La Mer élégante/Les Parfums

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La Mer éléganteAlphonse Lemerre, éditeur (p. 27-29).

Les Parfums


J’aime pour m’alanguir les sens et pour rêver
À des amours douces ou fortes,
Respirer des parfums où je crois retrouver
L’âme immortelle des fleurs mortes.

Plus que des fleurs encor vivantes, embaumant
De fins corsages ou des serres,
J’adore les parfums égouttés lentement
Comme on égrène des rosaires.


Avant l’amour il faut verser sur les mouchoirs
Des odeurs d’ambre et de verveine,
Comme on met de l’encens au fond des encensoirs
Pour commencer une neuvaine.

Il faut pour pimenter le festin des baisers
Et pour provoquer aux caresses
Quelques vagues parfums dans les cheveux frisés
Dont on va dénouer les tresses.

Et même quand on pleure après l’amour défunt
Le soir dans sa chambre morose,
Pour adoucir le mal il suffit d’un parfum
Qui sente le musc ou la rose.

Aussi quand je suis seul et le cœur sans rayons,
Humant des essences choisies,
Je sens frémir soudain, comme des papillons,
Mes rêves et mes fantaisies.

L’arôme capiteux dégagé des flacons
Me donne une extase physique,
Et plonge mon esprit dans des rêves féconds
Plus que le vin et la musique.


C’est ainsi que parfois j’évoque — en respirant
L’exquise odeur de violette —
D’humbles filles du peuple au charme pénétrant
Malgré leur très simple toilette.

Ainsi le doux arôme extrait du foin coupé,
Quand il m’effleure le visage,
Rappelle à mon esprit triste et préoccupé
Un vague et riant paysage,

Où les meules de foin forment des campements
Toutes rondes comme des tentes —
Et dans la paix du soir enivrent les amants
Avec leurs senteurs excitantes.

Oh ! j’aime les parfums ! aussi quand je serai
Près d’agoniser sur ma couche
Qu’on m’offre des flacons d’odeur et qu’à mon gré
L’un après l’autre on les débouche.

Car je pourrai — grisant mon esprit expirant
Par ces senteurs douces ou fortes —
Rêver d’éternité future en respirant
L’âme immortelle des fleurs mortes !…