Le Citoyen/Chapitre IV

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Traduction par Samuel Sorbière.
Société Typographique (Volume 1 des Œuvres philosophiques et politiquesp. 127-142).

CHAPITRE IV

Que la loi de nature est une loi divine.



SOMMAIRE

I. La loi de nature et morale est la loi divine. II. Ce qui est confirmé en général par l’Écriture. III. Et en particulier eu égard à la loi fondamentale de chercher la paix. IV. Et à cette autre première loi de nature, qui commande d’abolir la communauté des biens. V. Et à la deuxième, de garder la foi promise. VI. Et à la troisième, de la recon­naissance des bienfaits. VII. Et à la quatrième, de la condescendance. VIII. Et à la cinquième, de la miséricorde. IX, Et à la sixième, que les peines regardent seule­ment l’avenir. X. Et à la septième, contre les outrages. XI. Et à la huitième, contre l’orgueil. XII. Et à la neuvième, touchant la modestie. XIII. Et à la dixième, contre l’acception des personnes. XIV. Et à la onzième, de posséder en commun ce qui ne se peut diviser. XV. Et à la douzième, touchant la division par sort. XVI. Et à la quinzième, touchant le choix d’un arbitre. XVII. Et à la dix-septième, que les arbitres ne doivent point tirer de récompense de leur jugement. XVIII. Et à la dix-huitième, touchant l’usage des témoins. XIX. Et à la vingtième, contre l’ivrognerie. XX. Eu égard aussi à ce qui a été dit, que la loi de nat ure était éternelle. XXI. Et qu’elles regardaient la conscience. XXII. Qu’elles étaient aisées à observer. XXIII. Enfin eu égard à cette règle, par laquelle on peut connaître d’abord si quelque chose est contre la loi de nature, ou non. XXIV. Que la loi de Christ est la loi de nature.


I. Ce n’est pas sans sujet qu’on nomme la loi naturelle et morale, divine. Car la raison, qui n’est autre chose que la loi de nature, est un présent que Dieu a fait immé­diatement aux hommes, pour servir de règle à leurs actions. Et les préceptes de bien vivre qui en dérivent, sont les mêmes que la majesté divine a donnés pour lois de son royaume céleste, et qu’il a enseignés en la révélation de la grâce par notre Seigneur Jésus-Christ, par ses saints prophètes, et par les bienheureux apôtres. je tâcherai donc en ce chapitre de confirmer par des passages de la sainte Écriture les conclusions que j’ai tirées ci-dessus par mon raisonnement touchant la loi de nature.


II. Et tout premièrement je recueillerai les passages dans lesquels il est dit que la loi divine est fondée sur le bon sens et la droite raison. Psal. 37, 30, 31. La bouche du juste devisera de sapience, et sa langue prononcera ce qui est de droit. La loi de son Dieu est en son cœur. Jerem. 31, 33. Je mettrai ma loi au-dedans d’eux, et l’écrirai en leur cœur. Psal. 19, 8. La loi de l’Éternel est entière, restaurant l’âme : le témoignage de l’Éternel est assuré, donnant sapience au simple. 9. Les commandements de l’Éter­nel sont droits, réjouissant le cœur : le commandement de l’Éternel est pur, faisant que les yeux voient. Deut. 30, 11. Ce commandement ici que je te commande aujour­d’hui n’est point trop haut pour toi, et n’en est point loin. 14. Car cette parole est fort près de toi, en ta bouche, et en ton cœur, pour la faire. Psal. 119, 34. Donne-moi intelligence, et je garderai ta loi, et l’observerai de tout mon cœur, 105. Ta parole sert de lampe à mon pied, et de lumière pour mon sentier. Prov. X. Des lèvres de l’homme entendu se trouve la sapience. Les sages sont réserve de science. La langue du juste est argent d’élite. Les lèvres du juste en repaissent plusieurs. En S. Jean, chap. I, Christ le pro­mul­gateur de la loi de grâce est nommé la parole ; et au verset 9, il est dit la vraie lumière qui illumine tout homme venant au monde. Toutes lesquelles façons de parler sont des descriptions de la droite raison, dont nous avons montré ci-dessus que les maximes étaient des lois naturelles.


