Le système nerveux central/02

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Georges Carré et C. Naud (p. 1-109).



LE SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

ANTIQUITÉ


Physiologie générale et spéciale. — Structure et fonctions des organes de la vie, de la sensibilité et de la pensée.

Alcméon de Crotone (vers 500), qui le premier aurait fait des dissections et des vivisections[1], fut aussi, sans doute, l’un des premiers qui, chez les Hellènes, ait localisé dans le cerveau la perception des sensations et la pensée. Ce jeune contemporain de Pythagore[2] était célèbre dans sa patrie par ses recherches d’anatomie et de physiologie. Aristote le cite plusieurs fois, expose et discute ses doctrines ; peut-être avait-il écrit un ouvrage contre Alcméon[3]. Peut-être avait-il vu les nerfs ou « conduits » (πόροι) optiques et, sinon découvert le canal qu’on devait désigner du nom de trompe d’Eustache, du moins entrevu les rapports de l’oreille moyenne avec le pharynx. On citait son opinion, frappée au coin d’un scepticisme vraiment scientifique, sur la formation du fœtus dans l’utérus[4]. Alcméon croyait, ainsi qu’Hippon, que la « tête » se forme la première dans l’embryon[5], sans doute parce que, dans la tête, est le cerveau, principe du sentiment et du mouvement, et, comme le dit expressément Alcméon, siège de la raison : Ἀλκμαίων ἐν τῷ ἐγκεφάλῳ εἶναι τὸ ἡγεμονικόν (Frag. 4). C’est au cerveau qu’arrivent toutes les sensations. Par exemple, l’olfaction se produit parce que le cerveau attire les odeurs au moyen d’aspirations répétées : τούτῳ (ἐγκεφάλῳ) οὖν ὀσφραίνεσθαι ἕλκοντι διὰ τῶν ἀναπνοῶν τὰς ὀσμάς[6]. Alcméon est probablement l’auteur d’une des plus anciennes physiologies des sensations. On connaissait d’Alcméon une théorie de l’audition, du goût, de l’odorat[7]. Les sensations se transmettent au cerveau par l’intermédiaire des « canaux » qui partent des organes des sens[8] : il semble donc avoir aperçu l’étroite liaison des sensations avec l’organe des perceptions, le cerveau.

La condition anatomique de ces rapports, les nerfs, devaient rester, pendant plusieurs siècles encore, profondément ignorés. Hérophile et Érasistrate, aussi bien que Galien, Rufus d’Éphèse, Celse, Arétée, nomment habituellement les nerfs de la sensibilité πόροι ; ils les ont confondus avec les tendons et les ligaments (νεῦρα). Némésius le premier établit plus nettement la distinction entre tendons et nerfs. Mais, pendant toute la haute antiquité hellénique, les nerfs conservèrent le nom qu’ils ont chez Alcméon, c’est-à-dire celui de canaux ou conduits (πόροι).

Les anciens Égyptiens n’ont point plus distingué que les Hellènes les tendons des nerfs, les veines des artères. Il paraît toutefois fort étonnant à Georges Ebers que, dans l’ancienne Égypte aussi, on se soit servi de la même expression (métu, vinculum, junctura, nervus, venae, arteriae) pour désigner les vaisseaux et les nerfs[9]. F. Chabas estimait aussi que les Égyptiens désignaient par le même nom « les artères, les veines, les nerfs, sans doute aussi les vaisseaux lymphatiques »[10] ; cette dernière remarque n’est pas aussi extraordinaire qu’elle le paraît[11]. Ainsi le mot égyptien mét, métu, a désigné à la fois des organes que nous appelons nerfs et vaisseaux. Les vaisseaux, distribués dans toutes les parties du corps, passaient, écrit L. Stern dans le Glossaire hiéroglyphique du papyrus Ebers, pour « porter dans ces parties les humeurs et les esprits vitaux ». Voici ce qu’on lit au commencement du traité du Cœur, qui est peut-être, au témoignage d’Ebers, le plus beau et le plus important de ce manuscrit, sorte de corpus d’écrits médicaux : « Il y a des vaisseaux (nerfs) qui du cœur vont à tous les membres ». L’auteur présumé du traité du Cœur, le médecin Néb-SéχT, atteste que partout où il pose les doigts, sur la tête, l’occiput, les mains, les jambes, toujours il rencontre le cœur[12]. Le cœur est ainsi « le centre de tous les vaisseaux (nerfs) du corps entier ». Néb-SéχT décrit ensuite, comme le feront bien des siècles plus tard (le papyrus Ebers est l’œuvre du calame d’un scribe du XVIe siècle avant l’ère chrétienne) Diogène d’Apollonie, Synnesis et Polybe, le gendre d’Hippocrate, le mode de distribution de ces vaisseaux aux différents membres : « Les vaisseaux se divisent de la manière suivante : 4 dans les joues ; 4 à l’intérieur des tempes ; 4 dans la tête ; 4 dans le nez ; 4 dans les oreilles : 6 dans les bras ; 6 dans les jambes ; 2 dans les testicules ; 2 dans les reins ; 4 dans le foie ( ?) ; 4 dans l’intestin et la rate ; 2 dans la vessie ( ?) ; 4 dans la région fessière. » Néb-SéχT indique mème que certains états psychiques variés, tels que la colère, le chagrin, le dégoût, etc., se peuvent expliquer par ces dispositions anatomiques (planche 99). L’expression qu’Ebers dans cette analyse sommaire, a traduite par « vaisseau », Stern, en son Glossaire, l’interprète par « nerf ». Ces savants égyptologues nous ont édifiés sur la cause de cette confusion ; elle n’en est pas moins instructive : elle explique, entre autres, sans qu’il existe à coup sûr la moindre filiation directe d’idées, l’anatomie aristotélicienne des organes des sensations et de la pensée, et, par delà l’antiquité hellénique, elle persiste, dans le domaine de la physiologie des émotions et des passions, aux XVIe, XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, jusque chez Bichat, Pinel, Esquirol. La traduction des papyrus médicaux de l’ancienne Égypte nous apprendra sans doute bien des détails d’anatomie que nous ignorons aujourd’hui, encore que les anciens Égyptiens ne doivent pas avoir plus disséqué de cadavres humains que les Grecs ou les Romains. Les embaumements funéraires ne pouvaient pas plus servir à la connaissance scientifique de l’ostéologie, de la myologie ou de la neurologie que l’ouverture des animaux dans les sacrifices ou l’abatage et le dépeçage des bestiaux dans les boucheries. Je relève dans le Glossaire de Stern, les mots utet, cerveau ; aat-t, épine dorsale ; téru, spondyle, vertèbre ; séma, os pariétal ou vertex. Relativement aux oreilles, il est mentionné que les « esprits vitaux » entraient par les deux nerfs qui se rendent dans l’oreille droite et l’esprit de la mort par ceux de l’oreille gauche. Dans le traité de Néb-SéχT, et particulièrement dans celui qui le suit, il est parlé de diverses affections des nerfs, douleurs de tête (11, 41), hémicranie, maladies des vertèbres, paralysies des extrémités, tremblements des doigts et des membres.

Pour Démocrite aussi, pour Héraclite et Empédocle, les sens sont essentiellement des canaux ouverts entre le monde extérieur et le sensorium commune, quelle que soit la localisation de celui-ci. Pour Diogène d’Apollonie, ce sont les veines (φλεϐία) : c’est par ces conduits où canaux que se produisent les sensations, δι’ ὧν αἱ αἰσθήσεις, ainsi que Théophraste s’exprime en parlant d’Alcméon. En d’autres termes, les impressions externes pénètrent jusqu’au cerveau par des voies spéciales, conception d’où sortira la doctrine de la nature spécifique des sens. L’essentiel, dans le phénomène de la sensation, c’est que l’impression soit transmise au cerveau ou au cœur, selon la théorie admise du siège central des perceptions et des pensées. La distinction des sensations et des perceptions nous a déjà paru fondée, chez Alcméon, sur des considérations anatomiques. Le cerveau et les nerfs, par le fait même de leur union, réagissent réciproquement. Les canaux ou conduits sont-ils oblitérés, ou dérangés dans leur origine par la maladie, la sensibilité et le mouvement s’altèrent et se perdent avec la pensée. L’affaiblissement ou la perte des sensations et des perceptions, de cause centrale, ou cérébrale, semble avoir été assez nettement indiqué : « Sous l’influence d’une commotion ou d’un dérangement local de ses parties, le cerveau est privé de l’usage de ses fonctions ; car les canaux, par lesquels ont lieu les sensations, sont interceptés[13]. » Parmi les causes des maladies, les unes sont rapportées, par Alcméon, à un excès de chaleur ou de sécheresse, les autres à une surabondance ou à une insuffisance de nourriture, d’autres enfin à quelques affections des parties du corps, telles que le sang, la moelle épinière et le cerveau (αἷμα ἣ μυελὸν ἣ ἐγκέφαλον). Tantôt les maladies doivent être attribuées à des causes extérieures, à la qualité des eaux (ὕδάτον ποιῶν), à celle des lieux, à la fatigue, etc.[14]. La santé lui paraissait dépendre de l’égale composition ou de l’équilibre des principes opposés suivants : de l’humide, du sec ; du froid, du chaud ; de l’amer, du doux ; dès que l’un de ces éléments prédomine sur les autres, la maladie se produit[15].

La théorie du sommeil et de la mort d’Alcméon, une des plus anciennes sans doute, est encore aujourd’hui, sous la forme de l’anémie cérébrale, la plus répandue : « Le sommeil arrive par la retraite du sang dans les veines, le réveil par sa diffusion ; si le sang demeure tout à fait retiré dans les veines, c’est la mort[16]. » « Les hommes meurent, a dit encore Alcméon, parce qu’ils ne peuvent pas joindre le commencement et la fin[17]. »

Nous ne considérons ici, dans Alcméon, que le biologiste, c’est-à-dire l’anatomiste et le physiologiste, non le physicien ni l’astronome[18]. Du philosophe — et, jusqu’à Galien, dans l’antiquité, quel biologiste, si l’on excepte peut-être quelques anatomistes et physiologistes de l’École d’Alexandrie, ne fut pas philosophe ? — nous ne rappellerons que ce qu’il est nécessaire de savoir pour comprendre le psychologue, dont Alcméon avait également l’étoffe. Pour Alcméon, comme pour les Pythagoriciens, les principes des choses étaient constitués par des contraires, tels que le doux et l’amer, le noir et le blanc, le grand et le petit, etc. Ce qu’Aristote a cru pouvoir retenir de ces systèmes, c’est que les contraires y formaient en effet les principes des choses, c’est-à-dire de l’univers éternel, τἀναντία ἀρχαὶ τῶν ὄντων[19]. C’est ainsi que les éléments, l’eau, l’air, le feu, étaient pour les physiologues ioniens, Thalès, Anaximène, Héraclite, etc., les principes mêmes, éternels et incréés, de tout ce qui existe. Aristote inclinait si fort vers cette interprétation, qu’il dit expressément, en laissant percer sa désapprobation de telles doctrines, qu’Alcméon et les Pythagoriciens « semblent avoir rangé les éléments dans le seul genre de la matière ; car, d’après eux, c’est de ces éléments qui lui sont immanents que se compose et se forme la substance des choses[20] ».

Théophraste regarde aussi Alcméon comme un précurseur des philosophes qui, tels que Parménide, Empédocle et Platon, ont soutenu que le semblable est connu par le semblable, c’est-à-dire que la condition de la connaissance de l’objet par le sujet, c’est l’identité ou l’homogénéité des éléments constituants les parties des choses senties et celles des organes impressionnés.

Alcméon, d’après Théophraste, aurait en outre insisté sur la différence qui sépare la sensibilité de l’intelligence et même essayé de faire sortir de cette distinction un caractère propre à l’homme, celui d’être intelligent au regard du reste des animaux, considérés simplement comme êtres sentants, tentative qui ne rappelle pas seulement la classification de Linnée, mais l’hypothèse, toute récente, de Paul FLechsig, relative aux centres d’association et aux centres de projection de l’écorce cérébrale. D’après cette hypothèse, les centres d’association, seuls susceptibles de fonctions intellectuelles proprement dites, encore indifférenciés chez tous les vertébrés inférieurs aux singes supérieurs, n’auraient encore atteint que chez l’homme le degré d’évolution compatible avec les fonctions abstraites du langage et de l’intelligence discursive. Il n’en saurait résulter toutefois, pas plus pour Alcméon que de nos jours, que, comme on le lui fait dire, « penser soit autre chose que sentir » : ὡς ἕτερον ὃν τὸ φρονεῖν καὶ αἰσθάνεσται[21]. Alcméon serait sans doute le seul physiologue grec qui, à ces hautes époques, ait soutenu une pareille doctrine ; il n’en existe point de traces chez les philosophes naturalistes d’Ionie, avec lesquels Alcméon présente plus d’aflinité qu’avec les Pythagoriciens, encore que l’influence de ceux-ci sur sa doctrine ne soit pas niable. Les centres d’association de la physiologie contemporaine ne sont pas en effet constitués sur un autre plan que les centres de projection, où sont perçues et conservées les sensations projetées du monde extérieur, par les canaux des sens, sur les différents lobes des hémisphères cérébraux : ils n’en diffèrent ni par la structure ni par la texture de leurs éléments anatomiques. Sans les centres de projection, les centres d’association, simple différenciation anatomique et physiologique des premiers, n’existeraient même point chez les anthropoïdes et chez l’homme. Aussi, quelque complexes et abstraits que soient les processus les plus élevés de la raison humaine, il est toujours possible de réduire ces processus, comme en leurs éléments, à un certain nombre de sensations perçues et associées. Multipliez les associations de ces sensations, augmentez indéfiniment le nombre de leurs rapports de dépendance, de leurs conditions d’évocation, successive ou simultanée, vous créerez un appareil à penser ou à raisonner, une machine logique aux rouages de plus en plus délicats et synergiques : vous ne retrouverez jamais au fond de toutes les opérations de cet entendement que ce qui y est entré, des sensations, des perceptions, des images et des concepts de plus en plus abstraits, résultant d’associations innombrables, solidarisées par des connexions anatomiques encore plus nombreuses. Il n’existe pas un seul animal, vertébré où invertébré, chez lequel penser, ou se représenter plus ou moins vaguement les rapports existant entre lui et le monde, ne soit point sentir. L’assertion prêtée à Alcméon, que le cerveau de l’homme se distingue de celui des autres animaux par l’étendue de son intelligence est donc exacte : elle n’implique nullement une différence d’origine ou de nature pour les fonctions de cet organe dans l’homme et dans les autres animaux qui possèdent un système nerveux. Enfin, comme on ne pense point sans images, ainsi que le dira Aristote, et que toute représentation n’est qu’un complexus de sensations perçues et associées d’après les lois connues de l’association, il suit que penser est encore et toujours sentir. C’est bien ainsi que tous les anciens physiologues grecs du VIe et du Ve siècles l’ont entendu : penser et sentir était pour eux la même chose, comme le témoigne à plusieurs reprises Aristote : οἱ ἀρχαῖοι τὸ φρονεῖν καὶ τὸ αἰσθάνεσθαι ταύτον εἶναί φασιν.

Il semble bien que c’est à ce physiologiste ou physiologue que pensait Platon lorsque, dans le Phédon (XLV, 96 B), Socrate, faisant un retour vers ses anciennes études sur la nature, demande avec ironie, « si c’est le sang qui fait la pensée, ou l’air, ou le feu, ou si ce n’est aucune de ces choses, mais le cerveau (ὁ δ’ ἐγκεφλος) qui nous procure les sensations de l’ouïe, de la vue, de l’odorat ; si, de ces sensations (αἰσθήσεις), naissent la mémoire et la pensée (μνήμη καὶ δόξα), et, de la mémoire et de la pensée, arrivées au repos, la science (ἐπιστήμη)[22] ». Les anciens qui ont considéré le cerveau comme l’organe central des perceptions des sens sont, en dépit de toute vraisemblance, extrêmement peu nombreux. ARISTOTE qui, ainsi que PLaToN, semble avoir tiré des écrits d’ALCMÉON beaucoup plus de faits et de doctrines qu’on ne l’aurait cru, ne désigne cette hypothèse, lorsqu’il la cite pour la combattre, que comme étant celle de « quelques-uns » (1). En dehors d’ALCMÉON, on ne peut nommer, en effet, avant PLarox, que PYTHAGORE, DÉMocniTE et AnaxAGonEe. Mais la critique à élevé des doutes très justifiés sur l’authenticité des doctrines attribuées ἃ ΒΥΤΗΛάΟΒΕ, οἱ les idées maîtresses des philosophies de DÉMocRITE et d’ANAXAGORE sont inconciliables avec une localisation stricte des perceptions et de la pensée dans le cerveau, comme cela apparut nettement plus tard chez AscLÉPIADE. Quoique l’auteur hippocratique du traité Sur la maladie sacrée, dont on parlera, localise dans le cerveau les fonctions supérieures de l’intelligence, ce n’est point dans la matière du cerveau, mais dans l’air, que ce médecin voyait le principe des sensations, des passions et de la raison. Il ne s’agit, dans le passage du Phédon, ni d’HippocraTe, ni de PYTnAGoRE, ni de DÉmocriTe. Reste donc qu’il s’agit d’ALCMÉON (2). Si l’on réfléchit au sens profond de ce texte, on y apercevra que, dès une haute antiquité, le cerveau a été conçu comme l’organe de la science, c’est-à-dire des généralisations les plus élevées de l’expérience et de l’observation, parce qu’il est l’organe des sensations perçues, conservées par la mémoire, associées en systèmes de pensées.

11 y a déjà loin de cette conception des fonctions du cerveau à celle de la localisation des sensations et de l’intelligence dans les poésies homéexister ; ct il n’est point de peine que je n’aie prise ni de mouvement que je ne me sois donné pour savoir si les animaux viennent à naître, comme quelques-uns le prétendent (*), lorsque le chaud et le froid ont conçu quelque espèce de corruption ; si c’esl le sang qui fait la pensée, ou si c’est l’air ou le feu, ou si ce n’est aucune de ces choses, mais seulement le cerveau, qui est le moteur de nos sens, de la vue, de l’ouïe, de l’odorat ; si de ces sens résultent la mémoire et l’imagination (**) ; et si ‘de la mémoire et de l’imagination, après un temps de repos, nait la science. Je voulais ensuite connaître les causes de leurs corruplions ; je sondais les cieux et les abimes de la lerre, et je voulais remonter à la source de tous les phénomènes que nous voyons. » (4) Ακιστοτε, ε ᾗιν. ρὲ δεηεοξ., ΗΙ. Διὸ καὶ δοχεῖ τισιν αἰσθάνεσθαι τὰ ζῷα διὰ τὸν ἐγχέφαλον. Cf. De part. απ. , κ... αἰσθάνεσθαι μὲν γὰρ τῷ ἐγχεφάλῳ.

