La Transylvanie et ses habitants/Chapitre 24

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La Transylvanie et ses habitants
Imprimeurs-unis (Tome IIp. 149-175).
chapitre XXIV.
Les Sicules.

Un poëte magyar a dit que la Hongrie est une terre sacrée où sont assis, dans un étroit espace, les débris des grands peuples qui remplissent l’histoire du monde. Il y a du vrai dans cette pensée. On retrouve en Hongrie bien des races historiques venues de pays lointains, à diverses époques, et qui se sont rencontrées sans se mêler. Non seulement

Daces, Pannoniens, la fière Germanie,

ont ici leurs représentants ; mais les Romains, qui remplissent le passé, figurent à côté des Slaves, auxquels peut-être appartient l’avenir. Les Juifs, et ces vagabonds de l’Inde qu’on appelle Bohémiens, représentent l’Orient, d’où sont partis également les Magyars. L’étude de ces divers peuples est pleine d’intérêt. Il est curieux d’observer les mœurs, le caractère de chacun d’eux ; et les nuances en sont d’autant plus tranchées qu’elles sont multipliées. Le contraste fait ressortir les différences.

Nous voyons dans les Magyars une nation généreuse et fière, jalouse de sa liberté, et douée de cette bravoure chevaleresque que la Providence nous a aussi départie. Ses luttes héroïques au moyen âge avec les ennemis de la chrétienté nous sont parfaitement connues ; mais un voile recouvre encore l’histoire de ce peuple aux époques où il campa en Asie. Nous savons vaguement qu’il a fait là de grandes choses : la connaissance des faits nous manque, et nous n’accordons guère d’attention aux Hongrois qu’à partir du dixième siècle, lorsque, embrassant le christianisme, ils entrent dans la grande famille européenne. Il est cependant une tribu magyare, aujourd’hui ignorée, dont l’histoire tient une large place dans nos annales bien avant cette époque. Ce sont les Sicules, reste de ces guerriers redoutables qui ont parcouru l’Europe sous le nom de Huns, et qui formaient l’avant-garde des Hongrois modernes. Les Sicules, je l’ai déjà dit, descendent des soldats d’Attila. Retirés depuis treize siècles dans des montagnes éloignées, ils ont gardé pieusement leurs souvenirs, et le nom du fameux roi des Huns est encore populaire parmi eux. Un puissant intérêt historique conduit donc le voyageur au milieu de cette tribu sans mélange, dont le sol ne porte pas d’hommes de race étrangère, et qui a nécessairement conservé son caractère et sa physionomie.

Dans un autre ouvrage, nous avons essayé de combattre l’opinion depuis long-temps admise sur la laideur et la férocité des Huns. L’épouvante ressentie par les Occidentaux en face de ces terribles ennemis qui venaient les subjuguer explique suffisamment les descriptions exagérées des historiens. La vie même d’Attila prouve que cet homme de génie n’avait pas la cruauté qu’on s’est plu à lui reprocher. Les Huns ont combattu l’Europe entière, qui s’est trouvée d’accord pour les maudire. De là la confiance unanimement accordée aux récits fabuleux des chroniqueurs. L’imagination agit puissamment sur les peuples demi-barbares. Dans les Huns, et plus tard dans les Hongrois, les Occidentaux crurent reconnaître ces exterminateurs dont parle l’Écriture. Les paysans russes ne doutaient pas que les soldats de la grande armée ne fussent venus directement de l’enfer. Faut-il prendre au sérieux les suppositions étranges qui accompagnent de semblables croyances ? Donc nous n’irons rien demander aux historiens du cinquième siècle. Puisque nous nous trouvons actuellement chez les Huns, fermons les vieux livres qui nous tracent leur portrait, et regardons les hommes. Au lieu d’étudier dans tel annaliste passionné les mœurs des guerriers d’Attila, recherchons quelles institutions se développent parmi eux lorsqu’ils demandent un refuge aux montagnes de la Dacie ; institutions qui subsistent aujourd’hui encore, et que personne, à ce que nous sachions, n’a fait connaître.

Les Huns et les Hongrois étaient admirablement disciplinés : cela est prouvé par l’ordre qui règne dans leurs marches et par leur supériorité sur les peuples de l’Europe. Nous voyons une foule d’armées barbares grossir les troupes d’Attila, lequel fait agir sans peine cinq cent mille combattants ; il les mène devant Rome, dont il leur promet le pillage. Touché des prières du pape, il fait un signe, et cette foule innombrable de guerriers rebrousse chemin sans murmurer. La discipline, je pourrais dire la civilisation des peuples hunniques, apparaît dans l’administration qui s’établit en Hongrie dès que les Magyars prennent définitivement possession du sol. Les règles qui régissent les bandes s’appliquent à la formation de l’état ; le chef du royaume est librement élu, comme l’était le chef de l’armée. Ceux qui, sous les ordres de celui-ci, conduisent les détachements, ont à garder une portion du territoire que cultivent avec eux les soldats conquérants. C’est toujours le principe de l’élection qui domine. Nous remarquerons seulement que dans l’administration établie en Hongrie par saint Étienne on reconnaît l’influence d’un souverain qui tend à concentrer le pouvoir dans ses mains. Pour retrouver dans toute leur pureté les institutions hunniques, il faut les chercher parmi les Sicules. Il s’agit de quelques milliers d’hommes qui se retirent dans les montagnes reculées de la Dacie, pour échapper à la vengeance des nations qu’ils ont autrefois vaincues. Comment s’administre cette tribu isolée ?