III. Or que cette loi fondamentale de nature, à savoir, qu’il faut rechercher la paix, soit aussi un sommaire de la loi divine, il est tout manifeste par les passages suivants. Rom. 3, 17. La justice (qui est un abrégé de la loi) est nommée la voie de paix. Psal. 85, Il. 7ustice et paix se sont entrebaisées. Matth. 5, 9. Bienheureux sont ceux qui procurent la paix ; car ils seront appelés enfants de Dieu. Et S. Paul en l’épître aux Hébreux chap. VI, verset dernier, après avoir dit de Jésus-Christ notre législateur, qu’il était fait souverain sacrificateur éternellement à la façon de Melchisédech, ajoute ensuite, que ce Melchisédech était roi de Salem, Sacrificateur du Dieu souverain. Et au verset 2, il dit que le premier titre est interprété roi de justice, et puis aussi roi de Salem, c’est-à-dire, roi de paix. D’où il appert que Christ en son royaume, rassemble en un la paix et la justice. Ps. 33, 15. Détourne-toi du mal, et fais le bien, cherche la paix et la poursuis. Isa. 9, 5. L’enfant nous est né, le fils nous a été donné, et l’empire a été posé sur son épaule, et on appellera son nom l’Admirable, le Conseiller, le Dieu fort et puissant, le père d’Éternité, le prince de Paix. Isa. 52, 7. Combien sont beaux sur les montagnes les pieds de celui qui apporte bonnes nouvelles, et qui publie la paix, qui apporte bonnes nouvelles touchant le bien, et qui publie le salut, qui dit à Sion ton Dieu règne. Luc 2, 14. En la nativité de notre Seigneur, les anges chantent ce cantique, gloire soit à Dieu, ès cieux très hauts, et en terre, paix envers les hommes de bonne volonté. En Isa. 53, l’Évangile est nommé la doctrine de paix ; et au chap. 59, 8, la justice est dite le chemin de la paix. Ils ne connaissent point le chemin de paix, et en leurs caractères il n’y a point de jugement. Michée 5, 5, parlant du Messie, dit : il se maintiendra, et gouvernera par la force de l’Éternel, et avec la magnificence du nom de l’Éternel son Dieu. Il sera magnifié jusques aux bouts de la terre, et celui-là sera la paix. Prov. 31. Mon fils, ne mets point en oubli mon enseignement, et que ton cœur garde mes commandements, car ils t’apporteront longueur de jours, et années de vie, et prospérité.


IV. Quant à ce qui touche la première loi, d’ôter la communauté de toutes choses, et d’introduire le mien et le tien, les discours d’Abraham à Loth nous enseignent combien cette communauté est préjudiciable à la paix, Gen. 13, 8. Je te prie qu’il n’y ait point de débat entre moi et toi, ni entre mes pasteurs et les tiens. Car nous sommes frères. Tout le pays n’est-il pas à ton commandement ? Sépare-toi, le te prie, d’avec moi. D’ailleurs, tous les passages de l’Écriture sainte où l’invasion du bien d’autrui est défendue : comme, tu ne tueras point ; tu ne déroberas point ; tu ne paillarderas point, prouvent la distinction des biens : car ils supposent que le droit de tous sur toutes choses est ôté.


V. Les mêmes commandements établissent la deuxième loi de nature qui regar­dent la foi promise. Car qu’est-ce autre chose, tu n’envahiras point le bien d’autrui, que de dire, tu n’envahiras point ce qui a cessé d’être à toi par ton contrat ? Mais le passage du psaume 15, 5, est formel sur cette matière ; Éternel, demande le prophète, qui est-ce qui séjournera en ton tabernacle ? Et il lui est répondu : celui qui chemine en intégrité, et que s’il a juré, fût-ce à son dommage, il n’en changera rien. Prov. 6, 1. Mon fils, si tu as pleigé quelqu’un envers ton intime ami, ou si tu as frappé en la paume à l’étranger, tu es enlacé par les paroles de ta bouche.


