Le système nerveux central/03

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Georges Carré et C. Naud (p. 111-167).





ARISTOTE

« Entre les animaux, l’homme a le plus de cerveau (ἔχει δὲ τῶν ζῴων ἐγκέφαλον πλεῖστον ἄνθρωπος), en tenant compte de la proportion de sa taille : dans l’espèce humaine, les mâles en ont plus que les femelles, parce que, dans l’homme, la région qui comprend le cœur et les poumons est plus chaude et plus sanguine que dans tout autre animal... C’est donc à un excès de chaleur que s’opposent les excès d’humidité et de froid[1]. » Ce texte résume assez bien la doctrine d’Aristote sur les fonctions du cerveau. Ces fonctions ne sont point celles que, depuis Alcméon, nombre de naturalistes et de médecins grecs avaient plus ou moins nettement reconnues : l’encéphale n’est pas, pour Aristote, le siège des sensations, des passions et de l’intelligence. Le centre psychique, le siège principal des sensations et de la pensée, c’est le cœur. Aristote prétend même que le cerveau n’a rien de commun avec la moelle épinière : celle-ci est chaude naturellement, tout au contraire du cerveau. Le cerveau n’a aucune fonction psychique, il n’est, à cet égard, qu’un intermédiaire indispensable entre les sensations de la vue, de l’odorat, de l’ouïe et le cœur, où ces sensations aboutissent. Si l’homme a le cerveau le plus grand, c’est parce que le cœur et le poumon de cet animal sont plus chauds, et qu’à cet excès de chaleur la nature devait opposer un excès de réfrigération.



LE CŒUR

Sang, Poumon, Foie, Rate.


Ce qu’on nomme la physiologie du cerveau est donc proprement, chez Aristote, la physiologie du cœur, du sang et des poumons, car le degré de chaleur et en général la nature du sang domine toute la vie de relation des animaux et distingue foncièrement cette activité biologique dans ceux qui ont du sang et dans ceux qui n’en ont pas.

Les êtres les plus élevés en organisation, les plus autonomes, ont aussi les plus grandes dimensions : or, cela n’est pas possible sans chaleur vitale (ἄνευ θερμότητος ψυχικῆς), car ce qui est plus grand exige de nécessité une plus grande force pour se mouvoir, et c’est la chaleur qui détermine le mouvement, τὸ δὲ θερμὸν κινητικόν. Les plus parfaits sont ceux qui, de nature, ont le plus de chaleur et le plus d’humidité et qui ne sont pas terreux : τελεώτερα δὲ τὰ θερμότερα τὴν φύσιν καὶ ὑγρότερα καὶ μὴ γεώδη. Or, c’est le poumon qui, chez les animaux qui ont du sang, est l’appareil régulateur de la chaleur naturelle (τῆς δὲ θερμότητος τῆς φυσικῆς ὃρος ὁ πλεύμων). En général, les animaux qui ont un poumon sont plus chauds (θερμότερα) que ceux qui n’en ont pas[2]. Ainsi les animaux les plus chauds sont les plus parfaits, Aristote le répète : τὰ μὲν γὰρ τελεώτερα καὶ θερμότερα τῶν ζῴων. Et, dans le traité de la Respiration (ch. x) : « Les animaux les plus parfaits ont naturellement plus de chaleur que les autres ; et, par une conséquence nécessaire, ils doivent être doués en même temps d’une âme plus parfaite (ἃμα γὰρ ἀνάγχη καὶ ψυχῆς τετυχηχέναι τιμιωτέρας). » Ces êtres sont en effet plus parfaits que les végétaux. Voilà pourquoi les animaux qui ont le plus de sang dans le poumon et le plus de chaleur ont aussi des dimensions plus grandes, et celui qui possède le sang le plus pur et le plus abondant de tous les animaux, l’homme, a aussi l’attitude la plus droite (ὀρθότατον τὴν ἐστιν). C’est pourquoi, aussi bien que tout autre organe, le poumon doit être considéré, pour l’homme comme pour les autres animaux, comme une cause de ce qui le constitue essentiellement. Voilà pourquoi ces êtres ont un poumon. Il faut penser que la cause qui vient de la nécessité et du mouvement (c’est-à-dire la cause matérielle) a constitué ces animaux de cette façon, ainsi que beaucoup d’autres qui ne leur ressemblent pas. Car dans la constitution des uns il entre plus de terre, comme dans les plantes ; dans les autres plus d’eau, comme dans les aquatiques. Quant aux oiseaux et aux animaux terrestres, c’est l’air qui prédomine chez les uns, le feu chez les autres. Chacun d’eux a sa place assignée dans les lieux qui lui sont propres [3].

Comme le principe de la sensibilité et de la vie de l’animal entier réside dans le cœur,

PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE

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c’est le cœur qui, chez l’embryon, se forme en premier lieu : c’est le cœur que la vie abandonne aussi le dernier.

« ‘out d’abord c’est le principe qui est produit : chez les animaux qui ont du sang, c’est le cœur, dans les autres, l’analogue. Et cela est manifeste non seulement pour la sensibilité, qu’il (le cœur) existe d’abord, mais aussi quant à la fin. La vie l’abandonne donc le dernier. Or, toujours ce qui naîl le dernier est le premier à cesser d’être, et le premier est le dernier, comme si la nature faisait deux fois le tour du stade et retournait au point d’où elle était partie. La génération va, en effet, de ce qui n’est pas à ce qui est, et la destruction retourne de ce qui est à ce qui n’est pas (1). »

Le cœur est le principe et l’origine des veines : ce n’est pas le foie (De part. an., II, 1v) ; ces deux viscères sont indispensables à tous les animaux qui ont du sang, comme l’est le poumon pour ceux qui respirent, mais pour des raisons différentes. Le sang, parti du cœur où il s’élabore, est distribué par les vaisseaux, aorte, veines, et leurs rameaux, à toutes les régions du corps (De part. anim., III, v) à l’exception du cerveau, lequel ne contient point de sang à l’intérieur, quoique d’innombrables veinules rampent à sa surface (Zbid., Il, vu, x ; de sensu et sens., V ; de somno et vig., ID). La position même du cœur est bien la place qui convient à un principe (ëyer dè xal θέσις αὐτῆς ἀρχικὴν χώραν) : il est vers le centre du corps, plutôt en haut qu’en bas et plutôt en avant qu’en arrière. Ce qui vient d’être dit, ajoute Anisrore, cst de la plus grande évidence chez l’homme ; mais mème dans les autres animaux la nature veut pareillement que le cœur soit placé au centre (èv mécw xeïoôæ) du corps (2). Il en va tout autrement du foie. Ce n’est pas, dans Anistorr, l’encéphale, comme chez Démocrire, qui cest l’acropole du corps : c’est le cœur. Kapdiu... Gonep ἀκρόπολις οὖσα τοῦ σώματος (5). C’est au cœur qu’Anisrorr rapporte le principe de la vie ; l’âme nutritive est donc localisée dans « ce qu’on nomme la poitrine chez les plus grands animaux. » Il ya en effet, dit Aristote, beaucoup d’animaux qui après qu’on leur a enlevé soit la {éle, soit les organes « qui reçoivent la nourriture », vivent cependant encore avec la partie où est placé le centre (td mécov). « C’est ce qui est évident pour les insectes, tels que les guëpes et les abeilles (Sñ)ov D’ért rüv ἐντόμων, οἷον ogmx@v te xl melirrôiv), et, de plus, il y a beaucoup d’animaux qui, sans être des insectes, peuvent vivre néanmoins après qu’on les a divisés (tæpoüueva), à cause du principe végétatif (διὰ τὸ Opertixév). En acte cette partie est une, mais en puissance elle est multiple. Il en est de même pour les végétaux. Les végétaux, quand on les a coupés, vivent encore séparément ct il peut sortir plusieurs arbres d’un seul principe. On dira ailleurs d’où vient que certaines plantes ne peuvent vivre après une division de ce genre, tandis que d’autres repoussent des boutures. Mais en ceci les plantes et les insectes se comportent tout à fait de même. L’âme nutritive doit être une. en acte chez ces êtres, mais multiple en puissance. De même pour le principe sensible (ὁμοίως δὲ καὶ τήν αἰσθητικὴν ἀρχήν) : ου êtres vivants ainsi divisés ont manifesiement conservé la sensibilité. Les plantes à la vérité conservent complètement leur nalure ; au contraire les insectes ct les autres animaux ne le peuvent point, parce qu’ils n’ont plus les organes nécessaires à leur conservation : ils manquent soit de l’organe qui doit prendre la nourriture, soit de l’organe qui doit la recevoir ; d’autres manquent d’autres (1) De an. gener., I, v. Γίνεται δὲ πρῶτον Ἡ ἀρχή’ αὕτη δ̓ ἐστὶνη χαρδία τοῖς ἐναίμοις, τοῖς ὃ̓ ἅλ- λοις τὸ ἀνάλογον... ἀπολείπει γὰρ τὸ ζῆν ἐντεῦθεν τελευταῖον, συμθαίνει ὃ̓ ἐπὶ πάντων τὸ τελευταῖον γινόμενον πρῶτον ἀπολείπειν, τὸ δὲ πρῶτον τελευταῖον, ὥσπερ τῆς φύσεως διαυλοδρομὀύσης καὶ ἀνελιττομένης ἐπὶ υτὴν ἀρχὴν ὅθεν ἦλθεν.

