La Géologie et la Minéralogie dans leurs rapports avec la théologie naturelle/Chapitre 15

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Chapitre XV.


L’intelligence qui a présidé à la création est démontré par les débris fossiles appartenant à l’embranchement des mollusques.


SECTION I.


COQUILLES FOSSILES UNIVALVES ET BIVALVES.


Nous n’avons que peu de moyens d’arriver à connaître la structure anatomique des nombreuses tribus éteintes appartenant au grand embranchement des mollusques. Leurs organes mous et périssables ont disparu presque complètement, et leurs coquilles extérieures sont, avec un appareil interne de même nature qui n’existe que dans un petit nombre de cas, les seuls témoignages qui nous restent de l’existence de ces êtres dont les myriades occupaient les anciennes eaux.

Nous devons à la résistance qu’opposent à la destruction les enveloppes calcaires sécrétées par ces animaux de pouvoir asseoir notre étude des coquilles fossiles sur les bases mêmes de la conchyliologie actuelle ; mais le plan que nous nous sommes imposé pour le présent essai nous défend d’entreprendre autre chose qu’une revue générale de l’histoire de l’économie organique des créatures auxquelles ces coquilles ont appartenu.

Les couches de transition les plus anciennes où l’on rencontre quelques traces de vie renferment des coquilles univalves et bivalves de plusieurs formes différentes entre elles, en même temps que de nombreux débris d’animaux articulés et rayonnés. Parmi ces coquilles, il en est qui sont tellement pareilles à des espèces actuellement existantes qu’il nous est permis d’en conclure qu’elles ont dû être créées pour les mêmes fonctions, et qu’elles ont recouvert des animaux dont les formes et les habitudes étaient les mêmes que celles des animaux qui habitent les coquilles de nos mers dans lesquelles nous observons les mêmes modifications[1].

Toutes les coquilles simples turbinées appartiennent à des mollusques d’un degré plus élevé que les conchifères, dont les coquilles sont bivales ; les premiers ont une tête et des yeux, les conchifères sont dépourvus de ces deux importans appareils, et ne possèdent, même à un degré inférieur, que les seuls sens du toucher et du goût. Ainsi, les mollusques qui habitent les coquilles de la patelle et du buccin sont des animaux d’un ordre plus élevé que le conchifère inclus entre les deux valves de la moule ou de l’huître.

Lamarck a divisé son ordre des Trachelipodes[2] en deux grandes sections : les herbivores et les carnivores. Ces derniers eux-mêmes se partagent en deux grandes familles dont l’une attaque et détruit les corps vivans, tandis que l’autre se repaît des cadavres d’animaux qui ont succombé à une mort naturelle ou accidentelle, de même que nous voyons certains genres de mammifères et d’oiseaux, tels que les hyènes et les vautours, se nourrir de préférence aux dépens des cadavres. Le même principe d’économie de la nature qui accélère la destruction des restes de tant d’herbivores terrestres, en les faisant servir à la nourriture de nombreuses légions de carnivores, se montre de même en vigueur parmi les habitans des mers les plus anciennes comme des mers actuelles. Partout nous voyons la destruction dans un groupe devenir un principe d’alimentation et de vie pour d’autres groupes.

Suivant Pline[3], ainsi que l’observe M. Dillwyn, l’animal que l’on supposait fournir la pourpre de Tyr, pour obtenir sa nourriture, perçait les autres coquilles à l’aide d’une trompe alongée ; et Lamarck établit que tous les mollusques qui ont à la base de l’ouverture de leur coquille une échancrure ou un canal, sont de même pourvus d’une trompe rétractile perforante[4] : ce sont ces trachelipodes qui, dans son Système des animaux invertébrés, forment la section des carnivores ou zoophages. Dans une autre section du même ordre, qu’il désigne sous le nom d’herbivores (phytiphages), l’ouverture de la coquille est entière, et la bouche est armée d’organes disposés pour la mastication des végétaux.

D’après M. Dillwyn, toutes les coquilles turbinées fossiles des couchés anciennes, depuis le calcaire de transition jusqu’au lias, appartiennent au groupe des herbivores, et ce groupe se maintient dans la série tout entière des formations géologiques jusqu’à nos jours, où nous le voyons conserver encore son importante place parmi les habitans des mers contemporaines. Quant aux coquilles des univalves carnivores, elles abondent dans les couches tertiaires supérieures à la craie, mais elles sont extrêmement rares dans les couches situées au dessous jusqu’à l’oolite inférieur, passé lequel on n’en rencontré plus aucune trace.

La plupart des personnes qui font des collections ont vu sur le rivage de la mer des milliers de coquilles vides que d’autres animaux rapaces ont perforées de petits trous circulaires pour parvenir jusqu’au mollusque qui les remplissait et se nourrir de sa substance. On observe de semblables perforations dans une foule de coquilles fossiles de ces mêmes couches tertiaires, où abondent aussi les reste de trachélipodes carnivores ; mais elles sont extrêmement rares dans les coquilles fossiles des formations antérieures. Dans la craie chloritée (green sand) et dans le calcaire oolitique, on en cite à peine quelques exemples, et les débris de mollusques carnivores qui les accompagnent sont également rares ; enfin dans le lias et dans les couches au dessous on ne rencontre plus ni coquilles perforées, ni coquilles offrant cette échancrure de la bouche qui n’appartient qu’aux espèces carnivores.

Ces faits nous conduisent à penser que, dans l’économie générale des êtres sous-marins, la grande division des trachelipodes carnivores remplissait le même rôle nécessaire durant le cours de la période tertiaire qu’elle remplit encore de nos jours. D’autres témoignages nous font voir qu’aux époques antérieures à la craie et durant le dépôt de cette formation elle fut suppléée dans ses fonctions importantes par d’autres mollusques carnivores, les céphalopodes testacés. Ces derniers, en effet, ne se montrent qu’en proportion faible dans les couchés tertiaires et dans nos mers modernes ; dans les terrains secondaires et les formations de transition, dans lesquels les trachelipodes manquent complètement ou sont extrêmement rares, sont remplies de nautiles, d’ammonites, et d’un grand nombre d’autres genre de coquilles polythalames, voisines des précédentes et d’une beauté remarquable. Les mollusques qui habitait ces coquilles cloisonnées avaient probablement les mêmes habitudes rapaces que nous observons aujourd’hui dans les seiches ; et en dévorant, comme ces derniers animaux, les téstacés et les crustacés tout jeunes, ils imposaient des limites au développement excessif de la vie animale au fond des mers les plus anciennes. Leur disparition soudaine et presque complète au commencement de la série tertiaire eût laissé un vide dans la police de la nature ; elle eût permis aux tribus herbivores de s’accroître à un excès qui fût devenu une cause de destruction pour la végétation marine et pour ces tribus elles-mêmes, si les carnivores détruits n’eussent été remplacés par d’autres appartenant à un ordre différent, et destinés à remplir ces mêmes fonctions que la destruction des ammonites et des genres analogues venait de laisser vacantes. C’est à cette même époque géologique, en effet, que recommencent à se montrer en abondance les débris des trachelipodes carnivores, et tout nous porte à adopter cette conclusion à laquelle est arrivé M. Dillwyn, que : « dans les formations supérieures à la craie, la disparition subite et presque complète qui a eu lieu d’une tribu rapace a été compensée par la création d’un grand nombre de nouveaux genres et de nouvelles espèces pourvues des mêmes appétits et organisées de manière à se procurer leur proie à l’aide de moyens tout différens de ceux qu’employaient les céphalopodes. »

Il paraît donc qu’il est entré dans les desseins du Créateur que la mer fût remplie à toutes les époques, et que la surface de la terre fût couverte du plus grand nombre possible d’êtres organisés et en possession de l’existence ; et que, depuis le moment où commença la vie jusqu’à l’heure actuelle, un seul moyen d’exécution a toujours été mis en œuvre, qui consiste à faire du règne végétal la base de la vie organique chez les animaux, et à centupler la somme de bien-être accordée à ces derniers, en livrant les espèces herbivores à la dent vorace des carnivores[5].

M. de la Bêche a publié récemment, un tableau dans lequel il fait voir que le poids spécifique et la solidité des coquilles de plusieurs genres actuellement existans sont en rapport avec les habitudes et avec le séjour de l’animal pour lequel elles ont été construites ; et il en déduit des preuves d’un plan primitif pareilles à celles qui sont résultées pour nous de toutes les investigations auxquelles nous nous sommes livrés avec soin sur les formes animales vivantes ou éteintes[6].


SECTION II.


DÉBRIS FOSSILES DE MOLLUSQUES NUS. — OSSELETS DORSAUX, ET SAC À ENCRE DE CALMARS.


On sait que la seiche commune et plusieurs autres espèces de céphalopodes actuellement existantes[7], dépourvues de coquille externe, trouvent une protection contre leurs ennemis dans une particularité interne de leur organisation. Ils sont pourvus d’un sac ou d’une sorte de vessie qui contient un liquide noir et visqueux ; et l’animal, en projetant cette sorte d’encre dans les eaux, s’enveloppe d’un nuage épais qui le dérobe aux poursuites de ses ennemis. La seiche commune et le calmar de nos mers offrent des exemples bien connus de cette disposition organique remarquable.

On n’eût guère osé se promettre de rencontrer parmi les débris animaux qui nous sont restés d’un ancien monde, et que nous ne restituons à la lumière qu’après qu’ils ont passé des siècles sans nombre ensevelis dans les profondeurs de l’écorce du globe, des traces d’un liquide pareil à l’encre que renfermait le corps de ces céphalopodes dont la destruction remonte à des époques d’une antiquité au delà de tous les calculs. C’est là cependant un fait hors de doute, depuis qu’on a découvert dans le lias de Lyme-Regis[8] des échantillons nombreux où sont conservés à l’état fossile les réservoirs d’encre, distendus comme s’ils faisaient encore partie de l’animal vivant, et conservant, par rapport à l’osselet dorsal, la même position relative que l’on observe entre ces organes dans les calmars, dont nous sommes à même d’étudier l’organisation à l’état vivant[9].

La conservation de cette encre à l’état fossile trouve du reste son explication dans la nature indestructible du carbone qui en est l’élément principal. D’après ce qu’en dit Cuvier, l’encre de la seiche commune est un liquide épais, de la consistance d’une bouillie, et tout à fait analogue à l’encre d’imprimerie, contenu dans les cellules d’un réseau lâche qui remplit la cavité du sac. On conçoit donc qu’une substance de cette nature ait pu passer à l’état fossile sans que son volume ait beaucoup diminué[10].

On voit représenté dans la planche 28, figure 5, le réservoir d’une seiche, renfermant l’encre desséchée : son volume diffère peu du volume primitif ; sa forme est exactement celle d’un grand nombre de réservoirs d’encre fossilisés {pl. 29, fig. 3-10), et l’encre solidifiée qu’elle renferme ne diffère de l’encre fossile que parce que cette dernière est imprégnée de carbonate de chaux.

Dans une communication que je fis à la société géologique, en février 1829, j’annonçai que ces réservoirs d’encre fossiles trouvés dans le lias de Lyme-Regis offraient des connexions avec certaines pièces cornées qui ressemblent aux osselets dorsaux des calmars modernes.

Les lames dorsales fossiles n’offrent aucune trace de nacre ; elles sont formées de lames minces d’une substance semi-transparente qui ressemble à de la corne. On les trouve si parfaitement conservées que l’on peut comparer leur structure intérieure jusque dans ses détails les plus minutieux avec celle du même organe chez les calmars modernes ; et il résulte de cet examen la même conséquence que nous avons vue ressortir déjà tant de fois de nos études des débris organisés fossiles, savoir que les espèces fossiles diffèrent de celles qui les représentent dans la création actuelle, mais que l’organisation a été fondée sur les mêmes principes dans les genres, et souvent même dans les familles tout entières dont ces genres font partie.

Les débris pétrifiés de calmars fossiles ajoutent donc un nouvel anneau à cette chaîne d’argumens que nous voulons faire servir à relier entre eux les systèmes divers de création qui se sont succédé sur notre planète comme des parties distinctes d’un seul plan vaste et uniforme. La réunion de ces deux organes, un réservoir d’encre et un osselet dorsal ressemblant à une penne, constitue dans les calmars modernes une disposition remarquable, et qui compense pour ces animaux l’absence d’une coquille externe comme moyen de défense contre les êtres qui habitent avec eux le fond des eaux. Or, nous trouvons une semblable association d’organes dans les débris pétrifiés de la même famille qui ont été conservés dans les couches marneuses et calcaires du lias. Cuvier a peint ses dessins anatomiques de la seiche moderne avec l’encre extraite du corps de ce mollusque ; or je possède aussi les débris d’espèces éteintes figurées avec l’encre de ces mêmes espèces, et je pourrais me servir de cette encre pour retracer les faits qui les concernent et pour exposer à quelles causes est due leur merveilleuse conservation.

On peut faire ressortir de la conservation de ces réservoirs d’encre les preuves d’une mort instantanée ; car nous y trouvons encore le liquide que le calmar répandait dans les momens d’alarme, et la forme qu’ont conservée les membranes distendues ensevelies aussitôt après la mort de l’animal. Or, ces réservoirs membraneux se fussent rapidement décomposés, et l’encre qu’ils contenaient se fût répandue, pour peu qu’ils fussent restés seulement quelques heures exposés à l’action destructive de l’eau. Ainsi donc les animaux auxquels ils appartenaient ont dû périr soudainement, et ils ont dû être immédiatement ensevelis dans le sédiment qui a donné naissance aux couches où se sont conservés pétrifiés leur encre et le sac qui la contenait. Nous en pouvons dire autant de l’osselet dorsal qui accompagne ces débris. La conservation si parfaite de cette substance fragile, dans laquelle on retrouve jusqu’aux fibres d’accroissement les plus délicates, n’est pas moins remarquable que la fossilisation de l’encre elle-même ; et ces deux faits nous conduisent aux mêmes conclusions[11].

D’après un ouvrage qui vient d’être publié en Allemagne[12], on rencontre fréquemment de ces débris de céphalopodes dans le schiste jurassique d’Aalen et de Boll[13]. Ceci prouve que les mêmes causes ont produit des effets semblables, et à peu près aux mêmes époques, dans le lias de Lyme-Regis, et sur les points de l’Allemagne où l’on observe ces mêmes débris organiques si délicats avec une identité si grande dans les caractères et dans les diverses circonstances organiques[14].

Paley, avec son bonheur ordinaire, a décrit admirablement l’unité et l’universalité de la Providence, qui veille à tout avec un égal souci ; qui enveloppe Saturne d’un anneau de soixante-dix mille lieues de diamètre, jeté sur la tête des habitans de la planète comme l’arche d’un pont grandiose, et qui ajuste un mécanisme exprès pour enrouler les fibres qui constituent les plumes du colibri. Les géologues n’ont pas à décrire des agencemens moins curieux ni des mécanismes moins délicats, depuis l’enveloppe externe tout entière de notre planète jusqu’aux ondulations les plus minutieuses des moindres fibres qui constituent les lames dans les pennes, du calmar fossile.

Ces osselets dorsaux, nous les retrouvons associés précisément de la même manière à ce même réservoir intérieur de l’encre qui est l’arme défensive des calmars habitans de nos mers actuelles, et nous en concluons qu’un ensemble d’arrangemens aussi parfaitement en rapport avec les besoins et la faiblesse des créatures qui les ont en partage n’a pu résulter du caprice d’un hasard aveugle, mais qu’il faut remonter pour en trouver l’origine, jusqu’à l’intelligence et aux prévisions du Créateur.


Section III.


Preuves d’un plan primitif, tirées du mécanisme des coquilles cloisonnées fossiles.


NAUTILE.


Ce sera la famille des coquilles multiloculaires ou cloisonnées qui nous fournira le petit nombre d’exemples que nous emprunterons à la conchyliologie fossile dans le but d’éclaircir certains points qui ont trait à la fin que nous nous proposons dans le présent ouvrage.

Ce qui nous dirige dans ce choix, c’est que d’abord nous trouverons dans ces coquilles des dispositions mécaniques plus évidemment créées pour un but déterminé que ne nous en offriraient des coquilles d’une organisation plus simple. Un second motif, c’est que l’usage de leurs diverses parties peut facilement se comprendre si on prend pour terme de comparaison l’économie et l’organisation des animaux actuels les plus voisins des espèces et des genres fossiles que nous allons choisir pour sujet d’études. En troisième lieu, c’est que nous pourrons démontrer que non seulement la plupart de ces coquilles cloisonnées ont rempli l’office des coquilles ordinaires comme armes défensives des animaux qui les habitaient, mais qu’elles étaient aussi des instrumens hydrauliques d’un travailcoqu fini, d’un agencement merveilleux et subordonnés dans les fonctions pour lesquelles ils ont été calculés à ces lois universelles et invariables qui paraissent avoir présidé de toute éternité aux mouvemens des fluides.

L’histoire des coquilles cloisonnées jette aussi de la lumière sur quelques uns de ces phénomènes de la conchyliologie fossile qui ont trait à la délimitation des espèces suivant les diverses formations géologiques[15]. Elle offre des preuves frappantes de ce fait curieux que des genres et même des familles tout entières ont été appelées à l’existence, puis complètement détruites durant les diverses périodes successives de la formation de l’écorce terrestre.

Enfin nous lui devons de précieux renseignemens sur un point d’une haute importance dans l’histoire de la vie. Elle nous fait voir en effet que ce n’a pas toujours été en s’élevant, par une gradation régulière, des degrés de l’organisation les plus inférieurs aux degrés les plus élevés, que s’est opérée la marche progressive de la vie durant les temps anciens vers lesquels la géologie nous reporte. Car plusieurs des formes les plus simples ont conservé leur simplicité primitive en traversant tous les changemens qu’a subis la surface de notre globe, tandis que dans d’autres cas des formes d’un ordre plus élevé précèdent plusieurs des formes les plus inférieures de l’animalité ; et que quelques unes de ces dernières n’apparaissent pour la première fois qu’après la destruction complète[16] de plusieurs espèces et de plusieurs genres d’un caractère beaucoup plus complexe.

Le nombre prodigieux, la variété et la beauté des coquilles cloisonnées fossiles qui remplissent les terrains stratifiés de transition et ceux de la période secondaire, nous font un devoir impérieux de rechercher dans l’étude de la nature vivante l’histoire des caractères et des habitudes des êtres qui les ont construites et des fonctions que ces êtres remplissaient dans l’économie générale du monde des animaux ; or, si nous pouvons espérer de recueillir les élémens d’une pareille histoire, c’est surtout chez ces habitans des mers actuelles dont les coquilles offrent le plus d’analogie avec les fossiles éteints qui sont soumis à nos observations, et nommément chez le nautilus pompilius, ou nautile flambé et chez la spirule[17].

Je vais traiter avec quelques détails l’histoire de ces coquilles parce que les conclusions auxquelles m’a conduit l’étude longue et minutieuse que j’ai faite des espèces fossiles différent de l’opinion qu’ont émise Cuvier et Lamarck sur la question de savoir si les ammonites sont des coquilles externes, et qu’elles diffèrent aussi des idées généralement reçues relativement a l’usage du siphon et des chambres aériennes, soit dans les nautiles, soit dans les ammonites.


Le nautile.


Le nautile n’existe pas seulement dans nos mers tropicales actuelles, mais c’est un des genres qui se rencontrent à l’état fossile dans les formations de tous les âges. Les mollusques, habitans de ces coquilles, se montrèrent des premiers dans les mers primitives, et ils se sont maintenus à travers tous les changerons qu’ont subis les habitans des océans.

C’est dans l’excellent mémoire de M. Owen, publié en 1832 seulement, que l’on trouve la première description scientifique de cet animal dont la coquille est connue depuis une antiquité reculée[18]. Ce mémoire est donc d’une haute importance pour la géologie, car nous lui devons de pouvoir affirmer, avec bien plus de certitude que nous ne l’eussions pu faire jusqu’alors, que les animaux des nautiles fossiles faisaient partie d’une famille actuellement existante de mollusques céphalopodes, voisine de la seiche ordinaire. Nous pouvons conclure aussi que les ammonites, dont les espèces sont infiniment plus nombreuses, ainsi que d’autres genres voisins de coquilles multiloculaires, remplissaient dans l’économie des animaux qui les ont construites des fonctions analogues à celles que remplit de nos jours la coquille du nautilus pompilius. Aussi pensons-nous avec M. Owen que cette espèce, dont la connaissance est récemment entrée dans le domaine de la science, n’est pas seulement précieuse par ses rapports avec les céphalopodes de la création actuelle, mais qu’elle est en outre le type vivant d’un vaste groupe d’organisations que leurs débris fossiles nous attestent avoir existé à une époque reculée, et au sein d’un ordre de choses tout différent de celui que nous avons sous les yeux[19].. Ce type, qui reproduit sous nos yeux l’organisation de tant de millions de créatures depuis long-temps balayées de la surface du globe, nous met à même d’étudier les usages auxquels servaient leurs coquilles cloisonnées fossiles, et de prouver l’existence d’un ordre et d’un plan disposant les mécanismes à l’aide desquels elles remplissaient leurs importantes fonctions. En voyant combien ces mécanismes sont semblables à ceux que nous offrent des animaux faisant partie de la création à laquelle nous appartenons, nous concluons que ces arrangemens si parfaits, ces admirables harmonies, malgré l’espace de temps énorme qui a séparé les époques où elles se sont manifestées, ont leur origine commune dans la volonté, dans les plans d’une seule et même intelligence.