VI. Les passages suivants confirment la troisième loi contre l’ingratitude. Deut. 25, 4. Tu n’emmuselleras point le bœuf lorsqu’il foule le grain. Ce que l’apôtre S. Paul applique aux hommes, 1. Cor. 9, 9, et Salomon Prov. 17, 13. Celui qui rend le mal pour le bien, le mal ne départira point de sa maison. Et Deut. 20, 10, 11. Quand tu approcheras d’une ville pour la combattre, tu lui présenteras la paix. Lors si elle te fait réponse de paix, et t’ouvre les portes, tout le peuple qui se trouvera en icelle, te sera tributaire, et te servira. Prov. 3, 29. Ne machine point de mal contre ton prochain, vu qu’il habite en assurance avec toi.


VII. Quant à la loi de la condescendance et de la courtoisie, ces commandements divins s’y conforment. Exod. 23, 4, 5. Si tu rencontres le bœuf de ton ennemi, ou son âne égaré, tu ne faudras point de le lui ramener. Si tu vois l’âne de celui qui te hait, gisant sous son fardeau, tu le déporteras de le lui laisser là, tu le relèveras avec lui. Vers. 9. Tu n’opprimeras point l’étranger. Prov. 3, 30. N’ayez point de procès sans occasion avec aucun, sinon qu’il t’ait fait le premier quelque mal. Prov. 12, 26. Celui-là est juste qui néglige son bien propre pour l’amour de son prochain. Prov. 15, 18. L’homme furieux émeut, débat ; mais l’homme tardif à colère apaise la noise. Prov. 18, 24. Que l’homme ayant des intimes amis se tienne à leur amitié ; vu qu’il y a tel ami qui est plus conjoint que le frère. Ce que la parabole du Samaritain, qui eut pitié du juif blessé par les voleurs, confirme en S. Luc, chap. 10. Et à quoi regarde le commandement de Christ, Matthieu, 5, 39. Ne résiste point au mal : mais si aucun te frappe en ta joue droite, tourne-lui aussi l’autre, etc.


VIII. je n’alléguerai que deux passages d’une infinité qu’il s’en trouve pour confir­mation de la cinquième loi. Matth. 6, 15. Si vous quittez aux hommes leurs offenses, aussi votre père céleste vous quittera les vôtres : mais si vous ne quittez point aux hommes leurs offenses, aussi votre père ne vous quittera point vos offenses ; et 18, 24. Seigneur, jusqu’à combien de fois mon frère pêchera-t-il contre moi, et je lui pardon­nerai ? sera-ce bien jusqu’à sept fois ? à quoi Jésus répond : je ne te dis point jusqu’à sept fois, mais jusqu’à sept fois septante fois. C’est-à-dire, aussi souvent qu’il t’offen­sera, il faut que tu lui pardonnes.


IX. Les passages, qui commandent d’exercer la miséricorde, servent à confirmer la sixième loi, comme ceux-ci, Matth. 5, 7. Bienheureux sont les miséricordieux, car miséricorde leur sera faite. Lévit. 19, 18. Tu n’useras point de vengeance et ne la garderas point aux enfants de ton peuple. Il y en a qui estiment que cette loi, non seulement n’est point confirmée par les Saintes Écritures, mais qu’elle y est grande­ment affaiblie, en ce que les pécheurs y sont menacés d’une mort éternelle après cette vie, lorsqu’il n’y a plus de lieu à la repentance, ni de prétexte à l’exemple. Quelques-uns répondent à cette objection, en disant que Dieu n’étant astreint a aucune loi, peut rapporter tout à sa gloire ; ce qui n’est pas permis aux hommes. Mais il semblerait par là, que Dieu serait bien désireux de gloire, s’il se plaisait à la mort du pécheur pour y satisfaire. La réponse est beaucoup meilleure, que l’institution d’une peine éternelle a été faite avant le péché et à dessein tant seulement de faire à l’avenir appréhender aux hommes de le commettre.