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(2) De ραρὶ. απ., ΠΠ, τν.

(3) /bid., IL, vu.

J. Sounr. — Le Système nerveux central.

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LE SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

organcs encore en même temps que de ces deux-là. Ces animaux doivent être assimilés à des animaux réunis ou soudés ensemble (éoixxot yap tk Totara τῶν ζώων πολλοῖς ζῴοις suureguxdo :v). Mais les animaux les mieux organisés ne souffrent pas ce trailement, parce que leur nature est une, au plus haut degré possible (à à elvar tv quotv αὐτῶν ὡς ἐνδέχεται μάλιστα, miav). Quelques parties divisées présentent bien encore une certaine sensibilité, car elles possèdent encorc quelque affeclion psychique (ëxe : + Yuyixov xafoc). Ainsi les viscères ayant élé séparés du corps, ces parties sont encore animées de mouvement. Les tortues, par exemple, se meuvent encore après l’enlèvement du cœur (1). » Arislole, rappelant que « dans les animaux qui ont du sang, c’est le cœur qui se développe d’abord », ajoute que cela ressort manifestement de ce qu’il a observé et vu au cours du développement de ces animaux : toëro 8 δῆλον ἐξ ὦν ἐν τοῖς ἐνδεχοιμένοις ἔτι γινομένοις ἰδεῖν τεθεωρήχαμεν. (οι ἆοπο une nécessilé que, chez ces animaux, le principe de l’âme sensitive ct de l’âme nutritive soit dans le cœur. Le principe souverain des sensalions se trouve donc dans le cœur ; « là est nécessairement le sensorium commune de tous les or- δαπος ἆεδ 5οη5 : ἐν τούτῳ γὰρ ἀναγχαῖον εἶναι τὸ πάντων τῶν αἰσθητηρίων χοινὸν αἰσθήτεριον. Ό9, il ÿ a deux sens que nous voyons manifestement aboulir au cœur (ouvepüc... bp@uev) : ce sont le goût ct le {oucher (tv te yeëouv χαὶ τὴν pv). Il faut donc que les autres s’y rendent comme ceux-là : Gote xai tàç dAÂac avayxæïov. C’est en lui en effet que les autres organes des sens peuvent communiquer leur mouvement, el ceux-ci ne se rendent point du Lout dans la partie supérieure du corps (radra ὃ) οὐλὲν συντείνει πρὸς τὸν ἄνω τόπον). Επ ουἱτο, si pour tous ces êlres la vie réside dans cette partie (le cœur), il est clair qu’il faut aussi que le cœur soit le principe de la sensibilité (tv aiodnrixnv &py#v). Quant à dire pourquoi (x rt) cerlains sens se rendent évidemment au cœur, et d’autres dans la tête (èv τῇ χεφαλΊ)) --- 5ἱ bien que quelques-uns csliment que c’est par le cerveau que les animaux sen- ἰοπί (διὸ χαὶ δοχεῖ τισιν zicdavecdar Tù Ga did rdv Éyxépahov) — la raison explicative de ces faits a été dite ailleurs (2) ». « Il cst donc évident, d’après les faits, que c’est dans le cœur, au centre de trois parties du corps, qu’est le principe ct de l’âme sensitive, et de l’âme qui fait croître ct de l’âme nutritive. » Pendant le sommeil, il ÿy a moins de sang dans les parties exléricures du corps ; ainsi, si l’on pique un animal endormi, le sang ne sort pas semblablement à ce qu’on voit dans l’état de veille (3). La faculté de sentir, la faculté qui meut l’animal cl la facullé nutritive élant toutes trois dans la même portion du corps, ainsi qu’Aristotc l’a dit dans plusieurs ouvrages, il est indispensable que la partie qui contient primitivement de tels principes, en tant qu’elle peut recevoir l’impression de tous les objets sensibles, soil en partie simple ; maïs, en tant que motrice el active, elle doit être une partie non similaire. Voilà comment, dans les animaux qui n’ont pas (x) Απιξτοτε. De juventute et senect., de vita et morte, II-III. (2) Le cœur est le siège du sensorium commune. Tandis que trois des cinq sens, ceux des yeux, des oreilles et des narines, ont un organe parliculicr, les deux derniers, le {oucher et le goût (qui n’est qu’une variété du loucher) ne possèdent point de pareils organes externes : ils sont logés dans le cœur lui-même, qui se Lrouve être ainsi leur premicr et leur dernier organe. Les yeux sonl placés près du cerveau parce qu’ils s’en sont développés (*) ; les oreilles parce que cet organe doit être silué à proximité de l’espace creux de l’occiput qui est rempli d’air ; les organes de l’odorat enfin parce que l’odeur est souvent d’une nature chaude et tempère ainsi la froideur du cerveau (De sensu, V, 18). (3) Anisr. A. A., III, xax, ᾖ. τοῖς καθεύλουσιν ἐν τοῖς ἐχτὸς μέρεσιν ἕλαττον γίνεται τὸ αἷμα, ὥστε καὶ χεντουμένων μὴ ῥεῖν ὁμοίως.

(*) De gen. an., IL, vw,

LE SANG ET L’INTELLIGENCE

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de sang, c’est la partie correspondante au cœur qui joue ce rôle, et comment c’est le cœur dans les animaux qui ont du sang (1).

La composition du sang diffère chez les différents animaux. Îl ÿ a des animaux qui ont une intelligence plus vive que d’autres, non pas à cause de la froideur du sang (2), mais bien plulôt parce qu’il est léger et pur : le lerreux n’a ni l’une ni l’autre de ces qualités (τὸ Υὰρ γεῶδες οὐδέτερον ἔχει τούτων). Les animaux qui ont une humeur (+3v éypérnra) plus légère et plus pure ont aussi la sensibilité plus mobile οἱ plus vive (eüxwmrorépav.. tv aoônaiv). De là vient que certains animaux qui n’ont pas de sang ont cependant l’âme plus intelligente que d’autres qui ont du sang, ainsi qu’il’a été dit ; tels l’abeille, la fourmi, ct telle autre espèce semblable : διὰ γὰρ τοῦτο καὶ τῶν ἀναίμων ἔνια συνετωτέραν ἔχει τὴν ψυχἣν ἐνίων ἐναίμων... οἵον ἡ μέλιττα, καὶ τὸ γένος τὸ τῶν μυρ- ήχων... Les animaux dont le sang est trop aqueux sont plus timides, parce que la pour refroidit ; et les animaux chez qui cette crâse existe dans le cœur (Trà τοιαύτην ἔχοντα τὴν ἐν TA xapôia xp&aiv) sont sujets à celle affection... Mais ceux qui ont beaucoup de fibres (3) dans le sang, et des fibres épaisses, sont d’une nature plus terreuse (yewdéatepa) ; leur caractère esl courageux ct ils sont enclins à la fureur

- c’est que la colère produit de la

chaleur ct que les solides une fois échauffés produisent plus de chaleur que les liquides ; or les fibres sont solides ct terreuses ; elles sont en quelque sorte des étuves (πυρίαι) ἆθπο le sang et entrent en ébullition dans la colère ; de là vient que les taureaux et les sangliers sont pleins de courage ct d’emporlements furieux. Leur sang est celui qui a le plus de fibres (rù yàp aiua τούτων ivwdéortarov) ; el c’est le sang du taureau qui se coagule le plus rapidement de tous. Si l’on enlève les fibres du sang, il ne se coagule plus ; et de même que lorsqu’on enlève d’une masse de boue la partie terreuse, l’eau ne se solidifie plus, de même le sang ne se coagule pas davantage, parce que les fibres sont de la terre. Mais si l’on n’enlève pas les fibres, le sang se coagule.

La nature particulière du sang est cause de beaucoup de modifications quant au caractère des animaux et quand à leur sensibilité (roAAGv 3’ éoriv aitix h toù œiuaros quais, xat xuTà To ἦθος τοῖς ζῴοις χαὶ κατὰ τν αἴσθησιν, εὐλόγως) ; οἱ ΠΟΏ 58Π5 Γΐ5οη. (85 |6 58ης εσἰ Ί ππαἰἰὸτο du corps tout entier ; ÜAn yäp éote mavrèç τοῦ σώματος : ἡ γὰρ τροφη ὕλη, τὸ δ̓ αἷμα ἡ ἐσ(άτη τροφή. La nourriture est la malière du corps, et le sang en est la nourrilure définitive. Il en résulte donc une grande différence selon que le sang est chaud ou froid (8eppèv xat quypèv), léger ou épais (Aentèv xat rxyb), bourbeux ou pur (θολερὸν καὶ καθαρόν). En résumé, dans l’ensemble des animaux, les uns ont donc du sang, les autres ont à la place du sang quelque autre partie qui y ressemble (1x ὃ ἀντὶ τοῦ αἵμιατος ἔχει ἕτερόν τι μέριον τοιοῦτον). Un sang pius épais et plus chaud (1) Anisr., De part. an., IX, 1. Cf. IV, v, 34.

