Le Triomphe du Sexe/Texte entier

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Ignace Racon (p. Titre-94).

LE
TRIOMPHE
DU
SEXE.
Ouvrage dans lequel on démontre que les femmes ſont en tout égales aux hommes. On y examine les avantages de leur commerce, & quel doit être l’amour réciproque des deux Sexes.
Par Monſieur D…
À AMSTERDAM,
Chez IGNACE RACON.
M. DCC. XLIX.

TABLE DES MATIÈRES

(ne fait pas partie de l’ouvrage original)

 ix
Chapitre I. Dieu a créé l’homme & la femme également à ſon image. Il leur a donné du côté de l’ame les mêmes facultés, la même puissance
 1
Chapitre II. Le péché n’a pas détruit cette égalité. La dépendance de la femme n’eft pas une ſuite de ſa création
 8
Chapitre III. L’homme a été plus criminel que la femme dans ſa deſobéiſſance. Sa punition eſt außi plus grande dans ſa durée ; c’est ſans raiſon qu’on accuſe celle-ci d’être la cauſe de la chûte du genre humain
 14
Chapitre IV. La femme n’eſt inférieure à l’homme, que par la dépendance civile à laquelle la providence l’a aſſujettie
 28
Chapitre V. On explique quelques paſſages des Épitres de S. Paul, & on réfute les preuves des Théologiens qui en abuſent, pour prouver la ſupériorité de l’homme
 36
Chapitre VI. Injustice des loix humaines, qui donnent à l’homme une ſupériorité plus grande que celle que Dieu lui a accordée
 53
Chapitre VII. Exemples qui prouvent l’égalité de la femme : Sa capacité pour le gouvernement & pour les ſciences. Son inclination pour la vertu plus grande que celle de l’homme
 62
Chapitre VIII. Le commerce des femmes eſt-il außi dangereux qu’on le penſe ? Peut-il être permis indifféremment à tous les hommes ? on répond à quelques paffages de l’Écriture qui ſemblent en donner une idée peu favorable
 73
Chapitre IX. Eſt-il permis d’aimer les femmes ? Quelles ſont les régles & la fin qu’on doit ſe proposer dans cet amour ? 
 85
À MADAME
GABRIELLE-ÉMILIE
LE TONNELIER
DE
BRETEUIL,
MARQUISE DU CHASTELET,

Vaſte & puiſſant Génie,
Minerve de la France, immortelle Émilie ;M. Volt.



Tout ce qui paroît à la gloire du Sexe vous eſt dû. Vous en faites, Madame, l’ornement, & vous êtes la preuve la plus convaincante de la bonté de ce petit écrit, dont je viens vous faire hommage. Il eſt né dans le ſein des plaiſirs champêtres, où la raiſon éloignée de tout ce qui peut la ſéduire, instruit l’homme qui la conſulte. Ce ſont les réfléxions qu’elle m’a dictées, que je produis au grand jour. Vous ne deſavoüerez pas, Madame, cet ouvrage qu’elle m’a inſpiré de vous dédier ; vous la connoiſſez, vous l’avez eû toujours pour maître, & la vérité ſa compagne, brille dans tous vos écrits :

Elle eſt ainſi que vous, noble, ſimple & ſans fard ;M. Volt.
Au-deſſus de l’éloge, au-dessus de mon art.

La Providence, en vous accordant cette variété de talens que nous admirons en vous, a voulu faire voir, qu’elle choiſit quelquefois dans le Sexe qui paroît le plus foible aux yeux des hommes, des ſujets capables de confondre leur orguëil, & de les inſtruire. Philoſophie, Belles-Lettres, Géométrie, votre génie comprend tout. Vos inſtitutions Phiſiques, vos Diſſertations ſur les forces vives ſont luës des Sçavans. Puiſſe votre exemple, Madame, animer les perſonnes de votre Sexe, leur apprendre à s’élever au-deſſus de cette timide indolence dans laquelle la malignité des hommes les entretient, & leur faire comprendre qu’elles ſont außi capables qu’eux, d’entrer dans le ſanctuaire des Sciences, & d’en pénétrer les myſteres. Heureux le mortel à qui il eſt donné de s’en inſtruire auprès de vous, de profiter de vos lumieres, & d’y vivre dans le ſein de la paix & de la vérité ſi peu connues des humains. Je ſuis avec un profond reſpect,

Madame,

Votre très-humble & très-obéiſſant Serviteur.
Ꭰ…

PRÉFACE.



Parler en faveur des Femmes, c’eſt traiter une matiere délicate. L’apologiſte du Sexe paſſera toujours pour amoureux ou pour galant. Si je dis que je ne ſuis ni l’un ni l’autre, m’en croira-t-on ? Non ſans doute, & ce ſiécle eſt trop malin pour ne pas me prêter ce caractere. Qu’on en penſe ce qu’on voudra, je ſuis libre, je réfléchis, je produis mes idées. Si la raiſon eſt de mon côté, la Religion ne me deſavoüera pas. Les uns applaudiront à mes réfléxions, pluſieurs les liront en critiques ſéveres, & les faux dévots s’en trouveront ſeuls ſcandaliſés. Les libertins diront que mon ſtile n’eſt pas aſſez voluptueux ; qu’ils ſçachent que ce n’eſt pas pour eux que j’écris. On cherchera à découvrir mon nom, on devinera ; le nom & la condition ne font rien à un ouvrage. J’aime le Sexe comme homme, & je rends hommage à la vérité. Si je décide en faveur des Femmes, la raiſon ſeule m’inſpire. Quand enveloppé comme Horace dans mon manteau philoſophique, je conſidère les Hommes, leur conduite & leurs uſages ; quel contraſte plus ridicule que celui qu’ils me préſentent ! Ils ſe font gloire d’aimer les femmes & d’en être aimés ; biens, repos, ſanté, fortune, ils ſacrifient tout à l’objet de leur amour ; ils s’y ſoumettent, ils lui obéiſſent. Sont-ils en poſſeſſion de l’idole de leur cœur ? Les perfides le regardent d’un œil indifférent, l’aſſujettiſſent à leurs caprices, & le réduiſent à une honteuſe dépendance. Les femmes, à les entendre parler, ne ſont faites que pour obéir & pour ſervir à leur amour ; ils ne leur connoiſſent plus d’autre mérite. Maître abſolu, l’homme prétend gouverner tout, diſpoſer de tout, il n’y a que la femme à qui il ne ſoit plus permis d’avoir de volonté, de liberté & d’eſprit ; l’homme ſe conſtitue le chef, & l’épouſe doit lui être ſoumiſe. On débite cette morale ſans la comprendre, & il n’eſt pas juſqu’aux Caſuiſtes, gens odieux & importuns, qui n’établiſſent cette ſoumiſſion, comme une vérité dont il n’eſt pas permis de douter. Hommes ingrats & orgueilleux, qui méconnoiſſez les loix du Créateur, qui regardez comme inférieur ce Sexe que Dieu vous a rendu égal en tout ; voyez, liſez ſans prévention ; reconnoiſſez dans les femmes, l’égalité que le Ciel & la nature leur ont donnée. Apprenez en quoi conſiſte votre ſupériorité, quels font vos droits. Aimez vous aſſez, pour regarder comme votre égale, cette partie de vous-même, qui vous doit être chère, puiſqu’elle eſt ſi précieuſe & ſi néceſſaire à l’humanité.

LE TRIOMPHE
DU SEXE.

CHAPITRE I.

Dieu a créé l’homme & la femme également à ſon image. Il leur a donné du côté de l’ame les mêmes facultés, la même puissance.



Ê tre créé à l’image de Dieu, c’eſt être doüé d’une ame raiſonnable, libre, intelligente & immortelle ; c’eſt dans l’ordre S. Chriſoſt. ſur la Geneſ. Homel. 8 9. de la création, avoir reçu de lui une eſpèce de jurisdiction, de domaine & d’empire, pour être le chef & le ſouverain de toutes les créatures. Telles ſont les qualités que le ſouverain maître de l’univers a également accordées aux deux Sexes, compris ſous le nom générique d’homme. Il n’a mis aucun diſtinctif entre l’ame de l’un & celle de l’autre. Adam, dans le nom qu’il donne à ſa femme, reconnoît cette reſſemblance d’égalité ; il la nomme Iſcha, c’eſt-à-dire, l’humaine, celle qui vient de l’homme ; nom Hébreux qui vient de la racine Iſch, qui ſignifie Homme.