X. Les paroles de Christ, Matth. 5, 22, prouvent la septième loi contre les outra­ges, mais je vous dis, moi, que quiconque se courrouce à son frère sans cause, sera punissable par jugement, et qui dira à son frère, Raca, sera punissable par conseil, et qui lui dira fou, sera punissable par la gêne du feu, etc. Prov. 10, 18. Celui qui met en avant choses diffamatoires, est fou. Prov. 14, 2 1. Qui méprise son prochain se four­voie du droit chemin, 15, 1. La douce réponse apaise la fureur. 12. Rejette le moqueur et tu te délivreras de noise, les causes des débats sortiront avec lui.


XI. Les lieux suivants établissent la huitième loi, de reconnaître l’égalité naturelle des hommes et par conséquent de se tenir dans l’humilité. Matth. 5, 3. Bienheureux sont les pauvres en esprit ; car le royaume des Cieux est à eux. Prov. 6, 16. Dieu hait ces six choses, voire sept lui sont en abomination, les yeux hautains, etc. 16, 5. L’Éternel a en abomination tout homme hautain de cœur ; de main en main il ne demeurera point impuni. 11, 2. L’orgueil est-il venu ? aussi est venu l’ignominie : mais la sagesse est avec ceux qui sont modestes. En Isaïe 40, 3, là où l’avènement du Messie est annoncé, pour préparation à son règne, la voix de celui qui crie au désert est, accoûtrez le chemin de l’Éternel, dressez parmi les landes les sentiers de notre Dieu. Toute vallée sera comblée, et toute montagne et coteau seront abaissés. Ce qui sans doute se rapporte et se doit entendre des hommes, et non pas des montagnes.


XII. Mais cette équité, que nous avons mise comme la neuvième loi de nature, et par laquelle il nous est commandé de laisser aux autres les mêmes droits que nous prenons pour nous, ce qui comprend toutes les autres lois particulières ; celle-ci, dis-je, se trouve dans ces paroles de Moïse, Lév. 19, 18. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Et dans ces autres que notre Sauveur donne pour un sommaire de la loi morale à celui qui lui demandait, Matth. 22, 36. Maître, lequel est le grand comman­dement de la loi ? Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, etc. celui-ci est le premier et le grand commandement. Et le second semblable à icelui-ci est : tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes. Or est-il qu’aimer son prochain comme soi-même n’est autre chose que lui permettre tout ce dont on prend la licence.


XIII. La dixième loi défend l’acception des personnes, ce que les lieux qui suivent font pareillement, Matth. 5, 45. Afin que vous soyez enfants de votre père qui est aux Cieux : car il fait lever son soleil sur bons et mauvais et envoie la pluie sur justes et injustes. Coloss. 3, 11. Là où il n’y a ni grec, ni juif, ni circoncision, ni prépuce, ni barbare, ni scythe, ni serf, ni franc : mais Christ y est tout en tous. Act. 10, 34. En vérité j’aperçois que Dieu n’a point d’égard à l’apparence des personnes. 2. Chron. 19, 7. Il n’y a point d’iniquité en l’Éternel notre Dieu, ni acception de personnes. Ecclés. 3 5, 16. Le Seigneur est juge et n’a point d’égard à l’apparence de dehors. Rom. 2, 11. Envers Dieu il n’y a point d’égard à l’apparence des personnes.


XIV. Quant à la onzième loi qui ordonne de posséder en commun les choses qui ne peuvent être divisées, je ne sais si elle se trouve formellement exprimée dans les Saintes Écritures : mais la pratique en est ordinaire en l’usage des puits, des chemins, des rivières, des choses sacrées, etc. Et les hommes ne sauraient vivre autrement.