(2) Συμμθαίνει δ̓ ἔνιά γε nai γλαφυρωτέραν ἔχειν τὴν δ.άνοιαν τῶν τοιούτων, οὐ διὰ τὴν ψυχρότητα τοῦ αἵματος, ἀλλὰ διὰ τὴν λεπτότητα μᾶλλον καὶ διὰ τὸ καθαρὸν εἶναι. (9) Ἱμα ρατ[ῖο terreuse du sang, celle qui se coagule, parce qu’elle contient des « fibres » (îvas) qui sont terreuses essentiellegent ; tel autre sang en est privé, comme est celui des cerfs et des chevreuils ; cette absence de fibres empèche ce sang de se coaguler.

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LE SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

donne plus de vigueur ; un sang plus léger et plus froid donne à la fois plus de sensibilité et d’intelligence (xisdnrmwepor καὶ νοερώτερον). La même différence s’observe dans les animaux qui ont une partie analogue au sang, c’est-à-dire dont le liquide correspondant est l’analogue

du sang (ἀνάλογο» ... πρὸς τὸ aux). C’est ainsi que les abeilles (p£rrx), et les animaux de cette espèce, sont par nature plus intelligentes que beaucoup d’animaux qui ont du sang ; et, parmi ceux-ci, ceux dont le sang est froid et léger sont plus intelligents que ceux dont le sang est tout le contraire (+4 ΦΨυχρὸν ἔχοντα αὶ λεπτὸν αἷμχ φρονιμώτερα τῶν ἐναυτίων écris). Mais les mieux doués à cet égard de tous les animaux (äp :o1x) sont ceux dont le sang est chaud, léger etpur : ces êtres se distinguent à la fois par le courage et la pensée (äpa γὰρ πρές τ́ ἀνδρείχν τὰ τοιαῦτα καὶ πρὸς φρόνησυ ἔχει καλῶς). ARISTOTE parle encore de différences semblables observables entre les parties supérieures et inférieures du corps, entre le mâle et la femelle, entre les parties droite et gauche (1).

La chaleur se confond avec le principe de la vie dont le siège est dans le cœur :

« Lorsque le poumon se durcit chez les uns, et les branchies chez les autres, ici les branchies, là les poumons se desséchant avec le temps, et, devenant terreux, les animaux ne peuvent plus mouvoir ces parties, ni les dilater ni les contracter. Enfin l’affection continuant à augmenter, le feu s’éteint (xxrauapziverer ro nüp). C’est là ce qui fait que dans la vicillesse les moindres accidents suffisent pour causer rapidement la mort. Car la chaleur est alors très faible, parce que la plus grande partie en a élé cxhaléc pendant une longue vic par la respiration : à la moindre exagéralion fonctionnelle du poumon, la chaleur s’éteint très vile. De même que s’il y avait dans cette partie une flamme infiniment petite et faible, le plus léger mouvement suffit pour l’étcindre. Aussi dans la vieillesse la mort est-elle sans douleur (àtù καὶ ἄλυπός ἐστιν ὃ ἐν t& yépa Oéværos). La mort arrive sans qu’on éprouve aucune affection violente ; la délivrance de l’âäme sc fait sans même qu’on la sente le moins du monde. Dans toutes les maladies qui durcissent le poumon, soit par des tubercules (gôuasv), soil par des sécrétions ou par un excès de chaleur morbide, comme dans les fièvres, il se produit une respiration fréquente, parce que le poumon ne peut ni se dilater suffisamment en s’élevant ni se contracter. Enfin, lorsque les animaux ne peuvent plus du tout accomplir ce mouvement, ils meurent en rendant un souffle (aronvei- σαντες (2) ».

Après le poumon, le foie est, suivant Aristote, l’organe le plus vascularisé. Quoique le foie passât pour l’organe central de la partie inférieure de l’âme, ceux-là étaient dans une erreur complète, disait le Stagirite, qui soutenaient que la bile doit servir à la sensation (tir géo τῆς χολῆς (0) Ρο ραγί. απίπι., [, 1. πρὸς τὸ θῆλυ αν τὸ ἄῤδεν... τὰ δεξιὰ πρὸς τὰ ἀριστερὰ τοῦ σώματος. (9) 0ο γοορί»., ΧΥΠ.

LE FOIE ET LA BILE

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+

,

αἰσθησεώς uves slvat yasn) : « ils prétendent que la nature de la bile n’a pour fonction que de contracter, en l’irritant, la partie de l’âme qui réside dans le foie (As ὐυχῆς τὸ περὶ τὸ rap wépev) ; tandis que, quand elle s’épanche librement, elle rend l’âme plus amène et plus douce ». Les gens atrabilaires sont en général très irritables, en effet. Selon AnrisTore, la bile, sécrétion du foie, n’avait pas de but spécial dans l’économie : c’était une « purgation ». La bile est une « cxcrétion », c’est-à-dire une matière excrémentielle, qui doit être rejetée du corps comme les produits de même sorte de l’estomac et de l’intestin (1).

Dans son activité hématopoétique, le cœur est peut-être secondé par la rate : ces deux organes tireraient de l’estomac l’ichor et en feraient le sang. ARISTOTE pourtant ne le dil pas : la rate n’est pas plus que le foie le principe du sang. L’humeur dont se forme la nature du sang affluc constamment, sans interruption, dans le cœur où le sang est d’abord élaboré (2).

LE CERVEAU

Le cerveau a naturellement les proportions et les dimensions qu’exigent les besoins de l’économie. C’est chez l’animal un organe de réfrigération. Voilà sa fonction. « On peut supposer, en comparant, il est vrai, une petite chose à une grande, dit ARISTOTE, qu’il en est de ceci (la réfrigération du cœur par le cerveau) comme de la production de la pluie : la vapeur qui sort et qui s’élève de la terre est portée par sa chaleur dans les parties supérieures, et, quand elle arrive dans l’air froid qui est au-dessus de la terre, elle se condense et se change en eau, sous l’action du refroidissement, pour retomber de nouveau sur la terre. » (De part. anim., U, vir.)

Le cerveau est composé d’eau et de terre ; voici quelques faits qui le prouvent. « Si l’on fait cuire le cerveau, il devient sec et dur ; il ne reste plus que la partie terreuse, l’eau ayant été vaporisée par la chaleur. » Il en est de même quand on brûle des légumes et d’autres fruits (De part. anim, Il, vu). Le cerveau de l’homme, à la fois le plus grand, le plus humide et le plus froid, est environné de deux membranes, l’une plus solide, du côté de l’os, l’autre, plus délicate, posée sur le cerveau lui-QG ) Anisr. De part. an., IV, 11, 2. Oürw καὶ n ént =@ frart yon nepitruua elvar za o0y ἕνεκά τινος, ὥσπερ καὶ η ἐν τῇ κοιλίᾳ καὶ ἐν τοῖς ἐντέροις ὑπόσταπις. (2) De respir., ο. αχ. ἐπιρρεῖ γὰρ ἀεὶ τὸ ὑγρόν συνεχῶς ἐξ οὗ γίνεται Ἡ τοῦ αἵματος φύσις’ πρῶτον γὰρ ἐν τῇ καρδίᾳ δημιουργεῖται. ΟΓ. {. 4., Η1, χικ.