J’examine la conduite de Dieu dans la création. Adam qui ſe voit ſeul, ſoupire après une compagne. Ce ſoupir eſt une priere qui engage le Seigneur à l’exaucer ; il lui procure cette créature qu’il déſire, elle doit être ſon amie, ſa compagne, ſon épouſe. Ce ſoupir d’Adam, cet ordre que Dieu obſerve dans la création, nous montrent que c’eſt à l’homme à rechercher la femme, & non pas à elle à le prévenir. Geneſ. 2.Il n’eſt pas bon que l’homme ſoit ſeul (les créatures doivent naître de l’union des deux Sexes.) Faiſons à l’homme un aide ſemblable à lui. Sur la Geneſ. Hom. 15.Un aide, reprend S. Chriſoſtome, digne de lui, de la même ſubſtance que lui, & qui ne lui ſoit pas inférieur. Le Seigneur lui donne la même nature, la même liberté, il la forme également à ſon image. L’homme l’aimera comme lui-même, parce qu’elle eſt comme lui l’ouvrage de la Divinité. Dieu veut qu’il regarde cette femme comme la marque la plus ſenſible de fon amour ; il ne la diſtingue de lui que par le Sexe, diſtinction purement animale, & qui ne peut lui donner le droit de ſe prévaloir ſur un Être auſſi ſpirituel que lui-même. Placée comme Adam dans le Paradis terreſtre, Dieu lui communique la même autorité ſur toutes les créatures ; & cette égalité parfaite les unit par un amour réciproque. Adam aime cette compagne parce qu’il voit en elle ſon ſemblable ; amour naturel qu’il nous a tranſmis. De là cette inclination de ſe réunir, de produire ſon ſemblable, inclination légitime dont aucun dans tel état qu’il ſoit, ne peut étouffer en lui le ſentiment, quoique le déſir même ne lui en ſoit pas toujours permis. La femme paroît être formée d’une maniere plus particulière que l’homme. Celui-ci est formé d’une terre rougeâtre qui est désigné par son nom d’Adam. Mais celle-ci est produite de l’hõme ; Dieu qui est toujours admirable, toujours grand dans ses desseins, prend une côte déja formée, & il fait de cette portion un animal parfait. S. Chrisost. Homel. 15. sur la Geneſ.La matiere de fon corps n’est-elle pas d’autant plus noble, que l’homme est lui-même plus noble que cette terre dont il tire son origine. Cette précieuse différence ne nous est-elle pas marquée dans la génération ? S’ils en ont tous deux les mêmes principes, la femme n’y coopere-t-elle pas d’une maniere plus parfaite ? Ne forme-t-elle pas dans ſon ſein cette créature qu’elle nourrit de ſa ſubſtance, & à qui elle donne la perfection de l’humanité ? Combien eſt grande la miſéricorde de Dieu, Homel. 15. ſur la Geneſ.qui a pu faire, dit S. Chriſoſt. une ſi belle créature d’une ſi petite partie de l’homme, pour jouir enſemble des douceurs d’une agréable ſociété !


CHAPITRE II.

Le péché n’a pas détruit cette égalité. La dépendance de la femme n’eſt pas une ſuite de ſa création.



Dieu envoie à Adam un profond ſommeil, il produit Ève d’une de ſes côtes, il la lui préſente ; Adam la voit & l’aime. Voilà, s’écrie-t-il dans le premier tranſport de ſon amour, Geneſ. 2. 21.l’os de mes os, la chair de ma chair, elle s’appellera d’un nom qui marque l’homme, Virago. L’homme abandonnera ſon père & ſa mère, il s’attachera à ſa femme, ils feront deux dans la une même chair. Quelle union charmante dans ces paroles ! Quelle parfaite égalité ! Dieu ne tire pas femme de la tête d’Adam, elle ne doit pas commander ; il ne la forme pas du pied, elle ne doit pas être ſa ſervante ; il la produit de ſon côté, parce qu’elle doit être ſa compagne. Adam dès qu’il la voit, ſe reconnoît en elle ; c’eſt l’os de ſes os, c’eſt un autre lui-même. Quelles paroles marquent une égalité plus indiſſoluble entre deux perſonnes qui ne doivent faire qu’un même eſprit, comme un même corps. Adam coupable veut-il excuſer ſon péché ? Il avoue cette égalité dans la maniere dont il s’excuſe. Il ne dit pas au Seigneur, cette femme que vous m’avez donnée pour ſervante, m’a engagé dans cette chûte ; Geneſ. 3. 12.mais la femme que vous m’avez donnée pour compagne. Le péché n’a-t-il pas changé cet ordre, m’objectera ici quelque Théologien, dévot ambigu ? Penſer autrement n’eſt-ce pas fronder la Religion & parler un langage profane ? Docteur, qui que vous ſoyez, dites-moi ; ſi le péché a détruit cette égalité, il faut que la femme ait ceſſé après ſa déſobéiſſance, d’être à l’égard d’Adam, l’os de ſes os, la chair de ſa chair ? L’indiſſolubilité de leur union & de leur égalité fondée ſur ces paroles, n’auroit donc plus dû ſubſiſter ? Mais ſi ces paroles prouvent l’égalité des deux Sexes fondée ſur leur création, leur nature réciproque eſt la fin commune que Dieu s’eſt proposée en les créant, elle ſubſiſte donc encore aujourd’hui. Le péché ne l’a point détruite, il n’a fait qu’affoiblir l’ordre extérieur de cette égalité : Il a diminué les droits civils de la femme ; mais il n’a rien changé dans les qualités eſſentielles à ſon être, ni dans ſon indépendance primitive. Il ne l’a pas rendue inférieure à l’homme : Quant aux facultés de l’ame, il l’a ſeulement ſoumiſe en donnant à l’homme une ſupériorité légale & civile ; c’eſt-à-dire, que l’homme a le droit de gouverner & de commander dans l’ordre de la ſociété, & que la femme lui eſt inférieure dans cette partie. Si celui-ci impoſe ſon nom à la femme qu’il épouſe, il n’en a pas été ainſi dès le commencement, & ce n’eſt là qu’un changement extérieur qui regarde le civil. Adam avoit dit en parlant de ſa femme & de ſa poſtérité, Geneſ. 2. 21.qu’elle s’appelleroit d’un nom qui marquoit l’homme ; il ne lui impoſa celui d’Ève, qu’après ſon péché. Changement qui loin de faire loi, n’a point été ſuivi par les plus grands hommes du peuple Juif ; dont les femmes, ſelon l’Écriture, ſe ſont toujours appellées de leur propre nom.


CHAPITRE III.

L’homme a été plus criminel que la femme dans ſa deſobéiſſance. Sa punition eſt außi plus grande dans ſa durée ; c’eſt ſans raiſon qu’on accuſe celle-ci d’être la cauſe de la chûte du genre humain.