XV. J’ai mis pour la douzième loi de nature, que les choses qui ne peuvent être divisées ni possédées en commun, doivent être adjugées à quelqu’un par sort : ce que l’exemple de Moïse confirme amplement au livre des nombres, où la terre promise est partagée par sort aux tribus d’Israël. Et aux Actes 1, les apôtres reçoivent Matthias en leur compagnie, après avoir jeté le sort, et prié en ces termes : Toi, Seigneur, qui connais les cœurs de tous, montre lequel de ces deux tu as élu ; et au livre des Prov. 16, 3 3. On jette le sort, dit le sage, au giron : mais tout ce qui en doit advenir est de par l’Éternel. Et quant à la treizième loi, la succession était due à Esaü, comme à l’aîné des enfants d’Isaac, s’il n’eût vendu son droit d’aînesse à Jacob son frère, Genès. 25, 30, ou si son père n’en eût disposé autrement.


XVI. Saint Paul écrivant aux Corinthiens, en sa première Épître, ch. VI, reprend les chrétiens de cette ville-là, de ce qu’ils plaidaient entre eux par-devant des juges infidèles et leurs ennemis disant qu’ils commettaient une grande faute de ne pas aimer mieux souffrir quelque injure, ou quelque dommage ; ce qui était pécher contre la loi, que de s’accommoder ensemble par des voies de condescendance réciproque. Mais vous me direz, s’il arrive qu’on soit en différend touchant des choses nécessaires à la vie, que faut-il que l’on fasse ? L’apôtre répondra pour moi au vers. 5. Je le dis à votre honte : est-il ainsi qu’il n’y ait point de sages entre vous, non pas un seul, qui puisse juger entre ses frères. Par où il confirme la quinzième loi de nature, à savoir : qu’en des différends inévitables, il faut que les parties choisissent un arbitre, ni l’un ni l’autre ne pouvant être juge en sa propre cause, comme il est porté en la seizième loi.


XVII. Or, que le juge ou l’arbitre doit être incorruptible et ne recevoir aucun présent de sa sentence, suivant la dix-septième loi, il appert des passages, Exod. 23, 8. Tu ne prendras point de dons : car le don aveugle les clairvoyants et renverse les paroles des justes. Ecclésiast. 10, 30. Les dons et présents aveuglent les yeux des sages et sont ainsi qu’un mors en leur bouche, qui les gardent d’user de répréhension. D’où il s’ensuit que l’arbitre n’est point obligé de considérer une partie plus que l’autre, suivant la loi dix-neuvième. Deut. 1, 17. Vous n’aurez point d’égard à l’ apparence de la personne en jugement, vous aurez autant le petit comme le grand ; ce que l’on doit conclure pareillement des passages qui sont contre l’acception des personnes.


XVIII. Qu’en une question du fait il faille employer des témoins, suivant la dix-huitième loi, l’Écriture en rend des témoignages bien manifestes. Deuter. 17, 6. On fera mourir celui qui doit mourir sur la parole de deux ou de trois témoins. Ce qui est répété au chap. XIX du même livre.


XIX. L’ivrognerie, que j’ai mise parmi les enfreintes de la loi de nature en dernier rang, à cause qu’elle empêche l’usage du bon sens, est pour la même raison défendue dans la Sainte Écriture, Prov. 20, 1. Le vin est moqueur et la cervoise est mutine, et quiconque excède en iceux n’est pas sage. Et au chap. 31, 4, 5. Ce n’est point aux rois de boire le vin, ni aux princes de boire la cervoise, de peur qu’ayant bu, ils n’oublient ce qui est ordonné et qu’ils ne pervertissent le droit de tous les pauvres affligés. Et pour montrer que le défaut de ce vice consiste formellement en ce qu’il trouble le jugement et empêche l’usage de la droite raison, et non pas en la quantité du vin que l’on prend, Salomon ajoute au verset suivant : donnez la cervoise à celui qui s’en va périr et le vin à ceux qui ont le cœur outré ; afin qu’il en boive et qu’il oublie sa pauvreté, et ne se souvienne plus de sa peine. Notre Seigneur défend l’ivrognerie à ses disciples par la même raison, Luc, 21, 34. Prenez garde à vous-mêmes, que d’aven­ture vos cœurs ne soient grevés de gourmandise et d’ivrognerie.