Séparée en diverses bandes, dont chacune compte trois à quatre mille individus, hommes, femmes et enfants, les Sicules divisent leur territoire en plusieurs districts qu’ils nomment « sièges[1] ». Le dernier fils d’Attila, Dengezich, qui régnait sur les Huns, n’a pas eu de successeur. La petite tribu s’organise donc en république. Le chef de chaque bande est placé à la tête du district ; il est choisi par le peuple, ainsi que les magistrats qui, sous lui, administrent les cercles ou subdivisions du siège. Chaque citoyen est soldat, et doit être toujours prêt à marcher à la défense du pays. Les suffrages des guerriers déterminent l’élection des chefs. Plusieurs fois dans l’année, les hommes de chaque siège se réunissent pour examiner la conduites des administrateurs. Ils désignent alors les citoyens qui, d’une assemblée à l’autre, sont chargés de rendre la justice. Quand s’élève une question qui intéresse la tribu entière, les vieillards seuls discutent et donnent leur vote, tandis que les jeunes gens les entourent et les écoutent, debout, le sabre nu. On montre encore à Eresztvény les pierres rangées en ordre sur lesquelles, assure la tradition, s’asseyaient les sénateurs des Huns.

Voilà, en succinct, comment s’administrèrent les Sicules dès le cinquième siècle. Il ne faut pas douter que ces institutions ne se soient développées sous les tentes des Huns et qu’elles n’aient été apportées de l’Asie. Ceci explique l’ordre, jusque là inconnu aux grandes armées envahissantes, qui règne dans le vaste empire d’Attila. Plus que jamais nous nous croyons en droit de dire, malgré tout ce que l’on a écrit jusqu’ici, que les Huns avaient une civilisation assez avancée.

On a cru long-temps que le jury était né chez les Anglo-Saxons ; puis on l’a découvert chez les Slaves. Nous venons de voir qu’il était pratiqué chez les Huns. Il faut admettre qu’il se retrouve à l’origine de tous les peuples. C’est là d’ailleurs la manière la plus simple d’administrer la justice : il n’est pas étonnant que l’idée du jury se présente naturellement à l’esprit.

L’administration « par sièges » des Sicules était depuis long-temps établie quand saint Étienne fonda le royaume. Il la laissa subsister ; mais pour continuer la forme ordinaire il compta tout leur territoire comme un seul comitat. De là vient que les rois de Hongrie, aujourd’hui encore, ont le titre de comte des Sicules. Les institutions primitives des Huns existent toujours, mais elles ont subi quelques modifications amenées par la diversité des temps.

De nos jours le chef du siège, qui porte le nom de juge royal, est choisi par le prince, sur la présentation des citoyens. Le siège est divisé en cercles administrés par des vice-juges royaux, et qui comptent plusieurs sous-cercles soumis à des commissaires. Des percepteurs royaux lèvent les impôts, et des notaires ont la garde des archives. Aux tenues de la loi, tous ces magistrats devraient être choisis sans contrôle par les citoyens ; mais le prince s’est arrogé le droit d’approuver ou d’infirmer leur élection.

L’assemblée générale du siège (marcalis sessio), convoquée tous les trois mois, se fait rendre compte de leur administration. Elle nomme en outre les jurés qui siègent jusqu’à l’assemblée suivante. Un juge et douze jurés constituent le tribunal du village (forum pagense), lequel décide les causes de moindre importance. Vient ensuite le tribunal du cercle (sedes partialis), présidé par le vice-juge royal et formé de sept jurés. Enfin le tribunal du siège (sedes generalis), qui est placé immédiatement au dessus du précédent, est composé de douze jurés présidés par le juge royal. Les causes doivent être successivement portées devant ces diverses cours, et vont de là à la table royale, puis au conseil du gouvernement, et en dernier ressort au prince. Les notaires et les vice-notaires font invariablement office de rapporteurs. En outre, le juge royal, le vice-juge et le commissaire du cercle, sont aptes à rendre la justice dans les causes qui ne dépassent pas vingt-quatre, douze et six florins : le nombre des florins déterminant l’étendue de la peine.