Ainsi nous allons aborder l’étude de la structure et des usages des coquilles cloisonnées fossiles, en partant de la connaissance que nous avons, que les coquilles modernes du nautile et de la spirule appartiennent à des céphalopodes actuellement existans ; et à l’aide de ce fait, nous espérons pouvoir mettre en lumière l’histoire de ces quantités immenses de coquilles fossiles semblablement construites, dont les usages et les fonctions sont demeurés jusqu’ici sans une explication satisfaisante.

Tous ces fossiles peuvent se partager en deux classes distinctes. L’une comprend les coquilles externes, où le mollusque qui les habitait résidait, comme celui de la coquille du nautile, dans la cavité spacieuse de leur première chambre, ou chambre externe (pl. 31, fig. 1). L’autre clause comprend les coquilles qui furent en totalité ou en partie renfermées dans le corps d’un céphalopode, comme l’est aujourd’hui la coquille de la spirule (pl. 44, fig. 1, 2). Dans chacune de ces deux classes, les chambres de la coquille paraissent avoir rempli les fonctions de vessies aériennes, ou de flotteurs, qui permettaient à l’animal de s’élever dans les eaux et de venir flotter à leur surface, ou de s’enfoncer dans leurs profondeurs.

En jetant les yeux sur la fig. 1 de la pl. 31[20], on verra que, dans le nautile moderne, le seul organe qui établisse une communication entre les chambres aériennes et le corps de l’animal consiste dans un conduit ou siphon qui traverse les cloisons successives par une ouverture à laquelle s’adapte un tube court, et va se terminer dans la chambre la plus petite, située à l’extrémité interne de la spirule. Je vais essayer de faire voir comment, à l’aide d’un fluide particulier qu’il peut à volonté faire pénétrer dans ce conduit, l’animal peut diminuer ou accroître son poids spécifique, et par suite s’élever ou descendre dans le sein des eaux, comme nous voyons les ludions (water balloon), ces jouets si curieux, s’élever ou s’abaisser dans le tube qui les contient, suivant que l’on force l’eau d’y pénétrer, ou qu’on l’en laisse sortir.

Le nautile nage en arrière et les bras étendus, de la même manière que la seiche dépourvue de coquille, et ses mouvemens sont produits par la réaction de l’eau qui est rejetée de l’entonnoir (k) avec violence. Cette position est la plus favorable à la facilité des mouvemens de progression ; car elle place en avant la partie de la coquille qui rappelle le plus par sa forme la proue d’un bateau. Dans la figure que nous en donnons, les bras et les tentacules sont resserrés tout autour de la bouche, que par conséquent l’on ne peut apercevoir ; lorsque l’animal est en mouvement, ces bras s’étendent probablement en avant comme les rayons épanouis de l’anémone de mer.

Le bec corné dont est garnie la bouche du nautile[21] ressemble à celui d’un perroquet : chaque mandibule est armée en avant d’un tranchant calcaire dur et denté, qui a pour fonction d’écraser les animaux à coquilles et les crustacés ; et l’on a rencontré des fragmens de ces derniers animaux dans l’estomac de l’individu dont nous donnons la figure. Comme d’ailleurs ces débris appartenaient à une espèce velue de crustacé brachyure qui vit exclusivement au fond de la mer, ils sont une preuve que le nautile, bien qu’il se hasarde parfois à venir à la surface, va chercher au fond des eaux une partie de sa nourriture. Il a d’ailleurs un gésier tout à fait semblable à celui d’un oiseau, et ce nous est une preuve de plus de la faculté qu’il possède de digérer des coquilles dures[22].

Les mollusques qui habitaient plusieurs espèces de nautiles et d’ammonites fossiles possédaient un appareil buccal tout semblable ; c’est ce que prouvent les rhyncholites ou becs pétrifiés appartenant à des animaux de ces deux genres, et qui se trouvent en si grande abondance dans plusieurs des terrains stratifiés où l’on en rencontre les coquilles fossiles, tels que l’oolite de Stonesfield, le lias de Lyme-Regis et de Bath, le calcaire conchylien de Lunéville.

De même que nous avons conclu de la structure des dents des quadrupèdes ou de celle du bec des oiseaux la nature des alimens que ces organes étaient destinés à saisir et à dépecer, nous pouvons conclure aussi de la ressemblance qu’offrent les rhyncholites avec le bec du nautilus pompilius, que la plupart de ces corps singuliers étaient des becs de céphalopodes qui habitaient les coquilles fossiles auxquelles nous les trouvons associés, et que ces céphalopodes remplaçaient, dans l’économie générale de la nature, le nautile et les trachélipodes carnivores de notre époque, en limitant dans de justes bornes l’accroissement excessif des crustacés et des mollusques qui habitaient le fond des mers durant les périodes secondaires et les périodes de transition.

Partant donc de la conséquence à laquelle nous conduisent ces analogies, que les animaux qui habitaient les coquilles des nautiles et des ammonites fossiles étaient des céphalopodes, d’habitudes pareilles à celles du mollusque qui construit la coquille du nautile flambé, nous allons essayer de conclure, de l’organisation et des habitudes de ce dernier, comment ces coquilles fossiles s’adaptaient aux besoins de créatures qui se tenaient dans certains temps au fond des mers et y prenaient leur nourriture, tandis que d’autres fois elles venaient flotter à la surface.

Les nautiles[23] forment un genre naturel de coquilles spirales discoïdales partagées à l’intérieur en une série de chambres séparées les unes des autres par des cloisons transverses ; ces cloisons sont percées à leur centre, ou près de leur face interne, pour laisser passer le tube membraneux que nous avons déjà mentionné sous le nom de siphon[24].

La chambre externe, ouverte au dehors, offre une grande étendue, et le corps de l’animal y est contenu : les chambres intérieures sont fermées et ne contiennent que de l’air, et elles ne communiquent avec la chambre externe que par la petite ouverture pratiquée dans chaque cloison pour le passage du tube membraneux qui traverse toute la série des cloisons jusqu’à l’extrémité même de la coquillé[25]. Ces chambres aériennes ont pour but de contrebalancer le poids de la coquille, et de donner à l’ensemble de l’animal un poids spécifique si rapproché de celui de l’eau que la différence résultant de l’admission du liquide dans le siphon, ou de son expulsion, suffise pour produire des mouvemens de descente ou d’ascension[26].

Comme le siphon, non plus que la coquille, n’offre aucune ouverture à travers laquelle le fluide puisse pénétrer à l’intérieur des chambres[27], il s’ensuit que ces cavités ne contiennent autre chose que de l’air, et qu’elles ont par conséquent à soutenir une forte pression toutes les fois qu’elles se trouvent au fond de la mer. C’est pour résister à cette pression que plusieurs dispositions ont été introduites dans la construction de la coquille.

D’abord ses parois externes sont construites d’après les mêmes principes que l’arche d’un pont[28], et de telle sorte qu’elles offrent dans tous les sens la plus grande résistance possible à tout effort tendant à les écraser.

En second lien, cette sorte d’arcade lire une force nouvelle des nombreuses petites côtes qui parcourent sa surface, ainsi qu’on peut le voir sur l’échantillon fossile figuré planche 32 (fig. 1). Les stries d’accroissemens ondulées que l’on remarque à sa surface sont petites et faibles, si on les considère isolément ; mais leur ensemble est d’un effet puissant pour accroître la résistance de la coquille[29].

En troisième lieu, la force de résistance de cette sorte de voûte s’accroît encore par la disposition des cloisons internes qui s’unissent aux parois externes de la coquille, en formant avec elles un angle presque droit[30]. La direction suivant laquelle les bords de ces cloisons transverses coupent les côtes ondulées de l’intérieur de la coquille est un autre principe de force. On emploie une disposition analogue dans la construction des vaisseaux destinés aux voyages des mers arctiques ; pour les préparer à soutenir la pression des blocs de glace, on arc-boute leurs parois par un nombre extraordinaire de poutres transversales d’un volume énorme[31].

Nous mentionnerons encore une quatrième particularité d’organisation, au moyen de laquelle l’appareil qui donne à la coquille la faculté de flotter s’accroît dans une proportion exacte avec le volume du corps de l’animal et avec le poids toujours croissant de la chambre extérieure où il est contenu. Cet accroissement s’effectue par l’addition successive de nouvelles cloisons transversales en travers du fond de la chambre antérieure, de telle sorte que la partie de la coquille qui devient trop étroite pour contenir le corps se convertit en de nouvelles chambres aériennes. Cette opération, répétée à des intervalles en rapport avec les périodes successives d’accroissement de la coquille, la maintient dans la faculté de flotter à la surface des eaux, en la faisant passer par des accroissemens graduels et périodiques, jusqu’à, ce que l’animal qu’elle contient soit arrivé à son état le plus complet[32].

Nous trouvons, dans les distances qui séparent entre elles les cloisons successives, une cinquième particularité de structure digne d’attention par les résultats mécaniques qu’elle procure[33]. Si ces distances en effet se fussent accrues dans la même proportion que le diamètre des cavités aériennes, les portions de la coquille extérieure qui constituent les parois des cavités les plus grandes, et qui ont à supporter la pression la plus forte, n’eussent pas été suffisamment soutenues ; or c’est à quoi il a été pourvu par une disposition des plus simples, en rapprochant ces cloisons proportionnellement davantage à mesure que les cavités, en s’agrandissant, réclament plus de force dans les supports qui empêchent l’écrasement.

Enfin le dernier arrangement dont je veuille faire ici mention, c’est ce mécanisme du siphon qui a pour but de régulariser l’ascension et la descente de l’animal au sein des eaux. Jusqu’ici les fonctions de cet organe n’ont pas encore reçu une explication satisfaisante ; et le remarquable mémoire de M. Owen lui-même laisse sur ce point beaucoup de doute. Cependant si l’on rapproche certaines dispositions que cet organe présente quelquefois à l’étal fossile[34] de la découverte qu’a faite M. Owen de sa terminaison en un vaste sac[35] où est renfermé le cœur de l’animal, on trouvera là, ce nous semble, des élémens suffisons pour décider cette question si long-temps controversée.

Si nous supposons en effet que ce sac ou péricarde (p, p) contient un fluide péricardial qui peut passer de là dans le siphon (n), cet ensemble d’organes constituera un appareil hydraulique tout à fait propre à faire varier le poids spécifique de la coquille, de telle sorte qu’elle plongera quand l’animal forcera le fluide a pénétrer dans le siphon, tandis qu’au contraire, lorsque ce fluide rentrera dans le péricarde, la coquille devenue plus légère remontera vers la surface. Dans cette hypothèse, les chambres devaient être constamment remplies d’air seulement, dont l’élasticité permettait la dilatation et la contraction alternative du siphon, pour admettre ou rejeter le fluide péricardial.

Le principe d’après lequel, suivant cette explication, le nautile actuel s’élève ou descend au sein des eaux est, ainsi que nous l’avons déjà dit, le même auquel sont dus les mouvemens des ludions (water balloon). En forçant une certaine quantité d’air à pénétrer dans le petit ballon qui les surmonte, on accroît la masse de substance qui y est contenue sans en augmenter la capacité ; le poids spécifique s’en accroît donc, et l’instrument plonge. Si au contraire, en supprimant la pression, on permet à l’air contenu dans la chambre de reprendre l’équilibre qu’on lui a fait perdre et de chasser l’eau, son poids spécifique diminue, et le ludion vient flotter à la surface[36].

Pour terminer cet essai où je me suis efforcé de mettre en lumière la structure et l’économie des nautiles fossiles par l’économie et la structure des espèces vivantes, je vais faire voir de quelle utilité furent pour les mouvemens du nautile flambé, soit au fond, soit à la surface même des eaux, des cavités que nous supposons remplies d’air seulement, et un siphon renfermant seulement un fluide qui peut passer de cet organe, un péricarde au gré de l’animal[37].

L’animal que prit M. Benneth a été vu flottant à la surface des eaux ; la portion supérieure de la coquille dépassait le niveau ; et c’est à l’aide de l’air qui y était renfermé que l’animal pouvait conserver sa position verticale[38]. Cette position est la plus favorable aux mouvemens rétrogrades qu’exécutent les seiches, mouvemens produits par l’expulsion de l’eau au dehors de l’entonnoir (k). Ainsi donc, un premier usage des chambres aériennes, c’est de maintenir le corps de l’animal et sa coquille en équilibre à la surface des eaux.

En second lieu, nous examinons dans la noie ci-jointe les fonctions du siphon et des chambres aériennes dans l’acte de plonger soudainement de la surface au fond[39].

Il nous reste en troisième lieu à considérer l’action de l’air dans l’animal plongé au fond des eaux, étant admise l’hypothèse où cet air demeure constamment renfermé à l’intérieur des chambres. Si le nautile se meut en portant sa coquille à la manière des colimaçons, l’air qui y est contenu a pour effet de la maintenir élevée et flottant à l’aise au dessus du corps. Et comme cette coquille tend sans cesse à s’élever vers la surface, le mollusque se fixe et rampe sur le fond au moyen d’un disque musculaire puissant, employant ses tentacules en toute liberté pour saisir la proie dont il se nourrit[40].

Hooke[41] pense que les chambres aériennes sont alternativement occupées par de l’air et par de l’eau ; Parkinson admet[42] que ces chambres ne peuvent recevoir l’eau dans leur intérieur, et que les mouvemens d’ascension ou de descente sont dus à l’introduction alternative de l’air ou de l’eau dans l’intérieur du siphon. Mais il n’a pu indiquer l’origine de cet air au fond des eaux, et il n’a pas pu expliquer davantage par quel moyen l’animal modifie le tube et l’air qui y est contenu, et duquel dépendent les diverses circonstances de ses mouvemens de transport dans les eaux[43]. La théorie d’après laquelle les chambres de la coquille sont constamment remplies d’air seulement, tandis que c’est le siphon qui règle les mouvemens de l’animal par le déplacement du liquide péricardial, paraît satisfaire à toutes les conditions de ce problème d’hydraulique qui est demeuré jusqu’ici sans solution satisfaisante.

Je me suis étendu aussi longuement sur ce sujet à cause de l’importance dont il est pour expliquer la structure compliquée et les fonctions jusqu’ici incomplètement comprises de toutes ces familles de coquilles cloisonnées et pourvues d’un siphon, si nombreuses et si répandues. Si nous parvenons à y retrouver les mêmes principes mécaniques au milieu de toutes les modifications différentes qu’elles ont subies depuis l’origine de la vie jusqu’à l’heure présente, nous en déduirons, comme conclusion irrécusable, que cette unité dans les organisations prend son origine dans la volonté et l’action directe d’une cause première unique et intelligente ; et ces organisations elles-mêmes nous apparaîtront « comme des émanations de cette sagesse infinie qui se montre dans les formes extérieures et dans la structure intime de tous les autres êtres créés[44]. »


SECTION IV.


AMMONITES.



L’étude complète que nous avons faite du mécanisme de la coquille du nautile nous a préparés à la connaissance du même mécanisme dans la famille si voisine des ammonites. Les parties essentielles de ces dernières coquilles en effet ressemblent tellement à celles de la coquille du nautile que nous ne pouvons douter qu’elles n’aient rempli des fonctions toutes semblables dans l’économie des nombreuses espèces de céphalopodes qui les ont construites.


Distribution géologique des ammonites.


On rencontre les ammonites dans toute la série des formations fossilifères, depuis les couches de transition jusqu’à la craie inclusivement. M. Brochant, dans sa traduction du manuel de géologie de De la Bêche, en compte 270 espèces qui diffèrent suivant l’âge des couches où on les trouve[45], et qui varient, quant à leur taille, depuis une ligne jusqu’à plus de quatre pieds en diamètre[46].

Il est inutile que nous nous livrions ici à des dissertations spéculatives sur les causes physiques ou sur les causes finales de ces curieux changemens dans les espèces de cet ordre le plus élevé des mollusques qui habitaient les mers aux époques les plus reculées, ou durant le moyen âge de la chronologie géologique ; mais la symétrie exquise, la beauté, la délicatesse de structure qui se montrent dans tous les arrangemens divers qu’offrent leurs quelques centaines d’espèces, ne nous permettent aucunement de douter qu’un plan primitif et une intelligence suprême n’aient présidé à leur construction, bien que nous ne puissions pas toujours rendre compte du rôle que joue en particulier chacun de leurs moindres détails dans l’arrangement que prennent des parties qui demeurent fondamentalement les mêmes.

Nous trouvons dans la distribution géographique des ammonites ce même fait de diffusion universelle qui se reproduit si fréquemment parmi les animaux et les végétaux appartenant à la condition ancienne de notre globe, et qui diffère d’une manière si remarquable de la localisation, qui est un fait prédominant parmi les formes actuelles de la vie. Les mêmes genres, et, dans quelques cas, les mêmes espèces d’ammonites, se montrent dans des couches qui paraissent être du même âge, non seulement dans toute l’étendue de l’Europe, mais aussi sur des points éloignés de l’Asie et des deux Amériques[47].

Nous tirerons de là cette conclusion que, pendant la durée des périodes secondaire et de transition, les mêmes espèces se distribuaient d’une manière plus générale que de nos jours sur les points du globe les plus distans entre eux.

Une ammonite, de même qu’un nautile, se compose de trois parties essentielles : 1° d’une coquille externe, ordinairement de forme discoïdale aplatie et à surface renforcée, et ornée par des côtes (pl. 35 et 37) ; 2° d’une série de chambres aériennes internes, formées par des cloisons transversales qui partagent l’intérieur de la coquille (pl. 36 et 41) ; 3° d’un siphon ou tube, qui part du fond de la dernière chambre, et qui traverse toute la série des chambres aériennes (pl. 36, d, e, f, g, h, i). On trouve dans chacune de ces parties des preuves d’arrangemens mécaniques, disposés pour un but, et par conséquent de l’existence d’un plan ; et je vais essayer d’en esquisser quelques unes.


Coquille externe.


La place qu’occupaient les coquilles des ammonites, et l’utilité dont elles étaient à l’animal, sont des points qui ont grandement attiré l’attention des géologues et des conchyliologistes. Guidés par les analogies qui existent entre ces animaux et les spirules, Cuvier et Lamarck ont pensé que les ammonites étaient des coquilles internes[48]. Il y a pourtant d’excellentes raisons de croire que ce sont là des coquilles entièrement externes, et dans lesquelles l’animal avait une position tout à fait analogue & celle qu’occupe dans la sienne le mollusque du nautilus pompilius (pl. 31, fig. 1).

Ainsi que l’a fait voir M. De la Bêche, il est démontré, par l’état minéral de la chambre antérieure chez plusieurs ammonites du lias de Lyme-Régis, que le corps tout entier de l’animal y était renfermé, et que ces mollusques furent détruits soudainement, et ensevelis dans le sédiment vaseux qui a formé le lias, avant que leurs corps fussent tombés en décomposition ou qu’ils eussent été dévorés par les crustacés carnivores qui abondaient à cette époque au fond des mers[49].

Comme ces coquilles avaient à remplir le double office d’une armure défensive et d’un flotteur, elles devaient réunir la double condition de la légèreté et de la solidité. Elles devaient être légères pour venir flotter à la surface des eaux ; elles devaient être solides, pour supporter la pression à laquelle elles étaient soumises lorsque l’animal descendait au fond de la mer. Aussi trouvons-nous ces deux conditions remplies par la disposition admirablement calculée que prennent les matériaux qui entrent dans leur composition.

En premier lieu, la coquille entière forme une arcade ou une voûte continue et roulée en spirale autour d’elle-même, de façon que chaque tour externe s’appuie par sa base sur le sommet du tour intérieur qui le précède, et qu’ainsi la carène ou la face dorsale est calculée pour offrir à la pression extérieure la même résistance qu’offre la coquille d’un œuf à une pression agissant dans le sens de son plus grand diamètre.