(2) Run. Hirze, Zur Philosophie des Alcmäon. Hermes, XI, 1876, 240-6. (ὁ) ἐπειδὰν τὸ θερμὸν καὶ τὸ ὑγρὸν σηπεδὀνα τιυὰ λάθη dis rives [Anaxacone, Anaxtuanpre, AncuEzAos] ἔλεγον, τότε δὴ τὰ ζῷκ συντρέφεται’ καὶ πὀτερον τὸ αἷμά ἔστω |Βκρέροσιε] ὦ φσονοῦμεν, ἢ ὃ ἀὴρ [Ανλαινένε, Βιοσέτε d’Apollonie] ἆ τὸ πῦρ [Ηέλλομτε ἀ Ἔριιόςε], ἡ τούτων» μὲν οὐδὲν, ὁ ὃ ἐγκέφαλός ἔστιν [Arcuéon de Crotone et quelques Ώντιασοδίιοιεκ] ὁ τὰς οἰσθήσεις παρέχων τοῦ ἀκούειν καὶ ὁρᾶν καὶ ὀσφραίνεσθαι, ἐκ τούτων δὲ /όφοιτο ρνέμη καὶ δόξα, ἐκ δὲ μνήμης καὶ δόξης λοθούσης τὸ ἠρεμεῖν κατὰ ταὐτὰ ένέσθαι ἐπιστήμη». (0) Ότεχδελ, ἆαπο 5οπ ἑάῑῑίον ἀά Ρλέᾶον (Πα]]α, 1807), Ἱπὶοερτὲίο δόξα par représentation ou image, idée. L’idée générale est déterminée par le mol ; ainsi naît le concept : c’est dans celui-ci que l’image ou l’idée arrive au « repos », parce qu’elle cesse d’être indéterminée, condition nécessaire de toute connaissance certaine, de toute « scionce ». riques. C’est parce que l’homme a été d’abord plus particulièrement frappé des manifestations de la vie affective qu’il a situé dans la poitrine, y compris le diaphragme (1), et dans la région du cœur, le désir, l’émotion, les passions et jusqu’à la pensée. Le mot qui sert à nommer le diaphragme, ορήν, désigne beaucoup plus souvent l’intelligence que θυμὸς εἰ ψυχή, expressions qui sont la vivante peinture des symptômes de la vie morale, des passions, qu’accompagnent les modifications du rhythine de la respiration et des battements du cœur. Aussi est-ce le cœur, ἧτερ, xpaôin, x, jamais la tête ni le cerveau, qui est considéré comme lc siège des sensations et des pensées.

Dans Homère, les mots quyñ (psyché, âme), θυμὸς (νίο, esprit), ou gpéves, qui servent généralement à exprimer la vie, désignent aussi le courage, l’ardeur, l’intelligence, les passions, tous les mouvements de l’esprit et des sens. C’est la psyché, l’image (efBuro) toutefois, qui descend aux enfers, qui revient, qu’on interroge. La mère d’Urysse, dans l’Odyssée (xt, 221-222) distingue entre le &yès, qui quitte les « os blancs » et la quyk, qui voltige comme une ombre après la mort. Mais ni les pére, ni le vuès, placés volontiers dans la poitrine, où retentissent les émotions de la vie morale, la joie et la douleur, ne survivent à la mort, fin de tout. La maladie, qui fait dépérir les membres, anéantit la vie (voüsos...... rnxedow... μελέων ëtetketo Ouuov. Odys., XI, 200-201). Et lorsqu’Ulysse, non sans que la pensée (ppeoï) ait précédé l’action, veut saisir la psyché (4uyév) de sa mère défunte, de cette mère qu’il avait laissée vivante en partant pour Ilion, et dont la vue fait couler ses larmes (v. 87), trois fois il est poussé par son désir (@vuds) d’embrasser cette ombre si chère, trois fois « elle s’envole semblable à un ombre ou à un songe ». Ulysse éprouve en son cœur (xnçoi) une douleur aiguë : « Ma mère, pourquoi ne m’’attends-tu pas quand je m’élance pour Le saisir, afin que, mème dans la demeure d’Hadès, nous puissions, tous deux enlacés, nous rassasier de douleur et de larmes ? » Mais ce n’est plus qu’une ombre, un fantôme (eïdwlov) : « Hélas, mon enfant, telle est la condition des humains lorsqu’ils sont morts ; les tendons n’ont plus de chairs ni d’os (où yàp éteoxpuuc te καὶ ὀστέα ἵνες ἔχουσιν) ; la puissance du feu les détruit dès que la vie (Bus) a abandonné les os blancs. » (Odyss,. XI. 204 sq.)

Les blessures du front, de la tempe, aux environs des oreilles, à la région orbitaire, sont presque toutes réputées mortelles : le Gus abandonne les membres et s’échappe. « Dans l’Iiade, l’Odyssée et aussi dans la Batrachomyomachie, iyxéexkes ne signifie jamais autre chose que l’encéphale ou la masse médullaire (cerveau, cervelet et bulbe rachidien), contenue dans les parois du crâne. « Nous donnons, remarque D’AREMBERG, (1) Aursrote, /7. .4., XV, 101. « Tout animal qui a du sang a aussi un cœur (#xoôav) el un diaphragme (ôtä%wua) qu’on appelle φρένες. » le mème sens au mot cervelle dans le langage vulgaire. HoMËRE a déterminé la position des principaux viscères : le cerveau dans la tête ; la moclle dans les vertèbres ; le cœur et le poumon dans la poitrine ; le foie, les intestins, la vessie dans l’abdomen (1). » K&pr, désignant la têle de l’homme et des animaux, est synonyme de »egxk%, mot que l’on rencontre dans de nombreux passages des poèmes homériques. La région moyenne de la tête, μέσση κεφαλή (11., Χνι, 12 ; xx, 387) semble correspondre à la région fronto-pariétale. Ce qu’on devait si tard appeler les nerfs ne désigne, nous le.-répétons, aux temps les plus anciens, que les tendons, les ligaments articulaires et les aponévroses musculaires (es, νεὕρον). Dans neuf passages, les prapides ou phrènes, signifiant, selon DAREMBERG, le diaphragme, sont pris au sens psychologique d’esprit, cœur, sentiment, passion, habileté, chagrin avec angoisse à la région précordiale : « Or, on sait que les très anciens auteurs, poètes, philosophes ou physiologues, mettaient dans la potfrine, aux régions précordiale et épigastrique, ou plus posilivement dans le cœur, les sentiments, les passions et par suite l’intelligence, altendu que c’est en ces parties que retentissent surtout les émotions par suite des mouvements du cœur et des battements ou de la constriction épigastrique. Par conséquent les roxrièes, dansle sensanatomique, doivent représenter quelques partiesde ces régions intermédiaires entre la poitrine et le ventre. » L’histoire du πιοί φρήν, presque toujours employé au pluriel, appartient en grande partie à Îa psychologie. Le 6wès et le foie (%xxs) sont dans les phrènes, qui « enveloppent le cœur (x%9) » et « tiennent au foie » (1. xvi, 487 ; Od. 1x, 301) : c’est bien dans ces régions situées aux confins de la poitrine et de l’abdomen que sont perçues les palpitations cardiaques ou précordiales des grandes émotions. Le courage et le cœur, voire l’intelligence, sont dans la poitrine (στῆθος) (11. Χιηι, 732) : « Le cœur palpite dans la poitrine et remonte vers la bouche » (4. xx, 452). Dans un autre passage, le cœur psychologique (xpatr) est localisé dans le cœur anatomique (fr0) (Il. 1, 169). Kapdin ou xoxètr est toujours pris en effet ici au sens psychologique : soupirer du fond du cœur, joie du cœur, souffrances du cœur, cœur ému, courroucé, deuil dans le cœur, avoir du cœur, ronger son cœur, etc. K%o désigne, au propre et au figuré, le viscère appelé cœur en anatomie ; il est aussi synonyme de vie : « le cœur lui manqua » (14, xv, 10). La désignation des parties du corps est demeurée la même à peu près dans les médecins hippocratiques que chez HoMÈRE pour celles de ces parties qui étaient connues des anciens Grecs de l’’Ilonie. En somme, dans l’épopée homérique comme dans l’antique médecine hellénique, on attribue aux organes thoraciques (1) Ch. Dareuserc. La médecine dans Homère. Paris, 1865, 53 sq. et abdominaux, en particulier au cœur et aux centres phréniques (région du diaphragme), les fonctions du cerveau.

Si je rappelle ces faits, c’est que la doctrine, qu’on pourrait appeler naïve ou populaire, de la physiologie des sensations et de l’intelligence, loin de s’effacer de la mémoire des hommes, avec les progrès de l’anatomie et de la physiologie,s’est perpétuée pendant près de deux mille ans, grâce à l’autorité d’ARISTOTE, dans le monde entier. Les notions d’anatomie et de physiologie cérébrales n’étaient sans doute pas aussi étrangères qu’on pourrait le supposer au peuple des principales cités de la Grèce du v° siècle. Bien des années après la bataille de Platée, en recueillant et « en réunissant en un même lieu les ossements des morts trouvés sur le champ de bataille », on fut très frappé de l’absence de sutures d’un crâne qui paraissait fait d’ « un 561] 05 : χεφαλἡ οὐχ ἔχουσα ῥάφην οὐδεμίαν, rapporte HÉRODOTE, AA’ EE Ends écÿox dsréou(1). C’est certainement de ce crâne d’homme que parle ARISTOTE : ἤδη ὃ ὤφθη αἱ ἀνδρὸς χεφχλή οὐκ ἔχουσα ῥᾳφᾶς (9). 0Π82 ARISTOPHANE, un personnage des Grenouilles (v. 134) parle de deux membranes ou méninges du cerveau (éyzxeo@hsu 6pio déc), les seules qui aicnt été connues dans l’antiquité ; un autre, dans les Nuées (v. 1276), localisc expressément les troubles de l’intelligence dans le cerveau (τὸν ἐγκέφαλον). Ce texte pourrait incliner à penser que, dans le vers des Grenouilles, il s’agit peut-être des hémisphères plutôt que des méninges ; cette interprétation vers laquelle penchait DAREMBERG, appartient au plus ancien scholiaste, l’autre au plus récent ; elle est généralement adoptée. Pourtant, « si l’on se rappelle, écrivait DAREMBERG, que la comparaison est tiréc de la forme d’une feuille de figuier (6pio), et si l’on se représente l’apparence de chaque hémisphère, soit par leur surface externe, soit par l’interne, quand ils ont été séparés et qu’on a divisé le corps calleux, y compris les parties latérales du cervelet avec la moelle allongée, on comprendra qu’une telle comparaison ne manque pas d’une certaine exactitude. Notre poèle a voulu faire dire à Bacchus : Je perdrais les deux côtés de la cervelle ; en d’autres termes, je me briserais la tête, si je me jetais du haut du Céramique en bas (3) ». Nous croyons que ces réflexions et inductions de DaremnerG doivent faire adopter l’interprétation du plus ancien scholiaste d’ARiSTOPHANE sur ce passage, dont l’importance est capitale pour l’histoire des fonctions du cerveau au v* siècle. A notre sens, peu d’historiens ont été plus profonds psychologues qu’Hérodote. La plupart de ses descriptions d’affections mentales ou ner- (1) Herov., IX, 83.

(2) Auisr., //. 4, LEE, vrr. Cf. 1, vu.

(6) Ώλπεμνεκο, Etat de la médecine entre Homère et Hippocrate. Paris, 1869, p. 14. veuses sont faites de main de maitre. En rapportant les histoires de ce genre, il réfléchit et médite. Après avoir récueilli les témoignages, il les juge en crilique sagace et pénétrant, et, presque toujours, il réforme les diagnostics. 11 n’argumente pas ; il se borne à indiquer, d’un trait sobre et discret, d’une finesse peut-être un peu ironique, l’interprétation probable ou vraisemblable.

« Les femmes d’Argos ayant été a/leinles de folie, les Argicns allèrent demander à MÉLAMPE, en lui offrant une récompense, de quitter Pylos el de venir délivrer leurs femmes de cette maladie. Mécampe demanda la moitié du pouvoir royal. Les Argiens ne purent supporter une telle prétention ; ils partirent ; mais comme les femmes lombaicnt en beaucoup plus grand nombre dans la folie (éuzivovro), alors ils cédèrent : ils retournèrent donc auprès de Mézawpe ct lui accordèrent ce qu’il avait demandé ; mais, les voyant changés, celui-ci convoila davantage, ct déclara qu’ils n’auraicnt’ rien à espérer de lui s’ils ne donnaient à son frère Bras le tiers de la royauté. Les Argicns, contraints par la nécessité, passèrent par loutes ses conditions » (1).

Cette épidémie de délire qui sévit à Argos d’abord sur les filles du roi des Argiens, et qui s’étendit ensuite à d’autres femmes de la ville, était évidemment de nature hystérique, car le devin MÉLAMPE en triompha par des prières et des sacrifices, des incantations et des lustrations, et, au rapport d’HÉRoDoTE, l’eau des fontaines servait pour les lustrations. Voici du reste le récit de l’historien PHÉRÉCYDE, venu jusqu’à nous dans un fragment où le caractère contagieux du mal perce d’une manière significative et se dégage assez nettement du contexte.

Les filles des Proeos, roi des Argiens, Lysippe et Iphianasse, avaient dans un accès de légèreté juvénile gravement péché envers Iléra. Étant venues dans le temple de la déesse, elles s’étaient prises à railler, disant que la maison de leur père était beaucoup plus riche. Je croirais volontiers que, comme l’explique l’éditeur de ce vieux texte, Müller, les Prœtides avaient surtout ri, en contemplant leur beauté, de l’antique ct vénérable idole de bois de Héra. Quoi qu’il en soit, cette insolence leur atlira une maladie qui les rendit folles. « Le devin Mélampe promit de les guérir toutes, s’il recevait un prix digne d’une pareille cure, car il y avait alors dix ans que la maladic durait, apportant des souffrances qui n’avaient pas seulement frappé les jeunes filles, mais s’étaient aussi étendues à leurs proches (&hA& xai Toïs yeyevvnxôctv). Le roi promit donc au thaumaturge de lui donner et une partie de son royaume, et une de ses filles en mariage. Mélampe, ayant apaisé Héra par des prières et des sacrifices, guérit la maladie (ixoxto tv vosov) et pril en mariage Iphianassa, prix de sa cure médicale » (2).

HÉRODOTE, parlant des accès de délire furieux (é£s4r) auxquels était sujet 19 roi de Perse CAMBYSE, se demande quelle en était la cause, « tant (1) Hénon., IX, 34.

(2) Pasnecynis Fragmenta, 24. Fragm. historic. graec. Paris, 1853, I, 54. sont nombreuses, ajoute-t-il, les calamités qui atteignent les humains ! » On rapportait en effet que de naissance CamByse avait été affecté de la grande maladie, que quelques-uns nomment la maladie sacrée (ni yxp τινα ἐκ γενεῆς νοῦσον μεγάλην λέγεται ἔχειν ὁ Ἰζαμθύσης τὴν ἱρὴν οὐνομάζουσι τωές). 1 n’était point invraisemblable, remarque Hérodote avec sa pénétration habituelle, que le corps souffrant d’un si grand mal, l’esprit ne fût pas resté ΦἱΠ (τοῦ σώματος νοῦσον μεγάλην νοσέοντος μηδὲ τὰς φρένας ὑγιαίνειν) (1). Le roi de Sparte CLéoOMÈxE était un autre aliéné, « plutôt fou que sensé » (où gpevipne æxpgouauñç te). Rappelé à Sparte par les Lacédémoniens qui lui avaient rendu le pourvoir, une sorte de délire furicux envahit bientôt CLéoOMÈNE, qui était un ancien aliéné (éréhxée μανίη νοῦσος, ἔοντα καὶ πρότερον ὑπομαργότερον). Λἰπαῖ, il frappait de son sceptre au visage tout Spartiate qu’il rencontrait. Lorsque ses proches le virent sc comporter de la sorte, et qu’il fut constant qu’il était tout à fail fou (rxpaæppoviozxvtz), il l’attachèrent et lui mirent des entraves de bois (£ônoav oi nsooixovres Ëv EUAw). CLÉOMÈNE, ainsi attaché, remarqua un jour qu’un seul gardien avait été laissé, les autres étant partis ; il demanda à cet homme son coutclas (uéyetpx) Le gardien d’abord refusa ; mais il lui fit de telles menaces pour le temps où il scrait délivré que l’homme, épouvanté (c’était un Hilote), lui tendit le couteau. CLÉOMÈNE saisit ce fer et il commença par les jambes à se mutiler lui-même, en se coupant les chairs dans toute leur longueur ; des jambes, il passa aux cuisses ct des cuisses aux aines οἱ aux lombes, parvenu au ventre il se coupa par morceaux les entrailles (xxrayoe- 8etwv). Cetie mort affreuse, témoignant d’unc analgésic profonde, ct dont on connaît tant d’exemples chez les déments paralytiques entre autres, les Grecs l’attribuèrent à plusieurs causes surnaturelles, à des sacrilèges, etc. « Mais les Spartiates eux-mêmes rapportent que nulle divinité n’égara sa raison, mais qu’en fréquentant les Scythes il devint ivrogne et que son délire fut l’effet de ces habitudes (axpnrondrnv yevéoOat mai x roûrou pavivar). » Des Scythes, en cet, après l’invasion de Darius, étaient venus à Sparte pour conclure une alliance : tandis qu’ils tenteraicnt d’entrer en Médie, les Spartiales, partis d’Éphèse, devaient aller à leur rencontre et marcher avec eux contre la Perse. C’est durant le séjour de ces nomades à Sparle que CLÉOMÈNE aurait appris à boire du vin non mélangé (xiv axpnrorcotnv) ; voilà, au dire des Lacédémoniens, ce qui avait fail perdre au roi la raison (uavivai). CLÉOMÈNE étail devenu alcoolique.

HéRoDOTE a recueilli le dicton que répétaient les gens de Lacédémone quand ils voulaient boire du vin pur : « boire comme des Scythes. » Outre que ce dicton doit être plus ancien chez les Grecs que la mort de Cléomène, il paraît bien plutôt avoir donné naissance à la légende, comme il arrive, qu’être né d’un événement historique, encore que CLÉOMÈNE ait bien pu être alcoolique. Mais c’est le cas de se rappeler, avec le mot de LasÈGuE, la mention expresse faite, à plusieurs reprises, de la faiblesse ou plutôt du dérangement d’esprit, de la véritable aliénation mentale, de CLÉOMÈNE, datant de sa jeunesse. Aussi HÉRODOTE ne (1) Héaon., II, 33 croit guère à la valeur du diagnostic rétrospectif des Spartiates sur leur roi (1).

Enfin, relativement à la psychologie physiologique, et non plus pathologique, toutes les théories sur les rapports du physique et du moral, comme on s’exprimait au dernier siècle, nous semblent fort bien résumées dans ces paroles d’Atossa à Darius : « L’âme (αἱ opéve :) croit avec le corps ; à mesure que le corps vieillit, elle vieillit aussi » (2). Escayze indique nettement, de son côté, les rapports existant entre les organes, les phrènes, ou centres phréniques, et le délire maniaque dans l’état de maladie (3). Le même poète parle des caractères à peu près indélébiles de la race, caractères qui sont surtout imprimés chez les mäles(4). « C’est, disait un personnage d’Euririne, un vieux proverbe : honnête homme ne saurait naître de père malhonnète » (5). Et dans un autre drame : « D’hommes bons naissent des fils également bons ; de mauvais parents, des fils qui tiennent de la nature du père » (6). La théorie de l’hérédité des maladies mentales et nerveuses retrouverait aussi chez Euririnr,le disciple et l’ami des philosophes, quelques-uns de ses plus anciens titres : « Il est fou ; c’était la maladie de son père ; c’est en effet l’ordinaire que de tarés naisse un taré » (7).