XX. Je prouve d’un passage de Saint Matthieu, 5, 18, ce que j’ai dit au chapitre précédent, que la loi de nature est éternelle. En vérité, je vous dis, que jusqu’à ce que le ciel sera passé et la terre, un iota ou un seul point de la loi ne passera : et du ps. 119, 160. Toute l’ordonnance de ta justice est à toujours.


XXI. J’ai dit aussi que les lois de nature regardaient la conscience, c’est-à-dire qu’elles rendaient juste celui qui tâchait de tout son possible de les accomplir. Et que celui qui aurait ponctuellement observé en l’extérieur tout ce que les lois ordonnent, non parce qu’elles le commandent, mais de crainte de la peine dont elles menacent, ou à cause de la gloire qu’elles promettent, ne laisserait pas d’être véritablement injuste. Ce que je m’en vais confirmer par des passages de la Bible, Isaïe, 55, 7. Que le méchant délaisse son train et l’homme outrageux ses pensées : et qu’il retourne à l’Éternel, et il aura pitié de lui, Ezéch. 18, 3 1. Jetez arrière de vous vos forfaits, par lesquels vous avez forfait, et vous faites un nouveau cœur et un esprit nouveau ; et pourquoi mourriez-vous, ô maison d’Israël ? Desquels et semblables lieux on peut aisément entendre, que Dieu ne punira point les actions de ceux qui ont le cœur droit, suivant ce qui est porté en Isaïe 29, 13. Par quoi le Seigneur dit, pour ce que ce peuple-ci s’approche de moi de sa bouche et m’honore de ses lèvres : mais il a éloigné son cœur arrière de moi, pourtant voici, etc. Matth. 5, 2 0. Car je vous dis, si votre justi­ce ne surpasse celle des Scribes et Pharisiens, vous n’entrerez nullement au royau­­me des cieux. Ensuite de quoi, notre Sauveur explique comment c’est qu’on enfreint les commandements de Dieu, non seulement par des actions extérieures, mais aussi par des intérieures dispositions de la volonté. Car les Scribes et les Pharisiens observent étroitement la loi en l’extérieur : mais ce n’était qu’en espérant de la gloire qui leur en revenait, hors de laquelle ils n’eussent point fait de difficulté de l’enfreindre. Il y a une infinité d’autres endroits dans les Saintes Écritures, qui témoi­gnent manifestement que Dieu accepte la volonté pour l’effet, tant aux bonnes qu’aux mauvaises actions.


XXII. Or, que la loi de nature soit aisée à observer, Christ le déclare en S. Matth. 11, 28,29,30. Venez à moi, vous tous qui êtes travaillés et chargés, et je vous soulagerai. Chargez mon joug sur vous, et apprenez de moi que je suis débonnaire et humble de cœur, et vous trouverez repos en vos âmes ; car mon joug est aisé et mon fardeau est léger.


XXIII. Enfin cette méthode par laquelle j’ai dit que chacun peut connaître, si ce qu’il veut faire sera contre la loi de nature ou non, et qui est contenue en cette, sentence : ne fais point à autrui, ce que tu ne voudrais point qu’on te fit, se trouve presque en mêmes termes en S. Matth. 7, 12. Toutes les choses que vous voulez que les hommes vous fassent, faitez-les leur aussi semblablement.


XXIV. Comme la loi de nature est toute divine : aussi la loi de Christ, qui se voit expliquée en S. Matth. chap. 5, 6, 7, est la doctrine que la nature nous enseigne. je n’en excepte que ce commandement qui défend d’épouser une femme délaissée pour cause d’adultère et que Jésus-Christ apporte en exemple de la loi divine positive, contre les juifs qui interprétaient mal celle de Moïse. Je dis que toute la loi de Christ est expliquée aux chapitres allégués, et non pas toute sa doctrine : car je mets de la différence entre ces deux choses ; la foi étant une partie de la doctrine chrétienne qui ne peut pas être comprise sous le nom de la loi. D’ailleurs les lois sont données pour régler les actions de notre volonté et ne touchent point à nos opinions. Les matières de la foi et qui regardent la créance, ne sont pas de la juridiction de notre volonté et sont hors de notre puissance.