N’est-il pas étonnant que de semblables institutions comptent bientôt treize siècles d’existence ? qu’elles aient été en vigueur pendant que nos pères recevaient la rude et longue éducation du moyen âge ? Où vit-on jamais plus de vraie liberté, plus de véritable intelligence du gouvernement populaire ? On est forcé d’admirer le développement de cette tribu, chez laquelle s’établit de si bonne heure cet équilibre du pouvoir auquel aspirent les sociétés modernes.

Notez en outre que la plus parfaite, la plus raisonnable égalité, régnait entre tous. Quand les armées sorties de la Germanie s’emparent d’un nouveau sol, les principaux chefs, qui exerçaient un droit de patronage sur les hommes de guerre, font peser leur autorité sur les soldats devenus possesseurs. Ils tendent tout d’abord à s’en faire des vassaux, et ils y parviennent. Parmi les Huns et les Hongrois, le chef commande dans la marche et dans la bataille, mais il n’a aucune autre supériorité sur les guerriers, et le dernier soldat peut appeler le vezér, le dux, devant les magistrats chargés de rendre la justice. Au moment de la conquête, les nations vaincues sont soumises au servage ; chaque homme de l’armée victorieuse est et reste noble, c’est-à-dire libre. Voilà, dans l’origine, ce qu’est la noblesse hongroise.

Elle se modifie en Hongrie, où les rois, en obtenant le pouvoir de créer des nobles, constituent un ordre aristocratique, comme dans le reste de l’Europe, mais elle conserve son caractère primitif chez les Sicules. Là existe une noblesse qui ne se confère pas, qui se transmet par le sang. Le noble, c’est simplement le Sicule qui s’est rendu maître du sol qu’il cultive, et comme la population des sièges est exclusivement composée de Sicules, il s’ensuit que chaque habitant est noble. C’est une aristocratie démocratique, je dirais républicaine, si le mot ne paraissait choquant, car le noble sicule ne doit porter ni titre ni armoiries. Des distinctions naissent avec le temps parmi cette nation de gentilshommes. Quelques uns sont comblés d’honneurs en récompense de leur bravoure, d’autres deviennent de grands possesseurs ; mais aucun de ces puissants n’obtient de prérogatives particulières. L’ancienne égalité est maintenue, je veux dire l’égalité devant la loi, la seule qui puisse subsister. Même des mesures sont prises pour que les faibles ne soient point opprimés, et une loi décide que le seigneur ne peut acheter de terres dans un village sans le consentement du peuple.

Les distinctions dont je parle sont exprimées par certains termes qu’il est curieux de remarquer. Ceux qui occupent le premier rang sont les primores, « les grands ». En cas de guerre ils doivent armer et conduire plusieurs hommes, suivant leurs moyens. Après eux viennent les primipili, qui servent à cheval, et les pixidarii, qui sont les fantassins. Ces expressions s’expliquent naturellement par l’organisation militaire à laquelle est soumise la tribu. Tous les Sicules naissent soldats. Ils sont tenus de garder la frontière pendant la paix, et de fournir dans la guerre un nombre fixé de combattants. C’est là leur seule obligation. Chacun s’arme à sa manière, suivant ses ressources. De là vient que la distinction de rangs est déterminée par l’arme du soldat. Pour prix du service militaire, les rois de Hongrie accordent aux Sicules de nombreux privilèges, celui, entre autres, de ne payer aucun impôt.

Nous expliquons la constitution politique des Sicules telle qu’elle existe dans les lois ; mais, en réalité, depuis la chute de la monarchie hongroise, elle a reçu de graves atteintes. En 1562 les Sicules s’insurgèrent parce qu’on avait amoindri leurs privilèges ; la révolte étouffée, beaucoup de rebelles perdirent leur liberté et devinrent sujets des « grands » restés fidèles. Lorsqu’au 17e siècle, la Transylvanie se donna à l’Autriche, les empereurs ne consentirent pas à laisser toute la « nation » participer aux prérogatives nobiliaires. Ils respectèrent les « grands », mais exigèrent un impôt des « cavaliers » et des « fantassins » . Quelques sièges payèrent une contribution en argent[2], d’autres durent donner un contingent de soldats qui furent enrégimentés et forcés de vieillir sous les drapeaux. Il va sans dire que les décisions arbitraires des empereurs n’ont pas été acceptées par les Sicules : ils ne s’y sont soumis que par nécessité, et se regardent comme des gens blessés dans leurs droits. Dans les cours qui leur sont faits au collège, les jeunes gens apprennent que la nation possède des institutions très libres, que le souverain foule aux pieds.