Hippox l’Athée, de Samos ou de Rhégium, physiologue contemporain de PÉRicLès, et CLIDÈME, qui semble avoir fait des recherches anatomiques (ThÉoPHRAsTE), avaient entrevu l’importance du cerveau ou de l’encéphale dans la perception des sensations, saveurs, odeurs, sons, nés des impressions reçues du milieu, sous forme de mouvements de l’air, par exemple, par les appareils périphériques des sens, orcilles, narines, langue, etc. « On entend, disait DioGÈne d’Apollonie, lorsque l’air, qui est dans les orcilles mis en mouvement par Fair extérieur, se propage jusqu’au cerveau. » (Tnéorur., De Sensu, VIII, 39.) Pas encore de mention de la membrane du tympan, dont parle DémocriTe, chez DioGènE, non plus que chez ALCMÉON. EMPÉDOCLE parait avoir connu la cochlée, ou limaçon, de l’orcille interne, « enroulée en spirale ». Les canaux de transmission qui mettent ainsi en rapport l’encéphale avec QG) V, 42 ; VI, 75, 84.

(2) Hénoo., IE, 134.

(3) Escuvee, Prométhée, v. 858 (IL. Weise) ... ocevorhnyeis pavia. (4) Suppl., v. 282-3. Cf. Fragm., 341, sur la huppe. (5) Etui, Fragm., 943. Οὐκ ἂν γένοιτο γρηστὸς ἐκ κακοῦ πατρός. (6) Fragm., 7].

(7) Fragm., 166.

Τὸ αῶρον αὐτῳ τοῦ πατρὸς νόσημ’ ἕἔνι’

φιλεῖ γὰρ οὕτως ἐκ κακῶν εἶναι καχός. le monde, les x5s0 :, sont sans doute indispensables à la perception des sensations et à la pensée ; elles s’évanouissent presque dans le sommeil, où la fonction du cerveau, la pensée, diminue dans la mesure où la respiration se ralentit, selon les philosophes pour qui le feu ou l’air est le principe de la sensation et de la pensée, c’est-à-dire de l’intelligence. Mais, quelle que soit la nature de celle-ci, eau, air, feu, atomes, exhalaison du sang, le cerveau ou le cœur, selon le siège central des fonctions psychiques, demeure d’ordinaire l’organe des sensations, des perceptions et des images ou idées, quand celles-ci sont localisées dans quelque viscère. Selon CLIDÈME, ce n’étaient pas les oreilles qui percevaient elles-mêmes : elles servaient simpleinent à transmettre les sons à l’intelligence : pévey δὲ τὰς ἀγοὰς αὐτάς μὲν οὐδὲν κρίνευ, εἷς δὲ τὸν νοῦν Σιαπέμπευ (1). ARISTOTE a remarqué que tous les éléments de la nature (raz à oxayeta), excepté, dit-il, la terre, avaient été choisis et proposés pour le principe de l’âme ; encore la terre a-t-elle été prise aussi pour ce principe par ceux qui, ainsi qu’EmréDocze, l’ont considérée comme formée de tous les éléments, ou ont dit qu’« elle les était tous »(2). Hippon, que BRaANDis range parmi les physiologues ioniens, tenant l’eau (Swp), ou peut-être le principe humide (r ré), pour le principe des choses, disait que l’âme était de l’eau, comme ANAxIMÈNE qu’elle était de l’air, HÉRAGLITE du feu. En tout cas, c’était l’adoption de ce principe cosmique qui avait déterminé la nature élémentaire attribuée à l’âme par Hippon. Car c’est dans la matière première des choses que, selon les physiologues de l’Ionie, le mouvement, la vie, l’âme et la pensée doivent avoir et ont en effet leur cause. De l’eau Hippon avait fait naître le feu ; le monde serait résulté de la prédominance du feu sur l’eau. ARISTOTE ne comprenait déjà plus très nettement ces antiques philosophèmes. « Ils semblent, dit le STAGIRITE en parlant assez méchamment des philosophes qui avaient adopté le principe des choses de Tuazës, c’est-à-dire l’eau (3), avoir tiré leur explication de la semence qui, chez tous les êtres, est hu- (Gi) Taéoruraste, De sensu, 38. D’après TnÉoranasTe, CLIDÈME avait déjà soulenu l’unité de substance des deux règnes organiques : « Les plantes élaient, selon lui, consliluées des mêmes parlicules matérielles que les animaux, mais seulement de nalure moins pure (plus bourbeuse) et plus froide ; voilà pourquoi elles diffèrent autant des animaux. » λείδημος δὲ συνεστάνα : μὲν ἐκ τῶν αὐτῶν τοῖς ζώοις, ὅσῳ δὲ θολερωτέρων καὶ Φυγροτέρων, τοσοῦτον ἀπέγειν τοῦ ζῶα eivæ. Le seul substantif exprimé auquel se rapporleraient les adjectifs de cette proposition relalifs aux parties élémentaires communes aux plantes et aux animaux, estle pluriel oréouuta, « germes », par lequel AxaxaGone, dont il est question dans ce texle de TnéorunasTe, doit avoir désigné les homæoméries. Hist. plantarum, WI, 1, 4. (2) Anisrore, De an., L, 11. aürnv [huynv] àx Fäivrwy eivar s@v otorysluv, à révra. (3) Ausrore, De an., 1, 11, 18. Τῶν δὲ φορτικωτέρων καὶ ὕδωρ τινὲς ἀπεφήναντο [rnv Quyrv], καθάπερ "Ίππων. mide (ἐκ τῆς γονῆς, me πάντων ὑγρά) (1). HipPoN blâme ceux qui soutiennent que l’âme est du sang (aux... tir dy), parce que, dit-il, la semence n’est‘ point du sang, et que c’est elle qui est la première âme (2). » Mais d’autres physiologues, tels que Cririas, soutenaient au contraire que « l’âme est du sang ‘atpa), estimant que le propre de l’âme, c’est le sentir (à ais0ävecbat) ; or c’est là une propriété qui, selon eux, appartenait à la nature du sang » (3). D’après Hippox, c’est la tête qui, chez l’embryon (4), se forme la première, parce qu’elle est le siège de la pensée ou de la raison. Il y avait, même chez les plus pénétrants de ces philosophes de la nature, une certaine tendance à concilier les idées nouvelles avec les croyances anciennes. C’est particulièrement dans le sang et notamment dans le sang du cœur, que, d’après ces croyances, répandues de toute antiquité dans le monde sémitique, la pensée et la conscience avaient leur siège. Telle était encore la doctrine d’EMPÉDOCLE, mais sans exclure les autres parties du corps, et le cerveau en particulier, de la faculté de penser. Le pythagoricien PRILOLAOS situait l’entendement (»cÿe) dans le cerveau. Démocrire localisait la pensée dans le cerveau (ëv tyxpéau), la colère dans le cœur, le désir dans le foie ; encore que les atomes de l’âme, ou atomes psychiques, fussent répandus dans tout le corps. Mais DÉMOCRITE aurait aussi considéré le cœur comme le siège de la partie raisonnable, et ZELLER ne repousse point, comme entièrement inexacte, cette assertion d’écrivains postérieurs. Quoi qu’il en soit, chez tous les vieux penseurs de l’Hellade, la pensée n’est jamais conçue comme séparable de ce que nous appellerions ses conditions anatomiques et physiologiques, c’est-à-dire des organes des sensations et des perceptions. Les fonctions de l’encéphale, plus ou moins distinctes de celles des organes des sens, en dépendent aussi étroitement que les idées dépendent des sensations. Le caractère subjectif des qualités des corps ainsi perçues, et partant celui de nos conceptions de toutes choses, n’a pas échappé à ces penseurs. Ce qui est vrai, c’est que la perception et la pensée sont pour eux des fonctions des êtres vivants au mème titre que les sécrétions et la digestion ; que l’homme fait partie de la nature comme les animaux et les plantes, vivantes ct sentantes, elles aussi (EmrÉDocLe, DÉMOCRITE, ANAXAGORE), el que les choses ne sont mèmes intcelligibles pour nous que parce qu’elles sont de mème nature que notre corps. Le semblable connait le semblable (x) Cette hypothèse loute graluile d’Anisrorte est devenue, comme il arrive, chez les commentateurs, Simecicius et Jean Puiroron, une doctrine de TnaLës et d’Hiprox. (2) De an., I. ur, 18. 651 h yovn 097 œîua. Selon Hirpox, la semence provenail de la moelle. (3) 1υἱά., 1, τι, 19. τοῦτο ὃ ὑπάρχειν διὰ τὴν τοῦ αἵματος φύσιν. (4) Cexsonixus, 6. Ηιρρον vero caput, in quo est animi principale. (PARMÉNIDE, EMPÉDOCLE, PLATON). La matière peut sentir et penser dans les organismes comme elle vitet se meut en nous et dans le reste du monde. Telle était l’antique conception moniste et hylozoïste de l’univers. 11 n’y a pas jusqu’à ANAXAGORE, dont la théorie de la connaissance semble pourtant partir de principes opposés, qui ne soit strictement naturaliste. ANaxA-GORE a bien vu que la sensation consiste dans une modification qualitative, une altération, une affection du sujet (ThéoPxr., De Sensu, v, 27). C’est encore, selon nous, une idée profonde, et qui apparaîtra vraie quelque jour, que « toute sensation est liée à une certaine souffrance » (Jbid., 17, 29), conception qui s’accorde d’ailleurs avec l’hypothèse fondamentale d’ANAXAGORE sur les conditions de la sensation, laquelle résulte de la « contrariété » du sujet et de l’objet. Avec HÉRACLITE il enseignait que la sensation n’était pas produite par le semblable, mais par le contraire. Notre peau n’est affectée par un corps chaud, par exemple, que si la température de ce corps diffère de celle de la peau. L’acuité de la sensation dépend aussi, selon ce philosophe, du volume de l’organe et de la grandeur de l’organisme vivant ; en tout cas, la sensation est en rapport avec la forme et le développement de l’organe.

Pour les vieux penseurs de l’lonie que nous devons, avec ARISTOTE, appeler des physiciens et des physiologues, le corps de l’homme vivant sent et pense, et penser et sentir étaient pour eux la même chose (1). Mais les conditions de la pensée sont bien, au fond, celles de la sensation :

elles résultent toujours, en dernière analyse, de l’unité de substance 

existant entre le milieu externe, c’est-à-dire le monde, constitué d’un ou de plusieurs éléments, et le milieu interne, c’est-à-dire l’organisme, formé du même ou des mêmes éléments. Ce qui est dit de la vie et de la sensibilité d’une plante ou d’un animal, on le disait du reste de la nature. Quand, pour s’expliquer la puissance attractive de la pierre d’ai-mant, THaLës de Milet lui attribuait une éme, cela revenait à dire qu’il considérait l’aimant comme un être animé(2). Aucun de ces Hellènes n’a fait dériver l’être de la pensée, comme quelques modernes ; la pensée n’était, pour eux, qu’un mode de l’existence. Tout sort, à la manière d’un éternel devenir, de la matière des choses, considérée comme animée ct éternellement en mouvement.L’Intelligence même d’ANaxaGorE, philosophe auquel SOCRATE, PLATON οἱ ARISTOTE ont amèrement reproché le piètre rôle qu’il lui prête dans le drame de l’univers, car il ne lui avait guère attribué (4) Anisrore, De an., II, nr. Où ÿe doyato : rÔ poovetv καὶ τὸ αἰσθάνεσθαι ταὐτὸν εἶναι φασιν. ArisToTE ajoute ici que « {ous ont cru que la pensée était corporelle comme la sensation ». Tlivtes γὰρ οὗτοι τὸ νοεῖν σωματικὀν ὥσπερ τὸ αἰσθάνεσθαι ὑπολαμδάνουσιν.

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(2) De an,, 1, 11, 14, τὸν λίθον ἔφη φυ (ἣν ἔχειν, ὅτι τὸν σ́δηςον κινεῖ. J. Soury. — Le système nerveur central.

2 en effet d’autre emploi, dans la machinerie cosmique, que celle d’un deus ex machina, n’agit que comme une force naturelle. Alors même que le développement du spiritualisme religieux et de la métaphysique eurent préparé les voies à une sorte de panthéisme philosophique, on ne voit pas que, soit l’éternité de la substance du monde, soit l’éternité du monde actuel (ARISTOTE), ait été jamais mise en doute. Une création ex nihilo de l’univers, par un pur esprit, est une idée absolument étrangère à l’entendement d’un Hellène. Ce n’est pas dans le temps qu’AnaxAGoRE plaçait l’organisation de l’univers par l’Intelligence. Le Démiurge de PLaTon façconne une matière qu’il n’a point créée et qui coexiste avec lui de toute éternité. ARISTOTE, qui place le premier moteur au sommet des choses, affirme que ce monde (substance et forme) n’a pas commencé et ne finira jamais. Il en est même résulté que le dogme sémitique de la création a été ébranlé dans l’esprit d’un grand nombre de commentateurs arabes. Toute l’antiquité classique, des physiciens de l’Ionie aux philosophes d’Alexandrie, a donc cru à l’éternité de la substance du monde ou de l’univers actuel. Quant à l’idée de cause finale, au sens aristotélicien du mot, soit dans les organismes vivants, soit dans le reste de la nature, elle est demeurée également aussi étrangère aux physiologues d’Ionie que celle d’un but ou d’un plan de l’univers, d’une volonté réalisée en vue de quelque bien, bref, d’une raison quelconque de la génération et de la destruction périodiques des mondes. Pour TuaLës de Milet, l’élément primordial de l’univers éternel, le principe et la fin des choses, était l’eau, considérée peut-être à différents états de condensation et de raréfaction (1).

(1) Anisrore, Mét., I, 111, 4, 6. ...Oakïs ... ÜGwp... oûtus...rept ts rpwtns aitias. Philosoph. (ΠιρροιΥτε), 1, 1, ἀρχὴν τοῦ παντὸς εἶναι καὶ τέλος τὸ ὕδωρ. Τηλιὲς de Milet serait né, vers 64o avant motre ὁγο, ἆς τες Ρ]ιόπἰοίοηπο (ΏΕρεκυνεο). ἴμος hypothèses qu’a failes Arisrore pour s’expliquer le choix, purement arbitraire, selon lui, de l’eau comme principe des choses, par ThaLës, ne supportent pas l’examen. Nous croyons avoir indiqué la genèse historique de cette doctrine. Peut-être les fossiles marins, les pétrifications d’animaux aqualiques et les coquilles trouvées sur les montagnes ou dans les carrières en exploitation, ont-ils contribué à confirmer les idées de Tuazës sur l’origine du monde ; celle supposition d’UEBERwEG nous semble vraisemblable ; elle est, en lout cas, historiquement établie et fondée sur des textes authentiques pour XÉNOPHANE.

Tapdis qu’il observait, les yeux levés au ciel, les mouvements des corps célestes, TALÈs, raconlait-on, était tombé dans un puits ; une petite servanie, du nom de Thratta, avait en riant et par moquerie fait celle réflexion : Dans son ardeur à connaîlre les choses du ciel, il a ignoré ce qui était devant ses pieds : τὰ ἐν οὐρανῷ προθυμούμενος εἰδέναι, τὰ ἐν ποσὶν οὐκ οἶδεν ("). Parole où la malignité et la suffisance naïve du vulgaire à l’endroit du savant ou du penseur apparaissent sans doute clairement. Mais cet antique apophlegme me semble surtout attester, sous forme de survivance, l’usage où étaient les anciens physiciens ou astronomes d’observer les astres au fond des puils ou des trous, usage dont parle encore ARISTOTE, ainsi qu’on le verra lorsqu’il sera question ici de sa théorie des luncttes. Celle remarque a sans doute, je suppose, élé déjà faite par d’autres avant nous. (5) Huwpoivre, Refut., 1, v.

Deux vers d’une vieille rhapsodie homérique (1) appellent Océanos père des dieux et Thétis mère. 11 y a là une conception de l’univers dont l’origine doit être cherchége dans les cosmogonies religieuses des peuples de la vallée du Tigre et de l’Euphrate. Au vi‘ siècle, cette croyance était sans doute devenue un philosophème sur lequel spéculaient les esprits réfléchis des Grecs d’Ionie, c’est-à-dire d’une partie de cette Asie Mineure qui fut toujours plus ou moins une province de l’Assyrie(2). La génération spontanée dans l’élément humide, doctrine de tous les physiologues hellènes des vi° et v° siècles, d’ARSITOTE, de THÉOPHRASTE, était le premier dogme de la religion babylonienne. Les historiens de la philosophie grecque parlent quelquefois d’un prétendu écrivain phénicien nommé Mocos, qui aurait composé des livres sur l’histoire et les doctrines religieuses.de sa patrie ; on le disait originaire de Sidon. La cosmogonie de ce Mocnos, rapportée par Damascits, n’a pas d’autre fondement que celui que nous venons de rappeler. Il est bien probable, comme l’a soutenu Ewazp, que le traducteur grec a pris pour le nom d’un écrivain phénicien le mot qui, dans l’idiome des Chananéens, désignait la matière humide et féconde. La « philosophie de Mochos » serait ainsi « la philosophie de la matière première ». C’est ainsi que, dans les fragments de SANCHONIATHON, qu’a conservés PuiLon de Byblos, dans la première cosmogonie, la matière féconde, à l’état chaotique, d’où sortira l’univers organisé, est une boue humide. Or le nom de cette matière primordiale, dans le texte actuel de SaxcHoni1-THON, Môt, corrigé en Môch, selon une conjecture vraisemblable, serait précisément celui du prétendu auteur phénicien, Mocnos (3). (1) ZE, XIV, 207, 302. Cf. ARISTOTÉ, Mét., 1, au, 5. (2) Juues Sounx, Études historiques sur les religions, les arts, la civilisation de l’Asie antérieure et de la Grèce. (Paris, 1877), 1-123, 195-231. (3) Cf. pourtant Ep. ZeLer, Die Philos. der Griechen, I, 688 n. Du principal de l’âme et de son siège. Plac. LV, v. Τί τὸ τῆς Φυχῆς ἡγεμονικὸν, καὶ ἐν τίνι ἐστιν. . Πλάτων, Δημόλριτος, v OÂn 7% xepahñ (in Lolo capite). . Straton, ëv esoppüw. (in superciliorum intercapedine). Ἐρασίστρατος, περὶ τὴν μήνιγγα τοῦ ἐγχεθάλου, ἤν ἐπικρανίδα λέγει, circa membranam cerebri quam epicranida nominat,

— “Hpdpilos, év 15 To5 éyrepadou xouiz (ventricule du cerveau), frts ἐστὶ καὶ βάσις . Παρμενίδης ἐν ὅλῳ τῷ θώρακι, καὶ Ἐπίκουρος, Οἱ Στωϊχοὶ πάντες, ἐν ὅλη τῇ καρδία ; ἢ τῷ περὶ καρδίαν πνεύματ.. . Διογένης, ἐν τῇ ἀρτηριακῇ 0tMa (= ventricule gauche du cœur qui reçoit l’air des veines) τῆς χαρδίας,ἥτις ἐστὶ καὶ πνευματική.

̓Εμπεδοχλῆς ἐν τῇ vo5 afuaros oustise, dans la substance du sang. ρ. Οἱ δὲ, ἐν τῷ τραχήλῳ τῆς καρδίας.

το. Οἱ δὲ, ἐν τῷ περὶ καρδίαν ὑμένι.