Outre cette disposition en arcade continue, la coquille en offre une seconde, qui est pour elle un principe de solidité, dans l’existence de côtes ou arcades transversales qui donnent à plusieurs de leurs espèces leurs traits caractéristiques les plus importans, et qui les embellissent toutes de ce genre de beauté particulier qui résulte constamment de la répétition symétrique de courbes spirales en série (pl. 37, fig. 1-10).

L’accroissement de force que produit cette disposition des côtes à la surface de la coquille est une conséquence d’un principe dont l’application est fréquente dans les œuvres de l’art humain. Je veux parler de ce principe d’après lequel une feuille mince de métal s’accroît considérablement en force et en résistance si on lui donne une surface ridée ou couverte de cannelures. Un porte-crayon ordinaire cannelé offrira beaucoup plus de résistance qu’un tube simple où entrerait la même quantité de matière ; et les moules d’étain ou de cuivre qu’emploie l’art de la pâtisserie reçoivent un accroissement de force considérable des bosselures et des cannelures dont leur surface ou leurs bords sont couverts. On a employé depuis peu des lames minces de fer cannelé pour en construire des toitures se soutenant d’elles-mêmes, et où les cannelures du fer remplissent l’office de poutres et de chevrons ; c’est encore là une application du principe qui a présidé à la construction des coquilles voûtées des ammonites. Dans tous les cas que nous venons de citer, la combinaison des côtes, ou portions soulevées, avec les cannelures, ou portions enfoncées, donnent au métal ou à la coquille l’accroissement de force que la mécanique sait tirer des courbes bien calculées, sans que leur poids en soit beaucoup accru[50].

Quant au principe qui a présidé à la division et à la subdivision des côtes, dans le but de multiplier les supports de la voûte à mesure que celle-ci prend de l’accroissement en surface, c’est le même qui guidait les architectes des monumens gothiques, lorsqu’ils soutenaient par des côtes saillantes les voûtes aplaties surbaissées qu’ils employaient dans leur sublime architecture.

Dans plusieurs espèces d’ammonites, on voit une autre disposition destinée à accroître encore leur solidité. Cette disposition consiste en ce que certaines portions des côtes se soulèvent en forme de petits dômes arrondis, de telle façon que, sur tous les points où se voient ces tubercules ou bosselures[51], la solidité du dôme s’ajoute à celle de la voûte simple. On voit de semblables dispositions dans les voûtes gothiques, sur les points d’intersection des côtes qui les parcourent ; mais celles des ammonites sont encore d’un effet beaucoup plus complet pour produire un accroissement de force[52]. Ce sont en effet autant de petites voûtes ou de petits dômes ; et on les observe d’ordinaire sur les points extérieurs de la coquille qui ne sont pas supportés immédiatement par les cloisons transversales internes[53].

Plusieurs genres de coquilles cloisonnées, voisines des ammonites, offrent de semblables tubercules qui ont pour effet de les rendre plus solides, aussi bien que d’ajouter à la beauté de leurs formes extérieures.

Dans tous ces exemples, nous voyons une sagesse pleine de luxe et de prodigalité, en même temps que de tempérance et d’économie, ne distribuer qu’avec épargne les supports internes aux portions qui tirent de leur forme extérieure une solidité suffisante, en même temps qu’elle les prodigue à celles qui, dépourvues de ces supports, n’eussent pas trouvé ailleurs des ressources contre l’écrasement.

Les formes et la sculpture de la coquille externe nous offrent des variations en nombre infini ; et mes supports internes ne se distribuent pas suivant des arrangemens moins admirablement variés, et dans lesquels se combinent tout à la fois l’utilité et la beauté architecturales. Les côtes se multiplient aussi de mille façons diverses, à mesure que l’espace qu’elles occupent, en s’accroissant, exige des supports d’une force supérieure ; et elles s’ornent de tubercules et de dômes en plus grand nombre, à mesure qu’une force plus grande leur devient nécessaire.


Cloisons transversales. Chambres aériennes.


On comprendra mieux l’usage des chambres aériennes internes en se reportant aux figures que nous en avons données. Notre planche 36 représente la coupe longitudinale d’une ammonite ; les cloisons transversales ont été partagées en deux parties égales par une section faite sur leur ligne médiane, là où leur courbure est la plus simple. À mesure qu’on s’éloigne de cette ligne de chaque côté, la courbure des cloisons devient de plus en plus compliquée ; et les bords par où elles se terminent dans la coquille extérieure offrent les mêmes découpures, la même structure foliacée que présente le limbe d’une feuille de persil (pl. 38). Je vais essayer de faire voir, en me servant de dessins, l’utilité de ces dispositions pour résister à la pression qui s’exerce à l’extérieur sur la coquille.

Nous voyons, dans la planche 35, de d en e, les bords de ces mêmes cloisons transversales qui, dans la coupe figurée planche 36, n’offrent qu’une courbure simple, s’unir avec la coquille extérieure par un bord foliacé, de manière à lui offrir des supports plus uniformément distribués dans ses diverses parties, que n’eussent pu le faire les courbures plus simples de la pl. 36, si elles se fussent continuées jusqu’au bord extrême des cloisons. Dans plus de deux cents espèces connues d’ammonites, les cloisons transversales offrent des modifications agréablement variées de cette expansion foliacée de leurs bords ; et dans toutes, il est facile de voir que ces disposions ont un but constant, celui de multiplier la résistance sur un grand nombre de points de la surface interne. Nous savons que la pression des eaux de la mer, même à une profondeur peu considérable, peut faire rentrer un bouchon dans l’intérieur d’une bouteille remplie d’air ; qu’un cylindre ou une sphère creuse en cuivre mince y sont écrasés ; et, comme les chambres aériennes des ammonites ont à supporter des pressions pareilles au fond des eaux de la mer, il était d’autant plus nécessaire qu’elles fussent pourvues de quelque appareil spécial destiné à les en préserver[54], que suivant la plupart des zoologistes ces mollusques ont vécu dans les grandes profondeurs des mers[55].

Ici nous trouvons encore les procédés de l’art humain mis depuis long-temps en œuvre par la nature ; ces supports, qui soutiennent en dedans l’effort extérieur de l’eau sur la coquille des ammonites, rappellent par leur disposition les étais transversaux qu’emploie l’ingénieur pour soutenir l’arche en bois qui doit supporter la voûte en pierre qu’il veut construire.

Dans toute la famille des ammonites, jamais ces supports n’offrent la courbure simple que l’on observe dans les cloisons transversales de la coquille du nautile ; et nous trouvons une raison probable de cette différence dans la minceur comparativement plus grande de la coquille externe chez la plupart des premières. Il résultait de celle minceur un besoin de supports internes que rendaient inutiles l’épaisseur et la solidité de la coquille du nautile.

Pour fournir ces supports, les bords des lames transversales, au lieu d’offrir une courbure simple, se sont repliés en une variété extrême de ramifications sinueuses et de sutures ondulées[56].

Ces sinuosités et ces ondulations qu’offrent dans certaines espèces les cloisons à leur jonction avec la coquille externe sont d’une beauté remarquable ; elles en ornent la surface d’un travail des plus gracieux, rappelant des festons de feuillage, ou toutes les délicatesses d’une élégante broderie. Il arrive parfois que ces cloisons minces se sont converties en pyrite ; et l’on dirait d’un filigrane d’or se jouant au sein du spath transparent qui remplit les chambres de la coquille[57].

Cette coquille de l’ammonites heter ophyllus est un exemple admirable de la manière dont la puissance mécanique de chacune des cloisons transversales varie dans un rapport exact avec la force ou la faiblesse des divers points de la coquille qui doivent être supportés[58].

On voit figuré dans la planche 41 un rare et bel exemple de la conservation des cloisons transversales dans une ammonites giganteus, qui s’est convertie en chalcédoine sans qu’aucune matière terreuse se soit introduite dans la cavité même des chambres aériennes. Nous l’avons représentée ouverte, pour faire voir les sinuosités qu’exécute chacune des lames transversales qui séparent les chambres aériennes successives. C’est à l’aide de ces cloisons sinueuses que la coquille externe, qui n’est elle-même qu’une voûte continue, reçoit une solidité nouvelle d’une série de voûtes secondaires qui traversent sa cavité interne, et dont chacun constitue un double tunnel : car elle n’est pas seulement voûtée à la partie supérieure ; mais du côté opposé se trouve également une série de voûtes disposées précisément en sens inverse.

Nous imaginerions difficilement un instrument plus merveilleusement disposé pour résister à toute pression du dehors, et dans lequel se combinât d’une manière plus complète la plus grande force avec la plus grande légèreté possible.

Les chambres aériennes des ammonites sont beaucoup plus compliquées que celles du nautile, par suite des sinuosités que présentant les bords foliacés de leurs cloisons transversales[59].


Siphon.


Il nous reste à étudier le mécanisme du siphon, de cet appareil hydraulique important à l’aide duquel les ammonites modifiaient à leur gré leur poids spécifique. Le mode d’action de cet organe, et la manière dont il admettait ou renvoyait le fluide, paraissent avoir été les mêmes que nous avons déjà eu occasion d’observer dans les nautiles[60].

Nous rencontrons donc en même temps dans toute celle famille des ammonites et des nautiles les mécanismes du siphon, si admirables par leur délicatesse, et la réunion invariable et systématique de la force et de la légèreté dans les cavités aériennes. Ce sont là des preuves frappantes de l’existence d’un ordre et d’un plan que nous offrent ces débris des races éteintes qui habitèrent les océans anciens ; et il faudrait qu’un esprit fût bien étrangement organisé pour qu’il pût contempler tant d’ordre et de méthode dans les œuvres de la création sans remonter à l’action directe, au commandement suprême d’une haute Intelligence.


Théorie de M. De Buch.


Indépendamment des usages que nous avons attribués aux sinuosités des cloisons transversales des ammonites, en les considérant comme des supports qui permettent à la coquille de soutenir l’effort extérieur des eaux, M. de Buch assigne aux lobes qui, par suite de cette disposition, entourent la base de la chambre extérieure, un autre usage. Il les considère comme les points d’attache qui servent à l’animal pour se fixer plus solidement à la coquille par le moyen de son manteau. Les dispositions de ces lobes varient suivant les diverses espèces d’ammonites, et l’illustre savant a proposé d’établir sur les modifications qu’ils présentent les caractères spécifiques de toutes les coquilles qui font partie de cette grande famille[61].

Les fonctions qu’assigne M. de Buch aux lobes des ammonites, lorsqu’il les considère comme servant à fixer la base du manteau le long du bord des cloisons transversales, ne contredisent en rien ce que nous avons dit de l’utilité de ces mêmes lobes comme supports de la coquille externe contre la pression des eaux à de grandes profondeurs. Ces deux bienfaits, qui résultent simultanément d’une seule et même disposition mécanique, ne font qu’ajouter à l’opinion que nous nous sommes faite de son excellence, et accroître notre admiration pour la haute Sagesse à laquelle et le doit son origine.


Conclusion.


En étudiant, comme nous venons de le faire, les preuves d’un plan et d’un dessein primitifs qui nous sont offertes par les débris testacés de la famille des ammonites, nous sommes arrivés à rencontrer dans chaque espèce des témoignages nombreux de l’existence de mécanismes délicats et spéciaux qui avaient pour but de faire de la coquille tout à la fois un flotteur qui soutenait l’animal au sein des eaux, et une demeure qui protégeait son corps contre les injures du dehors.

À mesure que l’animal s’accroissait en volume, et s’avançait vers l’orifice extérieur de la coquille, les espaces qu’il laissait derrière lui se convertissaient successivement en de nouvelles chambres aériennes, d’où résultait, pour la coquille considérée comme flotteur, un accroissement de puissance. Ce flotteur, que dirigeait dans ses mouvemens un tuyau traversant la série tout entière des chambres aériennes, était un instrument hydraulique d’une extrême délicatesse qui permet à l’animal de s’élever suivant son gré à la surface des eaux, ou de descendre dans les profondeurs les plus grandes.

Des êtres créés pour flotter parfois au sein des eaux ne pouvaient être chargés d’une coquille épaisse et lourde ; et comme, d’un autre côté, une coquille mince renfermant de l’air eût cédé à des degrés différens d’une pression souvent intense des eaux profondes, nous trouvons, soit dans la construction mécanique de la coquille externe, soit dans les cloisons intérieures qui constituent les chambres aériennes, un ensemble de dispositions tout à fait organisées pour la résistance la plus complète. En premier lieu, la forme même de la coquille qui est celle d’un tube recourbé sur lui-même et n’offrant à l’extérieur qu’une surface convexe ; puis l’accroissement de puissance qui résulte d’une série de côtes et de voussures formant à la surface convexe de ce tube enroulé un ensemble de voûtes et de dômes qui ajoutent à sa solidité. Enfin les lames transversales qui forment les chambres aériennes y ajoutent encore une succession non interrompue de supports, dont les ramifications s’étendent sur tous les points de la coquille où plus de solidité était nécessaire.

Si toute disposition régulière démontre l’action d’une cause intelligente, et si plus de perfection dans un mécanisme est la preuve d’une puissance intellectuelle plus élevée dans celui qui l’a produit, tout admirable arrangement que nous offrent les débris pétrifiés de ces coquilles cloisonnées nous est une preuve aussi ancienne et aussi impérissable que les montagnes mêmes où nous allons les chercher qui nous atteste la haute Sagesse à laquelle ces mécanismes délicats doivent leur origine, en même temps que la Providence et la bonté du Créateur dans l’organisation de chacune des créatures sorties de ses mains.


Section v


LE NAUTILE SIPHON ET LE NAUTILE ZIG-ZAG.


On a désigné sous le nom de nautile siphon[62] une coquille cloisonnée fort curieuse et d’une grande beauté, qui a été trouvée dans les couches tertiaires de Dax, près de Bordeaux, et le nautile zig-zag est une coquille de l’argile de Londres, très voisine de la précédente[63]. Ces deux coquilles offrent certaines déviations des caractères ordinaires des nautiles qui les rapprochent jusqu’à un certain degré de la structure des ammonites.

Ces déviations se compensent les unes par les autres, et il en résulte un ensemble d’arrangemens particuliers qui rendent la coquille propre à remplir ses doubles fonctions, soit comme organe de locomotion au sein des eaux, soit comme moyen de défense ou comme habitation pour l’animal qui l’a construite[64].

Le siphon dans cette espèce, traversant le bord interne des cloisons[65], ne fournissait au manteau de l’animal qu’un moyen d’attache beaucoup moins puissant que ne le fait le siphon plus central du nautile ; aussi, pour compenser ce défaut d’un point d’appui complet, trouvons-nous une disposition toute pareille à celle que, suivant la théorie de M. de Buch, les ammonites auraient trouvée dans les lobes de leur manteau. C’est ce que l’on comprendra mieux, si l’on compare les lobes du nautile siphon (planche 43, figure 2) avec ceux tout semblables du nautile zig-zag (planche 43, figures 3 et 4)[66].

L’importance et l’utilité de ces lobes dans l’une et dans l’autre des deux espèces que nous venons d’étudier nous sembleront encore plus grandes si nous considérons ces modifications des cloisons transversales sous le point de vue du support qu’elles offrent aux parois latérales de la coquille externe[67]. Elles en étançonnent en effet les portions les plus faibles et les plus minces, et leur donnent assez de solidité pour supporter une pression bien supérieure à celle qu’elles eussent supportée, si les lames internes n’eussent eu qu’une courbure simple comme dans le nautilus pompilius. La nécessité d’une disposition de cette nature est une conséquence de la largeur des intervalles qui partagent les cloisons entre elles. La faiblesse résultant de cet écartement des lames transversales se trouvait compensée par la présence d’un lobe unique remplissant les mêmes fonctions que les lobes beaucoup plus nombreux et plus compliqués des ammonites.

Le nautile siphon et le nautile zig-zag paraissent donc être des anneaux qui rattachent les deux grands genres nautile et ammonite, et dans lesquels se voient des dispositions mécaniques intermédiaires empruntées à l’organisation des ammonites pour être appliquées à celle du nautile. La présence de lobes analogues à ceux des ammonites a eu pour but de compenser les désavantages qui fussent résultés, dans tout autre système de construction, de la position marginale du siphon dans l’une et dans l’autre de ces deux espèces, et de la distance où sont entre elles leurs cloisons transversales[68].

Il est curieux de voir que des dispositions pareilles à celles que l’on rencontre dans les formes d’ammonites les plus anciennes se retrouvent chez quelques unes des espèces les plus récentes de nautiles fossiles, et qu’elles y aient pour but de compenser la faiblesse qui eût été une conséquence des déviations qu’offrent ces espèces par rapport à la structure normale du genre nautile. C’est encore là un de ces faits qu’il faut renoncer à expliquer dans toute théorie où l’on se refuserait à admettre l’intervention d’une Intelligence régulatrice.


SECTION VI.


COQUILLES CLOISONNÉES VOISINES DES NAUTILES ET DES AMMONITES.


De ce que le nautile est une coquille externe, nous sommes conduits à conclure que toutes les coquilles fossiles de la grande et ancienne famille des nautiles et de la famille encore plus nombreuse des ammonites étaient de même des coquilles externes dont la chambre antérieure servait de demeure à quelque céphalopode ; de même, la coquille de la spirule étant, ainsi que l’a vu Péron, enfermée en partie dans l’intérieur du corps d’une sorte de seiche[69], nous en tirerons cette conséquence que plusieurs genres de coquilles cloisonnées qui, comme la spirule, ne se terminent pas au dehors par une vaste chambre, étaient probablement des coquilles internes ou en partie enveloppées, construites pour les fonctions de flotteurs d’après le même principe que le flotteur de la spirule. Nous plaçons parmi les coquilles fossiles, dont la découverte de la spirule est venue ainsi nous révéler la nature et l’emploi, celles qui composent les familles éteintes suivantes qui se rencontrent à des positions diverses depuis les couches de transition les plus anciennes jusqu’aux formations secondaires les plus récentes, les orthocératites, les lituites, les baculites, les hamites, les scaphites, les turrilites, les nummulites et les bélemnites[70].


Orthocératites, pl. 44, fig. 4.


Les orthocératites, ainsi nommées à cause de leur forme ordinaire qui est celle d’une corne droite, commencèrent à se montrer à peu près à la même époque reculée que les nautiles, dans les mers où se déposèrent les couches de transition ; et ils s’en rapprochent tellement par leur structure que nous pouvons prononcer que c’étaient des coquilles remplissant de même les fonctions de flotteurs à l’égard de quelques mollusques céphalopodes. Ce genre se compose d’un grand nombre d’espèces qui abondent dans les terrains stratifiés de la série de transition ; et c’est un de ceux qui, appelés l’un des premiers à prendre place sur la surface de notre planète, ont presque complètement disparu dès une époque très reculée[71].

De même que les nautiles, les orthocératites[72] sont des coquilles multiloculaires dont les cloisons transversales ont leur concavité tournée vers l’extérieur et sont percées à leur centre ou près des bords pour le passage d’un siphon (a). Le tube destiné à loger ce dernier varie dans son diamètre plus que celui d’aucune autre coquille multiloculaire ; car il atteint depuis un dixième jusqu’à la moitié du diamètre total de la coquille elle-même ; et souvent il prend une forme renflée qui dut permettre la dilatation d’un siphon membraneux. La base de la coquille, en avant de la dernière cloison, offre une cavité plus grande où le corps de l’animal paraît avoir été en partie contenu.

Les orthocératites sont de forme droite et conique, et offrent avec les nautiles les mêmes rapports que les baculites avec les ammonites. Les orthocératites, en effet, pourvues de cloisons transversales simples, ressemblent à des nautiles que l’on aurait redressés, tandis que dans les secondes ainsi que dans les ammonites les chambres aériennes sont formées par des cloisons transversales sinueuses. Les orlhocératites varient considérablement dans leurs formes extérieures et dans leur taille ; il en est qui ont trois pieds de long avec un diamètre d’un demi pied ; et on a compté jusqu’à soixante-dix chambres aériennes dans un seul individu. L’animal, qui avait besoin d’un semblable flotteur pour se soutenir au sein des eaux, dut surpasser de beaucoup par ses proportions les plus gigantesques de nos céphalopodes actuels ; et le grand nombre d’orthocératites que l’on rencontre parfois dans un seul bloc de pierre prouve jusqu’à quel point ces mollusques abondaient dans les eaux des océans anciens. On en trouve des quantités considérables dans les blocs d’un marbre de couleur rouge obscur appartenant au calcaire de transition de l’île d’Œland, et que l’on transporte depuis quelques années dans plusieurs parties de l’Europe pour l’employer dans les constructions architecturales[73].