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LE SYSTEME NERVEUX CENTRAL

mème. L’encéphale est double chez tous les animaux ; en arrière est situé le cervelet (rapsyregadic), « lequel possède une composition tout autre, soit au toucher, soit à la vue ». Dans la tête, l’’encéphale se trouve dans la partie antérieure ; « le derrière de la tète, chez tous les animaux, est vide et creux » (κενὸν καὶ κοῖλον) (1. Α., 1, ΧΙ, χγι). Le crâne de l’homme est aussi celui qui a le plus de sutures (5x94<), et les mâles en ont plus que les femelles, et cela pour que le plus gros cerveau soit aéré davantage et puisse bien respirer. « Trop humide ou trop sec, il n’accomplirait plus sa fonction propre » : de là des maladies de l’encéphale, des dérangements d’esprit (zxpaotas), et la mort. « Car la chaleur et le principe qui sont dans le cœur sont très sympathiques : ils ressentent, avec unc rapidité extrème, les changements et les modifications du sang de l’encéphale. » Les fonctions psychiques du principe des sensations, c’est-à-dire du cœur, dépendent, en effet, chez l’homme, de cette « heureuse combinaison » entre l’intensité de la chaleur du cœur et le volume ainsi que l’humidité réfrigérente du cerveau. Voilà pourquoi « l’hoinme est le plus intelligent de tous les êtres » (De gener. anim., II, vu). Les animaux, si inférieurs à l’homme à cet égard ont, en effet, « peu de cerveau », et leur cerveau est moins humide (Jbid., V, nu, 1v. Cf. Problem., X, 1). S’ils n’ont pas de sang, ils n’ont pas de cerveau, car ils n’ont que peu ou point de chaleur. Quant à l’encéphale, il n’a de sang lui-même chez aucun ΔΠΙπια] (ἄναιμος δ̓ὁ ἐγχέφαλος ἅπασι), οἳ, dans sa masse, il n’a point de veines : quand on le touche, il est naturellement froid. Seule, la méninge qui l’enveloppe est pourtant sillonnée d’un grand nombre de petites veines provenant de la grande veine et de l’aorte (H. A., I, xit, xv1 ; II, ant, χι). Les parlies de la tète sont maintenues, non par des « nerfs » (c’est-à-dire des tendons, des muscles, etc.), car la tête est dépourvue de nerfs (De part. anim., 1, vi. Cf. Tm., 75 C), mais au moyen des sutures des os. « Et d’abord, quant à la ééte, le cerveau a son siège dans sa partie antérieure (ër <ù teécher.... 8 ëyrégxhes). Il en est ainsi pour tous les autres animaux qui possèdent cette partie. Or, tous les animaux qui ont du sang et, en outre, les mollusques (13 pxkäxua), la possèdent. Mais, en volume, c’est l’homme qui a le cerveau le plus gros et le plus humide. « Deux membranes l’environnent (suéves Où αὐτὸν δύο περιέχουσιν), l’une, plus résistante, du côté de l’os ; l’autre, plus faible, qui entoure le cerveau lui-même.

« Le cerveau est double chez tous les animaux (Suouñs (1) 5° ἐν πᾶσίν ἐστιν ἐγχέφαλος).

ο

.

(1) διμερής. De part. an., AL, vi. « Tous les organes sont doubles, dit ARISTOTE en ce passage. La cause, c’est la division même du corps, qui est double » ; le corps cst formé de deux moiliés, qui ANATOMIE COMPARÉE DU CERVEAU

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« Et sur le cerveau, tout à fait en arrière, ce qu’on nomme le parencéphale (rapeyregakis, cervelet), possédant une autre forme, différent au toucher et à la vue.

« La partie postérieure de la tête est vide et creuse chez tous les animaux, variant selon la grandeur de la tête de chacun d’eux (1). Certains animaux ont, en effet, une grosse tête, tandis que la partie inféricure de leur face est petite, tous ceux qui ont la face ronde ; d’autres ont la lète petite, mais de longues mâchoires, tels sont les animaux à queue garnie de crins.

« Chez tous les animaux le cerveau n’a pas de sang, ne contenant aucune veine, et il est naturellement froid au toucher. |

« Dans la plupart des animaux, le cerveau a une petite cavité dans son milieu (2).

« La méninge qui l’entoure est veineuse ; c’est une membrane dans le genre de la peau.

« Au-dessus du cerveau se trouve l’os le plus mince et le plus faible de la tête, qui est appelé bregma.

« De l’œil trois conduits (rpeis rip) se rendentà l’encéphale, le plus gros et le moyen au cervelet, le plus petit dans le cerveau même ; le plus petit conduit est le plus rapproché du nez, les [deux] plus grands sont parallèles et ne se rencontrent pas ; les moyens se rejoignent (s’entrecroisent), disposition surtout manifeste chez les poissons ; ces conduits moyens sont plus près du cerveau que les grands conduits. Les plus petits conduits s’éloignent le plus complètement l’un de l’autre et ne se réunissent pas. »

Beaucoup estiment que le cerveau est de la moelle et qu’il est le principe d’origine de la moelle parce qu’ils voient que la moelle de l’épine dorsale est continue au cerveau. -IIoXkoïs Yap nat ὁ ἐγκέφαλος δοχεῖ μωελὸς εἶναι καὶ ἀρχὴ τοῦ μυελοῦ διὰ τὸ ouveyh Tv Bayirny adro épäv puehés (3). En réalité la nature du cerveau et celle de la moelle sont tout à fait contraires. De sont toutefois étroitement associées el se rattachent à « un principe unique » (xpôs piav 6... äpynv). C’est ainsi qu’on distingue le haut et le bas, le devant et le derrière, la droite et la gauche. « Voilà encore pourquoi le cerveau est composé de deux parties chez tous les animaux ainsi que chacun des organes des 56Π5 (ὃ ἐγκέφαλος... διμερῆς εἶναι πᾶσι καὶ τῶν αἰσθητηρίων ἕκαστον). Ο{. ἐδίά., Π, κ. (1) Τὸ δ̓ ὄπισθεν τῆς πεφαλῆς κενὸν καὶ κοῖλον πᾶσιν. ΟΓ. 1, σα. τὸ δ̓ ἰνίον χενόν. Απιδτοτε dit, dans ce dernier passage, que « sous le bregma il y a bien le cerveau, mais que l’occipital est vide », c’est-à-dire qu’il n’y a pas de cerveau sous cet os. De part. an., I, x. AnisroTe répète cela expressément :

10 yap Ontoûev oùx Éyet éyaépahov ; il ajoute, quelques lignes plus bas, que la cavité postérieure

de la tête est dépourvue de veines (o1e6&@v à” elvat xevôv T0 Gruoey »ôtos). (2) ἐν τῷ μέσῳ... χοϊῖλόν τι μιρόν. Les ventricules ; les ventricules latéraux sans doute ; peut-être le ventricule moyen.

(8) De part. an., 11, να. Περὶ δ̓ ἐγκεφάλου...

120

LE SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

toutes les parties du corps, le cerveau est la plus froide, la moelle est naturellement chaude (é δὲ μυελὸς θερμὸς τὴν ess). La froideur du cerveau est manifeste rien qu’au toucher (κατὰ τὴν θίξυ). De plus le cerveau est de toutes les parties liquides du corps celle qui contient le moins de sang. parce qu’il n’en a pas du tout par 111-Πηόπιθ (οὐδ) ὁτιοῦν γὰρ αἵματος ἔχει ἐν αὐτῷ) ; 1] est la plus exsangue de toutes (1).

Il suffit du plus simple coup d’œil pour voir qu’il n’a point la moindre connexité avec les parties qui servent à sentir (ox Eye : suvéyetav obdeuiav πρὸς τὰ αἰσθητ’κὰ μόρια) ; αἱ il n’est pas moins évident que quand on le touche (Osyyzvéuevos) il ne sent rien (2).

La moelle épinière n’est pas moins insensible que le cerveau. La fonction propre et essentielle du cerveau étant de refroidir (xatzwye ) l’organisme des animaux à sang chaud, à ceux de ses contemporains et de ses prédécesseurs qui soutenaient que « nous sentons par le οογνοαι » (αἰσθάνεσθαι μὲν Υὰρ τῷ ἐγχεφάλῳ) εἰ αιιο c’était pour cette raison, c’est-à-dire pour faciliter la sensation, que la téte n’avait que peu de chair, ARISTOTE objectait que si le cerveau avait eu un épais revêtement de chair, cet organe aurait fonctionné d’une façon toute contraire à celle qu’il possède chez les animaux (robvantier &v amerpyabero où Evexa ὑπάρχει τοῖς Yoots 6 tyxégakoc) : du moment qu’il aurait été lui-même trop chaud, il n’aurait pu refroidir l’organisme. En outre, ce qui achève de démontrer que ce n’est pas en vue de favoriser la sensibilité que la tête n’est recouverte que d’une mince couche de chair, c’est que le derrière de la tête n’a pas de cerveau (rù yxp ëmioûey cbx Eyes éyréoxhov). Quant à ètre cause lui-même d’aucune sensation, cela est absolument impossible, puisque le cerveau est absolument insensible (3). « Mais ne découvrant pas la cause pour laquelle quelques-uns des sens sont, chez les animaux, placés dans la tête, et voyant que la tête y est plus propre que toutes les autres parties, ils ont associé l’un à l’autre, par un simple raisonnement, le cerveau et la sensibilité (ἐκ συλλογισμοῦ πρὸς ἄλληλα συνδυάζουσιν). Mais que le principe des sensations soit la γόρῖοη ἀιι 6614’ (ὅτι μὲν οὖν ἀρχὴ τῶν αἰσθήσεών ἐστω ὁ περὶ τὴν καρ- δίαν τόπος), ο ο5ἱ 66 que nous avons démontré en traitant de la sensation ; pour cette cause il y a deux sens qui, évidemment, dépendent du cœur, le sens des choses tactiles et le sens des saveurs (ή τε τῶν ἁπτῶν καὶ Ἡ τῶν xvu&v). Des trois derniers sens, celui de l’odorat (ÿ pk 1%s ôsepseus) est (Gi) Cf. A. 4., I, xun, 2, 5 ; I, x ; DLL, 101, 13. L’encéphale est humide, liquide, n’a ni sang ni veine, grande ou petite. De gen., Il, vi, 35. Le cerveau est plus fluide chez les jeunes animaux que chez les vieux.

