La Maison de granit/2/Si tu m'avais aimée

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Plon-Nourrit (p. 88-90).


SI TU M’AVAIS AIMÉE



Que nous serions heureux si tu m’avais aimée !
La terre de granit aux bruyères en fleurs,
La montagne sauvage et de miel embaumée
Abriteraient un jour nos splendides bonheurs.

Puis à l’heure divine où la mélancolie
Pose un voile d’argent sur les soirs les plus beaux,
Sous le ciel langoureux de la brune Italie
Nous errerions ensemble à l’ombre des tombeaux.


Nous nous enchanterions de la splendeur du monde ;
Nos regards éblouis et longtemps enlacés
Garderaient pour toujours une empreinte profonde
De l’évocation des grands siècles passés.

Et nos cœurs, enivrés par le charme des choses,
Sauraient enfin le prix de nos rapides jours ;
La fragile beauté des plus fragiles roses
Aurait plus de valeur pour fleurir nos amours.

La douleur ne serait qu’une pâle étrangère
Dans la maison paisible où nous vivrions unis ;
Toute peine avec moi te paraîtrait légère,
Tous tes travaux seraient faciles et bénis.

La fraîcheur de ma lèvre à ta tempe appuyée
Dans tes membres lassés mettrait tant de douceur
Qu’une larme d’orgueil, aussitôt essuyée
Par mes doigts caressants, guérirait ta langueur.


Et quand viendrait la nuit, l’automne, le silence,
Nous nous avancerions, l’un à l’autre enchaîné,
Au-devant de la mort, avec la joie immense
Du bonheur qu’ici-bas nous nous serions donné.