τα. Οἱ δὲ, ἐν τῷ διαφράγματι.

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De même, la plus ancienne source nationale de la cosmogonie des Grecs, la Théogonie d’’Hésionr place le chaos à l’origine des choses (v. 116 sq.).

Ce que nous appelons les forces de la nature étaient souvent conçues comme des abstractions morales, l’Amour chez PamÉniDE, la Haine ct l’Amitié, chez Empévocze, l’Intelligence, chez Axaxaconr, qui ne difièrent guère au fond, quant à leur genèse anthropomorphique, de l’attraction ct de la répulsion des physiciens et des astronomes modernes. C’est en ce sens que TuaLès a pu dire que « tout cest plein de dicux ». Quant au principe élémenlaire des choses, l’eau était pour le physicien contemporain de SoLox ct de Cnésus la malière primordiale d’où tout était sorti. Nul doute que si Tuaës était Grec, le séjour de Milet et le commerce des cités helléniques avec les populations de l’Asie Mineure ne l’aient incliné vers les traditions asiatiques qui faisaient du chaos ou de l’océan le principe des choses. Le physique de Tuauës serait ainsi un fruit Lardif de cette très ancienne croyance (1).

13. Τῶν νεωτέρων δέ τινες, διήχειν ἀπὸ κεφαλῆς μέχρι τοῦ διαφράγματος. 19. Πυθαγόρας, τὸ μὲν ζωτιχὸν περὶ τὴν καρδίαν, τὸ δὲ λογικόν χαὶ νοερὸν περὶ τὴν χεφαλήν. Taéonorer, Gr. affect. cur., V. Μιονε, {. δδ, Ρ. 095. Ἱπποχράτης μὲν γὰρ, καὶ Δημόκριτος, καὶ Πλάτων ἐν ἐγκεφάλῳ τοῦτο [τὸ ἡγεμονικὸν] ἱδρύσθαι εἰρήκασιν’ ὁ δὲ Στράτων ἐν pecoppéw (in superci- ογατα ἰπίογοβροά(πο). ̓Ἡρασίστρατος δὲ ὁ ἵατρος περὶ τὴν τοῦ ἐγκεφάλου μήνιγγα, ἣν καὶ ἐπικρανίδα λέγει. "Ηρόφιλος δὲ, ἐν τῇ τοῦ ἐγχεφάλου χοιλίᾳ" Παρμενίδης δὲ καὶ ̓Ἡπίκουρος ἐν ὅλῳ τῷ θώρακι : Ἐμπεδοχλῆς δὲ, καὶ Αριστοτέλης, καὶ τῶν Στωϊκῶν Ἡ ξυμμορία τὴν χαρδίαν ἀπεκλήροσαν τούτῳ (1οίθ la secte des stoïciens lui assignent le cœur pour le lieu de sa résidence). ]ζαὶ τούτων δ̓ αὖ πάλιν οἱ μὲν ἓν τῇ κοιλίᾳ τῆς καρδίας’ οἱ δὲ, ἐν τῷ αἵματι’ χαὶ οἱ μὲν, ἐν τῷ περικαρδίῳ ὑμένι’ οἱ δὲ, ἐν τῷ διαφράγ- ματι.

» Δημόχριτος δὲ καὶ ̓Επίχουρος καὶ ̓ Αριστοτέλης φθαρτὴν εἶναι [τὴν φυχἠν] ταύτην ἀνέδην εἰρήχασι (animam corruptibilem esse asseruerunt).

Voici, d’après Sexrus Émpiricus, l’énumération des principes matériels de l’univers adoptés aux diverses époques par les naturalistes et les philosophes grecs : Pyrrhoniarum hypotyposeon sive institutionum lib. 1, ο. 1v, 30. Περὶ ὑλικῶν ἀρχῶν.

«περὶ τῶν ὑλικῶν παλουμένων ἀρχῶν λεκτέον’ ὅτι τοίνυν αὗταί εἶσιν ἀκατάληπτοι, ῥάδιον συνιδεῖν... « Il est aisé de voir que ces principes là sont iscompréhensibles, eu égard aux disputes des dogmatiques sur ce sujet [et qu’on ne peut poinl savoir ce que c’est] ». Depexbôns pèv 6 Lüpros yiv Eire thv révTuy Etvat ἀρχήν. Θάλης δὲ ὁ Μιλήσιος, Gp.

̓Αναξίμανδρος δε... τὸ ἄπειρον.

̓Αναξιμένης δὲ καὶ Διογένης ὁ Απολλωνιάτης, ἀέρα.

]ππάσος δὲ ὁ Μετάποντῖνος, πῦρ.

Βενοφάνης δὲ ὁ ἸΚολοφώνιος, γῆν καὶ ὕδωρ.

. ἅππων δὲ ὁ Ῥηγίνος, πῦρ καὶ ὕδωρ.

».. Οἱ δὲ περὶ τὸν Εμπεδοχλέα πρὸς τοῖς Ῥτωϊχοῖς πρ, ἀέρα, ὕδωρ, γῆν. .... OÙ δὲ περὶ ̓Αριστοτέλη τὸν Περιπατητικὀν, πὂρ, ἄέρα, ὕδωρ, γῆν, τὸ κυκλοφορητικὀν σῶμα. Δημόκρτος δὲ καὶ ̓Ἐπίκουρος, ἀτόμους.

̓Αναξαγόρας δέ ὁ Γζλαζομένιος, ὁμοιομερείας.

Adversus mathematicos, IX, v. 359. Ilspi owünatos. ra ! tüv σώματα Φαμένων, Φερεκύδης μὲν ὁ Σύριος γῆν ἔλεξε πάντων εἶναι ἄργην καὶ στοιχεῖον... (x) Il est bien remarquable que la terre primitive el informe (ΟΗΤΗΟΝΙΑ) ἆθ Ῥηέπέογχος ἆθ ΌγτοῬ, contemporain de TuaLës, a non seulement la plus grande analogie avec le chaos, où étaient confondus MATIÈRE ET FORCE

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« Dans le poème ἆ Ἠέδιονε, dit ZeLcer, les dieux eux-mêmes sont créés et ceux qu’honorait le peuple appartenaient même à une jeune génération divine. Il n’y a point de divinité qui puisse être considérée comme la cause éternelle de toutes choses et comme ayant sur la nature un pouvoir incondilionné. » La matière et la force de l’univers existent avant eux sous la forme du chaos éternel, et au-dessus d’eux, sous celle du Destin inexorable. C’est Gaca, la terre, qui produit le ciel avec ses astres innombrables, comme dans les divers systèmes du monde et théories du ciel des philosophes grecs du vi° et du v° siècles (1). Aussi loin qu’on remonte dans le passé de l’Hellade, il n’y a d’autre être que le monde, avec ses énergies créatrices et son éternité. Un dieu, cela vient à l’existence comme un homme, un cheval, un chène. Hommes et dieux ont la mème origine. Pinpare l’a chanté dans la sixième Néméenne (strophe I, 1-8) : les uns et les autres sont les enfants d’unc mème mère, la Terre(2).

L’homme ressemble aux immortels par la puissance de sa raison et la forme de son corps ; il est, comme les dieux, soumis aux arrêts du destin ; il ignore ce que la nuitet le jour lui réservent.

Comme les vieux aëdes qui avaient admis que, pendant une durée indéfinie, le Chaos et la nuit avaient seuls existé, les premiers physiologues, les physiciens de l’Ionic, linrent pour la cause première de l’univers οἱ le principe éternel des choses, d’où tout sort et où tout retourne, sans créalion ni perte d’aucune partie du seul Être qui persisie, immuable à travers la génération ct la destruction des mondes et des êtres vivants, les divers éléments matériels, tels que l’eau, l’air, le feu (3). Chez ces philosophes naturalistes, comme dans les anciennes cosmogonies, la matière première, sorte de chaos ou d’abime, où s’agitent confusément des germes de ce qui sera, préexiste à l’apparition de la terre et du ciel. « Tout était ensemble ». ’Ομοῦ πᾶντα χρήματα : ainsi s’ouvrait le livre d’AxaxaGore (4). Et dans ce mélange où tous les germes des choses (5) élaient confondus (4 opus ἁπάντων χρημάτων), rien n’était encore visible à cause de la petitesse des éléments. Dans cet univers, l’Un élait Tout. ‘Ev ...révrx xouata. L’air ct l’éther se séparèrent d’abord de ce qui contient et « environne » tout, du ciel « infini en grandeur » (6). Ce fut alors que le dense se sépara du rare, le chaud du froid, le lumineux du ténébreux, le sec de l’humide. à l’origine, suivant Hésione (Théog., v. 116), la terre et le ciel, οἱ d’où lout est sorli, les dieux comme le reste, — mais a fail croire à AcuiLzès Tatius, à TzerzÈs el au scholiaste d’Hésrone (*), que PaÉRÉCyDE, comme THaLËs, avait tout fait venir de l’eau. Certes, 0wv est bien la terre pour PaÉRÉCYDE, mais H. Manrix a reconnu qu’elle est bien près d’être en même temps l’ensemble primitif et confus de toutes choses. (Mém. de l’Acad. des inscr., XXIX, 2° p., 36 sq.) (1) La cosmogonie des Oiseaux, d’ARISTOPHANE, est un morceau mythologique de premier ordre. « Au commencement fut le Chaos, et la Nuit, et le noir Erèbe, et le vaste Tartare. » Il n’y avait ni terre, ni air, ni cicl. La race des immortels n’existait pas encore. (2) Les dieux d’Empédocle, de Démocrite et d’Épicure sont plus grands, plus puissants el vivent plus longtemps que l’homme ; voilà tout. Mais ils subissent, comme lout ce qui vient à l’existence, les destinées et l’inévitable mort.

(8) Anisrore, Mét., I, τα. τῶν δῆ πρώτων φιλοσοφησάντων οἱ πλεῖστοι τὰς ἐν ὕλης εἴδε, μόνας ᾠήθησαν ἀρχὰς εἶναι πάντων... Ἐϊσὶ δέ τινες οἳ καὶ τοὺς παμπαλαίους καὶ πολὺ πρὸ τῆς νῦν γενέσεως καὶ πρώτους θεολογήσαντας οὕτως οἵονται περὶ τῆς φύσεως ὑπολαθεῖν.

(&) Fragm. philosophorum graec. (Murcacn). I, 248. Fr. 1.

(6) Fragm. 4. Dans le fr. 3, les éléments d’Anaxagore qu’on devait appeler plus tard homoeoméries, sont expressément appelés « germes de loutes choses », σπέρματα πάντων γρημάτων. (6) Fragm. 2. καὶ τό γε περιέγον ἄπειρόν ἐστι τὸ πλῆθος. 06 ἀθγπίος πιοί α ici le sens de grandeur. (ὁ) Ad. Theog.. 116. Φερεκύδης ὃ Σύριος καὶ Θα)ῆς ὁ Μιλήσιος ἀρχὴ» τῶν ὅλων τὸ ὕδως φασω εἶναι...

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LE SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

Le dense οἱ l’humide, le froid et le ténébreux se rassemblèrent là où est maintenant la terre. Le rare et le chaud, le sec et le lumineux s’élevèrent vers l’éther (1). Des nuées aériennes s’était séparée l’eau, de l’eau la terre, de la terre les pierres : toutes ces condensations avaient eu lieu par l’influence du froid (2). Ainsi le ciel et la Lerre, qui ont commencé d’ètre, passeront ; ils n’ont pas toujours été, ils ne seront pas loujours ; seule, la matière est éternelle. Cette matière d’ailleurs n’est pas inerte, inanimée. « De loule antiquité, dit l’historien de la Philosophie des Grecs, Épouann ZELLEr, on a regardé le monde comme vivant. » Quel que soit l’élément adopté par les différents physiologues ioniens pour matière primordiale, eau, air ou feu, cette malière est vivante οἱ animéc. C’est la conceplion même de l’hylozoïsme (3). La tradition arabe ne s’y est pas trompée. Dans le Xitäh al-Fihrist de Monauen 18N Isnag, ouvrage de l’an 1000 environ de l’ère chrétienne, mais surlout dans Ie EL Qurni, il est raconté du « Milésien » Tnazës «qu’il fut le premier qui ait soutenu que legrand dieu [Alläh}, qu’il soit loué ! ne serait pas le créateur de tout ce qui existe ». Apu’Lranascn écrit de son côté : « Tuacës fut le premier qui soutint la doctrine de l’aëréuxrov, c’est-à-dire qu’il n’a point existé de créateur de ce qui exisle ; il irait cette conclusion de ce qu’il remarquait de mauvais dans ce monde.» Ipx EL Qurri appelle d’ailleurs Τηλιὲς un athée (4).

D’Anaximandre, né comme TnaLËs, à Milet, vers 612 avant notre ère, on a conservé cette phrase d’un livre sur la nature : « Là d’où elles sont venues à l’existence, les choses retournent nécessairement par la destruction ; car elles expient ainsi la peine et le châtiment dus à l’injustice, suivant l’ordre du temps (5). » L’existence apparaît donc comme une injustice qui doit être expiée par la destruction ou le retour de ce qui existe à ce qui est éternellement. La cause, le principe même de l’univers est, pour ANAXIMANDRE, l’infini, matière indéterminée quant à la qualité, plus dense que l’air, plus subtile que l’eau, analogue au chaos des anciens théologiens grecs. Ο06ἱ ἄπειρον, l’illimité, l’infini, est le principe et l’élément de tout ce qui est (xsyév τε χαὶ στοιχεῖον τῶν ὄντων). De la matière infinie éternellement en mouvement (x{mmotv ἀΐδιον), οοηςιιθ comme vivante, à la manière de l’ancien hylozoïsme, se séparaient les contraires élémentaires, (1) Fragm. 6 el 8.

(3) ἐκ μὲν γὰρ τῶν νεφελέων ὕδωρ ἀποχρίνεται, ἐκ δὲ τοῦ ὕδατος γῆ, ἐκ δὲ τῆς γῆς λίθοι συμπήγνυνται ὑπὸ τοῦ φυγροῦ... Ἐκ τῶν νεφελέων ὀᾳμϊναιέ οἱ ἃ ἐξ ἀέρος. ΟΓ. ΡΙΝΡΙΙΟΙύς, [οἱ. 196 α. (3) Juces Sourx, De hylozoismo apud recentiores. Luictiae Paris., 1881. Cf. Ueber die hkylozoistischen Ansichten der neuern Philosophen, von Dr Juces Soury, Kosmos, v Jahrgeng, 1882 (Bd. X), 241 sq.

(4) V. Auc. Muzzer, Die griechischen Philosophen in der arabischen Ueberlieferung. Halle, 1873, 5, 30-1. Cf. Morirz SreixscuneiDer. At-Farani (Acruanasius), des arabischen Philosophen Leben und Schrifien, mit besonderer Rücksicht auf die Geschichte der griechischen Wissenschaft unter den Arabern. Mémoires de l’Académie imp. des Sciences de Saint-Pélersbourg, vus sér., L. XII,

(5) Fragmenta philos. graec. (Murracn), 2. Gôdvx γὰρ αὐτὰ τίσιν καὶ δίκην τῆς ἀδιχίας κατὰ τὴν τοῦ χρόνου τάξιν.

DESCENDANCE DE L’HOMME

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le chaud et le froid, le sec et l’humide, qui se disposent suivant leurs affinités naturelles : le froid et l’’humide au centre, le sec et le chaud à la circonférence. Grâce au mouvement, qui emporte les éléments dans son cours éternel, naissent des mondes innombrables, des univers stellaires, (τοὺς οὐρανούς), dieux et génies célestes pourle vulgaire, simple condensation ou raréfaction de la matière. Immobile, à égale distance de tous les points de la voûte du ciel, est la terre.

La chaleur du soleil a desséché la terre ; ce qui a subsisté des eaux primordiales qui la couvraient tout entière, devenu salé et amer, s’est rassemblé dans le lit de l’Océan. Cette idée, commune à plusieurs philosophes grecs, a été rencontrée dans les cosmogonies de l’Asie : la mer est ce qui reste des eaux primordiales. D’abord à l’état de bouc humide, la terre a spontanément créé les animaux, les poissons, les reptiles à carapaces épineuses, qui se sont modifiés avec les âges géologiques et ne sont arrivés à leur forme actuelle que grâce au dessèchement progressif de la terre sous l’influence du soleil : « Les animaux sont nés de l’huinide desséché et évaporé par le soleil. L’homme fut d’abord semblable à un autre animal, au poisson » (1). Ainsi l’homme se développa d’un être pisciforme qui vivait dans l’eau ; sur la terre émergée, cet être fut le premier anthropoïde. « Cette descendance de l’homme d’ancêtres animaux, qu’on a si souvent raillée, a écrit W. Preyer, est une des plus remarquables divinations de l’antiquité » (2).

PARMÉNIDE semble avoir aussi enseigné que l’homme a été primitivement formé du limon de la terre émergée des eaux, sous l’influence de la chaleur solaire. Selon ANAXAGORE, pour qui « la lune était de la nature de la terre » , c’est-à-dire comme une terre, et qui y voyait des « plaines et des vallées profondes » (3), « les animaux sont nés, à l’origine, dans les eaux » ; ensuite ils se sont propagés les uns des autres (4). DÉMOCRITE fait sortir les hommes et les animaux du limon de la terre. Pour EMPÉpOCLE, les plantes sont sorties les premières de la terre, encore humide et vaseuse, avant même que celle-ci füt éclairée par le soleil ; les poissons se sont formés ensuite ; les différents membres et organes des animaux pullulaient, isolés, yeux sans visage, bras sans corps, etc. ; des monstres (4) τὰ δὲ ζῶα γίνεσθαι ἐξατμιζύμενα ὑπὸ τοῦ nAïou. Tov δὲ ἄνθρωπον ἑτέρῳ ζώῳ γεγονέναι͵ τουτέστιν ἰχθύϊ, παραπλήσιον κατ’ ἀρχάς. ΡΛ(ἱοδορή. (ΗιρροιΥτε), IL, v. (2) W. Prrxer. Éléments de physiologie générale. Trad. de l’allemand par Jules Soury. Paris, 1884, p. 27.

(3) Déuocuire regardait aussi la lune comme une sorte de terre ; la figure qu’on y aperçoit était l’effet de l’ombre projetée par les montagnes. Sur la plupart des points d’astronomie, DÉmocriTe suit l’opinion d’ANAXAGORE.

(4) Philosoph., 1, vur.