(2) Cf. A. A., 1, χιν.

.

.

.

done ee

(3) De part. an., 11, κ. τῶν δ̓ αἰσθήσεων οὐκ αἴτιος οὐδεμιᾶς, 65 t’ ἀναίσθητος καὶ αυτός ἐστι.

LE CERVEAU DES CEPHALOPODES

τι

intermédiaire. Quant à l’ouie et à la vue, ces deux sens sont surtout dans la téle (&xon δὲ καὶ ἔψις μάλιστ̓ ἐν τῇ κεφαλῇ) ὰ οχϊι59 ἀ9 la nature même de leurs organes ; et c’est dans la tète que la vue est placée dans tous les animaux ; l’ouie et l’odorat, tels qu’ils sont chez les poissons et autres animaux semblables rendent évident ce que nous avons dit : ils entendent et ils odorent, en effet, et pourtant ils n’ont dans la tête aucun organe visible de ces sens. »

Comme contrepoids nécessaire pour assurer l’équilibre organique, la nature, au regard du cœur et de la chaleur, a fabriqué (ueuryävnræ) le cerveau, et c’est pour cette cause que cet organe existe chez les animaux ; il participe de la commune nature de l’eau et de la terre. Tous les animaux qui ont du sang ont donc un cerveau, tandis qu’aucun des autres n’en possède, c’est-à-dire aucun des animaux qui n’ont point de sang, si ce n’est, par analogie, le poulpe (y 3’ οὐδὲν, ὡς εἰπεῖν, πλὴν ὅτι κατὰ τὸ ἀνάλογον, o%ov à roAbrsvs (1). Ailleurs ARISTOTE parle des Céphalopodes en général (2), et non pas seulement du poulpe, comme ayant un cerveau. Les ganglions céphaliques sont si grands, si larges dans ces animaux, qu’ils peuvent être vus comme ceux des vertébrés inférieurs. Aristote les a donc vus ; mais ceux des autres invertébrés lui ont échappé.

« Au milieu de la tête, dit ARISTOTE, en parlant des Céphalopodes, est la bouche, qui a deux dents ; au-dessus, deux gros yeux ; entre les yeux se trouve un petit cartilage contenant un cerveau également petit (éyxéoæhov pxpév) » (3). IL s’agit des reütor(4), qui diffèrent des τευθίδες et des sèches. Outre le cerveau des Céphalopodes, ARISTOTE connaissait le « cerveau » des Sauriens (caméléons). Nous citerons la vivisection qu’il paraît en avoir faite.

Tous ces animaux ont peu de chaleur parce qu’ils n’ont pas de sang : ôxyé- (1) De part. anim. II, vu.

(3) Η. 4., Ἱ, Χνι, 1. τὰ μαλάχια.

(3) A. 4., ΤΝ, 1, Cf. De part an., IL, 7.

(4) Sepioteuthis. BLainv. Dillère du Loligo vulgaris (revlis) par ‘ses nageoires étroites, qui accompagnent le manteau dans toute sa longueur. Le Loligo est ainsi décrit dans CLaus : corps allongé, offrant à son extrémité pointue deux nageoires triangulaires. Bras tentaculaires en partie rétractiles, terminés par quatre rangs ou davantage de ventouses. Bras garnis de deux rangs de ventouses sessiles. Quatrième bras gauche hectocotylisé à l’extrémité. Coquille interne cornée, aussi longue que le dos et en forme de plume. Les Sepia, les Loligo vulgaris et les Sepioteuthis sont des Céphalopodes décapodes : outre les huit bras armés de ventouses et de crochets qui entourent la bouche des Dibranchiaux, les décapodes possèdent encore deux longs bras préhensiles, semblables à des tentacules, entre les bras abdominaux et l’orifice buccal. Le cartilage céphalique forme un anneau complet qui entoure les parties centrales du système nerveux : lrois paires de ganglions, ganglions cérébraux, pédieux et viscéraux, réunis en un collier æsophagien. Des ganglions cérébraux partent entre autres nerfs deux gros ncrfs optiques qui so distribuent, de chaque côlé de la tête, à deux yeux dont la structure interne présente presque les mêmes parties que les yeux des vertébrés. Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/138 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/139 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/140 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/141 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/142 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/143 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/144 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/145 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/146 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/147 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/148 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/149 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/150 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/151 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/152 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/153 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/154 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/155 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/156 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/157 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/158 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/159 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/160 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/161 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/162 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/163 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/164 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/165 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/166 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/167 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/168 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/169 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/170 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/171 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/172 Page:Soury - Le système nerveux central, 1899.djvu/173 158

LE SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

pourquoi cette âme ne pense jamais sans images, à obdérote vo des oartdcuates hqwyñ. C’est ainsi que l’air modifie la pupille de telle ou telle façon, et que la pupille modifie une autre chose, de même que c’est ainsi encore que les choses se passent pour l’ouie. Mais le terme dernier est un. (1) » Par là, ArisTOTE entend le sens commun qui réunit toutes les perceptions des sens spéciaux, agissant pour les sensations comme agit l’intelligence à laquelle aboutissent toutes les #nages. Tous les commentateurs. « C’est une moyenne unique », poursuit-il, un centre, dirions-nous, qui seulement peut avoir plusieurs façons d’être (rù 3” Ecyator &, tai pla μεσέτης : τὸ δ εἶναι αὐτῇ πλείω). « Elle est quelque chose d’un par elle-même, dit-il de ce centre, et elle l’est aussi en tant que limite. » (on Yas Ev m1, cüru δὲ καὶ ὡς &pss.) Le sens commun est une sorte de point central où viennent se confondre les sensations diverses. L’intelligence est la “imite où viennent se réunir les diverses images. L’intelligence est donc aux images tout à fait ce que le sens commun est aux sensations diverses qu’il réunit. « Ainsi l’âme intelligente pense les formes [perçues directement par la sensibilité] dans les images qu’elle perçoit. Τὰ μὲν οὖν εἴδη τὸ νοητικὸν ἐν rois oartäouast vo. Et de même qu’en celles-ci se détermine, pour l’âme, ce qu’il faut rechercher ou fuir, de même, et en dehors de la sensation, lorsqu’elle s’applique aux images, elle est mue. » Ce n’est pas de la (1) De an., I, vu, 3, sq.

Cf. De animalium motione, c. vir. « Il en est absolument comme dans les automates (+& œuropata), qui se meuvent par le moindre mouvement dès que les ressorts sont lâchés, parce que les ressorts peuvent ensuite agir les uns sur les autres ; par exemple le pelit chariot qui se meut tout seul. C’est absolument ainsi que les animaux se meuvent (οὕτω rai ra C@a xveiræ...) Les os sont en quelque sorte les bois et les fers des automates ; Ίο5 6) (τὰ δὲ νεῦρα) sont comme les ressorts qui, une fois lâchés, se détendent et meuvent les machines. Cependant, dans les automates et dans ces pelits chariots, il n’y a aucune modification intérieure. » Dans l’animal, au contraire, il exisle quelque modification interne. « Ces modifications peuvent ètre causées par l’imaginalion (ai oavraclar), par les sensations (ai αἰσθήσεις), Ρᾶτ les pensées (af évvota :). Ainsi, les sensalions (aioünoes) sont bien des espèces de modifications (äkhowsets tivès) qu’on éprouve directement. Quant à l’ëmagination (n 3è φαν- τασία) εἰ ὰ la pensée (ñ vônois), elles ont la puissance même qu’ont les choses (rnv τῶν πραγμά-Twv Eyouat dsvaptv). Par exemple, l’idée du chaud ou du froid, du plaisir ou de la douleur que se forme la pensée, est à peu près ce que sont chacune de ces choses. Il suffit de penser à cerlaines choses pour frissonner et trembler d’épouvante. Ce sont bien là des impressions (réûn) et des altérations (&kkowises) que l’être éprouve. On comprend qu’un changement qui, au début, est très pelit, puisse produire, à une certaine distance, des différences aussi considérables que nombreuses. C’est comme le gouvernail qui n’a qu’à se déplacer d’une manière imperceplible pour causer à la proue un déplacement énorme. Lorsque l’altération produite parvient au cœur (xepi tv xapdiav), la modification que, par suile, le corps subit, est très considérable, soit qu’elle se manifesle par de la rougeur ou de la päleur, du frisson, des tremblements ou par des mouvements contraires à ceux-là (*). (*) V. c. 1x. Le cœur, siège de la sensibilité (c. xt) et, par suite, du mouvement. ο. κ. Le cœur, siègo du principe de la vie, du souffle inné (nrsoux shupuror.... ἐν τῇ καρδίκ)THÉORIE DES HALLUCINATIONS

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sensation, mais des images, que lui vient le mouvement. Voici un exemple qui fait bien comprendre la pensée d’ARISTOTE : « Quand, sentant que le flambeau est en feu, l’âme voit, par le sens qui est commun, que le flambeau est en mouvement, elle comprend qu’il y a danger. » Ainsi : 1° l’âme sent d’abord, par un sens spécial, ici par la sensibilité tactile, que le flambeau est en feu ; 2° le sens commun, réunissant toutes les perceptions des sens spéciaux, véritable sensorium commune, évoque l’image motrice du flambeau ; l’âme comprend, grâce à cette image du sensorium commune (rÿ x yropie) qu’il y a danger, et, 3° le mouvement ou réflexe de protection conscient s’exécute.