Lituites.


On trouve avec les orthocératites dans le calcaire de transition de l’île d’Œland un genre de coquilles cloisonnées qui en sont voisines et que l’on a désignées sous le nom de lituites[74]. Leur extrémité la plus petite est contournée en spirale, tandis que l’extrémité la plus grande se continue en un tube droit d’une longueur considérable partagé par des cloisons qui ont leur face concave en avant et sont traversées par un siphon (a). La grande ressemblance qui existe entre ces coquilles et celles de la spirale moderne (pl. 44., fig. 2) nous conduit à penser qu’elles ont dû remplir des fonctions analogues dans l’économie de quelque céphalopode perdu.


Baculites.


De même que dans certaines roches de transition le genre orthocératite nous représente pour ainsi dire les nautiles à l’état de redressement, nous rencontrons, dans la formation crétacée seulement, un genre que l’on pourrait considérer comme une ammonite redressée[75].

Les baculites ont reçu ce nom à cause de leur ressemblance avec un bâton droit ; ce sont des coquilles coniques alongées et symétriques, déprimées latéralement et partagées en des chambres nombreuses par des lames transversales sinueuses comme celles des ammonites, et terminées de même aussi à leur jonction avec la coquille externe par des dentelures festonnées qui les partagent en des lobes et en des selles dorsales, ventrales et latérales, toutes pareilles à celles des ammonites[76].

Un fait curieux dans l’histoire de cette forme, qui n’est pour ainsi dire qu’une modification de celle des ammonites, c’est qu’on ne la rencontre pas plus tôt que les derniers étages des dépôts secondaires, dépôts dans toute l’étendue desquels cette famille des ammonites occupe une place si importante ; et qu’après une période d’existence comparativement courte, les baculites se sont éteintes en même temps que les dernières des ammonites, à l’époque où se termina la formation de la craie.


Hamites.


Si nous imaginons qu’une baculite se recourbe vers son milieu de manière à ce que ses deux extrémités deviennent à peu près parallèles, nous aurons la forme la plus simple du genre de coquilles cloisonnées voisines des précédentes, que leur courbure a fait désigner sous le nom de hamites. On voit, pl. 44, fig. 9 et 11, des portions de hamites où ce mode de courbure se montre dans sa plus grande simplicité ; d’autres espèces de ce genre sont d’une forme beaucoup plus contournée, soit qu’elles constituent une spirale serrée comme l’extrémité postérieure de la spirule, pl. 44, fig. 2, ou que cette forme spirale soit beaucoup plus ouverte comme dans la figure 8 de la même planche[77].

Il est probable que quelques unes de ces coquilles étaient en partie extérieures et en partie logées à l’intérieur du corps ; et que, dans celles qui offrent des épines, la portion armée de cette manière demeurait extérieure. On connaît neuf espèces de hamites dans la seule formation du gault on speeton clay, faisant suite immédiatement à la craie dans les environs de Scarborough. Quelques unes des plus grandes espèces sont de la grosseur du poing[78].


Scaphites.


Ce nom désigne un genre de coquilles cloisonnées elliptiques d’une beauté remarquable et qui appartiennent presque exclusivement à la formation de la craie ; Chacune de leurs extrémités est enroulée, tandis que leur portion médiane forme presque un plan horizontal, et elles rappellent ainsi la forme des bateaux chez les anciens. C’est cette particularité qui leur a fait donner le nom sous lequel on les désigne[79].

Il est à noter comme un fait digne de remarque que ces deux modifications de la structure des ammonites, qui constituent les genres scaphite et hamite, n’apparaissent que très rarement, et seulement dans le lias et l’oolite inférieur, avant la période des formations crétacées, période pendant laquelle s’éteignit presque complètement, après une existence si long-temps prolongée, le type du genre ancien des ammonites[80].


Turrilites.


Le dernier genre voisin des ammonites dont je doive faire ici mention renferme des coquilles spirales d’une forme toute différente ; elles sont enroulées autour d’elles-mêmes et représentent une sorte de tour en vis qui va en diminuant de la base au sommet[81].

Les caractères essentiels et les fonctions des turrilites furent les mêmes que ceux des scaphites, des hamites, des baculites et des ammonites. Dans chacun de ces genres, c’est surtout la forme de la coquille extérieure qui varie ; l’intérieur dans toutes est construit d’une façon semblable dans le but d’aider, à la manière d’un flotteur, les mouvemens de quelque mollusque céphalopode. Nous avons vu que les ammonites, qui commencèrent avec les couches de transition, se montrent dans toutes les formations qui suivent, jusqu’aux limites supérieures de la craie, tandis que les hamites et les scaphites sont extrêmement rares et que les turrilites et les baculites manquent complètement jusqu’à l’époque où ont commencé les formations crétacées. Ces dernières, après avoir ainsi commencé d’une manière tout à fait soudaine, disparurent soudainement aussi à la même époque que les ammonites, cédant la place qu’elles occupaient et les fonctions qu’elles remplissaient dans l’économie générale de la nature à un ordre inférieur de mollusques carnivores qui les ont suppléées pendant toute la période tertiaire, et qui les suppléent encore dans nos mers actuelles.

Dans cette revue que nous venons de passer des mollusques à coquilles cloisonnées qui se rapprochent par leur organisation des nautiles et des ammonites, nous avons parcouru toute une série continue d’organes d’une délicatesse et d’un agencement admirables et tous en rapport avec les usages qu’ils remplissent dans l’économie des divers animaux auxquels ils appartiennent. Ce sont autant de preuves de l’unité du plan qui a présidé à ces applications si nombreuses et si variées d’un même principe ; et tous ces arrangemens merveilleux ne nous témoignent pas seulement de l’action d’une intelligence, mais d’une intelligence qui fut la même à toutes les époques différentes où ces races éteintes habitèrent les océans anciens.


SECTION VII.


Bélemnites.


Nous terminerons l’étude que nous venons de faire des coquilles cloisonnées par une courte notice sur les bélemnites, famille nombreuse que l’on ne rencontre plus qu’à l’état fossile et seulement dans cette série de terrains que nous avons désignés dans notre coupe sous le nom de terrains secondaires[82]. Ces corps singuliers ont des rapports intimes avec les autres familles de coquilles cloisonnées fossiles que nous avons déjà étudiées ; mais ils en diffèrent par l’étui fibreux conique qui enveloppe leurs chambres et dont la forme est celle de la pointe d’un fer de flèche.

M. de Blainville a donné dans son mémoire important sur les bélemnites (1827) tine liste de quatre-vingt-onze auteurs qui, depuis Théophraste, se sont occupés de ce même sujet. Ceux d’entre eux dont l’opinion a le plus de valeur se sont réunis à l’hypothèse que ces corps ont été formés par des céphalopodes rapprochés de nos seiches modernes. MM. Voltz, Zeiten, Raspail et le comte Munster les ont pris successivement pour sujet de plusieurs mémoires importans. Les notices de M. Miller dans les transactions géologiques de l’année 1826 et celles de M. Sowerby dans le sixième volume de sa conchyliologie minérale, sont ce que l’on a publié en Angleterre de plus important sur les bélemnites.

Une bélemnite était une coquille interne composée qui renfermait trois parties essentielles, que l’on rencontre rarement toutes ensemble dans un état parfait de conservation.

D’abord une coquille ou étui extérieur conique fibro-calcaire s’ouvrant à son extrémité la plus large en un cône creux[83].

Puis un mince étui conique ou sorte de coupe de substance cornée qui commence à la base de l’étui creux fibro-calcaire dont il vient d’être question, et qui s’agrandit rapidement en s’étendant à une distance considérable. (Pl. 44, fig. 7, b, e, e′, e″). C’est cette coupe cornée qui constitue la chambre antérieure où étaient contenus le réservoir d’encre, c, et quelques autres viscères[84].

En troisième lieu, une coquille intérieure cloisonnée, mince et conique, que l’on désigne sous le nom d’alvéole et qui occupe l’intérieur du même cône creux calcaire. (Pl. 44, fig. 17, a ; et pl. 44′, fig. 7, b, b′.)

Cette portion cloisonnée de la coquille se rapproche beaucoup des nautiles et des orthocératites (pl. 4, fig. 17, a, b, et fig. 4) par ses formes et par les principes de sa construction. Des cloisons transversales minces la partagent en une suite de chambres aériennes étroites ou aréoles qui ressemblent à une pile conique de verres de montre. Les cloisons sont concaves en avant, convexes en arrière, et un siphon continu les traverse à leur bord inférieur ou ventral. (Pl. 44, fig. 17, b.)

Nous avons déjà décrit, chapitre xv, section ii, les pennes cornées et les réservoirs à encre qui attestent l’existence des calmars dans le lias de Lyme-Regis. On a trouvé tout récemment dans la même localité, en connexion avec des bélemnites, des réservoirs tout semblables dont quelques uns ont près d’un pied en longueur. On peut conclure de là quelle était la taille des bélemno-seiches[85] auxquelles ces débris ont appartenu.

L’existence chez ces animaux d’un réservoir d’encre aussi grand rend très probable à priori qu’ils manquaient de coquille externe ; car cette arme défensive, d’après ce que nous en savons, est donnée exclusivement en partage aux céphalopodes nus et dépourvus de la protection que trouve dans sa coquille le nautile flambé. On n’a jamais rencontré ni encre, ni réservoir destiné à la contenir, dans aucune espèce de nautile ou d’ammonite fossile. Or si une substance semblable eût existé chez les animaux qui en occupaient la chambre antérieure, on en eût rencontré quelques traces dans ces couches du lias de Lyme-Regis où abondent les nautiles et les ammonites, et où se voit si parfaitement conservée l’encre des céphalopodes nus. La seiche commune, alors même qu’elle est encore renfermée à l’intérieur de l’œuf transparent où elle se développe, possède déjà cet organe rempli de sa liqueur noire et prêt à remplir ses fonctions dès que l’animal sera éclos ; et ce réservoir est revêtu d’une couche d’une nacre brillante toute pareille à celle qui recouvre certaines membranes internes dans quelques poissons[86]. Si l’on compare la coquille des bélemnites avec celle du nautile, on trouve entre toutes leurs parties les plus importantes une analogie à peu près complète[87] ; et l’on peut étudier toute la série successive des autres genres de coquilles cloisonnées sans perdre un instant de vue ces mêmes analogies[88].

On connaît déjà quatre-vingt-huit espèces de bélemnite[89] et l’on peut juger à quel point ces mollusques se multiplièrent, par les milliers de leurs débris fossiles qui remplissent les formations oolitiques et crétacées. Si l’on observe que dans chacune de ces deux grandes formations, la famille éteinte plus nombreuse encore des ammonites coexista avec celle des bélemnites, et que chacune des espèces qui en font partie offre des dispositions plus compliquées et plus parfaites que celles que nous sommes à même d’observer dans le petit nombre de céphalopodes voisins des précédens en organisation et qui vivent encore, on arrivera à cette conclusion que ces familles eurent parmi les habitans des mers d’autrefois une prédominance numérique, et qu’ils y jouèrent un rôle dont se trouvent dépossédées le petit nombre de créatures qui les représentent dan s nos océans modernes.


Conclusion.


Il résulte du coup d’œil que nous venons de jeter sur les affinités zoologiques qui existent entre les espèces vivantes et les espèces éteintes de coquilles cloisonnées, qu’elles sont toutes comprises dans un même plan unique d’organisation. Chacune de ces espèces constitue un anneau de la chaîne commune qui unit entre elles les espèces existantes et celles qui ont subi les conditions les plus anciennes de la vie à la surface de notre globe ; toutes, elles attestent l’unité du plan qui a présidé à l’emploi, pour des fins identiques, de cette infinie variété d’instrumens, dont la construction dans chaque espèce repose sur des principes essentiellement les mêmes.

Tout nous porte à croire que dans cette foule de coquilles cloisonnées vivantes et éteintes, et d’une organisation si variée, le siphon et les chambres aériennes ont rempli constamment un office identique, celui de modifier le poids spécifique de l’animal, de telle sorte qu’il puisse à son gré se précipiter au fond des eaux ou venir flotter à leur surface. Chaque fois qu’une cloison nouvelle s’ajoutait à l’intérieur de chacune de ces coquilles coniques, c’était une nouvelle chambre aérienne plus vaste que la chambre précédente, qui venait contrebalancer l’augmentation du poids résultant de l’accroissement de la coquille et du corps de l’animal.

Tous ces arrangemens si pleins de beauté n’ont encore maintenant et n’ont jamais eu qu’un seul objet commun, à savoir la construction d’instrumens hydrauliques d’une importance première dans l’économie de créatures qui ont été faites pour vivre dans les eaux à des hauteurs différentes, depuis le fond jusqu’aux couches les plus supérieures. La délicatesse des agencemens à l’aide desquels un principe se conserve le même dans tous les degrés que parcourt un même type, et dans toutes les modifications qu’il subit, nous démontre l’action de quelque Intelligence régulatrice. L’esprit, quand il recherche l’origine de tant de sagesse et de régularité unies à tant de variété, ne s’arrête pas qu’il n’ait dépassé toute la série subordonnée des causes secondaires pour s’élever jusqu’à la grande Cause première ; et cette Cause, il ne la trouve que dans la volonté et dans le pouvoir d’un Créateur commun de toutes choses.


SECTION VIII.


COQUILLES FORMAMINÉES POLYTHALAMES.


Nummulites.


Si l’occasion nous était offerte de nous livrer à des recherches aussi minutieuses, nous rencontrerions, dans l’étude des diverses espèces connues de coquilles microscopiques, toute une série de dispositions non moins en rapport avec l’économie des petits céphalopodes qui habitent ces coquilles, que ne le sont tous les arrangemens que nous avons admirés dans les plus grandes coquilles de céphalopodes perdus. M. d’Orbigny a compté jusqu’à six à sept cents de ces espèces, dont cent ont été figurées par lui grossies, représentant tous les genres[90].

La plupart de ces coquilles sont microscopiques, et abondent dans les eaux de la Méditerranée et de l’Adriatique. Leurs espèces fossiles se trouvent principalement dans les terrains tertiaires, et, jusqu’à ce jour, c’est en Italie qu’on les a surtout rencontrées[91] ; mais on en voit dans la craie de Meudon, dans le calcaire jurassique de la Charente-Inférieure, et dans l’oolite de Calne. Le marquis de Northampton en a découvert dans des silex de la craie des environs de Brighton.

Je ne m’occuperai dans ce chapitre que du genre nummulite, que M. d’Orbigny place dans sa section des nautiloïdes. Ces coquilles[92] sont ainsi appelées à cause de leur ressemblance avec une pièce de monnaie. Leur taille varie depuis celle d’un écu de six livres, jusqu’à une petitesse microscopique ; et elles occupent une place importante dans l’histoire des coquilles fossiles, à cause de leur quantité prodigieuse dans les étages supérieurs des terrains secondaires, et dans plusieurs des couches tertiaires. Souvent on les rencontre amoncelées, et serrées les unes contre les autres, comme les grains dans un tas de blé. Dans cet état, elles forment une partie considérable de la masse entière de plusieurs montagnes, comme on le voit dans les terrains calcaires tertiaires de Vérone et du Monte Bolca, et dans les terrains stratifiés secondaires des formations crétacées, dans les Alpes, par exemple, dans les monts Carpathiens et dans les Pyrénées. Quelques unes des Pyramides et le Sphynx de l’Égypte sont construites avec un calcaire rempli de nummulites.

Il est impossible que nous voyions ces masses montagneuses formées avec les coquilles d’une famille unique ainsi surajoutées aux matériaux solides qui constituent l’écorce du globe, sans qu’aussitôt cette idée frappe notre esprit, que chacune de ces coquilles en particulier a tenu une place importante dans l’organisation de quelque animal vivant, et sans que notre imagination se trouve ainsi reportée en arrière, jusqu’à ces époques reculées où les eaux de l’Océan, qui recouvrait alors notre Europe, étaient remplies par des bancs flottans de ces mollusques éteints, pareils à ces bancs de beroés et de clios, qui s’observent de nos jours dans les eaux des mers polaires[93].

Les nummulites, de même que les nautiles et les ammonites, sont partagées en des chambres aériennes dont l’ensemble était destiné à remplir l’office d’un flotteur ; mais on n’y voit point une dernière chambre plus grande où ait pu être contenue quelque portion du corps de l’animal. Les chambres sont extrêmement nombreuses, et des cloisons transversales les partagent en petites subdivisions. Le siphon manque[94]. La forme des parties essentielles varie dans chaque espèce appartenant à ce genre ; mais leurs principes de construction et le mode suivant lequel elles remplissent leurs fonctions paraissent avoir été les mêmes dans toutes.

Les nummulites ne sont pas les seuls débris animaux qui constituent les couches calcaires de l’enveloppe du globe. Il est d’autres coquilles, d’une taille encore plus petite, qui ont produit des résultats plus grands et plus surprenans. Lamarck[95], en parlant des millioles, petites coquilles multiloculaires dont la grosseur n’excède pas celle d’un grain de millet, et qui remplissent les couches de plusieurs carrières des environs de Paris, a fait ressortir l’influence géologique qu’ont exercée ces petits corps, en raison de leur excessive abondance. À la vue de leur taille insignifiante, dit-il, on hésite à porter l’examen sur ces coquilles microscopiques ; mais on cesse de les regarder avec ce mépris, lorsque l’on considère que c’est à l’aide des objets les plus petits que la nature produit quelquefois ses plus remarquables, ses plus imposans phénomènes. Ce qu’elle semble perdre en volume, dans la création des êtres vivans, elle le regagne amplement par le nombre des individus qu’elle sait multiplier jusqu’à l’infini avec une admirable promptitude. Les restes de ces individus si petits ont grossi davantage la masse des matériaux qui constituent la croûte extérieure du globe que ne l’ont fait les ossemens des éléphans, des hippopotames et des baleines.




  1. Voyez l’introduction de M. Broderip à son Mémoire sur quelques espèces nouvelles de brachiopodes, dans les Transactions géologiques, t. 1, p. 141.
  2. Ce nom est tiré de la position qu’occupent les pieds ou les appareils de la locomotion à la partie inférieure du cou ou au devant du corps. À l’aide de ces organes, les trachelipodes rampent à la manière du limaçon commun des jardins (Helix aspersa).

    Cette même espèce offre en outre un exemple familier de la disposition que prennent les viscères principaux de ces mollusques à l’intérieur de leur coquille enroulée.

  3. Voyez son Mémoire lu à la Société royale de Londres, en juin 1825.
  4. La trompe dont se servent les trachelipodes carnivores pour perforer les autres coquilles est armée d’une infinité de petites dents disposées comme les dents d’une lime à la surface d’une membrane rétractile que l’animal applique sur la coquille, de façon à pouvoir mettre les dents en jeu, et traverser du dehors au dedans la substance calcaire dont cette coquille est composée ; c’est à travers ce trou qu’il peut extraire, pour s’en nourrir, les humeurs contenues dans le corps du mollusque destiné à lui servir de pâture. Un exemple familier de cet organe mou est fourni par la trompe rétractile du buccinum lapillus et du buccinmi undatum, si communs sur nos côtes.

    M. Osier a publié tout récemment sur ce sujet, dans les Transactions philosophiques (1832, 2e partie, page 497), un Mémoire intéressant dans lequel il a figuré la langue du buccinum undatum avec l’espèce de râpe dont cet organe est recouvert, et qui sert à l’animal pour la perforation des coquilles, dont les habitans forment sa nourriture ; et ce savant a modifié les idées que l’on s’était faites sur ce point, en faisant voir que si d’une part il est en effet vrai que les coquilles à bouches échancrées annoncent dans les mollusques qui y séjournent des habitudes carnivores, il ne l’est pas également qu’une ouverture buccale entière soit constamment l’indice certain d’un régime herbivore.