Malgré la violation que leur constitution a subie, les Sicules sont toujours appelés nobiles, et ils jouissent de certains droits qui, en Hongrie, n’appartiennent qu’aux nobles. Ainsi, non seulement ils ont droit de chasse et de pâturage, mais encore ils sont exemptés des corvées publiques. Ils doivent toujours être jugés par leurs propres tribunaux, et ne subissent de détention préventive que dans le cas « où l’homme perd son honneur ». Ajoutons que parmi eux les filles héritent des « biens mâles » à défaut des fils ; que le voisin, et non le fisc, succède à celui qui meurt sans héritier ; et enfin (ceci n’est pas le moins curieux de leurs privilèges) qu’ils ont la faculté de porter devant le prince les procès pour héritage d’une valeur de plus de trois florins.

On comprend que je ne puis donner sur la constitution sicule des détails étendus. Toutefois je crois en avoir dit assez pour faire connaître le caractère des fils des Huns. Cette division par castes militaires, cette obligation de prendre les armes qui leur est imposée par les rois, montrent qu’ils ont gardé l’ardeur guerrière de leurs aïeux. En effet le Sicule est avant tout batailleur ; il porte sur sa physionomie l’indice de sa bravoure ; il a l’expression du courage, comme d’autres ont celle de la ruse. Entrez dans sa chaumière, il vous montrera avec orgueil de bonnes armes bien fourbies, qui lui servent de temps à autre à tuer les ours de ses montagnes, mais qui, à la première occasion, enverraient des balles aux grenadiers de l’empereur. Cette humeur belliqueuse des Sicules éclate à chaque pas dans l’histoire du pays. Il ne se livre pas de bonnes batailles sans eux. Dans leur révolte de 1562, ils avaient 40 000 hommes sous les armes, c’est-à-dire le quart de toute la population. Les rois, qui protégeaient dans les Saxons des marchands et des ouvriers, récompensaient en eux le courage militaire. C’est pour prix de leur bravoure que Béla IV leur donne, au cœur de la Transylvanie, le territoire d’Aranyos ; et, tandis que les Saxons ne fournissaient en tout que mille fantassins, les Sicules donnaient un, deux, et même trois soldats, par dix habitants. En outre ils formaient une garde de quatre mille hommes, qui étaient attachés à la personne du prince.

Demandez-leur si ce n’était pas là le bon temps ! On ne se voyait pas, comme aujourd’hui, caserné dans un village, aux ordres d’un officier allemand. Chacun était un franc laboureur, libre autant que le roi. Seulement, quand la nouvelle se répandait que les Tatars étaient proches, quand le messager du prince portait de chaumière en chaumière le sabre ensanglanté, tous se réunissaient en armes : on choisissait les chefs et l’on marchait à l’ennemi. On savait alors quelle cause on défendait : c’étaient des bannières hongroises qui flottaient au dessus des combattants. Maintenant il faut traverser toute la Hongrie pour aller guerroyer, en Allemagne, contre telle puissance qu’il plaît à l’Autriche d’attaquer. Il est vrai que l’empereur ne manque pas, après chaque campagne, de vanter la bravoure de ses fidèles Sicules. Mais les rois nationaux faisaient mieux : ils leur concédaient des privilèges. Il est encore vrai que l’empereur croit récompenser leurs services en leur accordant une solde. Mais de quel prix est l’argent pour des hommes qui, « par amour fraternel pour les autres nations », consentaient à donner des contributions volontaires, bien qu’ils payassent exactement le seul impôt, celui du sang, que les princes pussent exiger d’eux ? Ne les vit-on pas en 1692 offrir spontanément 22 000 florins aux états, et doubler cette somme l’année suivante ?

Comme on le voit, les Sicules apportaient un certain esprit d’indépendance dans le service militaire qu’ils devaient aux rois de Hongrie. Aussi la population incorporée dans les régiments-frontières, qui remplit seule aujourd’hui l’obligation jadis imposée à tous, regrette-t-elle sans cesse les anciens jours. Bien qu’il porte avec répugnance l’uniforme autrichien, le Sicule n’en est pas moins excellent soldat. Une fois sous les armes, l’honneur militaire, comme autrefois le patriotisme, le fait agir, et il défend jusqu’à la mort le drapeau qui lui a été confié. Ce sentiment du devoir se communique à sa famille. Il y a un an, le feu ravagea Beretak, un des lieux où cantonnent quelques colons militaires d’un régiment sicule. Les hommes étaient absents au moment où éclata l’incendie. Ce fut aux femmes d’agir. Elles n’eurent que le temps de ramasser à la hâte quelques objets, et de se précipiter hors des chaumières. Savez-vous ce qu’elles emportèrent en abandonnant tout le reste ? les armes de leurs maris.