La sensibilité et l’imagination ne sont d’ailleurs point la même chose. Si la sensibilité (xtcônas) et l’imagination (oxvtxsia) étaient la même chose, celle-ci appartiendrait à tous les animaux : c’est ce quine paraît pas exister ; témoins les fourmis, les abeilles, les vers ; ces êtres n’ont pas d’imagination. En outre, les sensations sont toujours vraies (ἀληθεῖς. αἰεὶ [αἰσθή- σεις]), tandis que les images sont pour la plupart trompeuses : ai dt φαντασίαι γένουται αἱ πλείους ψευδεῖς (1).

Mal voir, mal entendre, πο peut pourtant appartenir, dit ARISTOTE, qu’à un être qui voit et qui entend quelque chose de vrai, bien que ce quelque chose ne soit pas ce qu’il croit (2). C’est la meilleure définition de l’hallucination que nous connaissions. L’hallucination est vraie, en effet, et elle ne peut pas ne pas l’être, pour celui qui la voit ou l’entend ; et pourtant ce qu’il voit ou entend n’est pas ce qu’il croit exister. On admirera la concision et la profondeur de cet aphorisme. Impossible de renfermer plus de choses en moins de mots. Dans le passage suivant, AristoTE décrit avec la même exactitude certaines illusions de la mémoire qui, sous le nom de paramnésies, ont été étudiées de divers côtés dans ces derniers temps : « Parfois il nous arrive de penser et de nous souvenir que nous avons déjà antérieurement entendu et vu quelque chose ; et cette illusion a lieu lorsque, contemplant la chose elle-même, on se méprend et on la considère comme si elle était l’image d’une autre chose. « Parfois, c’est le contraire qui a lieu, comme il arriva à ANTIPHÉRON d’Orée et à d’autres qui déliraient : ils parlaient de leurs imaginations (ox- τάσματα) comme d’événements arrivés et comme s’ils s’en fussent souvenus. Et c’est ce qui a lieu lorsqu’on considère comme une image d’une chose, ce qui n’en est pas du tout une image (3) ». (x) De απ., ΠΠ, nr, 5. Cf. pourtan L 111, 1).

(2) De insomn., ο. 1. τὸ γὰρ παρορᾶν χαὶ παραχούειν ὁρῶντος ἀληθές τι καὶ ἀχούοντος, οὐ μέντοι τοῦτο ὃ οἵεται.

,

(3) 36 πιθπι. ρέ γεηιἰπίσαο. ο. 1. τοῦτο δὲ γίνεται, ὅταν τις τὴν μὴ εἰκύνα ὡς εἰκόνα θεωρῇ. 160

LE SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

Il n’y a pas jusqu’aux hallucinations autoscopiques ou spéculaires dont on ne retrouve l’observation clinique chez AnrisroTe. C’est encore ANïI-PHÉRON d’Orée qui en est le sujet. Après avoir dit que la vision semble se réfracter dans tous les corps lisses, dans l’eau, dans l’air, quand il est condensé, le Stagirite ajoute que la faiblesse seule de la vue suffit pour que l’air produise cette réfraction, comme il arrivait souvent à ce malade, dont la vue était mauvaise et d’une acuité très faible : « Il lui semblait toujours voir sa propre image qui le précédait et qui le regardait en sens contraire de lui (1) ». Ce phénomène, qu’ArisToTE attribue ici à un affaiblissement de la vue, affection d’ailleurs secondaire à la maladie mentale d’ANTIPHÉRON, est une hallucination véritable : c’est la vision de sa propre image. GoETHE a éprouvé cette hallucination (2), bien étudiée aujourd’hui par les aliénistes (3).

Le somnambulisme n’a guère été mieux décrit que dans les paroles suivantes d’ARISTOTE, où ce phénomène est étudié chez l’animal et chez l’homme. Les vagues réveils inconscients du long sommeil des nouveaunés font comparer ceux-ci à des êtres qui sentent et vivent en dormant (4) : Les animaux ont des sensations même quand ils dorment, συμδαίνουσι γὰρ καὶ αθεύδουσιν αἰσθήσεις Toïs ws :s, et ce ne sont pas seulement des réves (ë6rvx) ; mais, outre les rêves, il arrive qu’ils font beaucoup de choses sans rêver, ainsi que ceux qui se lèvent en dormant. Il y a en effet des gens qui se lèvent en dormant et marchent, les yeux tout grands ouverts, comme les gens éveillés ; ils ont très bien la sensation (xoôroi) de tout ce qui arrive autour d’eux ; pourtant ils ne sont pas éveillés ; ils ne sont pas davantage en état de rêve. Les enfants, à cause de leur habitude de sentir et de vivre en dormant, semblent en quelque sorte ne pas savoir qu’ils sont éveillés : rx Gè madix éoixacv, Gonep ἀνεπιστήμονα τεῦ nf

(4) Meteor., ILE, 1v, 3. ei γὰρ εἴδωλον ἐδόχει προηγεῖσθαι βαδίζοντι αὐτῷ ἐξ ἐναντίας βλέπον πρὸς αὐτόν.

(2) Gæœrar. Mémoires. « .... Quand, de mon cheval, je lui tendis encore une fois la main (à Frédérique), les larmes lui roulèrent dans les yeux, et je n’élais pasému moins qu’elle. Je chevauchai alors sur le sentier qui mène à Drusenheim et je fus saisi du pressentiment le plus étrange. Je me vis moiméme, non pas des yeux du corps, mais de ceux de l’esprit, à cheval sur le même chemin, du côté opposé à celui où j’étais, et.dans un vêtement tel que je n’en ai jamais porté ; il était gris οἱ orné de quelques dorures. Silôt que je m’éveillai de ce rêve, l’image disparut. « Huit années après, porlant, non par choix, mais par un hasard singulier, le même habit que j’avais rêvé, je me trouvai sur le mème chemin, pour aller voir encore une fois Frédérique. « Quoi qu’il en soit de celle vision, ce fantôme merveilleux me procura quelque calme dans ce moment de séparalion..... »

(3) V. Féré. Note sur les hallucinations autoscopiques ou spéculaires et sur les hallucinations altruistes. CG. R. Soc. de biol., 18g9r.

(4) De an. gener., V, x, 778. Cf. le traité des Réves. ILLUSIONS DE LA MÉMOIRE. PARAMNÉSIES. AUTOSCOPIE 161

ἐγρηγορέναι, διὰ συνήθειαν ἐν τῷ καθεύδειν αἰσθάνεσθαι at Er. Avec le progrès du temps, et grâce à leur croissance, ils s’éveillent de plus en plus et vivent ainsi la plus grande partie du temps. Mais, dans le principe, ils restent, plus que tous les autres animaux, endormis : c’est que, de tous les animaux qui viennent à terme parfaits, ils naissent les plus imparfaits : päxkey δὲ τῶν ἄλλων ζῴων ἐν ὕπνῳ τὸ πρῶτον διατελοῦσιν’ ἀτελέστατα γὰρ γευνᾶται τῶν τετελεσ- μένων.

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La théorie du sommeil est, chez ARISTOTE, moins exacte, parce qu’elle est tout entière dominée pas sa théorie systématique des fonctions du cerveau au regard de celles du cœur. C’est « le cœur qui est le principe de tout le sang (rayrèç ÔE ro5 aïwares &pyt) » (1). C’est parce que la séparation du sang est beaucoup plus laborieuse après l’ingestion de la nourriture, que le sommeil survient ; il dure jusqu’à ce que la partie la plus pure du sang se sépare et monte en haut, et que la partie la plus bourbeuse se précipite en bas. Quand cette séparation est accomplie, on s’éveille, délivré du poids de la nourriture. Voilà la cause du sommeil. Voici ce qu’est le sommeil : c’est l’envahissement du premier organe de la sensation (vos mpwtou alobnempicu xatéhmhc), c’est-à-dire du cœur, empéché de pouvoir exercer sa fonction (évepyei).

Le cerveau (et, dans les animaux qui n’ont pas de cerveau, la partie qui le remplace) produit de son côté le sommeil par son action réfrigérente :

« le cerveau est bien le siège principal du sommeil, parce que de

toutes les parties du corps l’encéphale est la plus froide. » En refroidissant l’afflux du sang venu de la nourriture, ou pour quelque autre cause semblable, la tête devient lourde et pesante et chasse la chaleur en bas avec le sang. En d’autres termes, comme toute évaporation doit monter pour redescendre, après s’être portée naturellement aux parties les plus hautes, la chaleur, chez l’animal, doit retomber en masse et se diriger en bas. Bref, le sommeil est un refroidissement des parties supérieures, parce que les conduits et les lieux divers qui sont dans la tête sont refroidis αιιαπά ]̓όναρογαίίοη 5Ύ ΡοΓίε (οἱ ἐν τῇ κεφαλῇ πόροι καὶ τόποι χαταφύχονται). Ν οἵ]ὰ dans quel sens il faut entendre, chez ARISTOTE, que le cerveau est le siège principal du sommeil.

