La Princesse de Babylone/Chapitre XI

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La Princesse de Babylone
La Princesse de BabyloneGarniertome 21 (p. 397-398).
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CHAPITRE XI.

SUITE DU PRÉCÉDENT. FORMOSANTES EST CONVAINCUE QUE SON AMANT EST SON COUSIN. TOUS LES MERLES SONT EXILÉS DES BORDS DU GANGE. ELLE PREND AUSSITÔT LA POSTE POUR LE REJOINDRE À LA CHINE.


— Mon fils est votre cousin, vous dis-je, reprit la mère, et je vais bientôt vous en donner la preuve ; mais en devenant ma parente vous m’arrachez mon fils ; il ne pourra survivre à la douleur que lui a causée votre baiser donné au roi d’Égypte.

— Ah ! ma tante, s’écria la belle Formosante, je jure par lui et par le puissant Orosmade que ce baiser funeste, loin d’être criminel, était la plus forte preuve d’amour que je pusse donner à votre fils. Je désobéissais à mon père pour lui. J’allais pour lui de l’Euphrate au Gange. Tombée entre les mains de l’indigne pharaon d’Égypte, je ne pouvais lui échapper qu’en le trompant. J’en atteste les cendres et l’âme du phénix, qui étaient alors dans ma poche ; il peut me rendre justice ; mais comment votre fils, né sur les bords du Gange, peut-il être mon cousin, moi dont la famille règne sur les bords de l’Euphrate depuis tant de siècles ?

— Vous savez, lui dit la vénérable Gangaride, que votre grand-oncle Aldée était roi de Babylone, et qu’il fut détrôné par le père de Bélus.

— Oui madame.

— Vous savez que son fils Aldée avait eu de son mariage la princesse Aldée, élevée dans votre cour. C’est ce prince, qui, étant persécuté par votre père, vint se réfugier dans notre heureuse contrée, sous un autre nom ; c’est lui qui m’épousa ; j’en ai eu le jeune prince Aldée-Amazan, le plus beau, le plus fort, le plus courageux, le plus vertueux des mortels, et aujourd’hui le plus fou. Il alla aux fêtes de Babylone sur la réputation de votre beauté : depuis ce temps-là il vous idolâtre, et peut-être je ne reverrai jamais mon cher fils. »

Alors elle fit déployer devant la princesse tous les titres de la maison des Aldées ; à peine Formosante daigna les regarder. « Ah ! madame, s’écria-t-elle, examine-t-on ce qu’on désire ? Mon cœur vous en croit assez. Mais où est Aldée-Amazan ? où est mon parent, mon amant, mon roi ? où est ma vie ? quel chemin a-t-il pris ? J’irais le chercher dans tous les globes que l’Éternel a formés, et dont il est le plus bel ornement. J’irais dans l’étoile Canope, dans Sheat, dans Aldebaran ; j’irais le convaincre de mon amour et de mon innocence. »

Le phénix justifia la princesse du crime que lui imputait le merle d’avoir donné par amour un baiser au roi d’Égypte ; mais il fallait détromper Amazan et le ramener. Il envoie des oiseaux sur tous les chemins ; il met en campagne les licornes : on lui rapporte enfin qu’Amazan a pris la route de la Chine. « Eh bien ! allons à la Chine, s’écria la princesse ; le voyage n’est pas long ; j’espère bien vous ramener votre fils dans quinze jours au plus tard. » À ces mots, que de larmes de tendresse versèrent la mère gangaride et la princesse de Babylone ! que d’embrassements ! que d’effusion de cœur !

Le phénix commanda sur-le-champ un carrosse à six licornes. La mère fournit deux cents cavaliers, et fit présent à la princesse, sa nièce, de quelques milliers des plus beaux diamants du pays. Le phénix, affligé du mal que l’indiscrétion du merle avait causé, fit ordonner à tous les merles de vider le pays ; et c’est depuis ce temps qu’il ne s’en trouve plus sur les bords du Gange.