Les Foules de Lourdes/Chapitre III

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P.-V. Stock (p. 51-66).

III


Le temps des grands pèlerinages internationaux est venu ; le vertige de la ville, assaillie de toutes parts, commence ; les pèlerins de la Lorraine, de la Champagne, de la Provence, de la Normandie, du Rouergue et du Berri, sont là. Une armée de Belges, débarquée d’hier, envahit l’esplanade et sillonne les rues ; l’on attend, ce matin, les trains de la Bretagne, avec une nouvelle escouade de Belges et de Hollandais.

Lourdes craque déjà dans l’indéserrable ceinture de ses monts. La pluie a cessé ; une poudre violette tombe du ciel, implacablement pur, sur les montagnes qui se précisent. Le grand et le petit Gers dorent, au soleil, la carapace cendrée de leurs rocs et les quelques plaques des pâturages, collées sur leurs flancs, s’éverdument. Quelque chose monte lentement dans une rainure, creusée sur l’un des versants ; l’on dirait d’un ver blanc qui rampe ; c’est le funiculaire qui, tantôt en plein jour, tantôt dans l’ombre des tunnels, grimpe jusqu’à la cîme. Il semble que le soleil vanne du bien-être et blute de la joie sur la vallée où retentit le son du cor de chasse qui sert d’appel au marchand de chiffons dont la carriole apparaît sur la route, au loin.

Je descends pour assister à l’arrivée des fidèles du Finistère et du Morbihan ; les rues de la vieille ville et le pont débordent ; il faut jouer des coudes pour se frayer passage ; l’indolent troupeau des Bretons tourne sur lui-méme, piétine sur place, rabattu par ses prêtres qui le lancinent comme des chiens de garde ; mais les boutiques de bondieuseries hypnotisent les femmes et il devient nécessaire de les tirer par le bras, de les pousser par le dos pour les faire avancer. Mal éveillées, ahuries, elles regardent, ainsi qu’au sortir d’un songe, traînant avec elles de lourds paniers et des bidons, et la plupart des hommes vont, bras ballants, causant à peine, l’esprit gourd, ruminant, tel qu’un bétail, on ne sait quoi. La vérité est qu’ils sont éreintés par des nuits de chemin de fer et si dépaysés ! — Ils apportent au moins un peu de couleur locale dans le monotone assemblage des gris et des noirs des autres provinces. Les hommes ont gardé le chapeau à ruban de velours, la veste et le gilet, bleu de roi ou violet d’évêque, passementés de broderies jaune serin et tiquetés de boutons à grelots de cuivre ; mais le buste seul a conservé la nuance et la forme du terroir ; le bas est quelconque, d’une laideur malpropre qui tranche avec la partie quasi-fraîche du haut. Une ceinture de zouave, d’un azur à laver le linge, limite les deux zones de la veste amusante et de l’ennuyeuse culotte, achetée dans les laissés-pour-compte des regratiers d’un port. Quelques-unes sont à ponts, mais elles sont, comme les plus modernes, tissées avec des laines de teinte purée de pois ou ardoise ; d’aucunes même, lissées et salies par l’usage, ont pris ce ton d’un brun gras qu’ont les olives noires ; un seul homme, dans tout le pèlerinage, arbore le costume complet avec les grègues et les jambières, couleur de cannelle, un vieux, grand et très droit, aux longs cheveux blancs, à la face rose, aux yeux secs et crus, en retrait dans un teint cuit.

Et presque tous ces marins ont des traits rigides, des épidermes d’ancien buis, des prunelles claires, de ce bleu froid qu’ont, dans le Finistère, les moutons noirs.

Les femmes grasses ou osseuses, avec des peaux de pelure d’oignons, salées par les embruns, des yeux lapis ou vert de mer, les jeunes filles aux têtes d’oiseaux et aux crânes durs, sont empaquetées dans des cloches superposées de jupes où se perçoivent des liserés, colorés avec le rose aigre et le violet criard de l’aniline. Elles aussi, sont de n’importe quelle région, à partir de la ceinture et redeviennent, de la taille à la nuque, Bretonnes ; quelques-unes s’accoutrent de collerettes godronnées, tuyautées de petits plis comme du temps de Louis XIII et de corsages soutachés de croissants ou de pinces de crabes, en velours ; une ou deux, issues du fond du Finistère, ressemblent à des Hollandaises avec leurs robes, frangées d’orange et les broderies en paillons de leur coiffe ; toutes se reconnaissent, dans la foule, à leurs bonnets cocasses et variés ; ils affectent, en effet, les plus étranges formes, depuis le pot de fleur, posé à la renverse, sur le chignon, le casque amidonné et la courte mître, jusqu’aux élytres du papillon et au sabot du cypripedium, de l’orchidée ouverte en vide-poche et munie d’ailes.