Dieu crée l’homme & la femme dans le Paradis terreſtre ; il leur donne la liberté de manger de tous les fruits, à l’exception d’un ſeul qu’il leur déſigne ; il veut qu’en obéiſſant à cette défenſe, ils reconnoiſſent le ſouverain domaine qu’il a ſur eux. Il fait à Adam ce commandement avant la création d’Ève, qui doit également y obéir : l’Écriture nous le montre quand elle nous dit, que Dieu mit l’homme dans le Paradis terreſtre ; qu’il lui défendit de manger du fruit de vie ; & par une eſpece de réflexion qu’elle ſuppoſe, elle lui fait prononcer ces paroles : Il n’eſt pas bon que l’homme ſoit ſeul, faiſons lui un aide qui lui ſoit ſemblable. Nos Théologiens ſont divisés ſur l’explication de ce point. Les uns ſuppoſent que Dieu a fait en particulier, le même commandement à la femme, auſſi-tôt qu’elle fut formée. D’autres diſent gravement, que ſi cet ordre a été imposé à Adam ſeul avant la création de ſon épouſe, c’eſt qu’il étoit le chef, & qu’Ève en répondant à Dieu, avoit pu dire que cet ordre lui avoit été preſcrit, parce qu’il avoit été intimé à ſon chef qui devoit le lui communiquer. Pures conjectures qui ne prouvent rien contre ce que j’avance. Ridicule conséquence pour avilir le Sexe, que d’en conclure que la femme eſt la cauſe de la chûte de l’homme. Qui eſt le plus excuſable ou le plus foible ? Ou d’Adam qui reçoit un ordre de Dieu même, qui lui déſobéit ſur une ſeule parole ; ou d’Ève, qui ſelon les apparences, connoît cette défenſe, que ſur le rapport de ſon mari : S’il eſt le chef, il doit avoir plus de force & de vertu. Que ne montre-t-il donc ſa ſupériorité par ſa ſageſſe ? Que ne donne-t-il des leçons d’obéiſſance à ſa femme ? Que ne l’abandonne-t-il dans ſa révolte ? Le force-t-elle d’y conſentir ? Cherche-t-elle à le séduire par ſes faveurs ? Elle ne fait que lui propoſer, & il mange auſſi-tôt. Lâche complaiſance & qui deshonore la prétendue ſupériorité de l’homme.

Le démon qui veut ſurprendre nos premiers parens, anime les organes du ſerpent pour le faire parler, ſans que cet animal ſçut ce qu’il diſoit. Ève venoit d’être produite ; elle voyoit les animaux qui leur étoient parfaitement ſoumis. Ne pouvoit-elle pas douter, s’il n’y en avoit pas parmi eux quelques uns doués du don de la parole ; ou ſi ce n’étoit pas un Ange, qui par une permiſſion ſpéciale, lui parloit par l’organe de cet animal, pour éprouver ſa vertu ? Elle n’avoit certainement pas alors plus d’idée d’un Ange, que d’un démon. Peut-être même, ni l’exiſtence, ni la chûte de ces eſprits, ne lui étoient-elles pas connuës, pour pouvoir ſe défier de leur malice ? Cette inſinuation de la part d’un ſerpent, devoit à la vérité, la rendre circonſpecte ſur ce qu’elle devoit faire. Adam connoiſſoit la nature des animaux, il leur avoit impoſé des noms. Ève n’avoit peut-être pas été témoin de cette nomination. Le ſerpent s’adreſſe à elle ; Geneſ. 3.pourquoi Dieu, lui dit-il, vous a-t-il défendu de manger du fruit de tous les arbres ? Cette demande eſt équivoque ; elle peut ſignifier, ou que Dieu avoit défendu de manger d’un certain fruit, ou en général de tous les fruits : Il veut lui persuader que tous les fruits étant également bons, l’usage lui doit en être également permis. Que répond Ève ? Rien de plus juste. Ibid.Nous mangeons du fruit des arbres ; mais pour le fruit de l’arbre qui est au milieu, Dieu nous défend d’en user, de crainte que nous mourions. Vous ne mourerez pas, répond le serpent, vous serez comme des Dieux, connoissans le bien & le mal. Ève regarde ce fruit qui lui paroît beau ; flatée par cette promesse, elle en mange. Elle croît si peu être trompée, qu’elle ne dit pas à Adam, un ſerpent m’a parlé, il m’a dit que ce fruit étoit excellent ; elle le lui préſente, & l’imprudent en mange, ſans s’informer ſi Dieu lui a parlé pour lever ſa défenſe. Dira-t-on pour le juſtifier, que c’eſt Ève qui lui préſente le fruit ? Eh ! qui ſçait ſi le ſerpent lui eût parlé le premier, s’il n’eut pas fait envers Ève, ce qu’elle fit à ſon égard ? Si le démon lui parle la premiere, ce n’eſt pas qu’elle ſoit plus foible, plus facile à ſéduire ; c’eſt qu’il veut par elle tenter ſon mari. Voulez-vous une preuve encore plus ſenſible, qu’Adam eſt le plus coupable ? C’eſt la conduite que Dieu tient envers lui après ſa deſobéiſſance. C’eſt à lui qu’il s’adreſſe le premier, Ibid. 3.Adam, où êtes-vous ? Il ne dit pas Ève, parce que vous avez mangé du fruit que je vous avois défendu, que vous avez ſéduit votre mari, que vous l’avez fait tomber, que vous avez écouté la voix du ſerpent, je vous affligerai de pluſieurs maux ; il n’apporte pas pour la condamner, ces différentes raiſons. Sa deſobéiſſance ſeule fait ſon crime & ſa condamnation. Adam eſt le plus criminel, & c’eſt à lui qu’il dit : Parce que vous Ibid.avez écouté la voix de votre épouſe, que vous avez mangé du fruit défendu… Que nous montrent ces paroles ? Que la défenſe fut intimée à Adam par la bouche de Dieu même, qui lui reproche de l’avoir violée ; & que ſa complaiſance pour ſon épouſe, fait ſon péché. Complaiſance d’autant plus lâche, qu’elle n’avoit employé ni ruſes, ni artifices ; mais qu’elle lui avoit dit ſeulement, que le fruit lui paroiſſoit bon. La tentation à laquelle l’expoſoit une propoſition auſſi ingénue, & à laquelle il ſuccombe, ne marque-t-elle pas bien ſa foibleſſe ? Ève fut trompée, dit Cajètan, par une créature d’une intelligence & d’une ſagacité très-élevée ; circonſtance qui ne ſe trouvant pas à l’égard d’Adam, diminuë beaucoup le crime d’Ève, pendant qu’il aggrave le ſien. Dieu le marque dans toutes ſes paroles. Il ne dit pas, voici Adam & Ève, Ibid. 2. 2.comme l’un de nous. Cette eſpèce d’ironie eſt pour Adam ſeul. Il le fait ſortir du Paradis terreſtre, Ève en ſort auſſi ; mais c’eſt Adam ſeul qui en eſt chaſſé, ſelon l’expreſſion de l’Écriture. Expreſſion qui déſigne comme le plus criminel, celui auquel elle eſt appliquée. Adam veut-il s’excuſer ? Il fait connoître qu’il comprend les ſuites de ſa faute par ſon excuſe ; mais ſon orgueil lui fait rejetter ſur ſon épouſe, la faute qu’il a commiſe par foibleſſe. Il conçut alors contre elle une averſion ſecrette, qu’il ſemble nous avoir tranſmiſe ; inclination mauvaiſe qui nous fait accuſer les femmes d’être la cauſe de toutes nos foibleſſes, qui nous porte à plaiſanter malicieuſement ſur leur chapitre, & à humilier un Sexe qui nous eſt ſi cher.

La punition d’Ève paroît plus rigoureuſe que celle d’Adam, & un Dieu juſte puniroit-il plus ſévérement le moins coupable ? Les douleurs de l’enfantement ſont à la vérité bien ſenſibles ; mais je trouve que Dieu les tempère par des conſolations qui les rendent plus ſupportables que le châtiment de l’homme. La grace du Sacrement, la conſolation de donner des créatures à la Religion & à l’État, le plaiſir de renaître dans des enfans que la nature nous rend ſi chers, en adouciſſent l’amertume, & compenſent bien ces douleurs qui ſont paſſageres, & peu violentes même dans la plupart des femmes. Elles ne les expoſent que par accident au péril de la mort, puiſqu’il en eſt ſi peu qui en ſoient la victime. La providence, dans ce cas, diſpenſe même du devoir du mariage, celles qui ne peuvent enfanter qu’au danger de leur vie. L’homme, au contraire, eſt condamné à un travail opiniâtre pendant tout le temps de ſa vie, il doit manger ſon pain à la ſueur de ſon front, travailler pour ſa famille : Le gouvernement, le ſoin des affaires, la défenſe des Royaumes & des Villes ſont ſon partage & ſon occupation pénible : Une vie ſi laborieuſe, n’eſt elle pas un martyre continuel, beaucoup plus ſenſible par ſa durée, que la douleur paſſagère de l’enfantement.

CHAPITRE IV.

La femme n’eſt inférieure à l’homme, que par la dépendance civile à laquelle la providence l’a aſſujettie.