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LE SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

apparurent ; la nature s’essaya en créations informes ; elle produisit des êtres à deux visages, à double poitrine, des androgynes (1). Toutes les combinaisons organiques apparurent au sein des eaux et sur la terre, en cet immense champ de carnage où, dans la lutte pour l’existence, les êtres les mieux doués s’adaptèrent seuls et survécurent. Cette théorie des origines du monde organique, UEBERWEG croyait qu’il était légitime de la rapprocher de la philosophie de la nature d’Okex, de la théorie de la descendance de Lamarcx et de Darwix, et ZELLER lui-mème prononce à ce sujet le nom du grand naturaliste anglais. Un fait considérable pour l’histoire des théories de la vie se présente ici. Pour la première fois, les antiques conceptions cosmogoniques prennent une forme scientifique etinaugurent les doctrines transformistes. EMPÉDOCLE, ANAXAGORE, DÉMOCRITE ont soutenu ces doctrines : ANaxi-MANDRE est peut-être le premier qui les ait formulées. « Par l’idée de l’adaptation, dit TEICHMÜLLER, ANAXIMANDRE pourrait passer pour un précurseur de Darwin ; de mème pour cette autre idée que les plus anciens organismes ont dû vivre dans la mer, organismes dont les animaux terrestres ne sont que des transformations. Ce rapprochement devient plus frappant encore si l’on considère l’origine de l’homme selon Anaxi-MANDRE :

il soutient que l’homme provient d’animauxde forme ou d’espèce

différente » (2). Et en effet c’est bien de poissons ou d’animaux pisciformes QU’ANAXIMANDRE fait descendre l’homme. Les premiers animaux, nés spontanément dans l’eau, disait-il, étaient revêtus d’une sorte de carapace épineuse, qu’on peut prendre, ce semble, pour des écailles ; mais, avec le progrès de l’âge, ces animaux étant montés sur la terre qui peu à peu se desséchait, leur carapace se rompit et « ils changèrent bientôt leur genre de vie », en d’autres termes ils s’adaptèrent aux nouvelles conditions du milieu. Que l’homme soit issu d’animaux de forme différente, et d’autres espèces, ANAXIMANDRE en voyait encore la raison, dit-on, dans cette circonstance que, de tous les animaux, il est le seul qui ne soit pas en état de se procurer sa nourriture après sa naissance ; qu’il a besoin d’être allaité de longs mois ; si bien que, livré à lui-même à l’origine, il n’aurait pu vivre et se perpétuer (3).

Ce fut donc dans l’eau que l’homme se forma d’abord comme un poisson, issu qu’il était lui-mème de ces vertébrés ; et ce n’est que lorsqu’il fut devenu capable de lutter avec avantage dans la bataille de (1) lragmenta philos. graec., v. 313 sq. Meutyuéva T5 péy ar’ avôp@v, — 75 GE yuvarropur. (2) G. Tricuuèccer, Sludien zur Geschichte der Begriffle. Anaximandros. Berlin, 1854, p- 64.

(3) Ecs, Pracp. ev.,’1, 8. Philos. (Mizven), 11. Cexsor, 4.

ANAXIMANDRE, LAMARCK ET DARWIN

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la vie, de soutenir le combat pour l’existence, qu’il monta sur la terre, se métamorphosa en amphibie, s’habitua à la respiration aérienne et prit possession de son vaste domaine. Les Sÿriens, comme le rappelle PiuTarquE (x), et tous les peuples de même race, croyaient que tous les êtres étaient originaires de la mer. Ce qui apparait assez clairement dans les idées d’ANAXIMANDRE sur l’origine des premiers êtres vivants, c’est qu’il les croyait nés spontanément dans les eaux de la mer, et que, grâceà l’évolution des êtres vivants et à la variabilité des formes organiques, l’homme était descendu d’animaux marins et comptait des poissons parmi ses lointains ancêtres. En ces termes, et pour ètre née peut-être inconsciemment de quelque mythe cosmogonique d’origine babylonienne, l’hypothèse d’ANAXIMANDRE mériterait de figurer dans l’introduction historique de l’Origine des Espèces. CH. LYELL avait appelé ANAXIMANDRE un précurseur de la doctrine moderne de l’évolution (2). Cuvier enfin songeait évidemment à Lamarck εἰ ἃ (ΕΟΕΕΒΟΥ SainT-HinaiRe lorsqu’il écrivait : « ANAXIMANDRE, ayant admis l’eau comme le second principe de la nature, prétendait que les hommes avaient primitivement été poissons, puis reptiles, puis mammifères, et, enfin, ce qu’ils sont maintenant. Nous retrouverons ce système dans des temps très rapprochés des nôtres, et mème dans le xix° siècle (3).» Xénophane, un lonien du vi* siècle, écrit : « Tout vient de la terre et retourne à la terre. » Ailleurs : « Nous sommes tous sortis de la terre et de l’eau » (4). Or, quoique le philosophe de Colophon, colonie ionienne de l’Asie-Mineure, semble avoir vu des premiers, avec une assez claire conscience, que l’univers doit rester pour nous une énigme, et qu’il est sans doute impossible de rien comprendre à rien, en dehors d’hypothèses « vraisemblables », si bien que, « sur toutes choses, l’opinion est seule de mise » (5), il ne laisse pas d’avoir été, comme il arrive, un observateur assez perspicace des phénomènes, voire des curiosités naturelles de ce monde, des premiers documents de la paléontologie (6). Plus d’un natu- (1) Ριυτ, Symp. Quaest., VIIL, 8, 4.

(2) Cu. Lyecr. Principles of geology, 1, ch. u. 16. (3) Georczs Guvier, /Jistoire des sciences naturelles (1841), 1, 91. (4) Εκ γαίης γὰρ πάντα, χαὶ εἷς γῆν πάντα τελευτᾷ. κ... Πάντες γὰρ γαίΐης τε καὶ ὕδατος ἐχγενόμεσθα. Fragm. philos. graec. (Murracu). Fragin. 8 ct 9 ; cf. fragm. 18. (5) .... Ôgxos d’Ent nast técuusar. Sexrus Eupir., edv. Math., VIL, 48 et 110 : VII, 326. Oo : γὰρ ἔφη πρῶτος ἀκαταληψίαν εἶναι rivtwv. Philosophumena (Hiwrouyre). 1, x1 et X. Dioc. IX, 20. Cf. Fragm., 15.

+ (6) Cf. Héropore, IL, xu.

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LE SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

raliste aurait des raisons d’envier la pénétration de ce philosophe, véritable ancëtre de la théorie de l’inconnaissable, ou du moins de l’ « incompréhensibilité de toutes choses. »

XÉNOPHANE estimait donc qu’avec le temps la terre était dissoute par les eaux (nxt 7@ ypivo an toù dypeÿ éco). Mais il administrait des preuves, selon lui démonstratives (ær-èei£us), de ces révolutions géologiques. Ainsi, disait-il, « au milieu des terres et sur les montagnes on trouve des coquilles (xéyyu), et, à Syracuse, dans les [atomies (prison creusée dans le roc), on a trouvé les empreintes d’un poisson et de phoques (rire ἰχθύος χαὶ gwxü ?) ; à Paros, la forme d’un petit poisson dans l’épaisseur du rocher (ἐν τῷ βάθει τοῦ 6) ; à Mélite, des pétrifications de toules sortes d’êtres ΠΙΑΓΙΏ5 (πλάκας cuurévtwv 0xhxsotwv) ». Cela provenait, continuait XÉNOPHANE, d’une époque reculée où tout avait été recouvert du limon des eaux. L’empreinte de ces ètres fossiles était demeurée « desséchée » dans le limon durci. De cette observation, XÉNOPHANE avait cru pouvoir conclure que « tous les hommes étaient détruits, c’est-à-dire que l’espèce humaine périt tout entière, lorsque, entrainée dans la mer où elle s’affaisse, la terre se transformait en boue. »

Mais ces cataclysmes n’étaient pour XÉNOPHANE, comme les embrasements périodiques des mondes pour HÉRACLITE, qu’un moment de l’éternel devenir. La terre passait périodiquement de l’état liquide à l’état solide, ct réciproquement. Avec la réapparition de la terre ferme, une génération nouvelle d’êtres vivants recommençait. Comme ANAXIMANDRE de Milet, en effet, dont il a certainement subi l’influence, et peut-être été le disciple (THÉOPHRASTE), XÉNOPHANE admet que la terre et ses habitants sont produits par le dessèchement du limon primitif. L’univers, considéré dans sa substance, « n’a point de commencement » ; il est « éternel » et « impérissable » (ἀγέννητον, καὶ ἀῑδιον καὶ ἄφθαρτον) : mais le monde change continuellement d’état. Et ce qui est vrai de la terre est vrai pour tous les mondes, si XÉNOPHANE en a admis plusieurs. D’un but, d’une fin intelligente ou rationnelle de la nature et des êtres vivants, il n’y a pas plus de trace dans XÉNOPHANE, dans HÉRACLITE, AÂNAXIMANDRE Où DÉMOCRITE, qu’il ne saurait en exister dans l’esprit réfléchi d’un homme de notre temps.

« Le soleil, du haut du ciel, échauffe la terre », disait XÉNOPHANE, et, comme lout vient de la terre et retourne à la terre, les êtres qui naissent à la vie sous l’influence fécondante de la chaleur solaire rentreront tôt ou tard dans la poussière. Aussi bien des catastrophes périodiques engloutissent sous les flots l’humanité avec les autres êtres vivants. Sortie de l’eau, la terre est de nouveau envahie par la mer, à certaines époques, et convertie en boue liquide. L’observation, cette fois, avait servi de fondePALÉONTOLOGIE

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ment à l’hypothèse. Les coquillages marins trouvés dans le sein de la terre et sur les montagnes, les empreintes de poissons fossiles découvertes dans les carrières de Syracuse ou dans les marbres de Paros, conduisirent XÉNoPHANE à soutenir que ces pétrifications, que ces empreintes organiques dans le limon durci, attestaient que les eaux avaient autrefois séjourné sur ces parties du sol et au sommet de ces montagnes. Mais c’est Héraclite le Physicien, comme on l’appelle quelquefois dans l’antiquité, qui a exprimé et fixé pour tous les siècles dans une image d’une profonde ironie la négation de toute téléologie de la nature. La lutte aveugle, la guerre éternelle des contraires, constitue, on le sait, pour ce philosophe, toute l’histoire du monde ; c’est la pierre d’angle d’un édifice qui n’a point trop souffert des outrages du temps. « Il n’y a, dit HEGEL, aucune proposition d’HÉRACLITE, que je n’admette dans ma Logique » (1). La doctrine de l’identité des contraires tendant à la réalisation de leur unité essentielle, aussi bien dans le jeu des forces naturelles que dans le domaine de la vie morale, où, par exemple, le bien et le mal sont au fond la même chose (rè aya@ôv ai à xoœnèv Ëv tabrév), cette doctrine implique, ainsi que toute conception mécanique de l’univers, le néant des idées de finalité, de but ou de raison des mondes qui naissent et meurent périodiquement et ne viennent à l’existence que pour rentrer, vaines apparences, dans le creuset de la matière éternelle. La matière des anciens hylozoïstes ioniens n’est’ pas, à la vérité, celle des atomistes : l’être primordial, qu’il soit le feu, comme dans HÉRACLITE, l’eau ou l’air, comme pour THALÈS où ANAXIMÈNE, sent et pense, car on n’a pas encore, à ces hautes époques, réalisé dans des mots les abstractions de corporel et d’incorporel, de matière, d’esprit et d’âme. Et les dieux meurent comme les hommes, les chevaux et les chènes. Mais le moyen d’attribuer quelque raison, au sens où l’homme entend ce mot, lorsqu’il se propose ou s’efforce d’agir en vue d’une fin qui lui paraît utile ou bonne, à cette activité incompréhensible de l’être qui, sans repos, avec nécessité, de périodes cosmiques en périodes cosmiques, ne construit des mondes que pour les anéantir ? Ne dirait-on pas d’un enfant qui, sur le bord de la mer, s’amuse à faire avec le sable des ouvrages d’enfant pour les renverser bientôt, des pieds et des mains, en jouant ? C’était là, chez les Grecs d’Ionie, une vieille image, car elle est dans l’Iliade (XV, 362 sq.). Or HÉRAGLITE compare l’Être, c’est-à-dire le Feu, à un enfant qui, fatalement, sans plus de raison, passe l’éternité à faire et à défaire des tas de (1) Hecez, Geschichte der Phil., Berlin, 1833, 1, 328. Cf. J. Bennaxs, Heraklitische Studien. Rheïinisches Museum f. Philol., 1850, VII, go sq.

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LE SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

sable (1). Une autre image, d’une ironie également transcendante, de cette activité plastique et destructrice des processus cosmiques de l’univers, excluant aussi toute apparence de téléologie, toute finalité et toute raison intelligible du monde et de la destinée des êtres, représente ce jeu puéril de l’Étre éternel sous la forme d’un enfant qui joue au trictrac, agilant et jetant les dés (2).

L’impression que les phénomènes célestes et terrestres ont faite sur les Hellènes, en particulier sur les loniens de l’Asie Mineure et des iles, voilà l’origine de la première conception scientifique de l’univers. ZELLER remarque, à propos d’Emrépocre, qu’en établissant que les éléments étaient au nombre de quatre, ce qui a été si longtemps regardé comme un dogme, ce philosophe « a introduit dans les sciences naturelles le concept même de l’élément, et qu’il est devenu ainsi, avec LEUCIPPE, le fondateur de l’explication mécanique de la nature (3) ». Un instinct sûr, une tendance invincible les porta tous à expliquer le monde par les propriétés de la matière éternellement en mouvement, d’une substance infinie, incréée, indestructible et vivante. L’eau, l’air, le feu, la terre furent tour à tour regardés par THALÈS, ANAXIMÈNE, HÉRACLITE, EMPÉDOCLE, comme le principe et la fin des choses. Mais cette matière première, qu’elle consistât dans un ou plusieurs éléments, était animée ; la matière dont était faite l’étoffe du monde sentait et pensait. L’infini d’ANAXIMANDRE, cause universelle de génération et de destruction, est conçu comme ayant en soi le mouvement et la vie. Tel était l’hylozoïsme antique. Le naturalisme, je ne connais pas de mot qui résume mieux cette conception de l’univers. Dans le vieux monde méditerranéen, où l’Égypte et la Phénicie n’avaient guère laissé derrière elles que des amulettes, des cultes sinistres, des carrières exploitées, des teintureries et des comptoirs d’échange, les Hellènes inventèrent les mathématiques, l’astronomie, la physique, ouvrirent l’ère de la science et de la réflexion philosophique. Au v°siècle, nos (1) Piurarque, De Ei Delphico, XX. ...roù romtixoÿ παιδός ... ἐκεῖνος ἕν τινι ψαμάθῳ συντι- θεμένῃ μαὶ διαχεομένῃ πάλιν ὑφ̓ ἑαυτοῦ παίζει παιδιὰν, ...καὶ τὸν κόσμον οὐχ ὄντα πλάττων, εἴτ’ ἀπολ- λύων γενόμενον.

Û

(2) Philosophumena (Hiprorvre), Paris, 1860, IX, 1, 428. ‘Hpaxhertos pèv φησίν... ὅτι δέ ἐστι Παἲς τὸ πᾶν χαὶ δι’ αἰώνος αἰώνιος βασιλεὺς τῶν ὅλων οὕτως λέχει Αἱἰὼν Παῖς ἐστὶ παίζων, πεττεύων. Lucien, Vitar. 4ιοίίο, ιά. Τί γὰρ ὁ αἰών ἐστι ; -- Παῖς παίζων, πεσσεύων, διαφερόμενος [συνδιαφεpouevos BERN.].

(3) Der Begründer der mechanischen Naturerklärung, dit, à la leltre, Édouard ZeLLEr, d’Exrépocze (Die Philos. d. Gr., 1. 682), « le plus ancien précurseur de Dauwin », comme il l’a appelé plus lard. D’Héracuire, qu’il appelle « un des plus grands penseurs de tous les siècles », W. PREYER a dit : « Déjà il exprime avec fermeté des idées que, 2,300 ans plus tard, la doctrine darwinienne de l’évolulion el de la concurrence vitale présentera comme de nouveaux principes bionomiques ».

NATURALISME D’HÉRACLITE

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idées générales sur la nature étaient nées en Grèce, les principes fondamentaux de nos sciences avaient été posés, notre conception actuelle du monde avait été présentée. « Aucun des dieux ni des hommes n’a créé le monde », disait HÉRACLITE ; il est éternel, considéré, naturellement, dans sa substance ; car il change et devient sans cesse.

« Quelques-uns disent que tout le reste naît et passe en s’écoulant et que rien ne demeure stable ; que, seul, un être unique persiste immuable, d’où sortent, avec leurs transformations sans nombre, toutes les choses de cet univers. C’est là ce que paraissent avoir cru un grand nombre de physiologues et HÉRACLITE d’Ephèse (1). » «... eftx καὶ τῶν ἄλλω, οἱ πρῶτοι φυσιολογήσαντες. Οἱ δὲ τὰ μὲν ἄλλα πάντα γίνεσθαι τὲ Φὰσι καὶ ῥεῖν, εἶναι δὲ παγίως οὐθὲν, ἐν δέ τι μένον ὑπομένειν, ἐξ οὗ ταῦτα πάντα μμετασχηματίκεσθχι πέφυκεν̓ ἅπερ ἐοίχασι βούλεσθαι λέγευ ἄλλοι τε πολλοὶ καὶ Ηράκλειτος ὁ Ἐφέσιος. ΗΜΠΛΟΙΤΕ ογογαϊῖ !ϊ donc, contrairement au STAGIRITE, que le ciel ou l’univers, loin d’être incorruptible est périssable comme tout ce qui devient et subit le changement (2).

Quelle que soit la substance qui, par condensation et par dilatation ou raréfaction, a formé tout ce qui existe, que cette étoffe du monde soit l’eau (THALÈS), l’air (ANAXIMÈNE, DIOGÈNE d’Apollonie), le feu (HÉRACLITE), les éléments d’EmPÉépocre ou les atomes de LEUCIPPE et de DÉMOCRITE, etc., cette substance n’existe pas seulement : : elle sent, elle perçoit et, sous la forme de vapeur chaude, selon HÉRACLITE, d’atomes ronds suivant DÉo-CRITE, du sang au témoignage d’Emrépocze, etc., elle connaît, elle est intelligente, elle pense ; la raison et la pensée sont ainsi des propriétés de la matière ou, si l’on veut, de l’Être primordial, qui, pour les anciens hylozoïstes ioniens, est l’univers incréé, éternel, infini. Les idées d’esprit ct de matière ne sont pas encore nées, si l’on entend par ces mots des signes de substances hétérogènes dont l’homme aurait la connaissance. Nos sens ne perçoivent que l’apparence fugitive, et non l’être : le « feu éternellement vivant », par exemple, dont HÉRACLITE déduit la chaleur et le mouvement en général, leur demeure caché. Sans doute, les deux sens les plus nobles, et surtout l’œil(3), peuvent être mis au-dessus des autres, mais « les yeux et les oreilles sont de mauvais témoins quand ils sont au (r) Anisr., De Cœælo, IIL 1, 3.

(2) Jbid., I, x, 2. ...o0erpouevov. EmrérocLe d’Agrigente est associé, dans ce passage d’Arisrore, ὰ Ἠέκλοπιτε. ΑΛΙΘΤΟΤΕ convient ici que tout ce qui naît doit périr : ἅπαντα γὰρ τὰ γ’νόμενα καὶ φθξιρόμενα φαίνεται. 1] ajoute plus loin avec toute raison : « Prélendre que le monde lantôt se constitue el tanlôt se dissout (suvistiva ! rat ræhÿerv), ce n’est pas faire aulre chose que de soutenir qu’il est éternel (& !Stov), mais que seulement il change ἆθ [ογηιε (ἀλλὰ μεταθάλλοντα τὴν μορφήν). (3) Fragm. 2h. ̓Οφθαλμοὶ γὰρ τῶν ὥτων ἀποιθέστεροι μάρτυρες.