  5. M. Dillwyn fait encore observer que tous les trachelipodes herbivores marins des couches de transition et des couches secondaires étaient pourvus d’un opercule que l’on pourrait regarder comme destiné à les défendre contre les céphalopodes carnivores qui pullulaient à cette époque, mais que dans les formations tertiaires on rencontre une foule de genres herbivores dépourvus de cet appendice, comme si c’était en effet parce qu’un semblable bouclier était devenu inutile après que les ammonites et les genres voisins des céphalopodes carnivores avaient disparu à la fin de la période secondaire, c’est-à dire après le dépôt de la craie.
  6. « Un fait qui n’aura pas échappé à l’attention de nos lecteurs, c’est que le poids spécifique des coquilles terrestres que nous avons énumérées surpasse généralement celui des coquilles flottantes. La raison de cette différence est aisée à saisir. Tout en demeurant d’un transport facile, les coquilles terrestres devaient résister aux changemens de température et à l’action des agens atmosphériques ; c’est pourquoi elles sont en même temps plus minces et d’une densité plus grande. La coquille de l’argonaute, au contraire, ainsi que celle du nautile et des mollusques qui ont les mêmes habitudes, doivent réunir la légèreté à un degré de force suffisant, ce qui explique pourquoi ces sortes de coquilles sont d’un poids spécifique moindre. La coquille la plus dense que l’on ait observée appartient à une hélice ; celle de l’argonaute est la plus légère, et l’ianthine, mollusque flottant, est également au nombre de ceux dont la coquille est spécifiquement la moins dense. Le poids spécifique de toutes les coquilles terrestres qui ont été étudiées est supérieur à celui du marbre de Carrare, et à peu près égal à celui de l’arragonite. Quant aux coquilles marines et d’eau douce, elles surpassent toutes ce même marbre de Carrare, à l’exception des genres argonaute, nautile, ianthine, lithodome, haliotide, et d’un grand taret des Indes-Orientales, à coquille rayonnée cristalline. Le poids spécifique de la coquille de l’haliotide est exactement égal à celui du marbre que nous avons pris pour terme de comparaison » (De la Beche, Geolog. Researches, 1834, fig. 376.)
  7. En jetant les yeux sur la figure du calmar commun (loligo vulgaris Lamk.— Sepia loligo, Linné) pl. 28, fig. 1, on comprendra facilement le motif qui a fait donner le nom de céphalopodes à une grande division animaux mollusques dont les bras sont disposés autour de la tête. Ces bras sont garnis à leur face interne de plusieurs rangées, de cupules cornées ou ventouses, à l’aide desquelles l’animal s’empare de sa proie et adhère aux corps extérieurs. La bouche ressemble, par sa forme et par la substance dont elle se compose, au bec d’un perroquet, et les bras forment un cercle tout autour ; c’est à l’aide de ces bras et des ventouses qui les garnissent que le poulpe commun (sepia octopus—polypus des anciens) rampe, la tête en bas, sur le fond de la mer.
  8. Nous devons cette découverte au savoir et à la sagacité dé mademoiselle Mary Anning. Elle s’est acquis en outre des droits à la reconnaissance du monde scientifique, en rendant à la lumière un grand nombre de restes précieux de reptiles fossiles du Lias de Lyme-Regis.
  9. Pl.28, fig. 1.
  10. On pourra juger par le fait suivant jusqu’à quel point l’encre fossile des céphalopodes conserve son caractère et ses propriétés. En 1826, je communiquai un fragment de cette encre à mon ami sir Francis Chantrey, afin qu’il eût à l’essayer comme substance propre à la peinture. Après l’avoir broyée, il s’en servit en effet pour exécuter un dessin au lavis ; et ce dessin ayant, été mis sous les yeux d’un peintre célèbre sans qu’on lui eût fait connaître à l’avance là substance colorante que l’on avait employée, il dit immédiatement que c’était là une sépia d’excellente qualité, et pria qu’on voulût bien lui indiquer chez quel fabricant de couleurs on l’avait achetée. La sépia ordinaire dont on se sert pour la peinture provient d’une espèce de seiche de l’Orient. On assure que l’encre de seiche à l’état naturel n’est soluble que dans l’eau, et qu’elle s’y dissémine instantanément en y formant un nuage étendu ; ce sont là des propriétés qui la rendent éminemment propre à remplir, dans le seul fluide où elle soit versée naturellement, les fonctions auxquelles elle a été destinée.
  11. Déjà nous avons employé ailleurs le même raisonnement pour démontrer avec quelle promptitude ont été détruits et ensevelis les sauriens, dont les squelettes se retrouvent entiers dans le même lias où se rencontrent les débris de calmars qui font le sujet de ce chapitre.

    D’un autre côté, l’existence d’intervalles entre le dépôt des diverses couches constitutives du lias nous est démontrée par ce fait que plusieurs lits de cette formation renferment en abondance des coprolites dispersés isolément et sans ordre, souvent fort distans entre eux, ainsi que de tout squelette de saurien auquel ils puissent devoir leur origine, et par cette autre circonstance encore que la surface de ces coprolites, qui était tournée en haut dans la position qu’ils avaient prise au fond de la mer, a souvent été en partie détruite par l’action de l’eau avant que le coprolite eût été recouvert complètement et protégé par le sédiment vaseux à la surface duquel il était tombé. Nous en trouvions encore une autre preuve dans la multitude innombrable de coquilles de mollusques et de conchifères qui ont parcouru toutes leurs périodes d’accroissement au fond des mers, durant ces intervalles de repos qui partagèrent les irruptions d’eaux vaseuses où parurent et furent ensevelis les habitans des eaux partout et à toutes les époques où ces irruptions eurent lieu.

  12. Versteinerungen Wurtembergs, par Zeiten. Stuttgart, 1853, pl. 25 et pl. 37.
  13. Autant que l’on en peut juger d’après les divers traits et les lignes retracées dans la planche de Zeiten, notre espèce du lias de Lyme-Regis est la même qu’il désigne sous le nom de loligo Aalensis ; mais parmi les échantillons trouvés en Angleterre, je n’en ai encore vu aucun qui ressemble à son loligo Bollensis.
  14. La ressemblance extérieure qui existe entre les pennes des calmars et une plume d’oiseau ne s’étend aucunement à leur structure interne, et l’on pouvait s’y attendre d’après la différence qui existe entre les usages auxquels les unes et les autres sont destinées. Néanmoins, afin de pouvoir les décrire avec plus de facilité, nous considérerons les premières comme composées des trois parties suivantes, désignées dans toutes les figures que nous en donnons par les mêmes lettres A, B, C. La lettre A (pl. 28, 29 et 30) indique les filamens externes de la penne que l’on peut comparer à ceux d’une plume ordinaire. Les extrémités intérieures de ces filamens sont rangées sur une ligne droite, et leur direction est d’ordinaire oblique avec le bord extérieur des bandes marginales. Ces deux bandes (B B) séparent la base des filamens de la flèche médiane. Leur surface offre d’ordinaire, dans les pennes les plus petites, des stries angulaires d’accroissement (pl. 28, fig.6, et pl. 29, fig. 2). Ces stries, dans des échantillons plus grands, deviennent de plus en plus obtuses et finissent par se convertir en des courbes aplaties (pl. 29, fig. 1, et pl. 30 La troisième partie est la flèche élargie qui forme la portion médiane de la penne ; une ligne droite, ou axe, C, la partage longitudinalement en deux parties égales. Cette flèche est formée de nombreuses lames minces d’une substance qui ressemble à de la corne, et qui se recouvrent mutuellement comme les feuilles de papier qui entrent dans la composition du carton. Ces lames sont alternativement formées par des fibres longitudinales et par des fibres transversales ; les fibres longitudinales (pl. 28, fig. 7, f. f) sont droites et à peu près parallèles à l’axe de la flèche ; les fibres transverses (pl. 28, fig. 7, e. e) sillonnent la flèche d’une double série symétrique de courbes ondulées. Ces fibres transverses ne s’entrelacent pas avec les fibres, longitudinales comme la trame du tisserand avec la chaîne, mais elles leur sont seulement juxta-posées, et adhérentes comme les feuillets du papyrus dans le papier que l’on fabrique avec cette matière. La solidité d’un papier pareil est de beaucoup supérieure à celle du papier que l’on fait avec le lin ou le coton, et dont les fibres prennent toutes sortes de directions. Les fibres de l’une et de l’autre sorte se réunissent aussi de distance en distance, en des faisceaux cannelés (pl. 30 d et e). La surface d’une même lame offre par conséquent une succession de rides et de sillons, et les surfaces de deux lames consécutives s’ajustent l’une contre l’autre d’une façon qui réunit admirablement, dans l’ensemble qui en résulte, la force et l’élasticité.
  15. C’est ainsi que le nautilus mullicarinatus ne se trouve que dans les couches de la formation de transition ; le nautilus bidorsatus, dans le muschelkalk ; le nautilus obesus et le nautilus lineatus.dans la formation oolitique ; le nautilus elegans et le nautilus undulatus, dans la craie. Les divisions des formations tertiaires offrent également des espèces de nautiles qui leur sont particulières.
  16. Durant les périodes tertiaires, une classe d’animaux inférieurs en organisation, celle des trachélipodes carnivores, a pris la place qu’occupait durant les périodes secondaires l’ordre plus élevé des céphalopodes carnivores. Il y a dans cette substitution une rétrogradation qui nous semble devoir porter un coup mortel à cette doctrine de progrès continu, que défendent surtout ceux qui refusent d’admettre l’intervention réitérée de la puissance créatrice dans les changemens successifs qu’a subis l’animalité.

    Il résultera de l’étude que nous allons faire des coquilles de nautiles fossiles, qu’elles ont conservé, dans les terrains stratifiés de tous les âges, la simplicité primitive de leur structure, et que cette structure est essentiellement dans le nautilus-pompilius ou nautile flambé des mers actuelles ce qu’elle était dans les espèces fossiles les plus anciennes des couches de transition. En même temps nous verrons la famille des ammonites, si voisine de la précédente et dont les coquilles sont d’un travail plus compliqué que celles des nautiles, commencer d’exister à la même époque reculée des formations de transition et s’éteindre dès la fin des formations secondaires. Les coquilles multiloculaires des genres voisins nous offriront des exemples plus récens de genres et d’espèces dont la création a été suivie de leur extinction périodique et complète, postérieurement à l’époque où ont disparu les ammonites, ou à cette époque-là même. Je citerai, parmi ces coquilles, les genres hamite, turrilite, scaphite, baculite et belemnite ; et je vais dans la présente section signaler quelques particularités de l’histoire de chacun de ces genres.

  17. Pl. 31, fig. et pl. 44, fig. 1, 2.

    Je ne fais pas mention de la coquille plus connue de l’argonaute, ou nautile papyracé, parce que, n’étant pas une coquille cloisonnée, elle n’offre point un rapport aussi direct avec l’objet que je me propose ici, et aussi parce que l’on ne sait pas encore d’une manière certaine si la seiche que l’on y trouve l’a réellement construite, ou si ce n’est que le parasite d’une coquille appartenant à quelque autre animal encore inconnu. MM. Broderip, Gray et Sowerby t’attribuent à quelque mollusque voisin de la carinaire.

  18. C’est un fait curieux que, bien que la coquille du nautile ait été connue des naturalistes dès l’époque d’Aristote, et se trouve en abondance dans toutes les collections, les seules données authentiques que l’on ait possédées jusqu’à ces dernières années sur l’animal qui l’habite se réduisent à ce qu’en a dit Rumphius dans son histoire d’Amboyne. Or la figure de cet auteur, bien qu’assez correcte dans le peu que l’on y voit, est tellement insuffisante dans les détails, qu’il est impossible d’en rien conclure relativement à l’organisation interne de l’animal.

    Je suis heureux de cette occasion qui m’est offerte de rendre hommage au mémoire admirable et plein de philosophie dont M. Owen a enrichi la science. C’est une œuvre qui n’honore pas moins son auteur que le collège royal des chirurgiens, sous les auspices duquel s’est faite cette remarquable publication.

  19. Toutes les espèces de coquilles fossiles multiloculaires, telles que les orthocératites, les baculites, les hamites, les scaphites, les belemnites et autres, dont la dernière chambre ou chambre externe paraît trop petite pour avoir contenu le corps tout entier des animaux qui les ont formées, ont été placées dans un jour tout nouveau, par la découverte qu’a faite Peron d’une coquille cloisonnée bien connue, la spirule, laquelle est en partie renfermée dans l’extrémité postérieure du corps d’une espèce de seiche (pl. 44, fig. et 2). Deux circonstances avaient jeté quelque doute sur l’authenticité de cette découverte ; d’abord le peu d’accord qu’il y a entre les deux figures qui en ont été données, l’une dans l’Encyclopédie méthodique, l’autre dans le Voyage de Peron ; puis la perte de l’échantillon lui-même, avant qu’il eût subi aucun examen anatomique ; mais la rencontre qu’a faite depuis le capitaine King de la même coquille fixée à un fragment mutilé d’un céphalopode voisin de la seiche ne permet pas de douter que la spirule ne soit bien réellement une coquille interne dont la portion dorsale seule est externe, ainsi qu’on le voit dans chacune des figures qui en ont été faites d’après l’échantillon de Peron (pl. 44, fig. 1).
  20. Cette planche a été copiée d’après la pl. 1 du mémoire de M. Owen ; elle représente un échantillon de la magnifique collection de mon ami M. W. J. Broderip, dont j’ai pu mettre à profit les vastes connaissances en histoire naturelle.
  21. Pl. 31. fig. 2. 3.
  22. On voit, pl. 31, fig. 5, la mandibule inférieure armée en avant, comme dans la figure 2, d’un tranchant dur et calcaire ; et la figure 4 représente la portion antérieure calcaire du plancher de la mandibule supérieure (fig. 2) lequel est formé de la même substance calcaire dont se compose sa pointe ; cette substance est de la nature de la coquille.

    Ces portions calcaires qui terminent les deux mandibules sont d’une force suffisante pour broyer les crustacés et les mollusques à travers leurs enveloppes solides, et elles servent en outre à accroître considérablement la puissance du bec lui-même, qui n’est composé que d’une lame cornée mince et coriace.

    J’ai examiné les substances contenues dans l’estomac de la seiche et du calmar ordinaire, et j’y ai trouvé de nombreuses coquilles de petits mollusques conchifères.

  23. Pl. 31, fig. 1 et pl. 32, fig. 1 et 2.
  24. Pl. 31, fig. 1, pl. 32, fig. 2 et pl. 33.
  25. Pl. 31, y, y, a, b, c, d, e, et pl. 32, a, b, c, d, e, f.
  26. Le siphon représenté pl. 31, fig. 1, fait bien voir la structure et les usages de cet organe. Dans les chambres les plus petites, à partir de d, il est entouré d’une enveloppe ou étui mince, d’une substance calcaire presque pulvérulente, et d’une consistance tellement molle qu’on peut facilement l’enlever avec le bec d’une plume ; cette gaine est susceptible des mêmes mouvemens de contraction et de dilatation que le tube membraneux lui-même qui y est renfermé. On rencontre souvent conservé dans les nautiles fossiles un pareil étui calcaire formé (pl. 32 fig. 2 et 3, et pl. 33) par une série de tubes de carbonate de chaux étroitement fixés à l’espèce de collier qui entoure l’ouverture de chacune des cloisons transversales. Dans des chambres de la coquille récente figurée pl. 31 (fig. 1, a, b, c, d), cet étui est en partie séparé du tube membraneux, qui s’est desséché et a pris la forme d’une substance élastique noire rappelant le tube siphonculé continu et noir que l’on rencontre souvent conservé à l’état carbonisé dans les ammonites fossiles.

    Des bords de l’ouverture pratiquée dans chacune des cloisons transversales pour le passage du siphon (Pl. 54, fig. 1, y, y.), s’élève une sorte de collier formé de la subsistance même de la coquille, lequel se projette en arrière, et s’étend jusqu’au quart environ de la distance des deux cloisons. Ce sont ces colliers qui impriment, au siphon la direction qu’il doit prendre pour traverser les chambres successives ; et ils lui offrent en outre un appui ferme quand il est distendu par le liquide. On voit des colliers semblables sur les cloisons transversales d’un nautile fissile (pl. 32, fig. 2, e, et fig. 3, e, 1, et pl. 33). En traversant cette suite de supports très rapprochés, le siphon, lorsqu’il est distendu, se partage en une série de compartiment courts, ou de petits sacs de forme ovale, dont chacun communique avec les sacs voisins par une ouverture ou goulot étroit qu’entoure et que soutient fixement le collier de chacune des cloisons transverses. (Pl. 32, fig. 2, 3, et planche 33.)

    La force de chacun de ces sacs est accrue par la brièveté de l’espace qui existe entre ses deux extrémités ; et le tube membraneux tout entier, partagé ainsi en trente ou quarante compartimens distincts, tire, de cette division même plus de force pour résister à l’expansion du fluide qui est introduit dans son intérieur.

  27. M. Owen nous apprend qu’il est impossible que l’eau pénètre dans les chambres aériennes par les ouvertures des cloisons que traverse le siphon ; car la circonférence du manteau, qui donne naissance au siphon, est solidement attachée à la coquille par une ceinture cornée imperméable à toute espèce de liquide. — Mémoire sur le Nautilus Pompilius, p. 47.
  28. Pl. 31, fig. 1 et pl. 32, fig. 1.
  29. Pl. 32, fig. 1, de a en b.
  30. Pl. 32, fig. 1, de b en c.
  31. Cette direction différente donnée aux courbures des côtes transversales extérieures on des stries d’accroissement, et aux cloisons transversales de l’intérieur, est une combinaison des plus avantageuses pour augmenter la résistance de la coquille, soit chez les nautiles fossiles, soit dans l’espèce notre contemporaine. Comme les closons internes ont leur face convexe tournée en dedans (pl. 32. fig. 4, de b à c), tandis que les cannelures de la coquille externe ont la plus grande partie de leur convexité tournée vers l’extérieur, il en résulte que la circonférence des cloisons est coupée par les cannelures en un grand nombre de points, et forme avec ces dernières un grand nombre de parallélogrammes curvilignes, dont les côtés les plus courts sont formés par les cloisons transverses, et les plus longs par des portions des cannelures externes. Ce même principe de construction, que nous avons figuré dans notre planche, d’après le nautilus hexagonus, s’étend à d’autres espèces de la même famille, dont plusieurs n’offrent que des cannelures beaucoup plus petites ; et on la retrouve encore dans d’autres familles de coquilles cloisonnées fossiles, dans les ammonites, par exemple, planches 35 et 38 ; dans les scaphites, pl. 44, fig. 15, dans les hamites pl. 44, fig. 8-13 ; dans les turrilites pl. 44, fig. 14 ; et dans les baculites pl. 44, fig. 5.
  32. Il existe un jeune nautilus pompilius dans la collection de M. Broderip, qui ne présente que dix-sept cloisons : Le docteur Hook assure en avoir vu où il y en avait jusqu’à quarante. La pl. 42, fig. 1 représente un moule de l’intérieur des cavistes aériennes du nautilus hexagonus.
  33. Pl. 31, fig. 1, et pl. 32, fig. 1 et 2.
  34. Pl. 32, fig. 2 et 3, et pl. 33.

    La planche 32, fig. 2, représente un fragment brisé de l’intérieur du nautiles hexagonus, dans lequel les cloisons transversales (c, c′)sont encroûtées d’un spath calcaire. Le siphon est encroûté de la même manière, et les renflemens qu’il présente peuvent faire reconnaître le mode d’action de cet organe (Pl. 32, fig. 2, a, a1, a2, a3, d, e, f, et fig. 3, d, e, f). La fracture qui existe dans la fig. 2. b, laisse voir que le diamètre du siphon, là où il passe à travers les cloisons transverses, est beaucoup moindre qu’aux points intermédiaires (en d, e, f). On voit dans les coupes transversales pratiquées en a en b de la figure 2, et dans les coupes longitudinales, en d, e, f, des figures 2 et 5, que l’intérieur du siphon est rempli d’une substance pierreuse de même nature que la roche dans laquelle on a trouvé la coquille. Ces matériaux terreux ayant pénétré à l’état mou et plastique dans l’intérieur du tube par son orifice, figuré en a, s’y sont moulés ; et ce moule, qui s’est conservé jusqu’à nous, prouve que l’intérieur du tube, lorsqu’il était distendu, ressemblait à un collier de grains ovales réunis par un col étranglé, dont le diamètre n’est guère que la moitié du diamètre qu’offrent ces renflemens dans leur milieu.

    On voit un siphon renflé et rempli presque en entier par la matière pierreuse de la roche environnante, dans l’échantillon du nautilus striatus que nous avons figuré, pl. 33, et qui provient du lias de Whitby. La matière du lias qui remplit le siphon a dû y pénétrer à l’état de boue liquide, et en quantité à peu près égale à ce qu’il s’y trouvait de fluide péricardial au moment où cet organe agissait pour faire plonger l’animal. On ne trouve pas, dans une seule des chambres aériennes, la plus faible quantité de cette substance ; elles sont toutes remplies d’un spath calcaire qui ne s’y est introduit que depuis, par une infiltration graduelle, et à des périodes successives reconnaissables aux changemens de couleur dans la substance du spath. Dans tous ces nautiles fossiles, l’ensemble des moules terreux contenus dans l’intérieur du siphon représente la masse liquide que cet organe pouvait contenir.