La ſeule inégalité qui diſtingue la femme de l’homme, eſt la dépendance civile à laquelle Dieu l’a ſoumiſe, & que je ne trouve bien exprimée que dans S. Paul. Qu’on ne m’apporte pas pour la prouver, les paroles de la Geneſe : Vous ſerez ſous la puiſſance de votre mari, & il vous dominera. L’Hébreux & la Vulgate ne ſont pas d’accord ſur ce texte, ils l’expriment d’une maniere qui forme un ſens bien différent, & comme l’une & l’autre interprétation, eſt également reçuë dans l’Égliſe, il ſera toujours permis d’admettre celle qu’on voudra. Aux Éphef. 3. 23.Le mari eſt le chef de la femme, dit l’Apôtre, comme J. C. eſt le chef de l’Égliſe. Comme l’Égliſe eſt ſoumiſe à J. C., les femmes doivent être ſoumiſes à leurs maris, &c. La domination que J. C. exerce envers l’Égliſe, n’eſt pas une domination tyrannique. C’eſt un gouvernement plein de ſageſſe & de douceur. Si la femme doit ́être ſoumiſe à ſon mari, comme l’Égliſe l’eſt à J. C. cette ſoumiſſion ne regarde que les devoirs & les engagemens du mariage, & elle ne la doit à l’homme, qu’autant qu’elle lui eſt unie. Si elle eſt dépendante, celui qui domine par elle & qui eſt ſon maître, Homélie ſur la Geneſ.eſt auſſi ſon amant, dit S. Chriſoſtome. Elle n’eſt pas la ſervante, mais la compagne de l’homme ; c’eſt un autre lui-même, puiſqu’ils ne ſont qu’une même perſonne dans un même corps. C’eſt une ſoumiſſion reſpectueuſe qui conſiſte dans la déférence, les bienſéances & les égards qu’un égal doit à ſon égal, un ami à ſon ami. Elle n’ôte pas à la femme le droit de commander dans ſa maiſon, de diſpoſer de ce qui regarde le bien de ſon domeſtique, de concert avec un mari ſage & prudent ; ou de ſuppléer à ſon défaut, quand l’entêtement, le caprice, ou la débauche l’empêchent de pourvoir à ce qui concerne le bon ordre. L’union du mariage eſt une union de volonté, une union de corps, une union d’intérêt. L’homme n’eſt pas plus le maître de ſa volonté que de ſon corps, il eſt ſoumis en tous ces points à ſon épouſe, comme elle lui eſt ſoumiſe. Qu’elle injure à la ſainteté du mariage, que de penſer que la ſupériorité de l’homme conſiſte à faire ce qu’il lui plaît, & qu’il ne dépend de ſa femme, que dans la diſpoſition de ſon corps ! Si l’union du mariage ne conſiſtoit que dans cette dépendance du côté du corps, une alliance ſi ſainte ne ſeroit plus qu’une union purement animale. Si les perſonnes mariées ne font qu’un dans une même chair, c’eſt autant par l’union des volontés que par celle des corps. Le lien qui les unit consistant dans cette dépendance respective & mutuelle, il exclut dès-lors tout ce qui respire le despotisme absolu & la servitude, parce qu’il ne peut subsister que par une entiere égalité. L’homme est comptable à son épouse de sa volonté, de ses actions, de ses plaisirs ; parce que son bien, son corps lui appartiennent : Son épouse lui est également comptable en tous ces points. N’est-ce pas de cette dépendance relative que naît le droit que la femme a de répudier un mari adultère, comme il a celui de ſe ſéparer d’une épouſe infidelle. Si l’homme, comme chef, a le droit de commander dans ſon domeſtique, de diſpoſer de ce qui regarde l’ordre de ſa maiſon, l’établiſſement de ſes enfans ; il ne le doit faire que d’intelligence avec ſon épouſe, qui eſt ſon amie & ſa compagne. S. Pierre Épit. 13.Si Sara appelloit Abraham ſon Seigneur, c’étoit par reſpect qu’elle lui donnoit ce nom. Abraham ne faiſoit rien ſans ſon conſeil. Il changea même ſon nom, qui étoit Reſcha, en celui de Saraï, qui ſignifie Madame ou ma Princeſſe. Il vouloit l’honorer de ce nom, parce qu’elle l’appelloit ſon Seigneur. Dieu lui-même, dans l’alliance qu’il contracta avec lui, lui ordonna de changer le nom de Saraï en celui de Sara, qui ſignifie Dame ou Princeſſe. Preuve certaine de l’égalité qui ſubſiſtoit entr’eux, & qui ſubſiſte encore aujourd’hui entre l’homme & la femme.


CHAPITRE V.

On explique quelques paſſages des Épitres de S. Paul, & on réfute les preuves des Théologiens qui en abusent, pour prouver la supériorité de l’homme.



Je Épit. aux Cor. 11. 3desire que vous sçachiez que J. C. est le chef de tout homme, que l’homme est le chef de la femme, & que Dieu est le chef de J. C. On fonde sur ce texte la supériorité des hommes : Examinons la solidité de la preuve. Quel but se propose ici S. Paul ? Il doit confirmer les Corinthiens dans les réglemens qu’il a preſcrit ſur les bienſéances & la modeſtie que les femmes doivent obſerver dans l’Égliſe. Je deſire, leur dit-il, que vous ſçachiez que l’homme eſt le chef de la femme, & que tout homme qui prie ou qui prophêtiſe ayant la tête couverte, deshonore ſa tête. Quelques femmes dans ces premiers temps, s’imaginoient avoir le droit de prophêtiſer comme les hommes, & elles ſe ſervoient de ce prétexte pour paroître ſans voile. L’Apôtre leur fait voir que l’homme eſt le chef, c’eſt-à-dire le maître, que la femme doit écouter quand il s’agit de parler des myſteres de la Religion, & d’en inſtruire les autres dans l’Égliſe, qu’à lui ſeul appartient ce droit par l’inſtitution de Dieu ; ce n’eſt donc pas la ſupériorité de l’homme en ce qui concerne le mariage, qu’il veut établir ici ; mais le miniſtere divin communiqué à l’homme ſeul. Ce n’eſt pas que Dieu n’ait donné quelquefois le don de prophêtie à des femmes, Exod. 15. 20. judic. 5. Iſay. 83 1. Reg. 2. 2. Reg. 22 14. Luc. 2 36. act. 21 g.il l’a accordé à Marie sœur de Moïſe, à Debora, à la femme d’Iſaye, à Anne mere de Samuel, à Holda. Nous voyons dans la loi nouvelle Anne la Prophêteſſe, les filles de Philippe Diacre. Faveurs remarquables que Dieu leur a accordé dans certain temps, pour faire connoître que cette créature lui eſt auſſi chère que l’homme, auſſi capable de traiter les choſes Divines. Si l’Apôtre défend aux femmes de s’ingérer dans le miniſtere, ce n’eſt qu’à l’égard de celles qui n’ayant pas reçu l’inſpiration Divine, s’approprioient ce droit ; il ne leur défend de parler dans l’Égliſe que pour empêcher le trouble & la confuſion.

Vous vous trompez, ſi vous croyez que S. Paul ordonne aux femmes de porter un voile & une longue chevelure en marque de leur ſoumiſſion. 3. Cor. 11. 7.Si l’homme eſt la gloire de Dieu, la femme eſt la gloire de l’homme, ce n’eſt pas parce qu’elle lui eſt ſoumiſe, mais parce qu’elle eſt produite de la chair de l’homme, à qui il eſt glorieux d’avoir fourni la matiere pour produire une créature auſſi noble. Homme, vous êtes la gloire de Dieu, il vous a créé par lui-même, mais il s’eſt ſervi de vous pour créer la femme, & c’eſt en cela qu’elle fait votre gloire. VousIbid. n’avez pas été créé pour la femme, mais la femme a été créée pour vous, pour être votre compagne, pour concourir avec vous à la propagation du genre humain. C’est dans ce sens, continue l’Apôtre, que l’homme n’est pas sans la femme, & la femme sans l’homme, c’est-à-dire, que quoiqu’il paroisse à l’extérieur & dans le civil une inégalité entre l’un & l’autre, il n’en est pas de même à l’égard de Dieu, qui vous ayant créé égaux, vous a également rachetés. Ibid. 12.Comme la femme au commencement a été tirée de l’homme, außi l’homme maintenant vient de la femme. Raison admirable qui vous apprend à ne pas vous élever au-dessus d’elle : Si la femme a été produite une ſeule fois de votre chair, la femme a ſur vous cet avantage beaucoup plus précieux, qu’elle concoure d’une maniere plus parfaite à la propagation, parce qu’elle vous donne d’une maniere plus particuliere, l’origine & la naiſſance.