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LE SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

service d’âmes déraisonnables », disait le philosophe d’Ephèse (r). Or la plupart des hommes écoutent exclusivement ce témoignage. HÉRACLITE partageait, avec les anciens Ioniens, l’hypothèse hylozoïste d’une substance primordiale qui engendre et détruit toutes les choses qui naissent pour mourir. Avec ANAXIMANDRE €t ÂNAXIMÈNE, il admettait que le monde se forme et s’anéantit périodiquement. Peut-être, encore avec ANAXIMANDRE, estimait-il que l’existence de tous les êtres individuels, qui n’apparaît que pour disparaître à jamais dans l’éternel écoulement des choses, est une injustice qui doit être expiée par la mort (2). Le feu était donc pour lui la substance de toutes choses ; peut-être l’avait-il appelé l’« âme » (3). Mais nos idées sur illusion du monde des sens n’en avaient pas moins les plus profondes racines dans l’hylozoïsme antique. S’il n’est pas exact de répéter qu’HÉRACLITE a, pour la première fois, révoqué en doute la véracité des sens, il a entrevu que la perception ressemble au rêve, et que celui qui s’y livre agit et parle comme dans le sommeil (Fragm. 52, etc.).

« Ÿ a :t-il pour les hommes quelque vérité dans la vue et dans l’ouie (rs xx &xo%), demande SocRaTE dans le Phédon (X, 65), ou bien faut-il croire, comme les poètes nous le répètent sans cesse, que nous n’entendons ni ne voyons rien de vrai (ot ot’ ἀκούομεν ἀχριθὲς οὐδέν, οὔθ̓ ὁρῶμεν ;) 5» Ρου1-θιγα PLATON songeait-il au vers célèbre d’ÉPicHarmE de Cos, contemporain de XÉNOPHANE, que le poète comique a sans doute parodié, en mettant dans la bouche d’un de ses personnages : « C’est l’esprit qui voit, c’est l’esprit qui entend, tout le reste est sourd et aveugle. » Νόος den καὶ νόος ἀχοῦει, τἆλλιχ χωσὰ καὶ τυφλά (4). ςH

5

+

Le même poète fait certainement allusion à HéracrTe lorsque, par contraste avec la doctrine des Éléates, il montre l’individu soumis constamment au changement ct ne persistant jamais un moment le même, au cours de son existence, de la naissance à la mort (v. 189 sq.). Peut-être le poète pythagoricien de l’époque d’Hiéron fait-il encore allusion à une autre doctrine profonde du physicien d’Éphèse en rappelant que « le caractère de l’homme cst son dénom » (#895 yàp &bowrw Sxyuv), Ce qui indique assez que les sentiments, les pensées et les actions de l’homme (1) Fragm. 23. ΓΚακοὶ μάρτυρες ἀνθρώποισι ὀφθαλμοὶ καὶ ὦτα βαρθάοους ψυγχὰς ἐγ όντων. (2) AnaxIMaxDRE, Fragm. 3. Διδόναι γὰρ αὐτὰ τίσιν καὶ δίκην τῆς ἀδικίας χατὰ τὴν τοῦ Γρόνου τάξν...

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(8) Amistore, ο απ., Ἱ, 1. τὴν ἀρχὴν εἶναί Φησι φυχήν, εἴπερ τὴν ἀναθυμίασιν, ἐξ ἧς τἆλλα συνίστησιν...

(4) EPichanxr Fragmenta (Muicacn), v. 253.

RAPPORTS DE LA PENSÉE ET DE L’ATMOSPHÈRE

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résultent avec nécessité de la crâse de ses parties, comme s’exprimera le vieux PARMÉNIDE lui-même. Ce qui ne fait aucun doute, c’est qu’ÉPicHARME a fixé dans ce vers (v. 207) la pensée mère de l’hylozoïsme ionien : AN" Coox rep En, ravta val puma Éyet.

« Tout ce qui vit possède aussi de l’intelligence. » Or celle-ci ne peut venir que du dehors dans les organismes vivants (x). Le feu de l’âme doit, pour se conserver, se nourrir du feu extérieur. L’âme des êtres animés est faite de feu, de vapeurs chaudes et sèches, matière des plus subtiles et la plus rapprochée de l’incorporéité, mais nullement incorporelle ni immatérielle, mot absolument dénué de sens pour un Hellène de ces hautes époques. L’avañupiaos ou « évaporation » du texte d’ARISTOTE que nous avons cité est identique à ce qui est ailleurs appelé rüp où « feu ». « L’âme la plus sèche est la plus sage et la meilleure » disait HÉRAGLITE (2) ; elle étincelle « à travers le corps comme l’éclair à travers le nuage. » HÉRACLITE admettait ainsi que la raison, l’intelligence, identique au feu éternel, nous vient de l’atmosphère, de cette ambiance qui nous environne, dénommée zeptéyov. Elle entre dans l’homme par la respiralion (ävarvoi) et par les canaux des sens (πόροι) (ὅ). Si l’âme est souillée par l’humidité, la raison disparait. C’est ainsi qu’HéracziTE explique le phénomène de l’ivresse : « Quand l’homme est ivre, dit-il, qu’un jeune garçon le conduit, titubant, ne sachant où il va, ayant une âme humide » (0yov tv ψυχἠν éguv. Fragm. 70). Quand la nuit vient, que la respiration se ralentit et que les canaux des sens se ferment dans le sommeil, l’homme, et toute créature vivante, séparés du principe « commun » (Evvév, comme xewér) qui l’environnait durant le jour, réduit à lui-même, c’est-à-dire aux imaginations subjectives du rève (4), tombe dans l’« oubli » et perd la « raison ». Celle-ci est en effet isolée de l’atmosphère sec et chaud où elle se renouvelle sans cesse. D’ailleurs la respiration s’est ralentie, et la (1) C’est cette doctrine qu’Exnius exprimait sans doute à sa manière, lorsqu’en parlant des œufs et des oiseaux, il disait :

Ova parire solet genu’ pinnis condecoratum,

non animam : post inde venit divinitu’ pullis

ipsa anima.

Q. Enni Carminum reliquiae (Luc. MuëLrer). Annales, 122-4. Petropoli, 1884, p. 17. Cf. Ericuarmr Fragm. v, 208 sq. Lucrer, I, 112 sq.

(4) Αὔη φυχἠ σοφωτάτη rai ap{otn. Fragm. 72, 54. (8) Sexrus Eur. adv. Math., VII, 127. dt” dvanvoïc ondoavtes vospoi Yivduelæ, zai èv uëv Snvors ληθαῖοι, κατὰ δὲ ἔγερσιν πάλιν ἔμφρονες.

(4) « Απιστοτε ἀῑί quelque part : Quand nous veillons, nous avons un monde commun, mais quand nous rèvons, chacun a le sien propre. » Imm. Kanr, Traüme eines Geistersehers, erläutert durch Träume der Metaphysik. Säëmmtl. Werke, 11, 349. Antikabbala.

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LE SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

respiration maintient et assure, dans cette hypothèse comme dans celle d’ANAXIMÈNE et de DIOGÈNE, la persistance des rapports de l’âme avec l’univers animé, vivant. De même pour les canaux des sens qui se ferment pendant la nuit (1). Lorsqu’au réveil ils se rouvrent, le feu intérieur se rallume, l’homme recouvre la raison (£gpuv) ; mais il s’éteint pour toujours si l’homme cesse d’être en rapport avec le monde extérieur. Ces idées sur la nature et les rapports de la veille et du sommeil, de la vie et de la mort, avec le περιέχον, sont d’une authenticité absolue ; elles reposent, comme sur une base inébranlable, sur les propres paroles d’HÉRACLITE. Toute cette théorie de la vie et de la mort, des organes des sens et de la sensibilité, des perceptions, de la mémoire, du sommeil et des rêves, de la nature et des conditions de la pensée, peut donc être appelée héraclitéenne.

Triste et hautain, HéracuiTE d’Ephèse, le grand contempteur de la démocratie, méprise tout ce que recherche et croit la vile multitude. « Qu’est leur raison et leur intelligence ? dit il des hommes ; ils s’attachent au bavardage des aèdes et aux opinions de la foule, ne prenant pas garde qu’il y a beaucoup de méchants, peu de bons. Les meilleurs seulement d’entre les mortels préfèrent à tout la gloire impérissable. La plupart vivent comme le bétail » (2). « Ils se vautrent dans la fange. » Ils naissent, procréent des enfants et meurent. « Les hommes ne seraient pas plus heureux si tous leurs souhaits étaient accomplis (3). » Vers la fin, sans doute, de la domination des Perses, le peuple d’Éphèse, soulevé contre les aristocrates, bannit HERMODORE, ami d’HÉRACLITE. La haine, l’ironie amère du philosophe s’exhale encore de ces paroles : « Tous les Éphésiens devraient se pendre en masse et abandonner la ville à des enfants, eux qui ont chassé leur grand concitoyen Hermodore en lui disant : « Que personne parmi nous ne soit supérieur aux autres ; s’il en est un, qu’il aille vivre ailleurs avec d’autres (4) ». L’erreur du vulgaire est de croire qu’il y ait rien de stable et de permanent dans le monde. C’est unc grande illusion de ne pas voir l’éternel (1) Sexrus Eur. Jbid. ἐν γὰρ τοῖς ὕπνοις μυσάντων τῶν αἰσθητικῶν πόρων χωρίζεται τῆς πρὸς τὸ περιέγον συμφυΐας ὁ ἐν ημῖν νοῦς, μόνης τῆς κατὰ ἀναπνοὴν πρὸς φύσεως σωζομένης οἶονεί τινος ῥίζης. Je pense, avec ÉnouarD Zer.uer (I, 559), que Sexrus reproduit ici exactement, dans son langage propre ou dans celui d’ÉNÉsIDÈME, des idées d’Héraczire. Il nous semble donc vraisemblable que le mot πόρος α déjà été aussi employé par HÉnacitTe pour désigner les organes des sens. (3) Τίς γὰρ αὐτῶν [ζο. τῶν πολλῶν] νόος ἣ φρήν ; δήμων ἀοιδοῖσι ἔπονται καὶ διδασκάλῳ (].-λων) γρέονται ὁμίλῳ, οὐ εἰδότες ὅτι πολλοὶ κακοὶ ὀλίγοι δὲ ἀγαθοί. Λἱρέονται γὰρ ἓν ἀντία πάντων οἱ ἄριστοι χλέος ἀέναον θνητῶν, οἱ δὲ πολλοὶ χεχύρηντα : ὄχωσπερ κτήνεα. ΟΙ έΜ., Βίτοπη., , 5760. Ῥ. ΖειιξΝ, Die Philos. der Griechen. 3te Auf., I, 529.

(3) fragm. 43.

(4) lragm. 55.

L’ÉTERNEL ÉCOULEMENT DES CHOSES

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écoulement de toutes choses (ravta bat). Le monde est un fleuve où toujours le flot succède au flot. Et on ne descend pas deux fois dans le même fleuve (1). Tout étant un, tout devient tout : la maladie et la santé, la faim et le rassasiement, le travail et le repos sont, au fond, identiques. Ce qui vit meurt, ce qui est mort devient vivanl ; ce qui est jeune devient vieux, ce qui est vieux devient jeune ; ce qui veille s’endort, et ce qui dort se réveille ; le courant de la génération et de la mort ne s’arrête jamais ; l’argile (rrkés) dont les choses sont faites reçoit toujours de nouvelles formes. Aucune chose n’est ceci ou cela : elle le devient dans le mouvement de la vie de la nature. Rien n’est, tout devient (2). Le monde est éternel : « Ce monde n’a été fait par aucun des dieux ni des hommes, mais 2/ a toujours été et sera toujours, feu éternellement vivant (πῦρ ἀείζωον), 5 α]]απιαπί et s’éteignant selon la loi (3). » Tout naît de la Discorde : la guerre est le roi et le souverain de toutes choses (πόλεμος πάντων μὲν πατήρ ἐστι πάντων δὲ βασιλεὺς) ; εἶ]ε οςί le droit ; elle est l’ordre du monde (4).

De mème que le soleil se plonge chaque soir dans la mer et s’y éteint pour reparaître à lorient, sa nacelle emplie de nouveau de vapeurs brûlantes, l’histoire de l’univers n’est qu’une suite d’extinctions et d’embrasements périodiques, de destructions et de renaissances, sa substance persistant immuable, sans commencement et sans fin. « Le feu, dit HéRa-CLITE, parlant de l’éxxépsxs, de l’embrasement ou de la destruction périodique du monde, le feu viendra partout, jugera el saisira tout. » C’est le Dies iræ d’HÉRACLITE et d’autres vieilles cosmogonies helléniques des philosophes du v° siècle. HÉRacLiTe d’Éphèse et Emrépoce d’Agrigente, disait ARISTOTE, pensent que le mode (c5sx5 :) tantôt est dans l’état actuel, (1) Fragm. ax et 22.

(2) Hece (Geschichte der Phil., 1, 305) et Lassarze (Heracleitos der Dunkle, I, 8r) ont loué HerAGLITE pour avoir le premier reconnu l’identité de l’être ct du non-être et en avoir fait le fondement de son système. En réalité, tout ce qu’a dil HÉéraëLiTE, c’est que les choses, considérées dans leur devenir, dans l’écoulement des choses, sont et ne sont pas, qu’elles forment une « unité synthétique de l’être et du non-être ». Cf. B. Müxz, Die Keime der Erkenntnisstheorie in der vorsophist. Periode der griech. Philos. Wien, 1880, p. 25. (3) Fragm. 27. « Ni un dieu ni un homme » veut dire absolument personne. (4) « Gette force organisatrice du monde n’est pas distinguée du monde lui-même et de l’ordre du monde ; elle est identique avec la substance primordiale du monde (le feu primitif). » Zeucer, |. |. 555. Héracuire considérait le feu, l’eau ct la terre comme les formes essentielles que traversait la matière dans ses transformations. Îl n’a pas rangé l’air parmi les formes essentielles de la matière ; il n’est pas au nombre de ses éléments. Ceux-ci ne doivent pas èlre confondus avec les premiers principes immuables ou « éléments » d’Emeénoce, qui ne se transforment pas l’un dans l’autre. Le feu d’HéracuiTe, antérieur à la formalion du monde, ne se converlit en eau et en terre que dans le cours des temps. Dès l’antiquité, HénaccirEe avait le renom de grand physicien. Il est souvent appelé φυσικός.

J. Soury. — Le système nerveux central.

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LE SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

tantôt périt pour renaître sous une autre forme, et que cela continue ainsi éternellement (1).

La pensée et l’être sont une seule et même chose, disait Parménide. (2). Le réel est le plein (πλέον), ce qui remplit l’espace, le Tout, éternel. Les deux éléments de PARMÉNIDE sont la lumière ou le feu, la nuit et l’obscur ou la terre, qu’ARiSToTE interprète le chaud et le froid. Par-MÉNIDE donne à l’élément igné les mêmes caractères qu’à l’Étre ; il le décrit comme parfaitement homogène (3). Toutefois si, pour la raison, l’unité seule existe, la multiplicité des phénomènes s’impose aux sens. C’est ainsi que, au dire d’ARISTOTE, PARMÉNIDE aurait été induit à supposer deux causes ou principes des phénomènes, le chaud et le froid, ou le feu et la terre, le premier étant l’être, le second le non-être (4). De même, pour expliquer le mouvement ou le mélange des substances, il imagina, comme dans les vieux poèmes cosmogoniques des Grecs, un personnage mythique, une déesse, qui, trônant au milieu du monde, gouverne le cours des choses (5). Eros, tel fut le premier né de cette déesse, sorte de force naturelle ou d’abstraction morale, que PARMÉNIDE appelle Gun, évéyur, rv8egvitts. ARISTOTE s’exprime ainsi à ce sujet : PARMÉNIDE, disciple, dit-on, de XÉNOPHANE, a pris l’Amour et le Désir pour principe universel des choses, et, voulant expliquer l’origine du monde, « il forma l’Amour avant les autres dieux ».

Quant aux fonctions de la vie psychique des êtres, à la nature de la perception et de la pensée, PARMÉNIDE les expliquait par celle du mélange de ses deux éléments dans le corps. Encore PARMÉNIDE, à qui toute distinction du corporel et de l’incorporel, du spirituel et du matériel est aussi étrangère qu’à toute l’antique philosophie naturaliste, n’at-il point distingué davantage la perception de la pensée, l’xcôros de la φρόνηαις : sentir el penser sont la méme chose (6). C’est donc de la crâse ou du mélange des deux éléments que résulte la nature de nos perceptions et, partant, de nos pensées : « Telle est pour chaque homme la crâse de ses membres (1) καὶ τοῦτο ἀεὶ διατελεῖν οὕτως. De cælo, I, x. (2) Panuénine. Carminum reliquiae (MurLacu), v. ᾖο. ... τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶ εἶνα.. ZerLer traduit autrement ce vers, mais sans raison suffisante, selon nous, ct contrairement à la tradition qui admet que, pour PARMÉxIDE, la pensée et l’être sont identiques. (3) Philosophumena, X, 1x. Ev μὲν τὸ πᾶν... ἀῑδιόν τε καὶ ἀγέννητον ... πῦρ ... καὶ γῆν τὰς τοῦ παντὸς ἀρχάς, τὴν μὲν γῆν ὡς ὅλην, τὸ δὲ πῦρ ὡς αἴτιον γαὶ ποιοῦν... ὁ αὐτὸς δὲ εἶπεν ἀΐδιον εἶναι τὸ πᾶν καὶ οὐ γενόμενον, γαὶ σφαιροειδὲς καὶ ὅμοιον ... καὶ ἀχίνητον καὶ πεπερασμένον. (4) Απιστοτε, Μέὲ., I, v. Cf. JL, 1v.

(5) V. 128. ἐν δὲ μέσῳ τούτων Δαίμων ἤ πάντα κυθερνᾷ. (6) Tnéorurasre, De 5εη5ε, ὃ 94. τὸ αἰσθάνεσθα : καὶ τὸ φρονεῖν ὡς ταὐτὸ λέγει. ΟΓ. ΛΑΙΦΤΟΤΕ, Met., IN, v.

PSYCHOLOGIE DE PARMÉNIDE

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flexibles, telle est la nature de son intelligence ; car ce qui pense chez les hommes, dans tous et dans chacun, c’est la nature des membres : ce qui prédomine est la pensée (4) ». En d’autre termes, telle est pour chaque homme la crâse ou le mélange des parties de son corps, telle est la nature de son intelligence (vios) ; ce qui pense (gpovéet) en nous, c’est l’assemblage des membres de notre corps (5). Le résultat, ou la pensée (vémux), c’est l’élément qui prédomine (5xéy) dans le mélange. Ainsi que l’interprète THÉéoPHRASTE, selon que l’un ou l’autre élément, le feu ou la terre, le chaud ou le froid, τὸ epyèv n td 4uys59, l’emporte dans la crâse, la pensée est mo- ἀἱῇός, ἀθνιεπί αιιῖγθ (ἄλλην γίνεσθαι τὴν διάνοιαν) ; celle qui résulte de la « prédominance de l’élément chaud, est meilleure et plus pure » ; encore faut-il quelque proportion dans le mélange. La mémoire (uviun) et l’oubli (xf6r) sont également des effets de la nature de cette crâse (Gt τῆς xpäsews). « Mais, quand ces éléments seront également mélangés, la pensée en résulterat-elle ou non et de quelle nature sera-t-elle ? Voilà, remarque THÉOPHRASTE, ce que PARMÉNIDE ne définit point. »

Mais il demeure acquis à l’histoire de l’intelligence humaine que, suivant PARMÉNIDE, les perceptions et les pensées sont telles ou telles, les souvenirs se conservent ou se perdent, selon que l’élément chaud ou ‘élément froid prédomine dans le tempérament du corps. 1l a cherché dans la chaleur le principe de la vie et de la raison. La diminution de la chaleur amène le sommeil et la vieillesse des organismes. Là même où la chaleur manque complètement, dans le cadavre, PARMÉNIDE admettait encore l’existence d’un certain degré de sensibilité ; seulement cette sensibilité obscure devait se rapporter, non à la lumière et à la chaleur, mais uniquement au froid et à la terre. C’est que, pour PARMÉNIDE, « tout ce qui existe, d’une manière absolue, a quelque connaissance », καὶ ὅλως dE räv to dv Éyew tva yrücw (THÉOPHR., 4), paroles d’une admirable profondeur, et qui sont bien dans l’esprit de l’hylozoïsme, d’après lequel tout ce qui existe, à quelque degré, sent et perçoit, peut-être pense, en tout cas connaît, sentir et penser étant même chose. THÉOPHRASTE compte PARMÉNIDE parmi ceux qui font naître la perception ou la connaissance de l’analogie de l’objet et du sujet, ou de l’homogénéité des parties qui sentent et connaissent et de ce qui est senti et 6ΟΠΠΙΙ, γνῶσις τοῦ QG) V. 146-9.