    On voit en d, e, f, pl. 32 fig. 3, la coupe des bords de la gaine calcaire qui entoure les moules internes de trois des compartimens du siphon rende. Peut-être cette gaine calcaire était-elle flexible comme celle qui entoure le siphon membraneux du nautilus pompilius de l’époque actuelle (pl. 31, fig. 1, b, d, e). La continuité de cette gaine dans l’intérieur des chambres aériennes (pl. 32. fig. 2 et 3 d, e, f, et pl. 33) prouve qu’il n’existait aucun point de communication pour le passage d’un fluide quelconque du siphon dans l’intérieur des chambres ; s’il eût existé en effet quelque communication semblable, une portion de la substance terreuse déliée qui, dans les deux cas que nous éludions, s’est moulée à l’intérieur du siphon, eût dû nécessairement passer dans l’intérieur des chambres ; or, on n’y trouve rien autre chose que le spath cristallisé qui pénétra par infiltration à travers les pures de la coquille, après que cette dernière eut été assez décomposée pour pouvoir être traversée par de l’eau tenant en dissolution du carbonate de chaux.

    Ce raisonnement peut s’appliquer avec le même succès aux moules solides de carbonate de chaux pur cristallisé qui remplit complètement les chambres de l’échantillon de la pl. 32, fig. 1 ; et on peut l’étendre encore à tous les nautiles fossiles et aux ammonites, soit que leurs chambres aériennes soient entièrement vides, ou qu’elles soient remplies eu tout ou en partie par du carbonate de chaux pur cristallisé. (Pl. 42, fig. 1, 2 et 3, et pl. 36.) Dans tous les cas semblables, il est évident qu’il n’a existé aucune communication par où l’eau put passer du siphon dans l’intérieur des chambres aériennes ; et toutes les fois que le tube a été rompu, ou que la coquille externe a été brisée, ou voit que le sédiment terreux où étaient contenues ces coquilles brisées s’est introduit dans les chambres aériennes que l’on trouve remplies d’argile, de sable ou de chaux.

  35. Pl. 34, p, p, a, a.
  36. Voy. la note précédente.
  37. Le siphon est formé d’une membrane mince et résistante, entourée d’une couche de fibres musculaires qui en produisent la contraction et la dilatation alternatives, pour admettre le fluide dans son intérieur ou l’en repousser (voyez le mémoire de M. Owen, p.10).C’est par erreur qu’il est dit dans noire première édition anglaise que cet organe n’offrait aucune apparence de fibres musculaires.
  38. Pl. 31, fïg. 1.
  39. D’après la figure de l’animal du nautile que j’ai donnée dans la planche 34, et que je dois à l’obligeance de M. Owen, l’extrémité supérieure du siphon, indiquée par l’introduction d’un stylet b, va se terminer dans la cavité du péricarde p. p. Comme cette cavité contient un liquide secrété par certains follicules glanduleux, et que sa capacité suffit selon toute probabilité pour que ce liquide remplisse complètement le siphon, il est probable que c’est ce liquide lui-même qui est mis en circulation dans l’appareil, et qui, suivant qu’il passe dans le siphon ou dans le péricarde, produit les mouvemens d’ascension ou de descente de l’animal.

    Lorsque les bras et le corps sont déployés, le fluide reste dans le sac péricardiaque ; le siphon est vide, contracté et entouré de l’air qui est constamment contenu dans chaque chambre aérienne. Dans cette situation, l’animal et sa coquille sont d’un poids spécifique tel qu’ils s’élèvent dans l’eau et viennent flotter à sa surface.

    S’il survient quelque sujet d’alarme, les bras et le corps se contractent pour rentrer dans la coquille, et compriment le fluide du péricarde de manière à le faire rentrer dans le siphon ; et, comme le contenu de la coquille s’accroît ainsi sans que la capacité de cette dernière subisse aucun changement, le poids spécifique de l’ensemble s’augmente, et l’animal est entraîné au fond des eaux.

    L’air contenu dans chaque chambre demeure ainsi comprimé aussi long-temps que le siphon continue d’être distendu par le fluide péricardial ; mais son élasticité lui fait reprendre son volume primitif aussitôt que la compression du corps cesse d’agir sur le péricarde ; elle concourt, avec la couche musculaire du siphon, à repousser le fluide dans ce dernier sac. La coquille, ayant ainsi perdu de son poids spécifique, tend à revenir vers la surface.

    Le péricarde est donc le lieu qu’occupe naturellement ce fluide, si ce n’est lorsqu’il est chassé et maintenu dans l’intérieur du siphon par la rétraction du corps dans la coquille. Quand les bras et le corps sont développés, soit à la surface, soit au fond de la mer, l’eau a un libre accès dans les cavités branchiales, et les mouvemens du cœur s’exécutent en pleine liberté à l’intérieur du péricarde distendu. Ce dernier organe n’est jamais vide d’une partie du liquide qu’il contient, qu’au moment où le corps est contracté à l’intérieur de la coquille, et où par conséquent l’arrivée de l’eau sur les branchies se trouve arrêtée.

    Les expériences suivantes font voir que la quantité de liquide à ajouter à la coquille du nautile, pour la faire plonger, est d’environ une demi-once.

    J’ai pris deux coquilles complètes de nautile, dont chacune pesait environ six onces et demie dans l’air, et avait à peu près sept pouces dans son plus grand diamètre, et j’ai trouvé, après avoir bouché le siphon avec de la cire, que chaque coquille placée dans l’eau douce exigeait pour s’enfoncer l’addition d’une once et de quelques grains. Comme la coquille fraîche et fixée à l’animal vivant pouvait peser un quart d’once environ de plus que cette même coquille desséchée, et que d’ailleurs le poids du corps de l’animal contracté pouvait dépasser d’un autre quart d’once le poids de l’eau qu’il déplaçait, il reste une demi-once environ pour le poids du liquide qui devait être introduit dans le siphon pour que la coquille plongeât, et c’est là une quantité qui paraît tout à fait en rapport avec la capacité, soit du péricarde, soit du siphon.

  40. Si les chambres se remplissaient d’eau, la coquille ne serait plus soutenue que par une action musculaire, et au lieu de se tenir verticalement au dessus du corps, dans une position commode et sûre, elle serait continuellement entraînée à tomber sur le côté et, par conséquent, exposée à des frottemens sur le fond qui la détérioreraient en même temps que l’animal demeurerait exposé aux attaques de ses ennemis. D’après Rumphins, le nautile rampe avec assez de vitesse, la coquille en haut, la tête et les barbes (tentacules) contre le fond. L’auteur a observé lui-même que la coquille du planorbis-corneus occupe la même position verticale lorsque l’animal rampe au fond de l’eau.
  41. Hook’s Experiments, in-8, 1726, p. 508.
  42. Organic remains, t. 3, p. 102.
  43. Les observations récentes de M. Owen prouvent qu’il n’existe pas de glande en rapport avec le siphon, pareille à celle qui, suivant l’opinion reçue, sécrète l’air de la vessie natatoire des poissons.
  44. Expériences du docteur Hook, p. 506.
  45. Ainsi l’une des premières espèces que l’on rencontre, l’ammonite de Henslow (pl. 40, fig. 1) ne se montre plus après les formations de transition ; l’ammonite à nœuds (A. nodosus) commence et finit d’exister en même temps que le muschel-kalk. Il y a encore d’autres espèces et d’autres genres d’ammonite qui ont de même commencé et fini en même temps que certains terrains stratifiés des formations oolitiques et crétacées ; telle est l’ammonite de Buckland (pl. 57, fig. 6), qui appartient en entier au lias ; l’ammonite de Goodhall au sable vert, et l’ammonites rusticus à la craie. Il y a bien peu d’espèces, si même il en existe de telles, qui se montrent dans toute l’étendue de la période secondaire, ou qui soient passées de la période de transition dans la période secondaire. Nous prenons dans un ouvrage du professeur Phillips (Guide to Geology, 1834, p. 77) le tableau suivant de la distribution des ammonites, dans les diverses formations géologiques :
    Sous-genre d’ammonites
    ESPÈCES vivantes. Gonia-
    tites
    Cera-
    tites
    Arie-
    tes
    Falci-
    feri
    Amal-
    thei
    Capri-
    corni
    Planu-
    lati
    Dor-
    sati
    Coro-
    narii
    Macro-
    cephali
    Armati Den-
    tati
    Ornati Fle-
    xuosi
    Dans les couches tertiaires & Dans le système crétacé 2 4 9 4 13 2 3
    Dans le système oolitique 22 27 12 26 5 11 11 11 4 5 3
    Dans le système salifère 3 12
    Dans le système carbonifère 7
    Dans le terrains stratifiés primaires2 17

    (2) Nous désignons ici sous le nom de primaires les couches qui, dans notre planche 1, occupent la région ta plus basse de la série de transition.

    « On sentira facilement combien l’étude des ammonites est importante pour la solution des questions qui ont trait à l’antiquité relative des roches stratifiées, puisque chacun de leurs groupes caractérise quelque système de roches. » Phillip’s Guide to Geology, in-8o 1854, sect. 82.

  46. Suivant M. Sowerby (Conchyliologie minérale, T. IV, p. 79 et p. 81), et suivant M. Mantell, les ammonites de la craie ont un diamètre de trois pieds. Sir T. Harvey et M. Keith Milnes ont tout récemment mesuré des ammonites de la craie des environs de Margate, d’un diamètre de quatre pieds, dans des circonstances où ce diamètre ce n’a pu être accru que très peu par la pression qui s’était exercée sur la coquille.
  47. Le docteur Gérard a découvert dans les monts Himmalaya, à une hauteur de seize mille pieds, certaines espèces d’ammonites, telles que l’A. Walcoti et l’A. communis, qui sont identiques avec les mêmes espèces du lias de Whitby et de Lyme-Regis. Il a trouvé aussi sur les mêmes points de l’Himmalaya plusieurs espèces de belemnites, en même temps que des térébratules et d’autres bivalves que l’on rencontre dans l’oolite de l’Angleterre. Il est donc établi que le lias et l’oolite existent dans ce point du globe si haut et si éloigné. Il a recueilli aussi dans les mêmes montagnes des coquilles des genres Spirifère, Productus et Terebratule, qui se rencontrent dans les formations de transition de l’Europe et de l’Amérique.

    Le sable vert du New-Jersey, de même que celui de l’Angleterre, renferme des ammonites mêlées à des hamites et à des scaphites ; et le capitaine Beachey a trouvé, avec le lieutenant Belchery, des ammonites sur la rôle du Chili, à 36° de latitude sud dans des falaises près de la Conception. On voit un fragment de l’une de ces ammonites conservé dans le musée de l’hôpital de Hasler, à Gosport.

    M. Sowerby possède des coquilles fissiles du Brésil qui ressemblent à celles de l’oolite inférieur de l’Angleterre.

  48. Cuvier a cité la petitesse de la chambre extérieure, où l’animal a son domicile, comme confirmant l’opinion que les ammonites étaient, ainsi que les spirules, des coquilles internes ; mais cet argument repose probablement sur l’observation d’échantillons incomplets. Il est rare que l’on rencontre la chambre externe des ammonites dans un état parfait de conservation : mais lorsque cela a lieu, on voit qu’elle est au moins aussi vaste que celle du nautile par rapport à tout l’ensemble de la coquille. Elle occupe souvent plus de la moitié (pl. 36, a, b, c, d) du dernier tour de spire, et quelquefois même ce tour tout entier. Cette chambre ouverte à l’extérieur n’est pas mince et faible comme l’est, dans la spirule, la longue chambre antérieure qui est logée dans le corps de l’animal qui produit cette coquille ; mais son épaisseur est presque la même que celle des chambres fermées qui la précèdent.

    En outre, le bord de l’ammonite adulte est, dans plusieurs espèces, roulé en une sorte de volute, de la même manière que le bord épaissi de la coquille du limaçon des jardins. Cette disposition paraît avoir pour but de donner à cette partie un surcroît de solidité, qui selon toute probabilité serait superflu dans une coquille interne (pl. 37, fig. 3, d).

    L’existence d’épines dans certaines espèces (A. armatus, A. Sowerbii) est un argument puissant contre l’opinion que ç’auraient été des coquilles internes. Ces épines, qui sur une coquille externe eussent été d’excellens moyens de défense, nous paraissent sans utilité, et peut-être même nuisibles, dès que nous les supposons associées à une coquille interne ; et nous n’en avons d’exemple dans aucune des organisations que nous avons été à portée d’étudier.

  49. Dans les ammonites dont il est ici question, la partie la plus antérieure de la première grande chambre qui servait de logement à l’animal n’est remplie de substance pierreuse que jusqu’à une profondeur peu considérable (pl. 36, de a en b) ; le reste de la cavité de cette chambre, de b en c, est rempli par un spath calcaire brun, qui, d’après le docteur Prout, ne, doit sa couleur qu’à la présence d’une matière animale, tandis qu’au contraire les chambres aériennes internes et le siphon sont occupés par du spath calcaire pur et blanc. Ainsi l’espace où se voit le spath calcaire brun dans la chambre antérieure représente celui qu’occupait le corps de l’animal après qu’il se fut retiré dans sa coquille au moment de sa mort, en laissant vide la portion de la chambre comprise depuis a jusqu’à b, où s’est introduit le sédiment vaseux dans lequel la coquille se trouva ensevelie.

    J’ai en ma possession plusieurs échantillons de l’A. communis du lias de Whitby, dans lesquels la portion de la chambre externe ainsi remplie par le spath calcaire occupe presque le dernier tour de spire tout entier, son extrémité la plus ouverte ayant seule admis la matière du lias. Nous pouvons conclure de la connaissance de ces sortes d’échantillons que l’animal qui habitait les ammonites ne possédait pas de réservoir d’encre : si en effet un tel organe eût existé, on eût retrouvé des traces de la couleur qu’il contenait, dans l’intérieur de la cavité où se retira le corps de l’animal au moment de sa mort. La protection qu’il trouvait dans sa coquille lui rendait probablement ce moyen de défense inutile.

  50. Pl. 37, fig. 1—10.

    Les figures de cette planche offrent des exemples de diverses dispositions, qui ont pour objet d’ajouter à la solidité et à la beauté de la coquille externe. Le premier et le plus simple de ces arrangemens est celui que l’on voit figuré pl. 35, et pl. 37, fig. 1 et 6. Chacune des côtes est simple, et s’étend sur toute la surface, en s’élargissant graduellement, à mesure que l’espace s’agrandit et s’approche de la circonférence externe ou du dos de la coquille.

    Un arrangement très analogue au précédent est représenté dans les figures 2, 7 et 9, de la même planche. Les côtes, après avoir pris naissance isolément sur le bord interne, se divisent en deux branches qui vont se terminer à la base de la carène dorsale.

    Dans le troisième cas (pl. 37, fig. 4), les côtes naissent simples comme dans le cas précédent, puis se bifurquent bientôt, et leur bifurcation se continue tout autour du dos arrondi de la coquille. À l’intérieur de chacune des bifurcations, s’interpose une troisième côte auxiliaire fort courte qui s’étend sur toute la face dorsale, c’est-à-dire sur la portion la plus élargie.

    Dans une quatrième modification (pl. 37, fig. 5), les côtes, simples à leur départ du bord interne, se trifurquent, et embrassent toute la face dorsale. On voit la bouche complète de cette coquille dans la pl. 37, fig. 5, d.

    La figure 5 représente un cinquième cas, dans lequel une côte d’abord simple se trifurque comme dans le cas précédent, et où une ou plusieurs côtes auxiliaires courtes s’interposent entre chacune des trifurcations. Ces subdivisions ne se maintiennent pas toujours rigoureusement en même nombre, dans les divers individus d’une même espèce, ni même dans toutes les parties de la surface d’une même coquille ; mais elles remplissent toujours les mêmes fonctions ; et ces fonctions consistent à rendre plus solides la partie de la surface de la coquille, qui, par suite de son accroissement en grandeur du centre à la circonférence, fût devenue trop faible si elle n’eût été secourue par quelque compensation pareille à celle dont il s’agit.

  51. C’est d’ordinaire précisément là, que les côtes se bifurquent ou se trifurquent, comme on peut le voir pl. 37, fig. 2, 7, 9, 10, et fig. 3.
  52. Dans les voûtes, c’est à la surface inférieure que s’observent les côtes et les bosselures ; dans les ammonites au contraire, c’est à la surface supérieure et convexe.
  53. Pl. 37, fig. 8 ; pl. 42, fig. 3, c, d, e, et pl. 40, fig. 5.

    Dans l’Amm. varians, figuré pl. 37, fig. 9, les côtes diffèrent pour la force, et les proportions des tubercules varient également ; mais ces grands tubercules qui naissent sur les côtes transversales constituent sur toute l’étendue de la coquille une triple série : chaque côte prend naissance dans un petit tubercule voisin du bord interne. À peu de distance, en dehors, se voit un second tubercule plus grand, à partir duquel la côte se bifurque, et chacune des branches va se terminer dans un troisième tubercule, sur la face dorsale de la coquille.

    Plusieurs espèces ont en outre une crête (pl. 37, fig. 1, 2, 6) qui se prolonge dans toute la longueur du dos de la coquille, immédiatement au dessus du siphon, et qui dans plusieurs cas parait destinée à remplir, par la manière dont elle fend les eaux, les fonctions d’une guibre, ou d’une quille (pl. 37, fig. 4 et 2). Dans certaines espèces, comme dans l’ammonites lautus (pl. 37, fig. 7, a, c), on voit une quille double, produite par un sillon profond qui règne sur la face dorsale ; et chacune de ces deux quilles est rendue plus solide par une série de tubercules placés à l’extrémité des côtes transversales. Dans l’ammonites varians (pl. 37, fig. 9, a, b, e,), où la quille est triple, les deux quilles latérales sont fortifiées, comme dans la figure 7, par des tubercules, et la quille centrale n’est qu’une simple arcade convexe.

    La figure 8 de la même planche fait voir comment, dans l’A. catena, la faiblesse, qui serait une conséquence de la petitesse des côtes et de l’aplatissement des faces latérales de la coquille, est compensée par l’existence de dômes ou bosselures toutes semblables. Les diverses portions aplaties de la coquille sont supportées par les bords des cloisons transversales qui se distribuent dans tous les sens, tandis que les portions soulevées et renflées, tirant de cette construction même une force suffisante, n’ont reçu aucun autre support. Comme le dos est également presque aplati (pl. 37, fig. 8, b, c), il est fortement soutenu par des ramifications des cloisons internes.

    Dans la figure 6, où se voient trois quilles distinctes, dont une, celle du milieu, passe au dessus du siphon, ce triple repli est destiné à compenser la faiblesse qui eût été une conséquence de l’élargissement extrême et de l’aplatissement de la face dorsale. Ces trois quilles sont séparées par deux sillons ; et comme ces sillons sont les portions les plus faibles de la coquille, elles sont soutenues par les bords dentelés des cloisons qui se prolongent en dessous, de façon à opposer À la pression extérieure des lignes de support prolongées.

  54. Le capitaine Smith a vu à deux reprises différentes un tube cylindrique en cuivre, rempli d’air, et fixé au plomb d’une sonde d’une construction particulière, écrasé et complètement aplati sous la pression d’environ trois cents brasses d’eau. Une bouteille ordinaire ne contenant que de l’air, et bien bouchée, est écrasée avant d’être parvenue à quatre cents brasses de profondeur. Le même observateur s’est assuré que si l’on remplit une bouteille avec de l’eau douce, le bouchon sera refoulé dans l’intérieur dès une profondeur d’environ cent quatre-vingts brasses. Dans ce cas le liquide refoulé est remplacé par de l’eau salée, et il arrive parfois que le bouchon, dont la résistance a été forcée, se trouve retourné dans une position contraire à celle qu’il avait auparavant.

    Je tiens aussi du capitaine Beaufort qu’il a souvent plongé dans la mer, à plus de cent brasses, des bouteilles, les unes vides, et d’autres remplies d’un liquide. Les bouteilles vides étaient parfois écrasées ; d’autres fois le bouchon était chassé à l’intérieur, et elles revenaient pleines d’eau de mer. Le bouchon de celles qui contenaient un liquide était constamment repoussé à l’intérieur ; le liquide était remplacé par de l’eau salée, et le bouchon se trouvait toujours de retour dans le col de la bouteille, quelquefois retourné, mais non dans tous les cas.