Le voile que S. Paul éxige des femmes, marque ſi peu leur dépendance, que ce n’eſt que par reſpect pour les Anges, qu’il leur ordonne de le porter dans le Temple. Il demande qu’elles paroiſſent le viſage caché dans l’Égliſe, pour ne pas être l’objet involontaire de la diſtraction que les charmes de leur innocente beauté pourroient cauſer aux Miniſtres & aux hommes. C’eſt donc par reſpect pour le Dieu qu’on adore dans les Temples, & par égard à la foibleſſe des hommes, qui pourroient s’occuper des attraits de la créature dans le temps qu’ils ne doivent ſonger qu’au Créateur, que S. Paul leur impoſe cette obligation. Ce voile eſt une marque de modeſtie & de vertu qu’il éxige d’elles. C’eſt dans cet eſprit qu’il leur dit ; qu’il eſt honorable aux femmes de laiſſer croître leurs cheveux, parce qu’ils peuvent leur ſervir comme d’un voile, pour adoucir l’éclat de leur beauté, par un air de modeſtie qu’ils leur donnent. Il parle ſelon l’uſage de ſon ſiecle, ou conſéquemment à ce qu’il veut perſuader aux femmes, quand il ajoûte, qu’il eſt honteux à l’homme de laiſſer croître ſes cheveux ! La nature ne fait rien d’inutile. Dieu n’a pas donné aux hommes & aux femmes, cette multitude de cheveux qui couvrent leurs têtes, pour que les uns les coupent ou les entretiennent plutôt que les autres. La Religion n’a jamais rien décidé ſur ce ſujet ; elle défend ſeulement le luxe & la vanité. Nous ne faiſons pas un ſujet de confeſſion aux femmes, de ne pas porter de chevelure pendante, comme S. Paul le preſcrit ; mais de les entretenir avec trop de ſoin, & d’en faire le ſujet de leur vanité. Les uſages particuliers ont varié chez les Nations. La longue chevelure chez nos Gaulois, étoit une marque de ſupériorité, le peuple & les ſerfs avoient les cheveux courts, ou la tête raſée. S. Paul avoit raiſon de parler ainſi dans un temps où les femmes ſeules portoient de longs cheveux. Il devoit alors paroître honteux à des hommes de vouloir affecter un ornement extérieur, qui n’étoit en uſage que chez les femmes.

Quel eſt l’homme raiſonnable qui puiſſe ſe contenir quand il entend le commun de nos Théologiens, établir la ſoumiſſion des femmes ? Sur quoi la fonde-t-il ? Pitoyables preuves que celles qu’ils apportent. Ils l’établiſſent, 1. ſur la loi naturelle, qui veut que celui qui a le plus de jugement & de conduite, gouverne celui qui en a moins. 2. Sur la loi poſitive, qui ſoumet la femme à l’homme, à cauſe de ſon péché. 3. Sur la loi de l’Évangile, qui renouvelle cette obligation. 4. Sur l’ordre de la création, parce que la femme n’a pas été créée la premiere, & que l’homme n’a pas été formé de la femme ; mais celle-ci de l’homme. 5. Sur le droit des gens. De ces cinq raiſons la 2e établie ſur le texte de la Géneſe, texte ſuſceptible de différens ſens, ne prouve rien. La 3e eſt vraie en regardant cette dépendance, comme purement légale & civile. La 1e, 4e & 5e, ſont futiles & ridicules. La 1e eſt fauſſe & démentie par la ſeconde ; car ſi c’eſt préciſément en punition du péché, que la femme eſt ſoumiſe, cette ſoumiſſion n’eſt donc pas une ſuite de ſa nature & de ſa création. D. Aug. de Geneſ. ad Litter. Lib. 11. 6. 37.Maritum habere Dominum, meruit mulieris non natura sed culpa. Quand S. Augustin dit que l’ordre naturel demande, que les femmes soient soumises, parce qu’il est nécessaire que la raison du plus foible, céde à celle de celui qui est le plus fort, on nous permettra de ne pas penser comme lui en ce point, ni dans ce qu’il avance ensuite ; que dans la loi de Moïse, il a été permis à un homme d’avoir plusieurs femmes, & non pas à une femme d’avoir plusieurs maris ; ce qui vient De bono conjug. c. 17.selon lui, de ce que ceux qui sont nés pour commander, aiment naturellement la singularité : Quast. in Genes. c. 153.Un Maître, dit-il, peut bien avoir plusieurs serviteurs, mais un serviteur ne peut servir plusieurs maîtres. Cette raison nullement recevable, pourroit-elle prouver la soumission des femmes ? S’il a été défendu à une femme d’avoir plusieurs maris, n’est-ce pas parce que le commerce d’une seule femme avec plusieurs, est contraire à la fin de la génération ; mais un homme peut avoir plusieurs femmes, parce que le commerce d’un seul, multiplié & partagé entre plusieurs femmes, contribue à la propagation en exerçant leur fécondité. Chez les peuples où la Polygamie étoit en uſage, l’époux ſe partageoit également entre ſes épouſes, il les voyoit tour à tour. Les Rois de Perſe ne ſe diſpenſoient pas même de cette régle. Dom. Calm. & commentaire ſur l’Ex.xxi. 10. & de la Genes. xxx. 16.Pour avancer que la loi naturelle qui veut, que celui qui a plus de jugement & de raiſon, ſoit ſupérieur à celui qui en a le moins, ait lieu dans ce point, il faudroit être en état de prouver, que les femmes en ont moins que les hommes ; ce qui eſt abſolument faux. Une pareille théſe feroit peu d’honneur à celui qui la ſoutiendroit ; elle ſeroit la meilleure preuve du peu de bon ſens des hommes qui en deviendroient partisans. Dieu a donné à l’ame de la femme, les mêmes qualités qu’à celle de l’homme ; il lui a par conséquent accordé autant de jugement & de raison. Nulle loi divine ne les a jamais positivement exclu du ministere, ou du gouvernement civil, pour un semblable défaut. Si le Seigneur les a éloignées du Sacerdoce, ce n’est ni par défaut de jugement, ni de vertu ; mais par une espèce de bienséance, qu’il attribue ce droit à l’homme. Les exemples de tous les siécles, qui ont produit tant de femmes sçavantes & vertueuſes dans le gouvernement, ſont des argumens auſquels on ne répondra jamais, à moins qu’on ne diſe qu’en cela, Dieu a fait une exception dans l’uſage ordinaire ; alors ce ſeroit avouer ce que je ſoutiens, parce que toute exception confirme la régle.


CHAPITRE VI.

Injuſtice des loix humaines, qui donnent à l’homme une ſupériorité plus grande que celle que Dieu lui a accordée.



