crois.

— Votre ami Krone ?… Encore un joli coco, celui-là !… Il aura de mes nouvelles un de ces quatre matins, votre ami Krone. Vous pouvez l’en prévenir. Comme dit l’autre, la bonne entend l’heure et te salue ! Répétez-lui cela, mot pour mot, monsieur.

— Je n’y manquerai pas, Mitz. Mais mon bolide ?

Beau lide ?… répéta Mitz. Je ne sais pas ce que c’est, mais, quoi que vous en disiez, monsieur, ça ne doit pas être beau, si c’est cette affaire-là qui depuis quelque temps vous a mis un caillou à la place du cœur.

— Un bolide, Mitz, expliqua patiemment Mr Dean Forsyth, c’est un météore, et…

— Ah ! s’écria Mitz, c’est le fameux met dehors !… Eh bien, il fera comme l’ami Krone, il attendra, le met dehors !

— Par exemple ! s’écria Mr Forsyth, touché au point sensible.

— D’ailleurs, reprit Mitz, le temps est couvert, il va tomber de l’eau, et ce n’est pas le moment de vous amuser à regarder la lune. »

C’est vrai, et, dans cette persistance du mauvais temps, il y avait de quoi rendre enragés Mr Forsyth et le docteur Hudelson. Depuis quarante-huit heures, le ciel était envahi par d’épais nuages. Le jour, pas un rayon de soleil, la nuit pas un rayonnement d’étoiles. De blanches vapeurs se tordaient d’un horizon à l’autre, comme un voile de crêpe que la flèche du clocher de Saint-Andrew crevait parfois de sa pointe. Dans ces conditions, impossible d’observer l’espace, de revoir le bolide si vivement disputé. On devait même tenir pour probable que les circonstances atmosphériques ne favorisaient pas davantage les astronomes de l’État de l’Ohio ou de l’État de Pennsylvanie, non plus que ceux des autres observatoires de l’Ancien et du Nouveau Continent. En effet, aucune nouvelle note concernant l’apparition du météore n’avait paru dans les journaux. Il est vrai que ce météore ne présentait pas un intérêt tel que le monde scientifique dût s’en émouvoir. Il s’agissait là d’un fait cosmique assez banal en somme, et il fallait être un Dean Forsyth ou un Hudelson pour en guetter le retour avec cette impatience, qui, chez eux, tournait à la rage.

Mitz, lorsque son maître eut bien constaté l’impossibilité absolue de lui échapper, reprit en ces termes, après s’être croisé les bras :

« Mr Forsyth, auriez-vous par hasard oublié que vous avez un neveu qui s’appelle Francis Gordon ?

— Ah ! ce cher Francis, répondit Mr Forsyth en hochant la tête d’un air bonhomme. Mais non, je ne l’oublie pas… Et comment va-t-il, ce brave Francis ?

— Très bien, merci, monsieur.

— Il me semble que je ne l’ai pas vu depuis un certain temps ?

— En effet, depuis le déjeuner.

— Vraiment !…

— Vous avez donc vos yeux dans la lune, monsieur ? demanda Mitz, en obligeant son maître à se retourner vers elle.

— Que non ! ma bonne Mitz !… Mais que veux-tu ? Je suis un peu préoccupé…

— Préoccupé au point que vous paraissez avoir oublié une chose importante…

— Oublié une chose importante ?… Et laquelle ?

— C’est que votre neveu va se marier.

— Se marier !… Se marier !

— N’allez-vous pas me demander de quel mariage il s’agit ?

— Non, Mitz !… Mais à quoi tendent ces questions ?

— Belle malice !… Il ne faut pas être sorcier pour savoir qu’on fait une question pour avoir une réponse.

— Une réponse à quel sujet, Mitz ?

— Au sujet de votre conduite, monsieur, envers la famille Hudelson !… Car vous n’ignorez pas qu’il y a une famille Hudelson, un docteur Hudelson, qui demeure Moriss street, une Mrs Hudelson, mère de miss Loo Hudelson et de miss Jenny Hudelson, fiancée de votre neveu ? »

À mesure que ce nom de Hudelson s’échappait, en prenant chaque fois plus de force, de la bouche de Mitz, Mr Dean Forsyth portait la main à sa poitrine, à son côté, à sa tête, comme si ce nom, faisant balle, l’avait frappé à bout portant. Il souffrait, il suffoquait, le sang lui montait à la tête. Voyant qu’il ne répondait pas :

« Eh bien ! avez-vous entendu ? insista Mitz.