Les régiments sicules se sont signalés durant les guerres napoléoniennes. Malgré leur séjour en Allemagne et leurs relations continuelles avec les troupes autrichiennes, les soldats ne s’attachaient nullement à la cause de l’empereur. Ils se battaient par devoir ; mais il ne s’établit pas entre eux et les Allemands cette fraternité d’armes qui naît entre gens réunis sous les mêmes étendards. Ils n’oubliaient pas que le prince qui mettait leur valeur à profit violait à son gré leur constitution, et ils se considéraient comme des étrangers dans le camp impérial. Cette répugnance des Sicules pour les Autrichiens a toujours subsisté. Lorsque j’arrivais dans leurs villages, ils ne doutaient pas, en entendant une langue étrangère, que je ne fusse Allemand, Német ; et les vieillards, qui se souviennent de l’empire, me faisaient bien meilleur visage dès qu’on leur disait ce que j’étais. Ils eussent peut-être fait un mauvais accueil à un sujet de l’empereur ; ils aimaient mieux recevoir un étranger, dont le père pouvait avoir été de leurs ennemis. Les braves qui se combattent apprennent à s’estimer, me disait un vieux paysan sicule. Dans ces montagnes sauvages, où pas un de mes compatriotes n’a pénétré, on m’a souvent parlé du « grand empereur des Français ». Un jour, dans le siège d’Aranyos, je m’arrêtai chez un riche cultivateur qui possédait un vin renommé. Pour exprimer son respect pour ce précieux fluide, il avait voulu donner à chacun des deux énormes tonneaux qui remplissent sa cave le nom d’un grand homme. L’un s’appelait l’Attila, l’autre le Napoléon.

Combien de fois, en Hongrie et en Transylvanie, ai-je entendu parler de nos soldats ? Je ne puis me défendre de répéter ce qu’en disaient de vieux militaires, qui combattirent sans animosité, et savaient rendre justice à la bravoure et à l’humanité de leurs adversaires. Les Français sont des lions dans la bataille, et des moutons après la victoire : telles étaient les paroles d’un ancien hussard, qui me raconta qu’ayant été blessé, désarmé et pris par un cavalier français, celui-ci, blessé également, n’avait jamais consenti à se faire panser avant qu’il eût reçu lui-même tous les soins possibles. Ce brave homme avait retenu quelques mots de notre langue, dont il avait perdu la vraie prononciation, mais que je feignis de reconnaître et d’entendre avec le plus grand plaisir. Comment aurais-je pu agir autrement, quand la connaissance de ces quelques expressions lui donnait sur les gens du village la supériorité d’un magister ? Il fallait voir avec quel air d’admiration ceux-là l’écoutaient « parler français ».

Il est naturel que les rois de Hongrie aient voulu tirer parti de l’esprit militaire des Sicules, et qu’ils ne leur aient demandé que des soldats. De là les prérogatives accordées à la nation. Mais que vous semble de ce privilège en vertu duquel le Sicule peut porter devant le prince le procès pour héritage d’une valeur de plus de trois florins ? Cela ne prouve-t-il pas que les mêmes hommes qui se plaisent dans l’action du combat recherchent avec une égale ardeur les joutes du prétoire ? On a depuis long-temps remarqué que les peuples batailleurs aiment les disputes, les chicanes, les procès enfin. Cela n’a rien qui doive étonner : on manie la parole au lieu de l’épée ; la lutte change de nature, mais c’est toujours une lutte. Nous ne rappellerons pas que les Romains étaient les meilleurs avocats de l’antiquité. Mais, de nos jours, voyez les Normands… Qui ne répète qu’ils sont les gens les plus chicaniers du monde ? Si cela est, c’est qu’ils se sont fondus avec cette fière race normande qui a conquis l’Occident, de la Scandinavie à la Sicile.

Les Hongrois, qui sont aussi un peuple conquérant, ne manquent pas à la règle générale. Il y aurait de l’exagération à avancer qu’ils affectionnent les procès au point d’en entreprendre par goût ; mais il serait inexact de dire qu’ils les redoutent. En Hongrie, l’étude du droit n’est pas seulement réservée aux jeunes gens qui se destinent aux carrières judiciaires, cette science s’enseigne au collège, et fait partie de l’éducation commune. Il est entendu que chaque individu doit toujours être quelque peu avocat. Dès le 16e siècle, la Hongrie avait déjà le code qui est en vigueur aujourd’hui dans tout le royaume, tandis que les autres états de l’Europe ne connaissaient que des recueils indigestes de lois municipales et communales.

Si, dans un village hongrois, vous voyez deux ou trois riches habitants se parler avec un air d’intérêt, soyez certains qu’ils causent de leurs procès. S’ils n’en ont pas, ils se raconteront ceux de leurs voisins ou discuteront une question de droit. Le mot latin jus est admis dans la langue magyare, et figure dans le vocabulaire du paysan. Jusom, « mon droit» ; a’ jusomot fenntartom, « je soutiens mon droit » : voilà des expressions qui reviennent souvent dans sa bouche. Cependant, si « conquérant » que soit le Hongrois des steppes, il le cède évidemment au Sicule. Celui-ci semble né pour plaider. Outre qu’il a le sentiment du juste, comme tous les Orientaux, ce qui le porte à prendre souvent l’offensive, il excelle à discuter, il triomphe dans la réplique. Ce ne sont pas seulement ses affaires particulières qui l’occupent. Il connaît parfaitement ses droits, ses privilèges, et il vous en parle en homme entendu. Que l’empereur d’Autriche s’étonne de son impopularité, quand il n’est pas un Sicule qui ne sache, depuis son enfance, que la constitution est audacieusement violée !