LEs loix humaines tirent leur force de la loi divine, dont elles ſont des explications ou des conſéquences directes ; mais les hommes en ont beaucoup établies ſur ce qui concerne l’ordre extérieur & civil, & les ont compoſées à leur gré. Jaloux d’être les maîtres & d’affecter en tout une certaine domination, ils ont porté plus loin qu’ils ne devoient la dépendance des femmes. À quoi ne les ont-ils pas aſſujetties, pour flatter leur amour propre ? Elles ne peuvent dispoſer de rien, elles ſe trouvent elles & leur biens, ſoumiſes aux caprices d’un mari. Donner à un époux tout droit ſur ſon corps, la loi l’ordonne, elle établit en ce point, une égalité de part & d’autre ; mais attribuer à l’homme, une autorité deſpotique ſur les biens & ſur la volonté de la femme, quel eſclavage odieux à la nature ! Eſt-il donc ſelon l’eſprit de la Religion, & ne s’en ſuit-il pas des abus bien funeſtes ? Qu’une femme ne puiſſe diſpoſer de ſon corps, rien de plus juſte, la compenſation eſt égale, elle a le même droit ſur l’homme ; mais vouloir étendre cet empire ſur ſes biens, ſa volonté, ſa liberté même, quelle ſervitude ! Pourquoi l’aſſujettir à un joug que Dieu ne lui a pas impoſé. Quelle ſource de déſordres ! Un homme diſſipé, joüeur & galant, trouve dans cette maîtriſe, des reſſources à ſes débauches. Abſolu, il dépenſe, il diſſipe comme il lui plaît, il oblige une épouſe infortunée à y conſentir. Quelle foible reſſource pour elle, que le droit que les loix lui accordent dans ces différens cas ! Un avare réduit une femme & des enfans, au genre honteux de vie qu’il pratique, il les oblige de paroître dans un état peu conforme à leur condition, il les rend la fable du public. Il faudra donc, ſous prétexte de la ſupériorité d’un tel fou, qu’une femme vive dans l’indigence, s’il plaît à ſon arpagon de lui refuſer le néceſſaire. Quel malheur pour elle ! Quel ſurcroît de maux, ſi ſcrupuleuſe, elle tombe ſous la direction d’un caſuiſte idiot, qui, parce qu’il aura lû qu’une femme ne doit diſpoſer de rien ſans le conſentement de ſon mari, ne ſçaura point diſtinguer les cas particuliers & les exceptions que cette loi peut ſouffrir, voudra lui faire un mérite de vivre ainſi. Si les loix avoient donné à l’homme & à la femme un pouvoir réciproque ſur leurs biens & leurs volontés, comme le Seigneur l’a inſinué par celui qu’il leur a donné mutuellement ſur leur corps, on verroit moins de déſordres dans les familles. La prudente ſageſſe d’une femme ſuppleroit à la mauvaiſe conduite d’un mari, & des enfans ne porteroient pas ſi ſouvent les triſtes marques des caprices ou des folies de leur pères. Dire que cette dépendance eſt fondée ſur la loi naturelle & ſur le droit des gens, c’eſt avancer faux : Il n’en a pas toujours été ainſi chez tous les peuples, & beaucoup de Nations ignorent encore aujourd’hui cette eſpéce de tyrannie. Quel exemple plus ſenſible, que celui que je rapporte ici d’un Royaume entier.

Dom. Calm. Hiſt. de l’anc. teſt. tom. I. p. 327.Darius fils d’Hyſtape, monté ſur le thrône des Perſes, fait un feſtin magnifique à tous les grands de ſa Cour, pendant quatre-vingt jours, & le nombre des conviés eſt proportionné à la ſomptuoſité de cette fête. Le ſeptième jour, le Roi plus gai qu’à l’ordinaire, envoie dans la chaleur du vin, ſept de ſes principaux Eunuques, pour conduire la Reine Vaſthi, le diadême en tête, & faire admirer ſa beauté à tous les peuples. Elle refuſe de venir, appuyée ſur une loi du pays, qui ne permettoit pas aux femmes d’honneur de paroître dans les feſtins des hommes. Darius en colere de ſon refus, conſulte ceux qui ſont auprès de lui, & leur demande quelle peine mérite Vaſthi, pour avoir déſobéi au Roi. L’un d’entr’eux répond que la Reine a non-ſeulement offenſée le Roi, mais que ſon exemple peut avoir des ſuites fâcheuſes, parce que toutes les femmes des Perſes & des Mèdes, pourroient s’autoriſer par là, à mépriſer le commandement de leurs maris. Il conclut qu’il faut que le Roi répudie Vaſthi, & qu’on publie dans tout l’Empire, que les hommes ont tout pouvoir, chacun dans leurs maiſons ; & que les femmes, de quelque condition qu’elles ſoient, leur rendront toute ſorte de reſpect & d’obéiſſance. Cet Édit eſt publié, & Eſther devient la nouvelle épouſe du Roi. La ſoumiſſion & la dépendance des femmes, avoit donc été juſqu’alors inconnu dans ces vaſtes Royaumes ? Elle n’eſt donc pas fondée ſur la nature, ni ſur le droit des gens ? Eh ! combien de peuples & de Légiſlateurs ont ainſi méconnu cette premiere égalité établie par la nature.


CHAPITRE VII.

Exemples qui prouvent l’égalité de la femme : Sa capacité pour le gouvernement & pour les ſciences. Son inclination pour la vertu plus grande que celle de l’homme.



ADmettre que la femme a été faite comme l’homme à l’image de Dieu, c’eſt dire qu’elle a reçu comme lui, la même faculté de penſer & de raiſonner, & qu’elle lui peut être par conſéquent, égale du côté de l’eſprit & du cœur. Il faudroit ignorer l’histoire des siécles & de la littérature, pour révoquer en doute ce que j’avance ici. Exode 38 1. liv. des Rois. 11. 22. Dom Calmet Hiſt. de l’anc. teſt. tom. i.Chez les Hébreux, les femmes ont quelquefois exercé la fonction de Juge ; elles veilloient & faisoient la sentinelle à la porte du tabernacle. Cet ancien usage de voir les femmes faire la garde à l’entrée du palais des Rois d’Orient, subsiste encore aujourd’hui dans la Cour des Rois de Perse.

Dieu choisit ce qui paroît foible aux yeux des hommes, pour humilier leur orgueil, & pour confondre ceux qui se croient les plus forts, dit l’Apôtre. Que de femmes illustres dans l’ancien Testament. Debora aſſiſe ſous un palmier, juge le peuple d’Iſraël, & armée du glaive du Seigneur, elle terraſſe les ennemis de ſon nom. Judith, la gloire de Jéruſalem, tranche la tête du ſuperbe Holopherne. Eſther fait révoquer l’Édit du puiſſant Aſſuerus, & ſauve le peuple Juif, au péril même de ſa vie. La mère des Machabées voit d’un œil intrepide ſes enfans au milieu du tourment & ſuccombe généreuſement avec eux ſous l’épée du barbare Antiochus. Quel courage mâle ! Quelle intrépidité dans cette multitude innombrable de vierges & de femmes que le fer & le feu ne firent point pâlir, & qui triomphèrent de la cruauté des bourreaux. C’eſt à une femme que le Sauveur explique le profond myſtere de la grace. C’eſt à Magdelaine qu’il déclare, préférablement à ſes Apôtres, la vérité de ſa réſurrection. S. Paul honoroit les Priſcilles, les Maries, & tant d’autres dont il parle avec éloge dans ſes lettres. Le Diſciple bien aimé écrivoit à la pieuſe Électe. Ces premiers Docteurs croïoient le Sexe digne d’être initié dans les ſecrets de la loi, & capable de pénétrer les myſteres les plus ſublimes.

Si Nous revenons à l’hiſtoire des ſiécles poſtérieurs, que d’exemples qui font honneur au Sexe. La pucelle d’Orléans, cette généreuſe fille qui ſauve la France, qui combat à la tête des François. Chriſtine Reine de Suede, qui gouverna ſes États avec tant de ſageſſe, qui cultiva les ſciences avec tant de ſuccès. Tant d’illuſtres Princeſſes qui furent la tête de leur Conſeil. Les Daciers, les Deshoulieres qui ſe ſignalerent parmi nous, par leur vaſte connoiſſance dans les langues, par la beauté de leurs écrits. Tout Paris n’admire-t-il pas encore aujourd’hui les talens de Madame la Marquiſe du Châtelet, ſi connuë par les ſentimens du cœur & les agrémens de l’eſprit. Qui ignore le nom de Madame Dupin, dont la maiſon eſt comme le ſanctuaire des ſciences & l’académie particuliere des ſçavans, qui la reſpectent & la conſultent. Rouen, Toulouſe n’ont-ils pas couronné Madame du Bocage & Madame de Montégut. Une multitude d’autres que je paſſe ſous ſilence, pour ne pas répéter ce que tant d’Auteurs ont dit avant moi, ne ſont-elles pas des preuves inconteſtables que les femmes ne le cédent pas aux hommes du coté de l’eſprit & du cœur ? Que ne pourrois-je pas dire en leur faveur, ſur ce dernier ſujet ? Elles ont le ſentiment du cœur plus délicat que nous : Plus amies de l’honneur, plus reconnoiſſantes, plus ſenſibles ; leur caractere tendre & obligeant, les fait aimer. Je ne nie pas, dit le ſçavant Dom Feijoo, Bénédictin Eſpagnol, qu’il n’y ait des femmes adonnées au vice ; mais helas ! ſi l’on examine la généalogie de leurs déſordres, ne trouvera-t-on pas, qu’ils tirent leur premiere origine de la ſollicitation des hommes ? Quiconque voudra rendre bonnes toutes les femmes, doit commencer par convertir tous les hommes. La nature a miſe en elles, la pudeur, pour leur ſervir de barriere contre toutes les batteries du déſir charnel, & l’on fait très rarement bréche à ce mur par la partie intérieure de la place. La Religion trouve chez elles un accès facile. Fideles à ſes loix par vertu, moins hypocrites que nous, elles ont mérité que l’Égliſe les appella le dévot Sexe. Entrez dans nos Égliſes, comparez le nombre de celles qui y aſſiſtent aux offices, qui fréquentent les ſacremens, avec celui des hommes : Quelle honteuſe diſparité ! On croiroit que les femmes ſeules, ſont Chrêtiennes parmi nous.