— Si j’ai entendu ! s’écria son maître.

— Eh bien ?… répéta la vieille servante en forçant sa voix.

— Francis pense donc toujours à ce mariage ? dit enfin Mr Forsyth.

— S’il y pense ! affirma Mitz, mais comme il pense à respirer, le cher petit ! Comme nous y pensons tous, comme vous y pensez vous-même, j’aime à le croire !

— Quoi ! mon neveu est toujours décidé à épouser la fille de ce docteur Hudelson ?

— Miss Jenny, s’il vous plaît, monsieur ! Je vous en donne mon billet, monsieur, qu’il l’est, décidé ! Pardine, il faudrait qu’il ait perdu la boussole pour ne pas l’être, décidé ! Comment trouverait-il une fiancée plus gentille, une jeunesse plus charmante ?…

— En admettant, interrompit Mr Forsyth, que la fille de l’homme qui… de l’homme que… de l’homme, enfin, dont je ne puis prononcer le nom sans qu’il m’étouffe, puisse être charmante.

— C’est trop fort ! s’écria Mitz, qui dénoua son tablier comme si elle allait le rendre.

— Voyons… Mitz… voyons », murmura son maître quelque peu inquiet d’une attitude si menaçante.

La vieille servante brandit son tablier, dont le cordon pendait jusqu’à terre.

« C’est tout vu, déclara-t-elle. Après cinquante années de service, je m’en irai plutôt pourrir dans mon coin comme un chien galeux, mais je ne resterai pas chez un homme qui déchire son propre sang. Je ne suis qu’une pauvre servante, mais j’ai du cœur, monsieur… moi !

— Ah çà, Mitz, répliqua Mr Dean Forsyth piqué au vif, tu ignores donc ce qu’il m’a fait, cet Hudelson ?

— Qu’est-ce qu’il vous a donc tant fait ?

— Il m’a volé !

— Volé ?

— Oui volé, abominablement volé !…

— Et que vous a-t-il volé ?… votre montre ?… votre bourse ?… votre mouchoir ?…

— Mon bolide !

— Ah ! encore votre beau lide ! s’écria la vieille servante, en ricanant de la façon la plus ironique et la plus désagréable pour Mr Forsyth. Il y a longtemps qu’on n’en avait parlé, de votre fameux met dehors ! C’est-y Dieu possible de se mettre dans des états pareils pour une machine qui se promène !… Votre beau lide, est-ce qu’il était à vous plus qu’à Mr Hudelson ? Avez-vous mis votre nom dessus ? Est-ce qu’il n’appartient pas à tout le monde, à n’importe qui, à moi, à mon chien, si j’en avais un… mais, grâce au ciel, je n’en ai pas !… Est-ce que vous l’auriez acheté de votre poche, ou bien est-ce qu’il vous serait venu par héritage ?…

— Mitz !… cria Forsyth qui ne se possédait plus.

— Il n’y a pas de Mitz ! affirma la vieille servante dont l’exaspération débordait. Pardine, il faut être bête comme Saturne pour se brouiller avec un vieil ami à propos d’un sale caillou qu’on ne reverra jamais plus.

— Tais-toi ! tais-toi ! protesta l’astronome touché au cœur.

— Non, monsieur, non je ne me tairai pas, et vous pouvez appeler votre bêta d’ami Krone à votre aide…

« Et bien il attendra. » (Page 69.)

— Bêta d’Omicron !

— Oui bêta, et il ne me fera pas taire… pas plus que notre Président lui-même ne pourrait imposer silence à l’archange qui viendrait de la part du Tout-Puissant annoncer la fin du monde ! »

Mr Dean Forsyth fut-il absolument interloqué en entendant cette terrible phrase, son larynx s’était-il rétréci au point de ne plus donner passage à la parole, sa glotte paralysée ne pouvait-elle plus émettre un son ? Ce qui est certain, c’est qu’il ne parvint pas à répondre. Eût-il même voulu, au paroxysme de la colère, flanquer à la porte sa fidèle mais acariâtre Mitz, qu’il lui aurait été impossible de prononcer le traditionnel : « Sortez !… sortez à l’instant, et que je ne vous revoie plus ! »

Mitz, d’ailleurs, ne lui eût point obéi. Ce n’est pas après cinquante ans de service qu’une servante se sépare, à propos d’un malencontreux météore, du maître qu’elle a vu venir au monde.