De même, et non seulement après le repas, le sommeil se produit après un travail pénible du corps ou de l’esprit, ayant donné lieu aux mêmes phénomènes d’évaporation ; dans des maladies, après l’usage du vin et de certains narcotiques tels que le pavot. Parlant du sensorium commune ou sensorium commun à toutes les (1) De somno et vig., 111.

J. Sourx. — Le Système nerveux central.

11 162

LE SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

sensations, zswèv aisbnréots, dont l’unité, en associant les sensations hétérogènes, est pour l’animal la condition du jugement, ARISTOTE dit en propres termes : « Il est donc évident que le sommeil et la veille sont une affection (7365 ;) de ce sens ; aussi appartient-il à tous les animaux : seul, le toucher est commun à tous (1. » C’est bien au sensorium commune qu’ARISTOTE attribue la fonction du sommeil, car il ajoute : Quand le sensorium principal, auquel aboutissent tous les autres organes des sens, vient à éprouver quelque affection, il est de nécessité que tous ces autres organes, sans exception, doivent l’éprouver avec lui (osurasyets dvaynxior xai τὰ λειπὰ rävea), landis qu’au contraire l’un d’eux peut défaillir sans que le sensorium commune souffre nécessairement de la même défaillance. Il ne manque pas d’observations qui établissent que le sommeil ne consiste pas en ce que les sens cessent d’agir et que l’animal ne peut plus s’en servir (2), ni dans l’impuissance où ces sens seraient alors de sentir. Quelque chose de pareil arrive dans les lipothymies (y rat ; Aroguyias), car la lipothymie consiste dans l’impuissance des sens (aèsvapiz yao xiobiseuv ἡ λιποφυχία) ; 11 οχὶρίο αιιδδί quelques affections de l’esprit du mème genre (yivovra BE nat Euvsrai τινες τοιῦται). 0 εδ encore ainsi que ceux dont on comprime les veines du cou deviennent insensibles : En δ̓ οἱ τὰς ἐν τῷ αὐχένι φλέξας χαταλαμἑανέμενοι avxisbrra vivre. Mais cela a lieu quand cette impuissance à faire usage des sens n’affecte pas un organe quelconque des sens et n’est point amenée par une cause fortuite, mais réside dans le sensorium principal, là où l’animal perçoit toutes ses sensations (ër 1ù πρώτῳ ᾧ αἰσθάνεται réruv). Du moment que ce sensorium est réduit à l’impuissance, il est de nécessité que lous les autres organes des sens cessent également de pouvoir sentir. Au contraire, quand c’est seulement l’un d’eux qui cesse d’agir, il n’est pas nécessaire que le sensorium principal suspende ses fonctions.

_ Ce n’est pas seulement pendant la veille, mais pendant le sommeil, que les mouvements causés par les sensations (ai xvhoers αἱ ἀπὸ τῶν αἴσθηmétuv ) — que celles-ci viennent du dehors ou surgissent de : l’intérieur du corps (xxi <üv x 125 cüpares évymapyouoüv), — se manifestent : pendant la nuit, par l’effet de l’inactivité de chacun des sens et de l’impuissance d’agir où ils sont, ct parce que la chaleur reflue alors du dehors au dedans, ces mouvements persistants des impressions perçues par chacun (1) De somno et vig., II.

(2) Cf. ibid., TL. « Le sommeil n’est pas une impuissance quelconque de sentir ; une pareille impuissance de la sensibilité (aduvauia 705 x :50n7t205) a lieu dans une certaine affection mentale (£xvoa), dans l’asphyxie οἱ dans la lipothymie, ele. »

| THÉORIE DU SOMMEIL ET DES SONGES

163

des sens se portent en bas au principe de la sensibilité (1) (c’est-à-dire à ce qu’ARIsTOTE appelle le sensorium principal, le cœur) ; alors, grâce à l’apaisement des troubles de la veille, ces mouvements, pareils aux petits tourbillons qui se forment dans les fleuves, et quise succèdentsans interruption, comme la vague à la vague, apparaissent sous forme de songes : il semble qu’on voit par les mouvements qui ont été apportés par la vue, qu’on entend par ceux de l’ouïe, et de même pour ceux venus des autres organes des sens.

C’est en effet parce que le mouvement se communique de ces organes au principe de la sensibilité (2) que ; à l’état de veille aussi, on croit voir, entendre et sentir. Ainsi s’expliquent encore les illusions des sens ; le mouvement du vaisseau nous fait croire, par exemple, au mouvement du rivage ; par l’effet d’un double contact, un seul objet nous parait en être deux. « La cause de tous ces phénomènes, c’est. que le sensorium principal (1x5 re xigiov) et le lieu où apparaissent les images (καὶ ᾧ τὰ φχυτάσματα yivetu) ne jugent pas par la même fonction (3). Dans ces divers cas, le principe de la sensibilité (4 &pyf) affirme simplement ce qui est apporté de chaque sens, à moins que quelque autre n’y contredise avec plus de force. L’apparence se montre bien complète ; mais le phénomène ne nous paraît pas toujours être aussi réel, à moins que la fonction de juger en dernier ressort, propre au sensorium principal (rà ἐπικρῖνου) (4), ne soit empéchée, paralÿysée ou ne se meuve point de sôn propre mouvement.

Durant le sommeil, le sang descendant pour la plus grande part vers le principe de la sensibilité, c’est-à-dire vers le cœur, les mouvements, les uns en puissance, les autres en acte, emportés avec le sang, descendent, avec lui, vers ce même principe (5). Et ces mouvements se produisent de telle sorte que, si l’un, parvenu jusqu’à la surface, disparait, un autre surgira à sa place. ARISTOTE compare les rapports de ces mouvements entre eux à ceux des grenouilles artificielles qui montent successivement à la surface de l’eau quand le sel dont elles sont enduites se dissout (6). (1) De insomn., IL. éni trv açynv ts a’o0nosws. (2) Jbid., Τῷ μὲν -ὰρ ἐκεῖθεν ἀφιχνεῖσθαι τὴν κίνησιν πρὸς την ἀργήν. (3) Zbid., II.

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(4) Cf. De somno et vig., I. Le jugement (xoivew) y est attribué tuwt zotv& popiw τῶν αἴσθητηplwv &rävruv, qui n’est autre que le sensorium commune ou le cœur. Dans De insomun., III, cet organe cest, du reste, appelé to xépiov xat érerpivov. (5) De insomn., IIL. Gray yag xa0 :00n, zatibvcos τοῦ πλείστου αἵματος ἐπὶ τὴν ἁργήν, συγχα- τέργονται αἱ ἐνοῦσαι πινήσεις, αἱ μὲν δυνάμει, αἱ δ̓ ἐνεργείᾳ. (6) Zbid., ὥσπερ οἱ πεπλασμένοι βάτραγοι οἱ ἀνιόντες ἐν τῷ ὕδατι τηχομένου τοῦ ἁλός. 164

LE SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

De même, ces mouvements ne sont d’abord qu’à l’état naissant, maïs ce qui s’opposait à leur manifestation venant à diminuer, ils se réalisent, ct, libérés dans la petite quantité de sang restée dans les organes des sens, ils s’agitent, prenant la ressemblance des objets qui d’ordinaire émeuvent les sens : telles ces apparences formées par les nuages qui changent rapidement et évoquent des images d’hommes ou de centaures. Chacun de ces mouvements est un résidu de la sensation en acte (irékauuz τοῦ ἐν τῇ ἐνεργεία αἰσθήμτος) οἳ αῖ persiste quand la sensation vraie a disparu, si bien qu’il est juste de dire que cela ressemble à Coriscus, encore que ce ne soit pas Coriscus. Lorsque le sensorium principal, et qui juge en dernier ressort (3 xipier xx ërtuper), sentait réellement, il ne disait pas que ce fût là Coriscus, car il connaissait ainsi le Coriscus véritable. L’ayant perçu dans le sommeil, il l’affirme, à moins qu’il ne soit entièrement paralysé par le sang : il est mü par les mouvements siégeant dans les organes des sens (xneïsx ὑπὸ τῶν κινήσεων τῶν ἐν τοῖς αἰσθητηρίοις) ; la semblance de l’objet paraît être l’objet lui-même, et telle est la puissance du sommeil qu’elle fait que nous ne nous en apercevons point. « Que ce que nous disons soit vrai, et qu’il existe dans les organes des sens des mouvements imaginaires (xvises gmrastimai), c’est-à-dire capables de produire des images, c’est ce qui deviendra manifeste, dit expressément ARISTOTE, si quelqu’un fait l’effort nécessaire pour se rappeler ce qu’on éprouve quand, étant profondément endormi, on est réveillé : il arrivera que l’on pourra s’assurer en s’éveillant que les images qu’on voyait durant le sommeil ne sont que des mouvements dans les organes des sens (rx φαινόμενα εἴδωλα... κινήσεις οὕσας ἐν τοῖς αἰσθητηρίο :«). Souvent les enfants, éveillés et les yeux ouverts, voient apparaître, dans les ténèbres, une foule d’images en mouvement ; leur crainte les force parfois à se couvrir les yeux. » Ces apparitions ne sont pas des rèves, non plus que toutes celles qui se montrent quand nos sens sont libres : le rêve est au contraire une image qui se produit dans le sommeil (τὸ ἐνύπνιον φάντασμα μέν τι, καὶ ἐν ὕπυῳ). ΛΒΙΦΤΟΤΕ ἀό[πΙί 6πςοοτε Ι9 γόγε : 16 ἴηιαφθ (φάντασμα) produite par le mouvement des impressions sensibles quand on est dans le sommeil, et en tant qu’on dort.