En ce tas de l’Armorique qui vermille dans les rues et sur le pont, des estropiats et des manchots, des enfants déformés, aux membres interrompus, des vieillards dont les goîtres pendent pareils à d’énormes poires, des vieilles femmes qui claudiquent, appuyées sur leurs potences, des aveugles avec des prunelles en blanc d’œuf, sont entourés et surveillés par les sœurs du Saint-Esprit dont le costume qui paraît découpé dans de la toile écrue, avec tout juste un bout de noir au capuchon, met un sourire de blancheur dans le ton foncé des habits et des robes.

Les prêtres, à figures de terriens et de pêcheurs, s’impatientent de ne pouvoir hâter la marche du troupeau, mais ils ont beau s’évertuer en remontrances, les femmes s’égaillent et l’une d’elles, arrêtée au milieu du pont, sur le trottoir, pour se faire cirer ses chaussures, discute avec le frotteur qui lui réclame deux sous et prétend n’en devoir qu’un parce que, dit-elle, ses pieds ne sont pas grands.

Enfin, la procession atteint un saint Michel de bronze qui valse sans grâce sur le corps renversé d’un vague notaire déguisé en démon et dépasse le monument du Calvaire, placé au début de l’esplanade, et offert par cette même Bretagne à la Vierge de Lourdes ; le prêtre qui tient la tête du cortège fait halte et se retourne, le bétail l’imite ; il lève le bras et le cantique commence, tandis que le défilé reprend :


Nous venons encore du pays d’Arvor,
Où le sol est dur, où le cœur est fort,
Fiers de notre Foi, notre seul trésor,
Nous venons du pays d’Arvor !


Et, tous se dirigent vers la grotte, fendant une multitude de pèlerins de toutes les provenances qui se différencient par leurs insignes, car, ici, tout le monde affiche un ruban ou une rosette, tout le monde est décoré ! les Belges portent à la boutonnière une minuscule cocarde, noire, jaune et rouge, les couleurs de leur drapeau ; les Bourguignons, les mêmes couleurs, barrées d’une croix de métal ; les Normands, une croix de flanelle rouge ; les Bretons, un Sacré-Cœur également taillé dans de la flanelle rouge ; les Berrichons, une marguerite blanche sur un fond de cendre bleue, et combien d’autres !

Ballottés par le remous de cette foule, remorqués en avant et refoulés en queue par les sœurs du Saint-Esprit et par le clergé, les Bretons arrivent pourtant à la grotte, mais tout est plein. Le long de la rivière fourmille et l’espace est bien restreint entre les grilles de la grotte et les parapets du Gave. Les brancardiers, chargés de maintenir l’ordre, se placent en vis-à-vis et tendent des cordes pour assurer un sentier libre aux voilurettes des malades qui descendent de l’hôpital. À cette heure, la basilique, la crypte qui la supporte et le Rosaire regorgent ; des groupes stationnent devant les portes laissées ouvertes et entendent, de loin, la messe, et voilà que la colline des Espélugues, sur laquelle est planté le chemin de croix, s’anime, tourne sur elle-même en une lente spirale et chante.

Elle semble marcher avec les gens qui montent sur les chemins en ziggag de ses flancs : c’est un pèlerinage du Quercy qui serpente, précédé d’une bannière, en clamant, avec des voix en tôles que l’on bat, un cantique où l’on distingue des « De Dious la rouzado » et des « pitchoun ».

Ceux-là, je les connais ; ils sont, en quelque sorte, les charbonniers de Lourdes ; tout est noir en eux, habits, coiffes et robes ; pas même une tache blanche de linge, près du cou ; jusqu’à leurs traits qui paraissent accentués par des coups de fusain. Hier ils rôdaient, renfrognés, en une ribambelle de pieux margougniats dans les rues de la ville ; et les marchands, qui savent qu’ils n’achètent rien, gouaillaient, en les regardant jargonner devant leurs devantures.

