La Mer élégante/Au bain

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La Mer éléganteAlphonse Lemerre, éditeur (p. 30-32).
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Au Bain

 
La baigneuse est au seuil de sa cabine ouverte
À regarder au loin la mer tranquille et verte.

Son costume de bain très court et très collant
Bordé d’un galon rouge et d’un simple volant
Marque bien les contours de son corps de statue ;
Et la voyant ainsi coquettement vêtue
On dirait un croquis dessiné par Grévin.


Se sachant regardée elle attend ; puis enfin
Descend à pas frileux et lents comme une chatte
Qui marche dans la neige en secouant la patte.

Alors elle s’encourt brusquement vers la mer.

Oh ! comme elle est superbe ainsi ! Sa blanche chair
Semble pétrie avec des bouquets d’aubépines ;
Et tandis qu’elle fuit au milieu des cabines,
Ses seins fermes, bombant son corsage fermé,
Tremblent comme des fruits sur un arbre embaumé.

Puis la voilà dans l’eau… voyez comme elle saute,
Comme elle avance bien malgré la marée haute
Et comme elle a des cris pleins de rire, en nageant,
Quand l’écume, pareille à des sequins d’argent,
Se suspend en collier à son beau cou de cygne.

Mais elle va trop loin ! les baigneurs lui font signe,
On sonne de la trompe, on l’appelle à grands cris,
Car près de ces brisants combien de corps meurtris
Ont roulé tout à coup dans ce grand gouffre avide
Ainsi que des cailloux tournoyant dans le vide !


Grâce à Dieu, la nageuse a compris les signaux
Et ses deux bras, pareils aux rames des canots,
Fendent l’eau qui bouillonne et qui chante autour d’elle.

Et bientôt, mettant fin à l’angoisse mortelle
De ceux qui la voyaient se battre avec les flots,
Elle atteint le rivage où, comme des îlots,
Émergent des baigneurs groupés dans l’eau qui mousse !

Et là, déjà calmée, avec sa tête douce
Et ses longs cheveux blonds flottant comme un drapeau,
On la prendrait de loin sous son large chapeau
Pour une humble bergère aux yeux rêveurs et vagues
Qui garde en souriant le troupeau blanc des vagues.