Cependant il était temps que cette scène prit fin. Mr Dean Forsyth, comprenant qu’il n’aurait pas le dessus, cherchait à battre en retraite sans que ce mouvement ressemblât trop à une fuite.

Ce fut le soleil qui lui vint en aide. Le temps s’éclaircit soudain, un vif rayon pénétra à travers les vitres de la fenêtre qui s’ouvrait sur le jardin.

À ce moment, sans nul doute, le docteur Hudelson était sur son donjon, telle est la pensée qui vint aussitôt à Mr Dean Forsyth. Il voyait son rival, profitant de cette éclaircie, l’œil à l’oculaire de son télescope et parcourant les hautes zones de l’espace !…

Il n’y put tenir. Ce rayon de soleil faisait sur lui le même effet que sur un ballon rempli de gaz. Il le gonflait, il accroissait sa force ascensionnelle, l’obligeait à s’élever dans l’atmosphère.

Mr Dean Forsyth, jetant, comme du lest, — ceci pour achever la comparaison — toute la colère amassée en lui, se dirigea vers la porte.

Malheureusement, Mitz était devant, et ne semblait point disposée à lui livrer passage. Serait-il donc dans la nécessité de la prendre par le bras, d’engager une lutte avec elle, de recourir à l’assistance d’Omicron ?…

Il ne fut pas obligé d’en arriver à cette extrémité. À n’en pas douter, la vieille servante était très éprouvée par l’effort qu’elle venait de faire. Bien qu’elle eût assez l’habitude de morigéner son maître, jamais jusqu’alors elle n’y avait mis une telle impétuosité.

Fut-ce l’effort physique nécessité par cette violence, fut-ce la gravité du sujet de la discussion, sujet des plus palpitants puisqu’il s’agissait du bonheur futur de son cher « fieu », toujours est-il que Mitz se sentit tout à coup défaillir et s’écroula lourdement sur une chaise.

Mr Dean Forsyth, il faut le dire à sa louange, en délaissa soleil, ciel bleu et météore. Il s’approcha de sa vieille servante et s’enquit avec sollicitude de ce qu’elle éprouvait.

« Je ne sais pas, monsieur. J’ai comme qui dirait l’estomac retourné.

— L’estomac retourné ? répéta Mr Dean Forsyth, ahuri par cette maladie en vérité assez singulière.

— Oui, monsieur, affirma Mitz d’une voix dolente. C’est un nœud que j’ai au cœur.

— Hum !… » fit Mr Dean Forsyth dont cette deuxième explication n’atténuait pas la perplexité.

À tout hasard, il allait donner à la malade les soins les plus usuels en pareille circonstance : relâchement du corsage, vinaigre sur le front et les tempes, verre d’eau sucrée…

Il n’en eut pas le temps.

La voix d’Omicron retentit au sommet de la tour :

« Le bolide, monsieur ! criait Omicron. Le bolide ! »

Mr Dean Forsyth oublia le reste de l’univers et se précipita dans l’escalier.

Il n’avait pas disparu, que Mitz avait retrouvé la plénitude de ses forces et s’était élancée à la suite de son maître. Tandis que celui-ci s’élevait rapidement, sautant trois par trois les marches en spirale, la voix de sa servante le poursuivait, vengeresse :

« Mr Forsyth, disait Mitz, rappelez-vous bien que le mariage de Francis Gordon et de Jenny Hudelson se fera, et qu’il se fera exactement à la date convenue. Il se fera, Mr Forsyth, ou — et cette alternative ne manquait pas de saveur dans la bouche de l’estimable Mitz — ou j’y perdrai mon latin. »

Mr Dean Forsyth ne répondit pas, n’entendit pas. En bonds précipités, Mr Dean Forsyth montait l’escalier de la tour.