De l’homme le plus entier en ſes volontés, une femme cependant en fera tout ce qu’il lui plaira, pourvû qu’elle ait beaucoup d’eſprit, aſſez de beauté & un peu d’amour. Les femmes ne ſont jamais ſi prêtes à nous trahir, que quand nous les aimons de bonne foi. La malice, l’amour & la contradiction, ſont les alimens des femmes. La femme eſt un animal aimable, mais de ſa nature muable ; voilà les traits de ſatyre qu’on lance ordinairement contre elles. Réflexions uſitées, qui pour être anciennes, n’en ſont pas moins fauſſes en général, quoique par accident elles puiſſent ſe confirmer.

Les hommes ne diſent ſouvent tant de mal des femmes, que pour ſe venger de leur pudeur, qui leur paroît trop auſtere. Sont-ce les femmes qui propoſent ordinairement aux hommes, ce qui peut être contre leur devoirs ? Le cas eſt ſi rare, qu’on n’en peut rien conclure. Les hommes les tentent, les ſéduiſent, & ſouvent ces fourbes ingrats les abandonnent, loin de légitimer par une alliance mutuelle, le défaut de leur conduite. J’entends quelquefois des perſonnes qui condamnent avec un zéle odieux la foibleſſe des perſonnes du Sexe, qui ſe livrent imprudemment aux plaiſirs de l’amour ; elles les regardent avec mépris, elles inſultent à leur foibleſe ; mais ſi ces bigots ſévères, ou ces dévotes ambiguës ſe trouvoient dans certaines conjonctures délicates, tous iroient peut-être plus loin que ces coupables qu’ils condamnent. On eſt fort quand on ne connoît pas le péril, & qu’on n’y a jamais été expoſé. Il y a de malheureux momens dans le commerce de la vie, où l’on ne ſe reconnoît qu’après ſa chûte. Le ſage fuit l’occaſion, parce qu’il comprend la vérité de cette maxime : Il ne faut jamais répondre de ſoi.

CHAPITRE VIII.

Le commerce des femmes eſt-il außi dangereux qu’on le penſe ? Peut-il être permis indifféremment à tous les hommes ? on répond à quelques paſſages de l’Écriture qui ſemblent en donner une idée peu favorable.



Toute créature raiſonnable eſt née pour la ſociété. Elle exige naturellement le commerce de ſon ſemblable. Vouloir exclure les femmes de cette régle, c’eſt nous priver de la portion la plus aimable de l’humanité dont elles font les délices. Rien de plus propre à former l’eſprit & le cœur, à inſpirer des ſentimens, à apprendre l’uſage du monde, que la converſation d’un Sexe le plus ingénieux & le plus délicat. Combien de perſonnes doivent à leur commerce, leur éducation, leur fortune, leur mérite & les talens qui les diſtinguent dans le monde ! Que d’agréables momens ne paſſe-t-on pas avec elles ? Que de plaiſirs ſolides ne goûte-t-on pas dans les compagnies dont elles font l’ame ? Tout languiroit ſans elles dans la nature, & l’homme privé de leur commerce, ne ſeroit qu’un animal brûte & ſauvage. La Religion n’a jamais défendu ce commerce ; mais elle preſcrit des régles qui le rendent ſage & vertueux : Elle ne le défend pas même à ſes Miniſtres, elle leur ordonne feulement d’y être plus réſervés & plus diſcrets. S. Jérome ſur Saint Math. 27.
Luc 8. 1. 2. 3.
S. Pierre. 1. Lett. aux Cor. 9. 5.
Les Apôtres avoient des femmes qui les accompagnoient dans leurs voyages, & qui pourvoïoient à leurs beſoins. Comme cet uſage étoit ordinaire parmi les Juifs, Dom. Calmet. Hist. de l’anc. test. tom. i. p. 367. & 326.perfonne ne s’en scandalisoit. Les veuves même dans l’Église participoient au Ministere. C’étoient des femmes pieuses & dévotes, dira quelqu’un ; je le sçai, & leurs Disciples à leur exemple, n’en devroient jamais connoître d’autres. Les Apôtres étoient des Saints, fortifiés dans la grace, ajoûtera quelqu’autre : Je le veux ; mais enfin, c’étoient des femmes, & ils étoient hommes. Preuve suffisante pour croire que le commerce des femmes sçavantes & vertueuses ne fût jamais interdit aux Ministres mêmes. S’il y a des gens foibles, c’eſt à eux à ſe connoître & à ne pas s’expoſer : S’il falloit condamner tout ce dont on abuſe, on proſcriroit chaque jour, tout ce qu’il y a de plus ſaint dans la Religion. La ſociété des hommes & des femmes en général, fut toujours permiſe, quoique par accident & par rapport aux particuliers, elle puiſſe être pernicieuſe. C’eſt à chacun de nous à conſulter ſon cœur & ſon tempérament, & à éviter ce qu’il connoît lui être pernicieux. Condamnons l’abus, mais ne proſcrivons pas l’uſage de ce qui eſt utile & avantageux. S. Jerome qui a relevé avec tant de chaleur les déſordres qui règnoient dans ſon temps dans le commerce des femmes ; lui qui connoiſſoit par expérience, la force de la paſſion qui nous domine, étoit cependant en relation avec des Dames Romaines qui le viſitoient, & qu’il conduiſoit par ſes conſeils & par ſes lettres.

Ecclefi. 42. 14.Comme le vers s’engendre dans les vêtemens, ainſi l’iniquité de l’homme vient de la femme. Un homme qui vous fait du mal, vaut mieux qu’une femme qui vous fait du bien, dit l’Écriture.

Le S. Eſprit prétend-t-il par ſes paroles, condamner la femme comme une créature mauvaiſe ? C’eſt ſans raiſon que faute d’en comprendre le ſens, on s’en ſert contre elle. La méchanceté d’un homme qui nous afflige, nous eſt un ſujet de patience, au lieu la ſeule vuë d’une femme ſage & bienfaiſante à notre égard, nous peut devenir un ſujet de chûte par l’eſtime que nous concevons naturellement pour elle, quand elle nous oblige. Voilà le vrai ſens de ce texte qui fait ſi peu d’honneur à l’homme, qu’il devroit le paſſer ſous ſilence. Il montre la corruption des hommes, le penchant qu’ils ont pour le mal ; ils ne ſçauroient être ſouvent au milieu des femmes, ſans danger. Leur beauté les ſéduit. Peu maîtres d’eux-mêmes, ils ne peuvent voir ſans trouble & ſans amour, des femmes qui ſe trouvent ſi ſouvent au milieu d’eux ſans trouble, ſans paſſion, & quelquefois même ſans les aimer. L’homme aime naturellement la femme ; mais comme cet amour innocent dans ſon principe, peut devenir dangereux dans ſes ſuites, le S. Eſprit l’avertit par ces paroles, de ſe défier de ſon propre cœur, & de connoître ſa foibleſſe pour éviter le danger. Je trouve mille paſſages dans l’Écriture, où Dieu avertit les hommes, d’éviter le commerce des femmes, où il en expoſe le danger ; mais je n’en trouve preſque pas, où il ordonne aux femmes de fuir le commerce des hommes, comme leur étant également pernicieux. Preuves certaines que l’homme eſt le plus foible, & l’animal le plus dangereux pour la femme.