Un jour que je visitais je ne sais quelle montagne du pays des Sicules, j’avais laissé nos chevaux dans la plaine sous la surveillance du guide. Au retour, nous le trouvâmes engagé dans une longue conversation avec un paysan des environs, lequel se donnait pour le garde champêtre du lieu. Le garde et le guide, étant de villages différents, ne se connaissaient pas ; ils pouvaient donc entamer une discussion. Et comme tous deux étaient Sicules, ils avaient le droit de discuter éternellement. Pressés par la faim, et probablement aussi cédant à la tentation de quelque diable, nos chevaux avaient mangé de l’herbe qui croit au pied de la montagne. À cette vue, le garde, qui se promenait non loin de là, s’était dirigé vers le guide, lentement, à pas comptés, comme il convient à tout paysan hongrois, et avait commencé à lui adresser des reproches. L’autre ne manqua pas une si belle occasion et riposta. La discussion durait depuis fort long-temps quand nous arrivâmes. Le garde affirmait que, peu d’heures avant, le pré était couvert de cumin, pour la disparition duquel il demandait des dommages-intérêts. Son adversaire répondait que la moindre pièce de monnaie avait plus de valeur que tout le cumin dévoré par les chevaux. Ils parlaient tour à tour, sans céder un pouce de terrain. À la fin, les deux orateurs, jugeant avec raison que je pourrais me lasser de leurs discours, mirent fin au différend par un commun accord, et le procès resta sans jugement. Mais ils avaient discuté, ce qui était bien quelque chose.

Il va sans dire que chacun d’eux s’adressait à l’autre avec une extrême politesse et le plus grand sang-froid. Le garde, qui était plus âgé, appelait le guide öcséin, « mon frère cadet », et celui-ci lui donnait le nom de bátyám, « mon frère aîné ». Ces expressions affectueuses sont constamment usitées parmi le peuple, car le paysan, hongrois est bienveillant autant que poli. Le Sicule, comme son frère de Hongrie, est grave, réservé. Il parle peu, avec dignité, et ne crie jamais, tout au rebours du Valaque, qui ne peut conduire ses bœufs sans hurler et gesticuler. Celui-ci, pour peu qu’il cause avec vous, deviendra bientôt familier, et vous adressera, sur votre pays et votre personne, des questions inspirées par une curiosité naïve. Le Sicule, par un mouvement d’esprit plus réfléchi, méditera quelque temps avant de faire sa demande ; mais ne se contentera pas d’une demi-réponse, et vous serez frappé de l’ordre et de l’intelligence qu’il met à vous interroger. Il vous racontera avec la même franchise ce qui le préoccupe, et s’informera de votre avis. À l’époque où je me trouvais parmi les Sicules, les employés du gouvernement effectuaient une opération cadastrale, et de distance en distance plantaient des jalons dans les montagnes. Cela inquiétait fort les habitants, qui me demandaient « ce que l’empereur allemand voulait entreprendre contre eux ».

Pour ce qui est de leur extérieur, les Sicules sont grands, bien faits, vigoureux. Leurs moustaches sont noires et leurs traits réguliers. Mais ils n’ont pas communément ce type oriental particulier aux paysans des steppes de Hongrie, et que les Magyars doivent, dit-on, au long séjour qu’ils firent dans le Caucase. L’expression qui domine dans leur physionomie, c’est la fermeté, le courage calme, uni à un air de bienveillance, qui plaît chez des hommes taillés en Hercule. Fiez-vous donc à Ammien Marcellin, qui appelle les Huns « des monstres à deux pieds », et « des poteaux grossièrement taillés ». Voilà treize siècles que cela se répète.

Les Sicules portent ordinairement les cheveux courts : quelquefois ils les nattent ou les réunissent en une seule touffe qui pend sur le côté. Ils aiment à se vêtir de toile, suivant la coutume hongroise. On ne peut imaginer un costume plus propre, et l’on est heureux d’oublier les habits gras des villageois allemands. Lorsqu’on arrive dans les auberges des campagnes, et j’appelle ainsi les maisons dont les écuries peuvent contenir les six chevaux d’un voyageur, le paysan étale sur la table massive qui occupe le milieu de la principale chambre une nappe blanche comme la neige, ce qui donne du prix au souper, si maigre qu’il soit. Quelques chaises à siège de bois fort simples et de grands lits très étroits forment l’ameublement ordinaire des chaumières. Il est rare que le portrait de Wesselényi ne soit pas pendu au mur : aucun homme n’est plus populaire ; bien qu’il se soit retiré du monde politique, il est encore le chef, le héros des Sicules. Quelquefois en avant de la maison se trouve une grande porte de bois sculptée qui ferme la haie, et sur laquelle est gravé en latin ou en hongrois le nom du propriétaire. Lorsque ces portes sont placées là depuis longues années, elles se noircissent et se penchent par l’effet du temps, et donnent au village un aspect mélancolique.

