La femme au doigt coupé/11

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Bibliothèque à cinq cents (p. 46-49).

CHAPITRE XI
UNE ÉTRANGE IDÉE

Nous avons laissé Ben quittant le lieu de l’incendie. Il se dirigea alors du côté de l’hôpital. Il poursuivait, sans doute, une idée fort intéressante : car il paraissait soucieux et préoccupé. Tout d’un coup sa figure s’illumina. Il venait probablement de trouver ce qu’il paraissait chercher depuis un moment. Arrivé à la porte de l’hôpital, il sonna et s’informa si le médecin de service, M. Ducoudray, était arrivé.

— Pas encore, lui répondit le portier, il n’est pas arrivé, mais il ne saurait tarder, car voici l’heure de la visite.

Ce dernier achevait de parler, quand une voiture s’arrêta devant la porte. Le docteur en descendit, et, apercevant Ben :

— Tiens, c’est toi, mon garçon, estes que tu veux entrer à l’hôpital ? Je pense que ta guérison ne serait pas difficile, car tu as une mine superbe. Est-ce à moi que tu veux parler ?

Ben répondit affirmativement.

Alors le docteur le fit entrer dans son cabinet et lui dit d’attendre qu’il eût fini sa visite ; il pourrait ensuite l’écouter à son aise. Ben entra et le docteur pénétra dans l’intérieur de l’hôpital.

Pendant qu’il attendait ainsi, Ben parut inspecter avec une vive curiosité les différents objets qui garnissaient le cabinet —, tels que crânes, tibias, squelettes, bocaux pleins d’esprit devin, instruments de chirurgie, livres, etc.

— Cela doit lui être facile, pensa-t-il, de me procurer ce dont j’ai besoin. Mais il faut que ce soit demain, car autrement il serait trop tard. C’est demain qu’il faut prendre le lièvre au gîte. L’occasion est trop belle ; et il ne faudrait pas donner au gibier le temps de s’échapper.

Il en était là de ses réflexions, quand M. Ducoudray rentra.

C’était un homme très sympathique et fort aimé que cet excellent docteur. D’une taille au-dessus de la moyenne, et bien prise, une belle tête, de beaux yeux noirs et profonds, une forêt de cheveux noirs et naturellement bouclés, un charmant sourire, une physionomie ouverte et franche ; toutes ces qualités extérieures prévenaient, au premier abord, en sa faveur. Il avait toujours ce que l’on peut appeler une tenue correcte ; vêtu de noir de la tête aux pieds, linge d’une blancheur éclatante, chapeau haute forme, tout était à l’unisson.

— Hé bien, qu’il y a-t-il, mon garçon ? fit-il en entrant.

Il faut ajouter que le docteur connaissait Ben depuis l’enfance ; il l’avait mis au monde ; il avait toujours soigné sa famille, et il avait conservé pour ce sympathique jeune homme, une affection quasi paternelle.

— Il s’agirait de me rendre un grand service, docteur. J’aurais absolument besoin, d’ici à demain matin, d’un doigt de femme fraîchement coupé, l’annulaire de la main gauche.

— Ah ! ah ! fit le docteur, tu vas bien ! Mais au fond, ajouta-t-il en riant, es-tu de la police ? Je donnerais une tête à couper que tu cherches à découvrir les auteurs de cet assassinat mystérieux dont parlent tous les journaux. Est-ce qu’il ne s’agissait pas aussi d’un doigt coupé.

Ben allait ouvrir la bouche pour protester, lorsque son interlocuteur l’interrompit.

— C’est inutile, mon garçon ; je ne te demande pas tes secrets ; et je ferai très volontiers pour toi ce que tu me demandes. Tiens, il y a justement le numéro 18, une fille de vingt ans qui est morte ce matin d’une angine. On doit la transporter ce soir à l’amphithéâtre. Tu auras demain ce qu’il te faut. Viens ici, demain matin ; en admettant que je sois sorti, j’en ferai un petit paquet que le concierge te remettra. Et maintenant bonne chance mon ami, fit-il en riant. Ah ! tu m’as dit l’annulaire de la main gauche, n’est-ce pas ? Et, tirant un carnet de sa poche, il se mit en devoir d’écrire ; puis il sortit en disant : « J’ai déjà tant de choses dans la tête que je craindrais de t’oublier.

Ben le suivit et rentra chez lui.

Il avait besoin de repos et de calme, pour combiner habilement son plan d’attaque.

Il passa donc une grande partie de la soirée à réfléchir à ce qu’il avait à faire ; puis il se coucha et dormit au moins aussi bien que François Ier, la veille de la bataille de Marignan.