  55. Voyez Lamarck, qui sur ce point cite en la confirmant l’opinion de Bruguières.— Anim ; sans vertèbres, t. 7, pag. 635.
  56. Pl. 38 et pl. 37, fig. 6, 8.
  57. L’A. heterophyllus (pl. 38) est ainsi nommée à cause des lignes qui semblent dessiner à surface deux formes distinctes de feuillages. Le système de découpure est le même que dans les autres ammonites, mais les selles secondaires ascendantes (Pl. 38, S, S.), toujours arrondies dans les autres ammonites, sont ici plus allongées que d’ordinaire, et attirent l’attention plus que ne le font les pointes descendantes des lobes. (Pl. 38, d. l.)

    Les figures que dessinent les bords de l’une des cloisons transversales se montrent reproduites successivement par toutes les autres. Et comme l’animal, à mesure qu’il agrandit sa coquille, laisse derrière lui une chambre nouvelle plus vaste que la précédente, il en résulte que les bords des cloisons successives n’empiètent point les uns sur les autres, et ne s’enchevêtrent jamais.

    Malgré la complication apparente des dessins que l’on observe dans cette ammonite, le nombre des cloisons n’est que de seize dans un seul tour de la coquille ; et ici, comme dans presque tous les cas, la beauté et l’élégance de ces sortes de guirlandes ne reconnaissent pas d’autre cause que la répétition à des intervalles réguliers d’un seul système symétrique de formes, système qui n’est autre que celui que présente séparément le bord de chacune des cloisons transversales. Aucune trace de ces dessins ne se montre sur la surface externe de la coquille (pl. 38, c.)

    Les figures de l’ammonites obtusus (pl. 35 et 36) font voir les relations qui existent entre la coquille extérieure d’une ammonite en général et les lames transversales internes de la coquille. On voit dans la planche 35 la forme extérieure de la coquille, où le corps de l’animal y occupait l’espace compris entre les lettres a et c, correspondant à celui qui sépare les lettres b et c dans la planche 36.

    On n’observe dans cette espèce qu’une seule série de côtes très fortes, qui passent obliquement en travers de la chambre la plus extérieure aussi bien que des chambres aériennes ; depuis le point c jusqu’au sommet de la coquille, ces côtes coupent les bords sinueux des cloisons et s’y appuient. Ces bords ne s’aperçoivent pas si la coquille externe n’est pas enlevée (pl. 35, e). On voit encore une petite portion de cette coquille conservée, en b de la même figure.

    Les lignes que l’on voit à partir du point d indiquent les sinuosités des diverses cloisons transverses, dans leurs points de jonction avec la coquille externe ; ces sutures ne coïncident pas avec la direction des côtes, et il en résulte qu’elles contribuent plus efficacement à augmenter la force de la coquille, en fournissant une série de supports et d’arcs-boutans dirigés presqu’à angle droit contre sa surface interne.

  58. C’est ainsi que, sur le dos, ou carène de la coquille, de V en B, pl. 39, là où elle est étroite et où la voûte qu’elle forme est la plus puissante, les intervalles qui séparent les cloisons sont plus grands que partout ailleurs, et leurs sinuosités sont plus distantes entre elles ; mais aussitôt que les parois aplaties de la même coquille, planche 38, viennent à prendre une forme qui offre moins de résistance à la pression du dehors, les sinuosités des cloisons internes se multiplient, de la même manière que dans une voûte gothique aplatie les côtes sont plus nombreuses, et se distribuent d’une manière plus compliquée que dans les voûtes en ogive, plus résistantes et plus simples de formes.

    On voit se multiplier et s’étendre de la même manière les sinuosités suturales des cloisons internes dans plusieurs autres espèces d’ammonites, dont les faces latérales sont aplaties et exigent que leurs supports soient accrus d’une manière analogue, tandis que, dans les espèces qui

    tirent de la forme circulaire de leurs parois une solidité plus grande, ainsi qu’on le voit dans l’A. obtusus, pl. 35, les cloisons n’offrent comparativement que des sinuosités peu nombreuses.

    Il est probable que l’on eût pu soutenir de la même manière le tube cylindrique à air de la sonde dont il a déjà été fait mention, destinée à descendre à de grandes profondeurs, en y introduisant des lames transversales construites d’après le même principe que les cloisons internes des nautiles et des ammonites, ou plutôt encore comme celles des orthocératites et des baculites (pl. 44, fig. 4 et 5).

  59. On voit, pl. 42, fig. 1, le moule intérieur de l’une des chambres aériennes du nautilus hexagonus, convexe à sa face postérieure, concave à sa face antérieure, et se terminant sur ses bords par des lignes d’une courbure simple. Dans quelques espèces de nautiles seulement le bord est ondulé (pl. 43, fig. 3 et 4), mais jamais il n’est échancré et dentelé comme on le verrait dans le moule interne des chambres aériennes d’une ammonite.

    Dans ces dernières coquilles, les cavités aériennes offrent une double courbure. Leur partie centrale est convexe en avant (pl. 36, d, et pl. 39 d. V). La planche 42, fig. 2 représente le moulage de l’une des chambres de l’ammonites excavatus, vu par devant : d est le lobe dorsal où est enfermé le siphon ; e et f sont les lobes ventraux auxiliaires, dans l’intervalle desquels est reçu le tour de spire qui précède. La figure 3 représente celui de trois des chambres de l’ammonites catena, dans l’intérieur duquel se trouvent renfermées deux des cloisons transversales. Les bords foliacés de ces cloisons ont modelé les contours des moulages intérieurs en substance calcaire ; et ceux-ci, après la destruction de la coquille, demeurent souvent engrenés les uns dans les autres comme les sutures des os du crâne.

    La substance qui dans ces différens cas s’est moulée de la sorte est constamment du carbonate de chaux pur cristallin, qui a pénétré par infiltration à travers les pores de la coquille, pendant sa décomposition. Chaque espèce d’ammonite offre des chambres aériennes de formes diverses, et ces formes dépendent des formes spécifiques qu’offrent les cloisons transversales qui partagent les coquilles. On observe de semblables diversités de formes dans les cavités aériennes des différentes espèces qui composent la famille des nautiles.

  60. Le siphon, dans la famille des ammonites, est constamment situé au bord extérieur ou dorsal des cloisons transversales (pl. 36, d, e, f, g, h, », et pl. 42, fig. 3, a, b) ; et dans le point où il les traverse, il est entouré d’un collier qui se projette en avant. On voit ce collier parfaitement conservé au bord externe des cloisons, dans la planche 36. Au contraire, dans les nautiles, ce même collier se projette constamment en arrière ; et sa place est tantôt au centre, tantôt au bord interne de ces mêmes cloisons. (Pl. 51, fig. 1, y et pl. 42, fig. 1.)

    Le siphon représenté dans la planche 36 s’est conservé à l’état de matière charbonneuse noire et il se prolonge depuis le fond de la chambre la plus extérieure jusqu’à l’extrémité la plus interne de la coquille. Une coupe fait voir son intérieur en e, f, g, h, rempli, comme les chambres aériennes adjacentes, d’un noyau de spath calcaire pur. Dans la pl. 42, fig. 3, b, un noyau semblable remplit le tube du siphon et la cavité intérieure des chambres aériennes ; et dans ce cas, comme dans celui de la planche 36, le diamètre de cet organe se contracte à son passage à travers le collier de chacune des cloisons successives ; cette contraction offre les mêmes avantages mécaniques que dans le nautile.

    La coquille représentée figure 4 de la planche 42 est un échantillon trouvé par le marquis de Northampton dans le sable vert de Earl Stoke, près de Devizes ; et les figures 5 et 6 en sont des fragmens. Cette pièce mérite l’attention par l’état de conservation remarquable de son siphon, lequel est distendu et vide, et fixé encore à la place qu’il occupait à l’intérieur de la coquille, et le long de son bord dorsal. Ce siphon, de même que la coquille et que les cloisons transversales, est converti en une chalcédoine mince, et le tube conserve, à l’intérieur des chambres demeurées vides, la forme et la position exactes qu’il occupait dans la coquille à l’état vivant.

    La substance tout entière du siphon, conservée avec une perfection que l’on n’observe que bien rarement, prouve qu’il n’existait aucune ouverture à travers laquelle un fluide pût passer du siphon dans l’intérieur des chambres aériennes. On observe la même continuité du siphon dans la planche 42, fig. 3 et dans la planche 36, ainsi que dans beaucoup d’autres échantillons ; et nous en tirons cette conclusion que rien ne passait en effet de l’intérieur du tube dans les chambres aériennes, et que le siphon avait pour fonction, comme dans le nautile, d’être plus ou moins distendu par un liquide, et de faire varier ainsi le poids spécifique de l’animal, de façon à ce qu’il pût s’enfoncer au sein des eaux ou venir flotter à leur surface.

    Le docteur Prout a analysé une portion de la substance noire du siphon, que l’on trouve si fréquemment bien conservé dans les ammonites, et il a trouvé que ce n’était autre chose qu’une membrane animale pénétrée de carbonate de chaux. Pour expliquer la couleur noire qu’offrent ces tubes, il suppose qu’un procédé de décomposition qui favorisa le dégagement de l’oxigène et de l’hydrogène de la membrane animale favorisa en même temps la minéralisation du charbon, ainsi que cela a dû se passer dans la conversion des végétaux en charbon minéral. La chaux a remplacé l’oxigène et l’hydrogène qui entraient dans la composition de la membrane animale avant qu’elle se fût détruite.

  61. Le caractère le plus tranché qui sépare les ammonites des nautiles, c’est la place qu’occupe le siphon dans ces deux genres : dans les premiers en effet, cet organe occupe constamment la portion dorsale de la coquille, ce qui n’a jamais lieu dans le ; seconds. Cette première différence essentielle en entraîne plusieurs autres. L’animal du nautile ayant son siphon fixé d’ordinaire vers le centre (pl. 31, fig. 1), ou rapproché de la face ventrale des cloisons successives, se trouve fixé par conséquent au fond de la chambre extérieure (pl. 52, fig. 2, pl. 42, fig 1) ; ce fond est généralement concave, et la lame transversale qui le constitue n’offre d’ordinaire ni dentelures ni sinuosités. Dans les ammonites au contraire, le siphon étant proportionnellement étroit et toujours placé vers la face dorsale (pl. 36 d, et pl. 39 d), il suffit beaucoup moins que celui des nautiles à fixer le manteau en place au fond de la chambre antérieure ; aussi cet organe trouve-t-il un autre mode de fixation dans les dépressions nombreuses qu’offre le bord de la cloison transversale, et d’où résulte une série considérable de lobes sur la jonction de cette cloison avec la surface interne de la coquille.

    Le plus intérieur de ces lobes, ou lobe ventral, est placé sur le bord interne de la coquille (pl. 39, V) ; du côté opposé, et au bord externe, est placé le lobe dorsal (D) qui embrasse le siphon, et se trouve divisé par cet organe en deux bras divergens. En dessous des lobes dorsaux se voient les lobes latéraux supérieurs (L), sur chaque côté de la coquille ; plus bas encore, à peu de distance au dessus du lobe ventral, les deux lobes latéraux inférieurs (l).

    Les intervalles qui existent entre ces lobes constituent des échancrures, ou selles, où reposait et se fixait le manteau de l’animal au fond de la première chambre, et ces selles se distinguent de la même manière que les lobes eux mêmes. Celle qui partage les deux lobes dorsal et latéral supérieur s’appelle selle dorsale (S. d) ; la selle latérale (S. l.) partage les lobes latéraux supérieurs et latéraux inférieurs ; enfin la selle ventrale (S. v) est située entre les deux lobes ventral et latéral inférieur. On retrouve, dans toutes les formes que présentent les ammonites, cette disposition générale avec des modifications diverses ; mais lorsque, comme cela se voit dans la planche 39, la spire de la coquille s’accroît rapidement en largeur, de telle façon que le dernier tour de spire recouvre complètement, ou en partie les tours précédens, on voit s’y surajouter des lobes auxiliaires plus petits qui, suivant la taille de l’ammonite, sont jusqu’au nombre de trois, de quatre ou de cinq paires (pl. 39, a1, a2, a3, a4, a5).

    Ces divers lobes, à mesure qu’ils se rapprochent du centre, sont subdivisés eux-mêmes par des dentelures nombreuses qui fournissent des points d’attache au manteau de l’animal, et chacun se trouve ainsi flanqué d’une série de lobes accessoires qui eux-mêmes sont pourvus de dentelures symétriques, dont les extrémités produisent ces belles apparences d’un feuillage compliqué qui s’observent dans les

    ammonites, et dont la planche 38 nous présenté un remarquable exemple.

    L’origine de ces dentelures est constamment aiguë et a sa pointe dirigée en dedans vers la chambre aérienne précédente (pl. 38, d. l) : mais elles sont lisses et arrondies antérieurement, vers le corps de l’animal (pl. 38, s. s), de manière à offrir des sortes de crampons où s’attachait fortement la base du manteau, et où cet organe s’enracinait en quelque sorte sur le pourtour du plancher de la chambré extérieure.

    On ne rencontre de semblables, dentelures dans aucune espèce de nautile. M. Owen a vu, dans le nautilus pompilius, que la base du manteau adhère à la coquille extérieure, tout près de sa suture avec la cloison transversale, à l’aide d’une forte ceinture cornée ; et il est probable qu’une disposition toute pareille existait dans tous les nautiles fossiles. Les côtés du manteau, dans le nautilus pompilius, sont aussi fixés sur les flancs de la grande chambre externe, à l’aide de deux muscles puissans et larges, dont les empreintes se voient dans la plupart des échantillons de cette coquille.

  62. On a décrit à plusieurs reprises cette coquille sous les noms différens d’ammonites atun, de nautilus sipho, et de nautilus zonarius. Voy. M. de Basterot, Mém. géol. de Bordeaux.
  63. Pl. 45, fig. 1, 2, 3, 4.
  64. Les cloisons transversales (pl. 43, fig. 1, a, a1, a2) offrent une particularité remarquable de structure dans le collier, ou ouverture siphonale, lequel se prolonge dans toute l’épaisseur des cavités aériennes, de telle sorte que la série tout entière des cloisons se trouve comme réunie en une sorte de chaîne spirale continue. Cette réunion est produite par l’agrandissement et l’alongement du collier destiné au passage du siphon, lequel prend la forme d’un entonnoir long et élargi, dont l’extrémité s’engage dans le col de l’entonnoir voisin (c), tandis que son bord interne s’appuyant sur le tour du spire sous-jacent, transmet à la voûte que forme ce dernier une partie de la pression qui s’exerce de l’extérieur sur les cloisons transversales, dont il accroît ainsi la résistance.

    Comme ce mode de structure rend impossible qu’un siphon extensible puisse se distendre dans l’intérieur même des cavités aériennes, ainsi que cela a lieu chez les autres espèces de nautiles et chez les ammonites, le diamètre du tube en entonnoir a été fort agrandi., et le siphon peut s’y dilater assez pour admettre la quantité de liquidé nécessaire à faire plonger l’animal.

    À chaque articulation des entonnoirs, le diamètre du siphon se contracte de la même manière que le siphon des ammonites et des nautiles se contracte dans son passage à travers les ouvertures des lames transversales qui cloisonnent ces coquilles.

    Un autre point de l’organisation du siphon, que la coquille dont il s’agit nous fait connaître, c’est l’existence d’un étui calcaire de consistance molle (pl. 43, fig..1, b, c, d), tout pareil à celui que nous avons déjà observé dans le nautile (pl. 31, fig. a, b, c, d), et qui se trouve dans l’intervalle qui sépare chacun des entonnoirs, du siphon ou tube membraneux qui y est contenu. On voit (pl. 43, fig. 1, b) une coupe de ce fourreau qui enveloppe l’extrémité la plus petite de l’entonnoir a1. De c en d il se continue à l’intérieur de l’entonnoir suivant, a2 jusqu’à ce que ce dernier se termine lui-même en e. Au point e et au point f se voit l’origine de deux de ces fourreaux parfaitement conservés, et tout pareils à celui dont b, c, d, représentent une coupe. D’après la manière dont ce fourreau rattachait l’extrémité de l’entonnoir supérieur à la bouche de celui qui venait après, on peut conclure qu’il jouait le rôle d’un collier, et qu’il interrompait toute communication de l’intérieur du tube calcaire où était logé le siphon avec l’intérieur des chambres aériennes. La capacité de ce tube calcaire suffisait non seulement à contenir le siphon dans son état de dilatation, mais à contenir en outre un certain volume d’air qui avait pour effet de repousser par son élasticité le fluide contenu dans le siphon, comme nous avons supposé qu’agissait l’air contenu dans les chambres du nautilus pompilius.

  65. Pl. 43. fig. 2, b1, b2, b3.
  66. De chaque côté, dans les diverses cloisons transversales, se voit un enfoncement ou sinus, où peut se loger un lobe du manteau. (Pl. 43, fig. 2, a1, a2, a3 ; fig. 3, a, et fig. 4, a et b.) On y aperçoit aussi un autre enfoncement profond en arrière, qui est celui où se logent les deux lobes ventraux (fig, 4, c, c). Ces divers lobes ont concouru probablement avec le siphon pour attacher le manteau fixement au fond de la chambre antérieure. La coquille de la figure 1 est brisée de telle sorte que l’on ne peut y apercevoir, dans la position où elle est vue, aucune trace de ces lobes latéraux. Dans la figure 2, nous voyons, en a1, saillir ces lobes de chaque côté de la surface convexe interne de l’une des cloisons ; en a2, l’intérieur de ces mêmes lobes vus du côté concave de l’une des autres cloisons ; et en a3, les sommets d’une troisième paire de ces lobes fixés sur les côtés de la cavité aérienne la plus grande que ce fragment ait conservée.
  67. Voy. pl. 43, fig. 1, 2, 3, 4.
  68. Dans quelques unes des formes d’ammonites les plus anciennes que contiennent les couches de transition, telles, par exemple, que l’ammonites Henslowi, l’ammonites striatus, et l’ammonites sphæricus (pl. 40, fig. 1, 2 et 3), les lobes sont peu nombreux, et presque de la même forme que le lobe unique du nautilus sipho ou du nautilus zig-zag. Comme chez ces derniers aussi, les bords des lames transversales sont simples et dépourvus de franges. L’ammonites nodosus, espèce propre aux dépôts secondaires les plus anciens du muschel-kalk (pl. 40, fig. 4 et 5), offre l’exemple d’un état intermédiaire, dans lequel le bord frangé existe déjà en partie, mais seulement sur les portions inférieures on internes des bords lobés des lames transversales.
  69. Pl. 44, fig. 1 et 2.

    Le doute qu’avait jeté sur la découverte de Péron la disparition de l’échantillon rapporté par lui a été dissipé jusqu’à un certain point par la rencontre qu’a faite le capitaine King d’une autre coquille semblable, encore fixée à un fragment du manteau d’un animal d’espèce inconnue, ressemblant à une seiche. J’ai vu cette pièce entre les mains de M. Owen, au collège royal des chirurgiens de Londres.

  70. Dans les genres limite, orthocératite et belemnite (pl. 44, fig. 3, 4 et 17), la courbure simple des lames transversales rappelle les caractères des nautiles ; dans les baculites, les hamites, les scaphites et les turrilites, au contraire, pl. 44, fig. 5, 8, 12, 13, 14 et 15, les cloisons offrent des sinuosités et des bords foliacés qui rappellent ceux des ammonites.
  71. Voy. d’Orbigny, Tableau méthodique des céphalopodes.

    Il n’existe à ma connaissance que deux exceptions à ce fait général que le genre orthocératite s’éteignit avant le dépôt des terrains secondaires. Une petite espèce douteuse trouvée dans le lias de Lyme-Regis, et une autre appartenant au calcaire alpin de la formation oolitique de Halstadt, dans le Tyrol, sont les deux plus récentes que l’on ait encore signalées.

  72. Pl. 44, fig. 4.
  73. Une portion du pavé de la cour du palais de Hampton, le pavé de la salle du collège de l’Université à Oxford, plusieurs tombeaux des rois de Pologne, à Cracovie, ont été exécutés avec ce marbre, dans lequel se montrent un grand nombre de coquilles d’orthocératites. Les plus grandes espèces que l’on connaisse se trouvent dans le calcaire carbonifère de Closeburn, dans le comté de Dumfries ; elles sont à peu près de la grosseur de la cuisse. La présence de ces mollusques gigantesques parait témoigner de la haute température qui régnait alors dans les régions septentrionales de l’Europe. Voy. M. Sowerby, Min. conch., pl. 246.
  74. Pl. 44, fig. 5.
  75. Pl. 44, fig. 5.
  76. La chambre externe (a) est renflée et plus grande que toutes les autres ; et une grande partie de l’animal pouvait y être contenu : la coquille extérieure est mince, et des côtés obliques la soutiennent comme chez les ammonites. Tout près du bord postérieur de chaque cloison se voit l’ouverture pour le passage du siphon (pl. 44, 3b, c) ; et la position qu’occupait cet organe, en même tempsque la forma sinueuse et dentelée des lames transversales, sont autant de caractères communs aux baculites et aux ammonites.
  77. Les hamites offrent avec les ammonites les mêmes rapports que les limites avec les nautiles ; ce sont, en quelque sorte, des coquilles de l’un ou de l’autre de ces deux genres, qui n’auraient été qu’incomplètement déroulées. Voy. M. Phillip, Geolog. of Yorkshire, pl. 1, fig. 22, 29 et 30.