ὡς γὰρ ἑχάστῳ ἔχει κοᾶσις μελέων πολυπλάγκτων (πολυκάμπτων AnIsT.) τὼς νόος ἀνθρώποισι παρέστηχεν’ τὸ γὰρ αὐτό

ἐστιν ὅπερ φρονέει μελέων φύσις ἀνθρώποισι

χαὶ πᾶσιν καὶ παντί. τὸ γὰρ πλέον ἐστὶ νόημα.

(2) Murzacu explique bien ainsi le sens du vers 148 : membrorum compages est id ipsum quod sapit, sive voÿs ipse.

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LE SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

ὁμοίου τῷ ὁμείῳ. (εδ ὰ Ἰα γαΐδοη (λόγος) qu’il appartient de juger des choses ; les sens, qui nous les représentent sous la forme de la pluralité et du changement, de la naissance et de l’anéantissement, sont la cause de toutes nos erreurs. ZELLER à noté que PARMÉNIDE a ainsi préparé, de concert avec HÉRACLITE et XÉNOPHANE, une distinction dont l’importance grandira toujours avec le temps pour la théorie de la connaissance. Ajoutons que PARMÈNIDE semble avoir aussi admis l’existence des pores (πέροι) dans les organes des sens pourexpliquer les perceptions des sens(r). ARISTOTE avait soumis cette théorie à un examen critique qui ne manque point de finesse. La voici. Parmi les philosophes, EuPÉDocLr, par exemple, les uns pensent que, lorsqu’il y a passion (résyew), l’agent qui produit l’effet pénètre par certains pores ou conduits (à rtvuy répwv) : c’est ainsi, disent ces philosophes, que nous voyons, que nous entendons, et que nous éprouvons toutes nos autres sensations, ainsi qu’on peut voir au travers de l’air, de l’eau et des choses diaphanes (2). Ces pores, invisibles à cause de leur petitesse, sont d’ailleurs fort serrés et rangés dans un ordre régulier : πόρους ἀοράτους μὲν διὰ ρικρότητα, πυχνοὺς δὲ καὶ κατὰ στοῖϊχον. Ainsi que PARMÉNIDE, Empédocle d’Agrigente explique la pensée, comme loutes les autres fonctions de la vie, par le mélange’des substances ou éléments entrant dans la composition des corps. Lui aussi enseigne que le semblable ne peut être connu que par le semblable (4 nos 7 :55 Euoisu 18 éueiw) : nous ne pouvons connaître les choses, c’est-à-dire les éléments dont les choses sont faites, que parce que les parties de notre corps ont la même constitution élémentaire que celles-là. Bref, il nous faut participer des choses pour les connaître (3) ; connaître implique soit l’identité, soit l’analogie de substance du connu et du connaissant, de l’objet et du sujet (4). Nous dirions aujourd’hui, comme on l’a écrit, qu’il n’y a point dans la nature de borne miliaire séparant les domaines de la nature et de l’esprit. Mais la nature et l’esprit, le corps et l’âme, le matériel et le spirituel, n’ont pas été plus distingués chez EMrÉDocLE, au v° siècle, que dans aucun penseur antique de l’Hellade. On connait les vers célèbres par lesquels Emrébpocze exprime la doctrine de la connaissance du semblable par le semblable, doctrine impliquant (1) Sros, Floril., IV, 235,

(2) AnisrorTe, De gener. et corrupt., À, vit, 1. καὶ τοῦτον τὸν τρόπον καὶ ὁρᾶν καὶ ἀχούειν ἡμᾶς φασὶ καὶ τὰς ἄλλας αἰσθήσεις πάσας, ἔτι δὲ ὁρᾶσθαι διά τε ἀέρος καὶ ὕλατος καὶ τῶν διαφανῶν ... δ. πάσχειν διὰ πόρων.

(9) Ώεχτυς Ἐνν., αἄν. Μαίμ., Ἱ, δοδ.γ ΠΠ. 92. 121. (4) Tuéornrasre, De sensu. 10.

IDENTITÉ DE LA SENSATION ET DE L’INTELLIGENCE 37

que tout ne nous est connu que par ce qui en nous lui est semblable : « Par la terre nous connaissons la terre ; l’eau par l’eau ; par l’atr, l’air divin ; par le eu, le feu qui consume ; par l’amour, l’amour ; et la discorde par la discorde funeste. C’est de ces choses que tout est assemblé et construit ; c’est par elles que l’on connaît, que l’on éprouve du plaisir et de la douleur(r) ».

L’ancienne théorie que consacrent ces vers est encore attribuée à PLATON par ARISTOTE : « C’est ainsi, dit le Stagirite, que, dans le 7mée, PLATON fait venir l’âme des ό]όπιεηίς (τὴν φυχῆν ἐκ τῶν στοιχείων ra) : le semblable est connu par le semblable et les choses viennent des principes. » (De an., I, 11). Or, prétendre connaître le semblable par le semblable, c’est, ajoutait ARISTQTE, avec sa pénétration coutumière, « prétendre que l’âme est en quelque sorte les choses elles-mêmes (2) ». Comme PARMÉNIDE et ANAXAGORE et tous les anciens physiologues, ΕΝΜΡέΡΟΟΙΕ admettait que penser et sentir sont la même chose (cf y”apyaïe ! td gpove vai τὸ αἰσθάνεσθχι ταὐτὸν εἶναί φχσω, ὥσπερ καὶ ̓Βμπελοκλῆς...) (3). À ce sujet le Stagirite cite ces trois vers d’Empédocle : « La présence des objets augmente chez les hommes la faculté de connaître. Autant les hommes changent physiquement, autant leurs pensers changent et se transforment » (4). Ainsi, ce que les sens perçoivent immédiatement est ce que l’homme saisit et comprend avec le plus de force ; il en résulte que la sensation (αἴσθησις) ne diffère point de l’intelligence (aus ou gpsmas). Les deux derniers vers doivent être rapprochés, comme l’a fait ARISTOTE, des vers de PARMÉNIDE que nous avons cités sur les rapports de dépendance de la nature de nos perceptions et de nos idées et du mélange des éléments constituants de notre corps. Le nombre des éléments a été porté pour la première fois à quatre par EMPÉDOGLE (sroyeta téttaox), en ajoutant aux trois autres la terre (y#v.... vétaprev) (Mét., I, 1v), a : écrit ArisroTE. C’est d’eux qu’est sorti tout ce qui a été, tout ce qui est et sera, s’écrie EmPépoce (5). Ces éléments sont ( :) Emrépocee. Carmina (MucLacu), v. 378-832. vain μὲν γὰρ γαῖαν ὀπώπαμεν, ὕδατι δ́’ ὕδωρ, αἰθέρί δ’ αἰθέρα δῖον, ἀτὰρ πυρὶ πῦρ ἀΐδηλον, στοργῇ δὲ στοργην. νεῖκος δέ τε νείχεῖ λυγρῷ : ἐκ τούτων γὰρ πάντα πεπήγασιν ἁρμοσθέντα,

TOY ?

καὶ τούτοις φρονέυυσι καὶ ἤδοντ́ ἠ2̓ ἀνιῶνται. (3) Ρε απ., ]. ν, ὅ. ... ὥσπερ ἂν εἰ τὴν φυγὴν τὰ πράγματα τιθέντες. (3) De an., HE, nr, 1. Mét., LV, v.

(4) V. 375-7.

πρὸς παρξὸν γὰρ μῆτις αέξεται ἀνθρώποισ.ν

ὅσσον τ́ ἀλλοῖοι μετέφυν, τόσον ἄρ σφισιν αἰεὶ καὶ τὸ φρονεῖν ἀλλοῖα παρίστατο.

(6) ΕπρένοοιΕ, ν. 50 6ᾳ. Τέσσαρα τῶν πάντων ῥιζώματα. Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/54 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/55 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/56 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/57 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/58 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/59 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/60 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/61 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/62 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/63 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/64 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/65 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/66 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/67 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/68 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/69 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/70 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/71 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/72 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/73 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/74 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/75 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/76 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/77 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/78 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/79 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/80 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/81 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/82 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/83 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/84 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/85 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/86 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/87 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/88 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/89 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/90 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/91 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/92 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/93 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/94 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/95 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/96 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/97 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/98 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/99 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/100 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/101 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/102 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/103 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/104 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/105 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/106 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/107 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/108 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/109 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/110 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/111 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/112 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/113 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/114 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/115 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/116 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/117 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/118 LE MYÉLENCÉPHALE

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voir, « ainsi qu’une terre labourée, la semence divine », c’est-à-dire l’âme intelligente ; 2° le reste de la moelle, devant contenir le reste de l’âme, ou la partie mortelle, segmenté en formes « rondes et allongées », portant le nom commun de moelle (uverés). Ce sont là les ancres auxquelles sont attachés les liens qui unissent les trois âmes. Le corps fut construit autour de ce myélencéphale après que celui-ci eut été muni d’un revêtement osseux, tels que les os du crâne et les vertèbres cervicales, dorsales, etc. (Tim., 73 B). Quant à ces « liens », c’étaient les veines et les ligaments, faisant encore office de nerfs. Ce que PLATON appelle nerfs, en effet, ce sont les tendons, les ligaments, les aponévroses. Aussi dit-il positivement que « la tête est dépourvue de nerfs » (Tim., 795 C){1). Le cerveau, siège de l’intelligence, n’est pas ici le siège des perceptions, comme chez ALCMÉON. Quand cet ébranlement de l’air qu’on nomme le son, dit-il, frappe l’organe de l’ouïe, c’est-à-dire l’air contenu dans l’intérieur de l’oreille, de petites veines pleines de sang, traversant le cerveau, portent la sensation au foie, siège de l’âme sensitive (THÉoPHR., De sensu, vi, 85). De même pour le goût, etc. Il reste toujours que, chez l’auteur du Timée, il y a, non pas un centre psychique, l’encéphale ou le cœur, mais des centres psychiques hiérarchiquement subordonnés, nettement localisés dans la moelle épinière, la moelle allongée et le cerveau.

La même théorie a été l’origine de quelques vues intéressantes de physiologie générale chez PLATON, relativement à la vie des végétaux. Des théories analogues, plus ou moins raisonnées, paraissent avoir été soutenues par EMPÉDOCLE, DÉMOCRITE, ANAXAGORE, ainsi que nous l’avons rappelé. Voici comme s’exprimait GALIEN à ce sujet, dans son commentaire sur le Timée (2) :

« Nous avons déjà montré plus haut (dans la partie perdue du commentaire) que P14-TON avait eu raison d’appeler les plantes (rà qur&) des animaux (&&zx). » Partant de ce principe que l’âme est le principe du mouvement (+rhv ψυχὴν ἀρχγὴν εἶναι κινήσεως), οἱ que les plantes ont en elles la source de leurs mouvements, on les appellera à juste titre animées (éuvuya). « Or tous les hommes appellent animal un corps animé. Lors mème (1) PLaron, remarque Gaz1En, dit qu’il n’y a point de nerfs dans la tête, parce qu’il ne connaissait pas les nerfs volontaires ; il ne sait même pas que la sensation est produile dans la tète par les nerfs (μὴ γινώσχων μηδ’ ἐνταῦθα διὰ νεὔρων τὰς αἰσθήσεις yivouévas), ignorance d’ailleurs partagée aussi par quelques anciens médecins. « Mais il n’est pas étonnant que PLaToN, de mème qu’HoMère, ait ignoré l’anatomie (ra xata tas avarouas &yvoñoat). » Fragments du commentaire de Galien sur le Timée de Platon, p. 17.

(2) Gauien. Fragments du commentaire sur le Timée de Platon, publ. pour la première fois par Cu. DarEusErG. Paris, 1848.

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LE SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

qu’on croirait, avec AnisrorTe (1), que, pour mériter le nom d’animal, il ne suffit pas d’être animé, mais qu’il faut encore jouir de la sensibilité (xisônrixèv), on reconnaîtrait que mème les plantes ne sont pas dépourvues de cette propriété. Car nous avons montré, dans l’ouvrage Sur la substance des forces physiques, que les plantes ont la faculté de distinguer les subtances avec lesquelles elles ont de l’affinité, et qui les nourrissent, de celles qui leur sont étrangères et qui leur nuisent ; que, par conséquent, elles attirent les substances qui leur conviennent, rejellent et repoussent celles qui leur sont étrangères. Pour cette raison, PLarox dit que les plantes ont une sensibilité spéciale, car elles distinguent ce qui est en rapport avec elles de ce qui ne leur convient pas (2). Aussi PLaron déclare t-il que des trois espèces d’âmes, la troisième espèce, la concupiscible (ray érudvunrxév), esl la même dans les animaux el dans les plantes. Placée, chez les premiers, entre le diaphragme et le nombril, dans le foie, elle ne peut avoir ni opinion, ni raison ni intelligence ; toutefois clle procure des sensations agréables et pénibles avec des désirs, et, sans raisonner, elle discerne, comme dans les végétaux, les substances qui conviennent ou ne conviennent pas à la nutrition.

Hippocrate et les HippocraTisTes du siècle de Périclès croyaient en général l’encéphale humide et froid. « L’encéphale est de nature froide et solide » (De l’usage des liquides, $ 2). « Le cerveau est la métropole du froid et du νίδᾳιιθιιΧ, ὁ δὲ ἐγχέφαλος ἐστι μητρόπολις τοῦ ψυχροῦ καὶ τοῦ κολλώδεος (Des chairs, $ 4). « Le cerveau est humide (6 éyxépahos bypés ἐστι) et entouré d’une membrane (p#xyË) humide et épaisse » (Ibid., $ 16). La fonction de la vue est entretenue par l’humidité .qui lui vient de l’encéphale par le canal des petites veines ; si ces veines viennent à se dessécher, la vue s’éteint. Cette humeur est des plus pures. Voici d’ailleurs un texte, qui ne nous renseigne pas seulement sur l’opinion des médecins grecs du v° siècle touchant la nature de l’encéphale, mais aussi sur l’état de leurs connaissances relatives à l’œil. « Quant aux yeux, de petites veines se portent de l’encéphale à la vue par la méninge enveloppante (rat ëç robs ὀφθαλμοὺς φλεδία λεπτὰ ἐς τὴν ἔψιν ἐκ τοῦ ἐγκέφαλου δ.Χτῆς μήνιγγος τῆς περιεχούσης φέρονται)» ces petites veines nourrissent la vue par l’humidité la plus pure provenant de l’encéphale : on se mire dans les yeux. » (Des lieux dans l’homme). Dans le traité des Chairs, $ 17, on lit aussi : « La vision est ainsi : une veine (oxé}) partie de la membrane du cerveau se rend à chaque œil au travers de l’os. » Il n’est point douteux pour nous que ces « veines » soient les nerfs (1) De part. anim., WI, 1v. De an. gener.. I, 11. De juv. et δεη6οΙ., Ἱ. τὰ γὰρ φυτὰ ζῇ μέν, οὐκ ἔχει δ̓ αἴσθησιν, τῷ δ̓ αἰσθάνεσθαι τὸ ζῷου πρὸς τὸ μὴ ζῷον διορίζομεν. (2) Δέδειχται γὰρ ἡμῖν ἐν τοῖς περὶ [οὐσίας] τῶν φυσικῶν δυνάμεων ὑπομνήμασι, γνω- ριστικὴν δύναμιν ἔγειν αὐτὰ τῶν τ̓ οἰκείων οὐσιῶν, ὑφ̓ ὧν τρέφεται, τῶν τ’ ἀλλοτρίων, ὑφ̓ ὧν βλάπτεται καὶ διὰ τοῦτο τὰς μὲν οἰχείας ἕλχειν, τὰς δ̓ ἀλλοτρίας ἀποστρέφεσθαι χαὶ ἀπωθεῖσθαι, καὶ διὰ τοῦτ̓ οὖν ὁ Πλάτων εἶπεν αἰσθήσεως γένους ἰδίου μετέχειν τὰ φυτά : τὸ γὰρ οἰχεῖον τε χαὶ ἀλλότριον γνωρίζει.

ANATOMIE, PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE DE L’ENCEPHALE

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optiques entourés de leur gaine durale. C’est ce que ArisroTe, dont la doctrine sur les rapports de l’œil et de l’encéphale apparaît ici en quelque sorte à l’état naissant, a connu également, selon moi ; il désigne seulement les nerfs optiques par le mot rép : ou canaux, expression qui d’ALCMÉON à GaLitEN, et bien après encore, a servi à nommer les nerfs de sensibilité. Mais c’esl surtout dans le traité des Glandes ($ ro et 11), d’origine cnidienne (LiTTRÉ), qu’il convient d’étudier les idées d’’HiPPOCRATE sur la nature du cerveau.

On sait que, dans la doctrine hippocratique, les glandes sont chargées d’absorber et d’éliminer le superflu du liquide qui surabonde dans le corps. HiPPOCRATE compare le cerveau à une glande, non seulement quant à son aspect, mais pour : sa fonction : « Le cerveau est semblable à une glande (xrèv ἐγχέφαλον txshov 43ên) ; en effet, le cerveau est blanc, friable comme les glandes. » Ἡ rend à la tête les mêmes offices que ces organes : il délivre la tête de son humidité et renvoie aux extrémités le surplus provenant des flux. C’est même parce que le cerveau, à l’aise dans le large espace qu’est la tête, est une glande plus grosse que les autres, que « les cheveux sont plus longs que les autres poils », des aisselles ou des aines par exemple. La gravité des maladies que cette glande produit la distingue encore des autres glandes. Outre les sept catarrhes qui partent du cerveau, cet organe lui-même est exposé à deux affections selon que la matière retenue est âcre ou ne l’est pas : dans le premier cas, c’est l’apoplexie, avec convulsions généralisées et aphasie ; dans le second, le délire et les hallucinations. « Si l’encéphale est irrité (par l’âcreté des flux), il y a beaucoup de troubles, l’intelligence se dérange (6 νόος ἀφράίνει), le cerveau est pris de spasmes et convulse le corps tout entier ; parfois le patient ne parle pas ; il étouffe : cette affection se nomme apoplexie. D’autres fois le cerveau ne fait pas de fluxion âcre ; mais, arrivant en excès, elle y cause de la souffrance ; l’intelligence se trouble et le patient va et vient pensant et croyant autre chose que la réalité, et portant le caractère de la maladie dans des sourires moqueurs et des visions étranges (r). » En même temps que la doctrine de la nature froide et humide de l’encéphale, on rencontre chez les Hippocratistes la croyance, fort ancienne, également adoptée par AnisTorTe et élevée à l’état de dogme scientifique jusqu’à la fin du xvinr° siècle, des rapports du sang avec l’intelligence. « Selon moi, dit l’auteur du traité des Vents ($ 14), de tout ce que renferme le corps, rien ne concourt plus à l’intelligence que le sang, undèy eva μᾶλλον (1) Œuvres, éd. Lrrrré, vu, 565. Cf. Franz Sparr. Die geschichtliche Entwickelung der sogenannten flippokratischen Medicin im Lichte der neuesten Forschung. Berlin, 1897.