Tout cc qui apparaît dans le sommeil n’est pas un rêve. Car d’abord il se peut quelquefois que durant le sommeil on ait quelque sensation de bruit, de lumière, de saveur et de contact, mais faiblement cependant ct comme de très loin (ἀσθενικῶς μέντει καὶ οἷον πώρροθεν). ΛΙηθί des gens qui déjà, en dormant, voyaient vaguement, éveillés subitement, ont reconnu dans la lumière de la lampe celle qu’ils avaient vue indistinctement dans le sommeil, croyaient-ils ; des gens qui entendaient faiblement le chant des coqs ct les aboiements des chiens en dormant, les ont clairement HALLUCINATIONS DU RÊVE ET DE LA VEILLE

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reconnus en se réveillant. D’autres répondent dans le sommeil aux questions qu’on leur fait : ἔνιοι δὲ καὶ ἀποχρίνουται ἐρωτώμενοι (1). Les fœtus semblent être éveillés dans l’utérus (éyerpéuerx φαίνεται voi ἐν τῇ μήτρα). Cela apparaît manifestement tant dans les anatomies que dans les petits des ovipares : dfhov δὲ γένεται τεῦτο ἐν ταῖς ἀνατομαῖς καὶ ἐν ᾠοτοκοῦσω (3).

Par une vue assez profonde, et que je me borne à signaler, venant à parler des convulsions de la première enfance, ArisTotE écrit : « Le sommeil ressemble à l’épilepsie et, dans un certain sens, c’est une épilepsie (όμοιον γὰρ ὁ ὕπνος ἐπιλήψει, καὶ ἔστι τρόπον τινὰ ὁ ὕπνος ἐπίληψις) (5). Ἡ πο {αιί ἆοπο pas s’étonner, ajoute-t-il, que, fort souvent, cetle affection commence durant le sommeil, et que l’accès ait lieu quand on dort, et non dans la veille. »

Dans le sommeil, les vapeurs montées au cerveau dans les vaisseaux sanguins et condensées par le froid de cet organe, retombent ensuite dans le sensorium commune, c’est-à-dire dans la région du cœur, qui suspend son activité en partie. Or ce qui arrive dans le sommeil, dit ARISTOTE, arrive aussi dans l’épilepsie, de sorte que le sommeil est une manière d’attaque d’épilepsie.

Nous savons aujourd’hui que le sensorium commune n’est pas le cœur, mais le cerveau. Toutefois, en dépit de cette erreur fondamentale, les vues d’ARISTOTE s’accordent avec les idées modernes. Cet accord, un savant anglais, OGze, l’a cru voir et dans l’hypothèse qui attribue le sommeil à une altération — quantitative et qualitative — du sang irriguant le sensorium, et dans la ressemblance, signalée par ARISTOTE, entre le sommeil et l’épilepsie. BRowN-SÉQuaARD a écrit en effet les paroles suivantes : « Nous pouvons même dire que, chez beaucoup de personnes non épileptiques, le sommeil ressemble à une légère attaque d’épilepsie(4). » En somme, et pour résumer les doctrines cardinales d’ARISTOTE sur la vie, la sensibilité et l’intelligence, doctrines fondées sur les textes authenliques dont nous venons d’exposer la lettre même, la nutrition, la sensibilité, la locomotion, la pensée, distinguent l’être animé de l’être inanimé. Aucune de ces fonctions ne saurait exister sans un corps organisé. L’âme, et toute espèce d’âme, étant inséparable du corps dont elle n’est que la forme, la perfection, l’achèvement, en un mot, l’entéléchie, (1) Anisrore. De insomn., Il.

(2) De anim. gener., V, 1.

(3) De somno et vig., III.

(4) Leçons sur les nerfs vaso-moteurs, sur l’épilepsie et sur les actions réflexes normales et morbides. Paris, 1852, 121. l’âme se trouve définie par les fonctions de la vie. Entre toutes, la nutrition est la plus importante, car toutes les fonctions dépendent d’elle : elle peut subsister seule et indépendamment de toutes les autres, comme dans le végétal, mais les autres fonctions ne peuvent subsister sans la nutrition. La sensibilité est ce qui constitue avant tout l’animal, même privé de mouvement. L’âme est ce par quoi nous vivons, sentons et pensons. L’âme a-t-elle des parties distinctes et pouvant être matériellement séparées ? Certains végétaux, qui n’ont que l’âme nutritive, c’est-à-dire la faculté de s’assimiler les éléments du milieu où ils vivent, subsistent fort bien après qu’on les a séparés et divisés en parties. De même, si l’on coupe certains insectes en plusieurs parties, on voit la sensibilité, la locomotion, et, par conséquent, les images et les appétits, persister encore dans chacune de ces parties. Si, parmi les êtres animés, les uns n’ont que quelques-unes de ces fonctions, ou même n’en ont qu’une seule, d’autres les possèdent toutes. La cause de ces différences est dans l’organisation et la constitution du corps des êtres vivants. Toutes les fonctions de la vie sont rigoureusement subordonnées les unes aux autres. Sans nutrition, point de sensibilité, ni de locomotion, ni de pensée. L’âme est la fin du corps ; elle est le principe et le but de son activité, elle est ce en vue de quoi tout s’ordonne et s’organise dans ce petit monde qu’on appelle un être organisé, vivant, mais elle est si peu séparable de la plante et de l’animal, quels qu’ils soient, qu’aucune des fonctions vitales par lesquelles elle a été définie, depuis la nutrition jusqu’à la pensée, ne se manifeste sans la matière.

Sans doute, penser est pour Aristote autre chose que sentir. Mais la pensée suppose nécessairement les sensations et les images, lesquelles impliquent à leur tour la sensibilité et la nutrition. Les images fournissent à l’intelligence des sensations plus ou moins affaiblies, mais toujours susceptibles de s’exalter jusqu’à nous faire croire que nous voyons ou entendons les choses elles-mêmes, sensations d’où naissent les conceptions intellectuelles. Le souvenir, la mémoire, s’expliquent par la persistance des impressions sensibles. « La sensation vient du dehors ; mais, pour se souvenir, l’âme doit se reporter aux mouvements où aux impressions demeurées dans les organes des sens, ἡ δ’ ἀνάμνησις ἀπ̓’ ἐκείνης ἐπὶ τὰς ἐν τοῖς αἴσθητηρίοις κινήσεις ἢ μονάς » (De an., I, IV, 12). Les images sont à l’intelligence ce que les sensations sont à la sensibilité. Sans images, sans représentations internes des choses, l’âme intelligente ne saurait penser. Pour pouvoir penser, l’intelligence doit devenir les choses qu’elle pense. C’est dans les choses matérielles, dans les formes sensibles que sont en puissance toutes les choses intelligibles. Concevoir sans imaginer n’est pas dans la nature, et les images, encore une fois, sont bien des espèces de sensations. Voilà pourquoi, s’il ne sentait pas, l’être ne pourrait absolument ni rien savoir ni rien comprendre. Il n’y a pas jusqu’aux notions abstraites des mathématiques, jusqu’aux pensées premières de l’intelligence, jusqu’aux catégories de l’entendement qui, sans les images, ne sauraient exister.

  1. De part. anim.,II, III, X, : De gener. anim., V, III, IV ; Problem., I, 16 ; II, 17 : XXXVI, 2.
  2. Aristote. De gener. anim., II, I.
  3. Ibid. τὰ μὲν γὰρ ἐκ γῆς πλείονος γέγονεν, οἷον τὸ τῶν φυτῶν γένος, τὰ δ̓ ἐξ ὕδατος, οἷον τὸ τῶν ἐνύδρων τῶν δὲ πτηνῶν καὶ πεζῶν τὰ μὲν ἐξ ἀέρος τὰ δ̓ ἐκ πυρός ἕκαστα δ̓ ἐν τοῖς οἰκείοις τόποις ἔχει τὴν τάξιν αὐτῶν.