Ce qui caractérise encore les Sicules, c’est l’esprit de résistance, la ténacité. Ils sont avant tout les hommes du passé, auquel ils s’attachent avec résolution. Ils conservent fidèlement ce qui constituée la physionomie, l’originalité d’un peuple, lorsque tout s’efface autour d’eux. Aussi sont-ils aujourd’hui les seuls dépositaires des antiques traditions hongroises. En les écoutant parler, on croirait vivre au temps où régnaient à Bude les rois élus par la nation. S’ils semblent reculer ainsi vers des époques qui ne sont plus, en conservant le reflet du passé, c’est que leur fierté et leur patriotisme s’en accommodent ; et ils comptent encore par florins hongrois de cinquante kreutzers, comme au temps du glorieux roi Mathias. Ils ont beaucoup d’orgueil national : une femme sicule ne daignerait pas épouser un Valaque, un homme de la race vaincue.

Ce sentiment est si fort chez eux, qu'on ne les voit jamais parler une langue étrangère. Partout ailleurs, les Valaques se dispensent d’apprendre le hongrois : il font que les Magyars et les Saxons, pour s’entendre avec eux, connaissent l’idiome român. Parmi les Sicules, au contraire, les Româns perdent leur langue et leur nationalité. Lorsque, dans les comitats hongrois, un village est habité par des paysans magyars et valaques en nombre égal, au bout d’un certain espace de temps la population valaque absorbe la population hongroise, et la langue române domine. Ici, au contraire, l’élément hongrois absorbe l’élément valaque. On compte aujourd’hui bon nombre de Sicules qui professent la religion grecque. Ce sont simplement des Valaques dénationalisés. Les Sicules portait en outre un grand attachement au sol qu’ils habitent. Bien que la population augmente sensiblement, ils ne peuvent se résoudre à quitta leurs montagnes, et l’on voit souvent plusieurs ménages se partager un terrain équivalent à celui que, vingt milles plus loin, possède une seule famille.

Les Sicules sont en relation continuelle avec les Hongrois qui habitent la Moldavie. Ceux-ci sont au nombre de cinquante mille hommes. Quoique nous nous occupions spécialement de la Transylvanie, il n’est pas hors de notre sujet de donner quelques détails sur cette population que les événements ont séparée de la grande famille hongroise.

La Moldavie était appelée au moyen âge Cumania parce qu’une tribu hongroise, les Cumans, s’emparèrent de cette province, tandis que les Magyars d’Arpád s’établissaient sur les bords de la Theïss. Maîtres du pays, les Cumans porterait leurs armes contre les princes voisins et firent même des irruptions en Transylvanie. Convertis au christianisme, au commencement du treizième siècle, par Robert, évêque d’Esztergom, ils furent soumis par le roi Louis Ier, et restèrent sujets de la couronne de Hongrie jusqu’à la chute de la monarchie. La Moldavie passa alors sous le joug des Turcs. Pendant cette suite de siècles, les Cumans se virent débordés par les anciens possesseurs du sol, auxquels ils ne s’étaient pas mêlés, et ils auraient peut-être disparu si des colons hongrois n’étaient venus de Transylvanie se réunir à eux. La plupart des nouveaux arrivants étaient Sicules. Les émigrations ont dû commencer de bonne heure, car dans les anciennes chartes on reconnaît les Sicules à ce qu’ils portent des noms chrétiens, tandis que les Cumans sont désignés, suivant la coutume barbare, par des épithètes dans le genre de celles-ci : Kancsal, louche ; Agaras, qui a des lévriers ; Körmös, qui a des ongles ; Szarka, pie ; Róka, renard ; Csalán, ortie ; etc. On calcule qu’aujourd’hui les descendants des anciens Cumans sont réduits au nombre de quinze mille individus, le reste des habitants hongrois étant d’origine sicule. Ils ont gardé quelques traditions sur leurs pères, et affirment encore que les collines, kun halmak, qu’on remarque sur quelques points du pays, servaient d’autels aux Cumans, qui y sacrifiaient des chevaux blancs à leur divinité.