Tout ce que les Peres ont dit de plus fort ſur ce ſujet, ne prouve rien contr’elles. Ils n’ont pas prétendu interdire leur commerce, par les invectives : qui leur font échapées ; ils n’ont voulu que nous précautionner. Les plus grands hommes d’entr’eux, ſe ſont toujours fait gloire de les connoître, & d’entretenir avec elles, un commerce ſage & ſpirituel, que nous devons imiter. Les déclamations qu’on lit dans les Écrivains ſacrés, contre les femmes, ſont adreſſées à celles qui ſont déréglées, dit Dom Feijoo : Mais quand elles regarderoient tout le Sexe en général, on ne prouveroit rien de là. Les Medecins des ames déclament contre les femmes, comme les Medecins des corps, contre les fruits, qui deviennent nuiſibles par l’abus, quoiqu’ils ſoient bons, utiles & beaux par eux-mêmes.

En vain m’objecteroit-on cette multitude d’écrits ſcandaleux, que tant d’Auteurs laſcifs ont compoſé contre les femmes. Qu’on rapporte l’autorité d’Ariſtote, qui ſe plaît à dévoiler avec tant d’art, leurs défauts phyſiques & moraux. Plaiſante autorité contre le Sexe ! que celle d’un Philoſophe qui avoit deux femmes, & qui pouſſa l’extravagance, juſqu’à offrir de l’encens, comme à une Divinité, à celle qu’il aimoit avec plus d’ardeur ; lui qui ne ſe plaiſoit que trop à égayer ſa philoſophie avec ſa ſervante. Euripide qui parle ſi mal des femmes, dans ſes ouvrages de théatre : Bocace, Pétrone, &c. qui écrivirent ſi inſolemment contr’elles, étoient deux impudiques de profeſſion. Que d’hommes écrivent & parlent encore aujourd’hui contr’elles ! pour déguiſer le penchant qui les domine. Tant il eſt vrai de dire, que ceux qui parlent le plus ſouvent contre les défauts des femmes, ſont ordinairement ceux qui en ſont les plus amoureux dans le particulier.


CHAPITRE IX.

Eſt-il permis d’aimer les femmes ? Quelles ſont les régles & la fin qu’on doit ſe propoſer dans cet amour ?



On condamne ordinairement comme criminel ou comme dangereux l’amour des hommes pour les femmes, & celui des femmes pour les hommes, parce qu’on le regarde comme une ſuite du péché, & un des effets funeſtes de la concupiſcence. Faux principe ſur lequel s’appuient nos Caſuiſtes, qui comme bien d’autres, n’ont pas toujours écrit comme ils penſoient, ou n’ont pas toujours penſé juſte. Parlons avec vérité ; Dieu a gravé dans le cœur de nos premiers parens, cette inclination mutuelle des deux Sexes, qu’ils nous ont tranſmis comme une ſuite de la création & comme le lien divin par lequel Dieu a voulu unir toutes les créatures raiſonnables. Il eſt donc permis aux deux Sexes de s’aimer réciproquement. Dire qu’on ne doit qu’eſtimer les femmes c’eſt abuſer des noms, pour déguiſer la vérité des choſes. L’eſtime & l’amitié ne regardent que les personnes d’un même Sexe ; mais l’amour est proprement l’inclination naturelle que les deux Sexes ont l’un pour l’autre. Qu’est-ce donc que cet amour qui naît & qui ne meurt qu’avec nous ? On la définit, Un je ne sçai quoi, qui vient de je ne sçai où, & qui s’en va je ne sçai comment. Parlons plus clairement. L’amour est la voix du cœur, l’expression, le cri de la nature pour son semblable ; c’est un sentiment de l’ame, que la grace régle en nous ; mais qu’elle ne détruit pas, parce que cet amour est un don de la nature, un bienfait de la création. Ainſi penſe tout homme raiſonnable, Qu’a-t-il donc qui puiſſe exciter le zéle des Docteurs qui le condamnent ? Quand cet amour conduit par la Religion, ſe borne aux bienſéances, que la proximité du ſang ou le bien de la ſociété civile exigent de nous, alors il eſt juſte, tel que Dieu nous l’inſpire, & permis indifféremment à tous, fondé ſur ce principe écrit dans notre cœur par la main de la nature, que tout animal aime ſon ſemblable. Il eſt même autoriſé par la Religion, qui nous dit : Que nul homme ne hait ſa propre chair. Qu’on ne m’objecte pas que ces paroles ne regardent que les perſonnes mariées. C’eſt ſur ces paroles, qu’eſt fondé cet amour mutuel que nous nous devons. Ce n’eſt pas préciſément par le Mariage ; mais par la création, que la femme eſt la propre chair de l’homme. Adam la regarda comme ſa propre chair avant qu’il la connut. Le commerce du Mariage ne fait que cimenter, que rendre cet amour plus précieux & plus reſpectable. Comme l’amour tend naturellement à une union & à une poſſeſſion mutuelle, qui n’eſt pas également permiſe à tous ; voilà en quoi il peut être dangereux dans ſes ſuites, quoiqu’il ſoit innocent dans ſon principe. Pur & légitime en lui-même, permis également à tous ; ſa fin accordée aux uns, refuſée aux autres, les rend même déſobéiſſans à la loi, qui leur en défend juſqu’au déſir, quoiqu’elle ne puiſſe leur faire un crime du ſentiment. Ce n’eſt donc pas cet amour en lui-même ; mais le déſir de la poſſeſſion de l’objet aimé, que la loi interdit. Il eſt permis aux deux Sexes dans tous les états, de s’aimer ; mais il ne leur eſt pas permis de s’unir entr’eux. Les loix civiles ont établies ſur ce ſujet, des loix juſtes & invariables. Aimons-nous mutuellement, prouvons-nous par nos complaiſances, par nos attentions reſpectueuſes, l’amour qui nous attache les uns aux autres ; rien de plus légitime, de plus agréable dans le commerce de la vie, que cet amour réciproque ; mais reſtons en à ces devoirs extérieurs, qu’éxige de nous la ſociété civile ; prenons garde de franchir le terme ſacré que la Religion nous preſcrit & que le Sacrement ſeul peut lever. Mais hélas ! qu’il eſt difficile de réprimer la nature toujours rebelle à la loi qui lui preſcrit des bornes. Qu’une femme qui joint l’eſprit à la beauté eſt éloquente ! Qu’elle eſt aimable ! Qu’elle eſt dangereuſe ! Qu’il eſt difficile de s’en défendre ! Ne voit-on pas tous les jours, les hommes les plus auſtères, leur accorder ce qu’ils auront conſtamment refuſé à d’autres hommes ? Eſt-ce par foibleſſe ou par paſſion qu’ils ſe laiſſent prévenir ? Je fuis convaincu que non, & qu’ils ſeroient fâché de violer l’intégrité de leur vertu : Mais la préſence d’une femme agréable & ſpirituelle, excite en eux ce ſentiment de la nature, qui décide ſi ſouvent malgré nous en leur faveur. La femme est comme une fleur brillante & délicate dont l’éclat frappe & réjouit. Y touche-t-on imprudemment, elle perd de son éclat, elle se flétrit. C’est dans ses vuës, qu’on nous recommande tant de veiller sur notre cœur, dans le commerce des femmes de crainte qu’il nous échappe sans y penser. Nous sommes tous dans ce monde semblables à des personnes obligées de marcher dans un chemin étroit & glissant. Elles se prêtent la main, se soutiennent mutuellement ; mais souvent la plus foible, ébranlée par le mouvement de l’autre qui chancelle, fait un faux pas avec elle, & l’accompagne dans ſa chute. Heureux ! s’il nous étoit permis de marcher toujours ſeul dans une voye ſi lubrique.

FIN.