    Les baculites et les hamites se rapprochent des ammonites par deux de leurs caractères : d’abord par la position qu’occupe leur siphon du côté dorsal ou postérieur de la coquille (pl. 44, fig. 5b, c. 8a, a. 10, 11, a. 12, a. 13, a.) ; puis par la construction foliacée des bords de leurs cloisons transversales, là où ces cloisons s’unissent à la coquille extérieure (pl. 44, fig. 5, 8, 12, 13). Cette dernière est fortifiée en outre par des replis ou côtes transversales, et qui sont construites exactement d’après les mêmes principes que nous avons déjà fait ressortir en parlant des ammonites (pl. 44, fig. 8, 9, 14, 12 et 13).

    Certaines espèces de hamites, de même que certaines ammonites, ont leur siphon marginal logé dans un tube qui les surmonte à la manière d’une quille. Il en est d’autres dont la face dorsale est armée de chaque côté d’une série d’épines (pl. 44, fig. 9, 10).

  78. La hamites grandis (Sowerhy, M. C. 593) qui se trouve à Hythe, dans le sable vert, atteint cette dimension.
  79. L’extrémité postérieure des scaphites est enroulée à la manière des ammonites, en tours de spire qui s’enveloppent complètement (pl. 44, fig. 1S, c, et fig. 16). La dernière chambre, ou chambre antérieure (a), est plus grande que toutes les autres ensemble ; et quelquefois (probablement dans l’âge adulte), elle se recourbe en arrière, jusqu’au point d’aller toucher la spire postérieure. Il en résulte que la bouche se comprime et devient plus étroite que la chambre elle-même (pl. 44, fig. 15, b). C’est ce caractère tiré de la chambré extérieure qui sépare les scaphites des ammonites ; car ces deux genres se ressemblent sous tous les autres rapports : dans l’un comme dans l’autre, les lames transversales sont nombreuses, et traversées par un siphon marginal situé vers la face dorsale de la coquille (fig. 16, a), et en outre les bords en sont lobés, entaillés profondément, et festonnés (fig. 15, c).
  80. On trouve dans le lias du Wurtemberg le scaphites bifurcatus, et le hamites annulatus dans l’oolite inférieur de la France.
  81. Pl. 44, fig. 14.

    Les turrilites sont des coquilles extrêmement minces, et leur surface extérieure offre, comme celle des ammonites, des côtes et des tubercules qui leur sont un ornement, en même temps qu’elles en accroissent la résistance. Elles ressemblent, du reste, en tout aux ammonites, à leur mode d’enroulement près. Des lames transversales en partagent l’intérieur en des chambres nombreuses ; ces lames ont leur bord festonné, et sont percées près de leur extrémité dorsale pour le passage d’un siphon (pl. 44, fig. 14, a, u). La chambre externe est grande.

  82. Le calcaire conchylien (Muschel-kalk) est la couche la plus basse où l’on ait rencontré des bélemnites, et l’on n’en trouve plus au dessus de la craie supérieure de Maestricht.
  83. Pl. 44′, fig. 17 ; pl. 44, fig.7, 6, 10, 11, 12.

    On désigne ordinairement sous le nom d’étui cette portion de la bélemnite. Elle se compose d’une série de cônes qui s’emboîtent, et dont la plus grande enveloppe complètement tous les autres (pl. 44, fig. 17). Ces cônes sont formés de carbonate de chaux cristallisé, disposé en fibres qui rayonnent d’un axe située en dehors du centre. L’état cristallin de cette coquille paraît être le résultat d’infiltrations calcaires qui ont pénétré, après qu’elle fut enfouie, dans les intervalles des fibres rayonnantes calcaires dont elle était originairement composée, L’opinion qui veut que les bélemnites aient fait partie à cet état pierreux lourd et solide de l’organisation d’une seiche vivant et nageant dans les eaux, est en contradiction avec tout ce que l’étude de l’organisation interne des céphalopodes vivans nous a fait connaître d’analogies. L’odeur de corne brûlée que répand cette partie des bélemnites, lorsqu’on la soumet à l’action du feu, est due aux débris de membranes cornées qui partagent les divers cônes successifs dont elle est composée.

    Un argument qui vient confirmer l’idée que les bélemnites étaient des organes internes, c’est que leur surface conserve les impressions vasculaires qu’y a produites le manteau qui les renfermait. Dans quelques espèces, le dos de la coquille est granulé, de la même manière que le dos de ta coquille intérieure de la seiche commune.

  84. L’étui corné lamelleux se trouve rarement conservé dans ses rapports avec l’étui fibro-calcaire qui fait partie de la coquille ; mais on le rencontre fréquemment isolé dans le lias de Lyme-Regis. Il offre souvent certaines portions d’un nacré remarquable, tandis que d’autres parties du même étui sont demeurées à l’état corné.
  85. Je communiquai en 1829, à la Société géologique de Londres, un mémoire sur les relations probables du genre bélemnite avec certains réservoirs d’encre fossile revêtus d’une brillante couleur nacrée, qui se rencontrent dans le lias de Lyme-Regis (Voy. le Magasin philosophique, nouv. série 1829, p. 388) ; et je fis exécuter à la même époque les dessins de la planche 44″, d’après les échantillons fossiles même qui m’avaient conduit à regarder ces restes comme provenant de céphalopodes en rapport avec les bélemnites. Mais j’en ajournai alors la publication, dans l’espoir qu’une démonstration de cette proposition me serait un jour offerte par quelque échantillon où le réservoir dont il s’agit aurait conservé ses connexions avec l’étui ou avec le corps de la bélemnite.

    C’est en effet cette démonstration décisive qu’a rencontrée depuis (octobre 1824) M. Agassiz, dans deux pièces faisant partie du cabinet de mademoiselle Philpotts, à Lyme-Regis (pl. 44′, figures 7, 9).

    Dans chacun de ces échantillons en effet, un réservoir pareil à ceux dont nous avons parlé se voit à la partie interne et antérieure du fourreau d’une bélemnite parfaitement conservée} et cette découverte nous permet de rapporter avec certitude toutes les espèces de bélemnites à une famille de céphalopodes pour laquelle nous avons proposé, M. Agassiz et moi, le nom de bélenmo-seiche (belemnosepia). On rencontre parfois de ces réservoirs en contact avec des traces isolées d’alvéoles de bélemnites, mais elles sont plus ordinairement revêtues seulement d’une couche mince d’une nacre brillante.

    L’échantillon représenté pl. 44″, fig. 1, m’a été communiqué en 1829 par mademoiselle Marie Anning, qui le regardait comme provenant d’une bélemnite. On y voit en dessous les stries d’accroissement de l’étui corné antérieur ; mais il n’y reste aucune trace de l’étui calcaire : c’est à l’intérieur du premier qu’est renfermé le réservoir d’encre ; la forme conique de cette chambre antérieure paraît avoir été altérée par la pression. Elle est formée par une substance lamelleuse mince (pl. 44″ fig. 1, d) qui en certains points est d’une brillante couleur nacrée, tandis que sur d’autres elte offre simplement l’apparence de la corne. La surface intérieure de cette enveloppe est parcourue transversalement par des ondulations légères, correspondant probablement aux diverses périodes d’accroissement. Mademoiselle Baker possède une bélemnite de l’oolite inférieur des environs de Northampton, dans laquelle, une moitié de cette enveloppe fibreuse se trouvant enlevée, la structure de la coquille conique de l’alvéole se montre imprimée sur une masse de minerai ferrugineux qui s’est moulé à l’intérieur ; et l’on y voit des stries onduleuses d’accroissement toutes pareilles à celles de l’extérieur de la coquille du nautile flambé.

    M. de Blainville, bien qu’il n’eût vu aucun échantillon dans lequel la chambre cornée antérieure eût été conservée, avait été conduit à prononcer qu’un semblable organe devait exister dans ces coquilles fossiles, d’après l’étude qu’il avait faite des genres voisins, et l’échantillon que nous avons sous les yeux confirme la justesse de ses raisonnemens : — « Par analogie, elle était donc évidemment dorsale et terminale ; et, lorsqu’elle était complète, c’est-à-dire pourvue d’une cavité, l’extrémité postérieure des viscères de l’animal (très probablement l’organe sécréteur de la génération et partie du foie) y était renfermée. » — Blainv., Mèm. sur les Bélemnites ; 1827, p. 28.

    Le comte Munster (Mèm. géol. par A. Boue ; 1832, t. 1, pl. 4, fig. 1, 2, 3, 15) a publié des figures de bélemnites très complètes, provenant de Solenhofen : et l’on voit dans quelques unes l’étui corné antérieur conservé dans une longueur égale à la portion solide calcaire elle-même de la bélemnite (pl. 44′, fig. 10, 14, 12, 13) ; mais aucune n’offre de traces d’un réservoir d’encre.

  86. J’ajouterai ici quelques mots dans le but d’expliquer ce fait curieux que, parmi les échantillons innombrables de bélemnites qui ont depuis une époque si reculée fixé l’attention des naturalistes, il ne s’en est pas rencontré un seul complet dans toutes ses parties, et qui eût son encre encore contenue dans la chambre antérieure, soit que la gaine fibro-calcaire fût séparée de l’étui corné et du réservoir d’encre, ou bien que ce dernier fût constamment isolé de la gaine cornée et enveloppé seulement dans la membrane cornée revêtue de nacre qui constitue la chambre antérieure. D’après l’état où se trouvent certaines ammonites nacrées comprimées du lias schisteux de Watchet, il est évident que l’enduit nacré seul de ces coquilles s’est conservé, tandis que la coquille elle-même s’est détruite. Ce fait nous explique pourquoi, dans presque tous les échantillons de réservoirs d’encre que l’on rencontre à Lyme-Regis, l’étui calcaire et la coquille manquent complètement, tandis que ces échantillons conservent au contraire la nacre irisée qui les entourait, ainsi que cela a lieu également dans les ammonites de Watchet. Il est à présumer que, dans chacun de ces cas, la matière où ces coquilles ont été ensevelies eut la propriété de conserver la nacre ou la substance cornée, tandis que la substance calcaire plus soluble y disparaissait, dissoute peut-être dans quelque acide qui y était contenu.

    Mais ce qu’il est plus difficile de déterminer, c’est la raison qui a fait que parmi tant de millions de bélemnites qui sont dispersées indifféremment dans presque toutes les couches de la série secondaire, et qui recouvrent parfois complètement certains lits de schiste en rapport immédiat avec le lias et l’oolite, il s’en trouve si peu qui aient conservé soit leur gaine cornée, soit leur réservoir d’encre. L’absence du fourreau corné et nacré peut s’expliquer par l’hypothèse que la substance enveloppante ait été peu favorable à la conservation de cette membrane cornée, en même temps qu’elle eût favorisé celle du fourreau calcaire ; et l’absence des réservoirs à encre se conçoit avec une facilité égale si l’on suppose qu’en général la décomposition des parties molles de l’animal fut cause que l’encre se dispersa avant que ses restes fussent ensevelis dans le sédiment terreux sur lequel ils étaient tombés.

    On voit sur le rivage, au bas de la colline du Cap d’Or (Golden Cap), près de Charmouth, deux couches de marne pour ainsi dire pavées de bélemnites et séparées par une épaisseur de trois pieds seulement d’une autre marne où l’on n’en rencontre presque pas. Or, la plupart de ces bélemnites ont à leur surface des serpules et d’autres coquilles étrangères qui leur sont fixées ; et cette circonstance nous donne à connaître que le corps et les réservoirs à encre se sont détruits, et que les bélemnites ont reposé au fond des eaux un certain laps de temps avant que d’être recouvertes. Ces divers faits s’expliquent par l’hypothèse que la mer dans cette localité était très fréquentée par les bélemno-seiches durant les intervalles qui séparaient les divers dépôts du lias. Ou est conduit à une semblable conséquence par l’état où se montrent certaines bélemnites de la craie d’Antrim, qui ont été perforées par de petits animaux pendant le temps qu’elles ont reposé sur le fond, et dont les trous se sont remplis ensuite de substance calcaire on siliceuse, lorsque la matière de la craie est venue à les recouvrir, à l’état de vase molle, ou dissoute dans les eaux. (Voyez le Mémoire de M. Allan, sur les bélemnites, dans les Transactions de la Société royale d’Édimbourg, et celui de M. Miller dans les Transactions géologiques de Londres, 1826, p. 53.)

    C’est ainsi que le plus souvent, dans les millions de bélemnites qui remplissent les formations secondaires, l’étui fibro-calcaire et les alvéoles cloisonnées sont les seules parties qui se soient conservées tandis que dans certains lits de schistes cet étui et les alvéoles cloisonnées ont quelquefois entièrement disparu, et qu’ainsi la gaine cornée ou nacrée et le réservoir d’encre, sont les seules parties qui aient persisté (voyez. pl. 44″, fig. 1—8). L’échantillon rare figuré pl. 44′, fig. 7, et qui est venu offrir la solution de cette énigme jusqu’alors inexpliquée, offre réunies, et presque entièrement conservées en place, ces trois parties essentielles d’une bélemnite. Le réservoir d’encre est placé à l’intérieur de la gaine cornée antérieure (e, e′, e″) et l’alvéole cloisonnée (bb′), en dedans du cône creux de la coquille postérieure fibro-calcaire, ou de ce que l’on désigne communément sous le nom de bélemnite.

  87. Les chambres aériennes et le siphon sont dans ces deux familles des organes essentiellement les mêmes. Dans les bélemnites, l’extrémité antérieure de la coquille fibro-calcaire, ou cette partie qui constitue un cône creux droit où sont renfermées les cloisons transversales de l’alvéole cloisonnée, représentent le cône creux contourné, dans l’intérieur duquel sont distribuées les laines transversales qui cloisonnent l’alvéole du nautile.

    La coupe (cup) cornée antérieure, ou chambre externe de la bélemnite, où sont renfermés le sac à encre et d’autres viscères, représente la vaste chambre antérieure, où l’animal du nautile se tient renfermé.

    Toutefois la portion postérieure, ou l’étui qui se prolonge en arrière sous forme d’une flèche de substance fibreuse, nous offre une modification du sommet du cône droit de la coquille qui ne parait point avoir d’analogue dans le sommet enroulé de la coquille du nautile. Cette partie qui s’ajoute à ce que l’on observe d’ordinaire dans les coquilles parait avoir sa raison dans les usages spéciaux de cette flèche des bélemnites. Ces fossiles en effet, à titre de coquilles internes, remplissaient les mêmes fonctions que la coquille interne de la seiche commune, et servaient de même à supporter les parties molles des animaux qui les contenaient. La structure fibreuse de cette flèche est la même que l’on rencontre dans beaucoup de coquilles ; et elle est des plus apparentes dans la pinne marine.

  88. Si l’on compare la bélemnite, ou coquille interne d’une bélemno-seiche, avec le sépiostaire (Blainville) ou coquille interne de la seiche commune, on verra qu’elles ont entr’elles les analogies suivantes : Dans le sépiostaire (pl. 44, fig. 2, a e, et figures 4, 4″, 5), la petite pointe conique (a) représente la pointe du fourreau postérieur calcaire alongé de la bélemnite (fig. 7, a), et les lames alternativement calcaires et cornées qui constituent le bouclier et la coupe évasée du sépiostaire (pl. 44′, fig, 2, e, et fig.5, e), correspondent au cône creux fibro-calcaire, ou coupe, dans lequel est contenue l’alvéole de la bélemnite.

    Le bord des lames cornées qui séparent les lames calcaires du bouclier, ou coupe du sépiostaire (pl. 44′, fig. 4, e, e, e′, e″), représente la cavité marginale cornée du cône de la bélemnite, qui dépasse la base du cône creux calcaire de cette coquille (pl. 44″, fig. 7, e, e′, e″). Ce fourreau corné des bélemnites était formé probablement par le prolongement des lames cornées qui séparaient entre eux les cônes successifs de matière fibro.calcaire.

    L’alvéole cloisonnée de la bélemnite est représentée par l’assemblage de lames transversales minces (pl. 44′, fig. 4, b) qui remplit l’intérieur de la coupe aplatie du sépiostaire (e, e′) Les lames sont composées d’une substance cornée, pénétrée de carbonate de chaux.

    Les espaces vides qui les séparent, et dont le nombre s’élève à près de cent dans l’animal adulte, ont pour but, de même que les chambres aériennes, de rendre tout l’ensemble de la coquille constamment plus léger que l’eau. Mais il n’existe pas de siphon destiné à en faire varier au gré de l’animal le poids spécifique ; et les chambres étroites qui forment l’intervalle entre les lames transversales sont remplies d’une infinité de petites cloisons sinueuses qui s’appuient à angle droit sur ces dernières (fig. 6′, 6″, 6‴) et leur fournissent de nombreux supports.

    Cette absence du siphon fait du sépiostaire un organe d’une structure plus simple, et d’une utilité beaucoup moindre que la coquille plus complexe de la bélemnite.

  89. Voyez la table qui termine la traduction du Manuel de Géologie de De La Bêche, par M. Brochant de Villiers.
  90. M. d’Orbigny, dans sa classification des coquilles des céphalopodes, les répartit en trois ordres : Le premier comprend celles qui n’ont qu’une seule chambre ; telles sont la coquille de la seiche et la pennet cornée du calmar. Le second ordre est formé des coquilles polythalames qui ont un siphon traversant toutes les chambres internes et qui se terminent en une vaste chambre, au delà de leur dernière cloison. C’est ce qu’on voit dans les nautiles, les ammonites et les bélemnites. Enfin il range dans le troisième les coquilles polythalames internes qui n’ont pas de chambre au delà de la dernière cloison. Ces coquilles n’ont pas de siphon : mais leurs chambres communiquent entre elles au moyen d’un ou de plusieurs petits pertuis. Cet ordre des foraminifères a été partagé par M. d’Orbigny en cinq familles comprenant cinquante-deux genres.

    Nous devons ajouter toutefois que l’opinion qui attribue à des céphalopodes la construction de ces coquilles multiloculaires est encore un objet de doutes pour plusieurs d’entre elles, et qu’il y a des auteurs qui leur attribuent une origine toute différente.

  91. Pl. 44, fig. 6 et 7.
  92. Voyez Soldani, que nous avons déjà cité page 102.
  93. Cette population immense de nummulites qui fourmillait, suivant notre hypothèse, dans les anciennes mers, est représentée de nos jours par la fécondité prodigieuse de la mer du Nord. D’après ce que dit Cuvier, dans son Mémoire sur le clio borealis, la surface de ces mers, lorsque les eaux en sont tranquilles, fourmille de tant de millions de ces mollusques, qui plongent sans cesse et reviennent à la surface pour y respirer l’air atmosphérique, que les baleines peuvent à peine ouvrir leur énorme gueule sans engloutir des milliers de ces petites créatures gélatineuses, longues d’un pouce, et qui, avec les méduses et quelques autres animaux plus petits, forment la base de la nourriture de ces monstrueux habitans des mers. Nous trouvons un rapprochement tout pareil dans le fait suivant, que rapporte le journal de Jameson, tome 2, page 12 : « Le nombre des petites méduses, dans certaines parties des mers du Groenland, est si grand, qu’un pouce cube pris au hasard n’en contient pas moins de 64 ; il y en a donc 110,592 dans un pied cube : et si l’on prenait un mille cube (or on ne peut douter que la mer ne soit chargée de ces petits êtres dans une étendue aussi considérable), on aura un nombre tellement effrayant, que si, supposé qu’un homme en puisse compter un million par semaine, il eût fallu employer 80,000 personnes depuis l’origine du monde pour arriver à en obtenir le compte.» — Voyez l’admirable leçon d’introduction faite parle docteur Kidd à son cours d’anatomie comparée, Oxford, 1824, p. 35.
  94. On voit, pl. 44, fig. 6 et 7, des coupes de deux espèces de nummulites copiées d’après Parkinson. Ces coupes montrent de quelle manière es spirales s’enroulent les unes sur les autres, et comment elles sont partagées par des cloisons obliques.
  95. Animaux sans vertèbres. T. vii, p. 611.