Les migrations des Sicules en Moldavie, qui commencèrent dès le moyen-âge, n’ont jamais discontinué. Sous Mathias Corvin et Uadislas VII, des milliers de colons vont s’établir dans ce pays. Étienne Dobó, en 1555, accorde de nouveau aux Sicules la faculté d’émigrer, qui leur avait été enlevée : car c’était souvent après leurs révoltes, pour éviter les châtiments, qu’ils abandonnaient leurs foyers. Lorsqu’au siècle dernier le gouvernement autrichien organisa les régiments-frontières, une foule de Sicules quittèrent la Transylvanie et allèrent rejoindre leurs frères en Moldavie. La dernière émigration importante date de 1817 et a été occasionnée par une famine. Les paysans qui s’expatriaient ne s’arrêtaient pas toujours en Moldavie. Quelques uns poussaient plus avant. Parmi ceux que Mathias Corvin dirigea sur ce pays, il y en eut qui pénétrèrent en Bessarabie, où leurs descendants existent encore. Le père Zöld, qui les visita en 1767, raconte que, n’ayant pas vu un prêtre catholique depuis dix-sept ans, les Hongrois le reçurent « comme un ange du ciel ». Pendant les douze jours qu’il passa parmi eux, il baptisa 2 512 individus de tout âge, et en confessa un bien plus grand nombre. Et il ajoute : « Plus de 2 000 personnes m’accompagnèrent en pleurant quand je partis, me priant au nom du Sauveur de leur envoyer un prêtre. »

Le père Gegö a parcouru la Moldavie il y a peu d’années, et a écrit un livre sur les colons hongrois[3]. « Les Hongrois, dit- il, sont répandus dans tout le pays : on en trouve dans chaque village, car ils exercent des métiers. Ils se distinguent des Moldaves par leur activité et s’habillent avec la toile tissée par leurs femme ?. Ils se nourrissent bien et se servent de chaises, tandis que le reste des habitants mange et dort dans la poussière. Tous les Moldaves sont hospitaliers ; mais les Hongrois, et surtout les colons sicules, le sont entre tous. Ils appellent et invitent le voyageur : Venez, ma petite âme, que je vous fasse diner ; puis ils le remercient d’être venu. Il y a beaucoup d’esprit de corps parmi eut. Si un Hongrois est mis en prison pour quelque méfait, ils donnent caution et le punissent eux-mêmes. Ils se partagent les contributions et s’aident de toutes les manières.

« Ils ne se distinguent pas moins par leur propreté et la pureté de leurs mœurs. Le voyageur reconnaît la maison d’un Hongrois, sans même avoir vu les habitants, au moment où il ouvre la porte. Quant à leurs mœurs, il suffit de dire qu’ils ignorent le mot valaque… et que les jeunes gens et les jeunes filles ne se voient jamais qu’en présence de leurs parents. Ceux-ci choisissent la femme de leur fils, qui est toujours une Hongroise. Ceux qui sont d’origine sicule prennent souvent leurs femmes parmi les Sicules de Transylvanie. Du reste ils ont adopté beaucoup de coutumes valaques. Ils portent leurs morts dans des cercueils découverts, et ils déposent sur les tombes du pain, du vin et des cierges, ce qui revient au prêtre.

« Le nombre des Hongrois diminue peu à peu en Moldavie : ils disparaissent parmi la population. Car ils possèdent peu d’écoles et n’ont d’autres prêtres que des ecclésiastiques italiens envoyés par le pape. Ceux-là ne prennent pas la peine d’étudier la langue hongroise, en sorte qu’ils ne peuvent ni prêcher, ni instruire le peuple, et se bornent à dire la messe. Ils exigent le double de ce qui leur est dû pour les baptêmes et les mariages, et font venir les agonisants, d’une distance de dix lieues, sur de mauvaises charrettes, pour leur administrer les derniers sacrements… Les popes valaques profitent de ces circonstances. Ils parcourent les villages éloignés de la paroisse et que les missionnaires ne visitent que rarement. Ils engagent les habitants à changer de religion, et ils ne réussissent que trop souvent, surtout quand le seigneur du village s’offre comme parrain. Et en embrassant la religion grecque, ils adoptent également la langue valaque et perdent insensiblement leur nationalité. »

  1. Le pays qu’ils occupèrent tout d’abord comprend aujourd’hui quatre sièges. D’après un vieux document, il en comptait dans l’origine jusqu’à six : Halom, Eröslik, Jenö, Medgyes, Adorján, Abrán.
  2. L’impôt payé par les sièges sicules s’est monté en 1841-1842 à 124 324 florins 19 kreutzers (322 780 fr. 57 c.), qui ont été ainsi répartis :
    Siège d’Udvarhely 33 046 fl. 35 kr.
    de Háromszék 26 294 39
    de Csik 12 492 39
    Maros 43 383 57
    Aranyos 9 106 29
  3. Les colons de la Moldavie, par le P. Alexis Gegö. Bude, 1838 (en hongrois).