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τῶν ἐν τῷ σώματι ξυμβαλλόμευον ἐς ppévmaty À rà aux. » L’auteur connaissait un grand nombre d’exemples où les modifications du sang modifient l’intelligence. Et au premier livre des Maladies : « Le sang dans l’homme apporte.la plus grande part de l’intelligence, quelques-uns mème disent qu’il l’apporte tout entière, ëner δὲ λέγουσι τὸ πᾶν. » Α cet égard, l’auteur du traité du Cœur ($ 10 et 11) est encore le maître de DEscanTEs, de WiLuis, de VIEus-SENS. Ce que ces maitres de la science et de la pensée moderne ont appelé, après GALIEN, les esprits animaux, n’était, on le sait, que le sang artériel débarrassé de tous ses éléments impurs (cruor, serum), enlevés par les veines et par les glandes de l’encéphale, et distillé ou rectifié au delà de toute expression dans son passage à travers les fins canaux sanguins des plexus choroïdes et de l’écorce cérébrale, comparés par WiLLis aux serpentins des alambics. L’auteur du traité du Cœur dit, en effet, que « l’intelligence de l’homme est innée dans le ventricule gauche et commande au reste de l’âme, your γὰρ ἡ τοῦ ἀνθρώπου πέφυκεν ἐν τή λαιῇ κοιλίη κχὶ ἄρχει τῆς ἄλλης φυχῆς. » Ότ le ventricule gauche du cœur ne contient pas de sang ; cela résulte du moins d’une vivisection pratiquée par ce médecin : « Sur un animal égorgé, ouvrez, dit-il, le ventricule gauche, et tout y paraîtra désert, sauf un certain ichor, une bile jaune etles membranes dont j’ai parlé. Mais l’artère n’est pas privée de sang, non plus que le ventricule droit » ($ 10-11). Ainsi le ventricule gauche ne contient pas de sang ; ses valvules empêchent que le sang de l’aorte n’y pénètre ; il reçoit bien l’air par les veines, mais sa nourriture véritable, il la tire d’une « superfluité pure et lumineuse qui émane d’une sécrétion du sang », et c’est pourquoi ce ventricule est le siège du feu inné et de l’intelligence. Si l’on prend garde au sens de ces trois ou quatre expressions du vieil auteur hippocratiste, xadapñ, puroets, diénpiats Tob aluatee, On aura comme le sommaire et l’abrégé des doctrines qui, pendant plus de deux mille ans, ont expliqué la nature de l’âme raisonnable et des esprits animaux par une sorte de feu, de « flamme très vive et très pure » (DESCARTES), résultant de la séparation ou distillation des éléments du sang.

Les médecins grecs du v° siècle estimaient que la moelle épinière ou dorsale provient du cerveau {Des maladies, 1, $ 5 ; Des chairs, $ 4) et que les méninges, l’une supérieure, plus épaisse, l’autre ténue, appliquée sur le cerveau, enveloppent l’encéphale. Sous le nom de cordons (réva), ils possédaient quelques vagues notions des nerfs (n° livre des Épidémies. Œuvres, v, 125). La connaissance des rapports entre les symptômes cliniques des affections du cerveau et de la moelle et les lésions connues de ces parties, quoique les faits fussent souvent bien observés, ne modifia en rien l’opinion traditionnelle sur la nature et les fonctions de l’encéphale. On savait que, dans les blessures du cerveau ducs soit à des acciLA MALADIE SACRÉE

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dents, soit à des interventions chirurgicales (trépan, etc.) sur cet organe dans les plaies de la tête, des convulsions ou des paralysies se produisent du côté du corps opposé à la lésion, et que la perte de la parole accompagne quelquefois ces paralysies (Prénotations de Cos, xxvur, 488-490). Les malades deviennent aussi « sans voix » à la suile de commotions et de congestions cérébrales {(Aphorismes, $ 58). A l’épilepsie, chez les jeunes enfants, succèdent quelquefois des paralysies locales et des contractures (De la maladie sacrée, 8) ; l’atrophie musculaire succède également à la paralysie dans la partie affectée {Prorrhétique, $ 39). Dans les plaies de la téte et dans les traumatismes opératoires, les convulsions qui peuvent éclater sont également croisées : elles dépendent bien du cerveau (Des plaies de la tête, $ 13, etc. ; Des Glandes, vin, 567).

Enfin le délire et les troubles de l’intelligence étaient nettement rattachés aux phlegmasies cérébrales et aux traumatismes cräniens. On trouve aussi chez ces médecins grecs une idée qui reparait chez ARISTOTE, mais exagérée et déformée au point d’avoir induit, selon tous les critiques, le philosophe en ane grave erreur ; c’est que « l’encéphale est plus sur le devant de la tête que sur le derrière » (Des maladies, 11, 8). C’est là un fait d’observation ; mais ce qui n’en est pas un, c’est de soutenir, comme l’a fait le Stagirite, que, chez tous les animaux, « le derrière de la tête est vide et creux » (H. A., 1, xut), et cela lorsqu’il signale d’ailleurs la forme et la structure du cervelet. Mais, en rapprochant la lettre de ce texte de celle d’un passage que nous citerons et dans lequel ArisToTE parle des ventricules latéraux et moyen, passage où le même mot est employé, j’avais. supposé qu’ARtSTOTE avait désigné ici le quatrième ventricule ou ventricule du cervelet ; j’abandonne cette hypothèse. L’auteur du traité sur la Maladie sacrée fait décidément entrer dans la science la doctrine qui localise les fonctions intellectuelles et morales dans le.cerveau. Un autre point de doctrine bien établi dans ce traité, et qui n’a pas eu moins de peine à triompher(si tantest qu’il ait vaincu, même en Europe, l’ignorance et la superstition), c’est que toutes les maladies sont de cause naturelle, que l’épilepsie n’est pas plus « sacrée » que n’importe quelle autre névrose ou psychose, et que les sensations, les passions et l’intelligence dépendent du cerveau. Tant que le divin ou le surnaturel intervient en quoi que ce soit dans les événements du monde et de la vie, il n’y a point de science de la nature. Lorsque la foudre éclatait dans les cieux embrasés, quand les comètes apparaissaient, que le soleil ou la lune s’éclipsait, dit DÉMOCRITE, dans un fragment que nous avons cité, les hommes des anciens jours s’effrayaient, convaincus que les dieux étaient les auteurs de ces prodiges. Pour que la science püût apparaître, il fallait écarter résolument toutes les interprétations anthropomorphiques et religieuses de la nature : c’est ce qu’a fait l’auteur du traité sur la Maladie sacrée.

Le cerveau, dit-il, chez l’homme comme chez les autres animaux, est double ; le milieu en est cloisonné par une membrane mince. Des veines y arrivent de tout le corps, nombreuses et menues, mais deux grosses surtout, l’une du foie, l’autre de la rate : ce sont des soupiraux du corps qui aspirent l’air ; elles le distribuent partout à l’aide de petites veines. C’est l’air, en effet, qui donne l’intelligence au cerveau. On reconnaît les doctrines d’Anaximène et de Diogène d’Apollonie. « Quand l’homme attire en lui le souffle, ce souffle arrive d’abord au cerveau, et c’est de cette façon qu’il se disperse dans le reste du corps, laissant dans le cerveau sa partie la plus active, celle qui est intelligente et connaissante. » Si, en effet, continue l’auteur, l’air se rendait d’abord dans le corps, pour parvenir de là au cerveau, il laisserait l’intelligence dans les chairs et dans les veines, il arriverait échauffé au cerveau, et il y arriverait non pur, mais mêlé avec l’humeur provenant des chairs et du sang, de sorte qu’il n’aurait plus ses qualités parfaites[23]. Pour ces raisons, il regarde le cerveau, lorsqu’il est sain, comme l’organe qui dans l’homme a le plus de puissance (δύναμιν πλείστην). C’est par le cerveau que nous pensons (καὶ τουτῳ φρονεῦμεν) (§ 14), que nous comprenons (νοεῦμεν), que nous voyons et entendons, que nous connaissons le beau et le laid, le mal et le bien, l’agréable et le désagréable, le plaisir et le déplaisir. Mais si le cerveau n’est pas sain, s’il est trop chaud ou trop froid, trop humide ou trop sec, c’est par lui également que nous délirons (τῷ δὲ αὐτῷ τούτω καὶ μαινόμεθα καὶ παραφρονένομεν), que des craintes et des terreurs nous assiègent, que des songes et des soucis sans motifs nous tourmentent. Selon que l’altération du cerveau dépend de la pituite ou de la bile, les aliénés sont calmes, déprimés et anxieux, ou bruyants et malfaisants (§ 15). Comme le cerveau est l’interprète de l’intelligence (τὸν ἑρμηνεύοντα), et que l’intelligence provient de l’air, dont le premier il reçoit l’impression, s’il arrive quelque changement notable dans l’air, par l’effet des saisons, le cerveau est exposé aux maladies les plus aiguës, les plus graves, les plus dangereuses, et de la crise la plus difficile pour les médecins inexpérimentés. Quant au diaphragme (αἱ φρένες), c’est bien au hasard qu’il doit son nom, car il n’a rien à faire avec la pensée et l’intelligence (φρονέειν), non plus d’ailleurs que le cœur, quoique quelques-uns disent que nous pensons par le cœur (λέγουσι δέ τινες ὡς φρονέομεν τῇ καρδίῇ) et que cet organe est ce qui cause le chagrin et les soucis. Il n’en est rien (§ 17). Sans doute, par l’effet d’une joie vive ou d’une violente peine, le cœur se contracte comme le diaphragme « tressaille et cause des soubresauts ». Mais ni l’un ni l’autre n’a part à l’intelligence : seul, le cerveau est l’organe ou l’interprète de l’intelligence[24].

  1. Chalcidius, Comment. in Timaeum Plat., CCXLIV. Alcmaeus Crotoniensis, in physicis exercitatus, quique primus exsectionem aggredi est ausus. Galien, De histor. philos. (Kühn, XIX, 222 sq.). Fragmenta philosophorum graecor. (Mullach), II, LV, 114 et 255.
  2. Αristote, Μét., I, v, καὶ γὰρ ἐγένετο τὴν ἡλικίαν Ἀλκμαίων ἐπὶ γέροντι Πυθαγόρα. Ces mots semblent interpolés ; ils ne sont pas dans tous les manuscrits ; les commentateurs grecs de la Métaphysique n’en font pas mention. Cf. Diogène De Laerte, VIII, v. L’écrit qu’Alcméon avait composé sur la nature, et qui nous a conservé le nom de son père, commençait ainsi : Ἀλμαίων Κροτωνιήτης ταδ’ ἔλεξε, Πειριθόου υἱός... Les premiers mots de cet écrit, cité par Diogène d’après Favorinus, où Alcméon dédie son œuvre à Brontinus, Leo et Bathylius, semblent témoigner que l’époque indiquée est exacte. (Unna, Krische, Zeller, Die Philosophie der Griechen, 3te Aufl., I, 422.) La tradition lui attribua longtemps d’avoir le premier écrit un de ces traités περὶ φύσεως déjà assez nombreux aux VIe et ve siècles. Δοκεῖ δὲ πρῶτος φυσικὀν λόγον συγγεγραφέναι, dit Diogène. Clément d’Alexandrie, Strom., I. 308. Théodoret, Serm., I. Diogène et Clément désignent cet ouvrage d’Alcméon sous le nom de φυσικὀς λόγος. Galien l’appelle περὶ φύσεως (in Hippocr. de elem. (Kühn, I, 487) ; in Hippocr. de nat. hom. XV, 5), titre que les anciens ont donné, dit-il, presque tous à leurs écrits sur ce sujet : τὰ γὰρ τῶν παλαιῶν ἅπαντα περὶ φύσεως ἐπιγέγραπται, τὰ Μελίσσου, τὰ Παρμενίδου, τὰ Εμπεδοκλέους, Ἀλκμαίωνος. Relativement à Alcméon, Anaximandre et Anaximène, peut-être même Héraclite, sans parler de Xénophane, ont certainement écrit des περὶ φύσεως avant le physiologue de Crotone.
  3. Aristote, H. A., I, XI ; VII, I. De generat. anim., III, III. Diogène, dans son Catalogue des œuvres d’Aristote (V, I ) : πρὸς τὰ Ἀλκμαίωνος α´. A propos des phénomènes de croissance et de développement physiologique, Alcméon de Crotone aurait comparé, au dire d’Aristote, l’apparition des poils de la puberté à la floraison des plantes, époque qui précède celle où les végétaux portent leurs semences (II. A., VII, I, I).
  4. Pseudo-Plutarque, Placita, V, 14, 1 : 16, 8. Censorinus, c. 5 et 6. Il n’en est pas de même d’une opinion qui lui est attribuée, d’après laquelle l’enfant, durant son séjour dans l’utérus, mangerait par la bouche. V. Oribase, Œuvres (Bussemaker et Daremberg), III, 156. Livres incertains. Partie inédite.
  5. Pseudo-Plutarque. Plac., V, 17, 3., Ἀλκμαίων τὴν κεφαλὴν ἐν ᾗ ἐστι τὸ ἡγεμονικόν. Selon Alcméon, la semence vient du cerveau ; elle en est une partie (ἐγκεφάλου μέρος). Ibid, V, 3, 3.
  6. Cf. Théopraste, de sensu, 25-26. L’olfaction se produit par les narines en même temps que, par la respiration, le souffle est porté au cerveau :τὸ πνεῦμα πρὸς τὸv ἐνγκέφαλον.
  7. Fragm. 3, 4, 5. L’eau et le feu sont les conditions de la vision ; ce qui prouve que les yeux contiennent du feu (πῦρ), c’est que par l’effet d’un choc ou d’un coup on y perçoit des étincelles, disait Alcméon.
  8. Théophr., De sensu et sensib., 26. « Tous les sens sont en quelque façon en rapport avec le cerveau » : ἀπάσας δἑ τὰς αἰσθήσεις συνηρτῆσθαι πως πρὸς τὸν ἐγκέφαλον.
  9. papyrus Ebers. Das hermetisches Buch über die Arzeneimittel der alten Ægypter in hieratischer Schrift... Leipz., 1875, I, 32.
  10. F. Chabas. Notice du papyrus médical Ebers. Châlon-sur-Saône, 1876, p. 7.
  11. papyrus Ebers. Glossarium hieroglyphicum quo medicinalis hieratici... vocabula collegit... Ludovicus Stern, II, p. 60, χait, « lymphe ». (Cf. les papyrus médicaux de Berlin et de Londres.) Le « sang » est appelé senef, senefu, p. 39.
  12. Dans le conte égyptien des Deux Frères, monument de la littérature pharaonique du XVe siècle avant notre ère, composé par le scribe Enna, Bataù, l’un des deux frères, ayant bu l’eau du vase d’eau fraîche où son cœur avait élé plongé « revient à la vie », le cœur ayant repris sa place. Le cœur a ici l’importance biologique que lui attribue Aristote. V. notre étude sur les Contes et Romans de l’ancienne Égypte. Jules Soury, Études historiques sur les religions, les arts, la civilisation de l’Asie anterieure et de la Grèce. Paris, 1877, p. 153.
  13. Τhéophraste, De sensu, 26. Διὸ καὶ πηροῦσθαι, κινουμένου καὶ μεταλλάττοντος τὴν χώραν𐄁 ἐπιλαμθάνεσθαι γὰρ τοὺς πόρους δι’ ὧν αἱ αἰσθήσεις.
  14. Fragm. 1
  15. Fragm. 2.
  16. Placita, V, 23, 1. ̓Ἀλκμαίων ἀναχώρησει τοῦ αἵματος εἷς τὰς ὀμοῤῥους φλέϐας ὕπνον γίνεσθαί φησι𐄁 τὴν δ̓ ἐξέγερσιν, διάχυσιν𐄁 τὴν δὲ παντελῆ ἀναχώρησιν, θάνατον.
  17. Aristote, Probl., ΧVΙΙ, 3. τοὺς γὰρ ἀνθρώπους φησὶν Ἀλκμαίων διὰ τοῦτο ἀπόλλυσθαι, ὅτι οὐ δύνανται τὴν ἀρχῆν τῷ τέλει προσάψαι.
  18. Comme les Ioniens, Alcméon tenait pour plane la surface du soleil et de la lune et leur attribuait une forme de nacelle ; il expliquait par un retournement du disque lunaire les éclipses de lune. Stob., Ecl. phys., 1, 526, 558.
  19. Aristote, Met., I, v.
  20. Aristote, Ibid. ἐοίκασι δ’ ὡς ἐν ὕλης εἴδει τὰ στοιγεῖα τάττειν; ἐκ τούτων γὰρ ὡς ἔνυπαργ όντων συνεστάνα : μαὶ πεπλάσθα : φασὶ την οὐσίαν.
  21. Théoph., De sensu, 25-26.
  22. Voici, d’après Sommer, la traduction entière de ce passage qui renferme comme la synthèse des différents systèmes des physiologues antérieurs à Socrate touchant la nature et la vie, la vie des plantes et des animaux, conçus comme des êtres vivants, sentants et pensants, selon la conception hylozoïsie de l’univers : « Jeune, j’étais enflammé d’un prodigieux désir de connaître ce qu’on appelle l’hisoire de la nature (περὶ φύσεως ἱστορίαν) ; car je trouvais grande et divine la science qui enseigne les causes de chaque chose (ειδέναι τὰς αἰτίας ἑκάστου), ce qui la fait naître, ce qui la fait mourir, ce qui la fait
  23. Œuvres, VI, 352.
  24. Cf. Paul FLechsig Gehirn und Seele, 1896, 36. « Dans le livre pseudo-hippocratique Sur la maladie sacrée (épilepsie) que des savants distingués attribuent à Polybe, le gendre d’Hippocrate, contemporain par conséquent d’Aristote, le cerveau est le centre des nerfs, l’organe central exclusif de l’âme pensante ; aussi les troubles de l’intelligence y sont-ils rapportés à des affections du cerveau. D’après Aristote, au contraire, c’est le cœur, organe unique, qui peut seul être le siège de l’âme également une : le cerveau, divisé en deux moitiés, n’est qu’en apparence relié aux organes des sens. Une génération à peine après Aristote, un médecin d’Alexandrie, Erasistrate, enseignait que les fonctions supérieures de l’intelligence de l’homme devaient dépendre de la plus grande complexité de ses circonvolutions cérébrales, par conséquent de la structure spéciale de son cerveau (Burdach). »