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La vie tragique de Geneviève/Partie 2/Chapitre 08

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La vie tragique de Geneviève
Calmann-Lévy (p. 196-198).


VIII


L’affaire de Geneviève devant les prud’hommes, à part la rencontre qui l’avait suivie, fut connue dans la maison et lui valut la sympathie des femmes exposées comme elle à souffrir de l’arbitraire, ou de la mauvaise foi de leurs employeurs. Clémence monta un soir chez elle, et lui offrit de lui trouver du travail mieux rétribué en l’adressant à une de ses anciennes camarades d’atelier devenue première dans un petit magasin assez bien achalandé des boulevards. « Le fait seul de travailler directement pour un magasin, et non pour une de ces maisons d’entreprise qui vendent aux grands magasins les articles confectionnés, vous procurera un meilleur salaire », dit-elle. Geneviève remercia Clémence avec effusion et fut touchée de la douceur de son sourire lorsqu’elle répondit : « Il faut bien que les femmes s’entr’aident ! Si elles savaient s’allier, elles seraient croyez-le, moins malheureuses. »

Ce fut ensuite Rose qui se fit conter les démarches et la comparution de Geneviève devant le Conseil. Elle conclut :

— Nous devrions nous défendre plus souvent, il faut bien que les femmes arrivent à gagner leur vie, si elles veulent rester honnêtes. Ce sont les bas salaires qui poussent à la mauvaise conduite.

Geneviève comprit qu’elle pensait à Marcelle dont la coiffure et les allures devenaient tous les jours plus audacieuses. « Ah ! comme elle a du chagrin, » pensa la jeune femme après l’avoir quittée. Et, dans un brusque effort pour percer l’avenir, elle essaya de se représenter la vie qui attendait sa propre fille. Serait-elle aussi courbée sur un travail mauvais qui absorberait toutes les énergies de ses veines pour lui fournir de quoi subsister à peine ? et serait-elle alors tentée, elle aussi, par un gain plus facile ? Les craintes qui mettaient tant d’inquiétude dans les yeux de Rose viendraient-elles plus tard, labourer son cœur de mère ? Ou bien devrait-elle voir Nénette, sérieuse et intelligente comme Clémence, dépérir comme elle parce que son enfance aurait été pauvre et qu’elle devrait, à vingt ans, soutenir une mère vieillie trop tôt par un travail trop dur ? Son cœur se serra affreusement. Elle donnait toutes ses forces à sa fille. Arriverait-elle à l’élever seulement ? À l’élever pour la joie et pour le bien ? Ou n’en ferait-elle qu’une malheureuse, qu’une victime ? Alors, à quoi bon tant travailler !