Et tandis que ce Midi sombre chemine, en beuglant, sur les lacets du coteau, on est parvenu, tant bien que mal, à tasser les Bretons près de la grotte, et ils écoutent maintenant le sermon de l’un de leurs recteurs, huché dans la chaire. Ils se tiennent découverts et attentifs et, quand le chapelet se dévide, tous fixent, béats, la statue blanche et bleue de Notre-Dame. On les bouscule, on les bourre, on pressure leurs vastes pieds pour ouvrir dans leurs rangs une nouvelle voie pour les grabataires, nul ne se plaint et ne s’interrompt de prier ; ce ne sont plus les patauds endormis de tout à l’heure, mais de braves et d’humbles gens qui implorent, avec la piété simple et forte de leur race, cette Vierge qu’ils sont venus de si loin pour vénérer. Après le chapelet, sans bruit, sous la conduite des sœurs, ils défileront, deux par deux, dans la grotte, baiseront le roc, en entrant par l’une des portes de la grille pour sortir par l’autre, puis ils iront boire, à la queue leu-leu, à la fontaine.

Je me rends aux piscines. La place, limitée par des barrières et fermée par des cordes tendues, devant les trois édicules, de style confusément gothique, collés au bas du rocher, sous le flanc de la basilique, à quelques pas de la grotte, est remplie de voiturettes d’infirmes ; et des brancardiers en bérets, avec leurs bretelles de cuir qui sont le « laissez-passer », le « coupe-file » de Lourdes, vont et viennent, remontent l’oreiller d’un malade en lui donnant dans un gobelet de fer-blanc à boire, très dévoués vraiment à ces malheureux qu’ils traînent, de l’hôpital aux piscines, en faisant le métier de bêtes de somme.

Un prêtre, à mine patibulaire, avec une barbe de cinq jours, issu d’on ne sait quel fond de province, se jette à genoux, les bras en croix, face au public. Il récite à haute voix le rosaire, invoque à grands cris la Vierge, la supplie de guérir les patients que l’on baigne et l’âme embrasée de ce prêtre illumine ses traits et, peu à peu, agit sur les spectateurs qui s’échauffent. Ce qu’il prie bien, ce pauvre vicaire de campagne ! et quel accent et quels yeux ! des yeux en feu et en eau, des brûlots qui flambent dans les larmes !

Et des voiturettes arrivent encore, charriant des paralytiques blêmes, les lèvres détendues, considérant on se demande quoi, par terre ; des hydropiques, la tête rejetée en arrière, comme pour ne pas voir l’obsédante panique de leurs ventres enflés, ainsi que des bonbonnes ; des phtisiques, creux et amers, dont les yeux vernis errent à la ronde ; des cardiaques étouffant, levant, dans leur effort pour mieux respirer, le cou en l’air.

Et l’on rapproche ces voiturettes les unes des autres, et voici le char à bancs des grands malades, étendus sur des matelas, placés sur des civières à manches : des hommes et des femmes livides, aux traits renversés, aux nez pincés, à la bouche marquée par deux lignes de cendre, aux yeux pochés d’un cercle de lilas, dans du blanc.

Les brancardiers s’empressent, descendent avec précaution les civières et les déposent aux portes des piscines, fermées par des rideaux.

Devant ces figures de la douleur qui passent, le prêtre, à genoux, fouette la foule, l’exaspère par les cris de pitié dont sa voix se brise.


Seigneur, sauvez nos malades !


Et le roulement furieux des Ave Maria reprend.


Marie, nous vous aimons !


Et les grondements des Ave redoublent — et les portières des piscines s’ouvrent. On se penche avidement pour distinguer la physionomie des gens que l’on sort ; on attend une guérison, et l’on aperçoit des êtres couchés et qui vivent encore pour souffrir ; hélas ! pour ceux-là, les suppliques de ce matin sont vaines ! — Voyons tout de même, au dedans, si, à défaut de cure complète, il n’y aurait pas des allégements, des rémissions. Je franchis le camp des voitures et j’écarte le rideau des bains.

La première fois que je pénétrai dans ces salles, j’eus une surprise ; sur les récits de Zola qui peignit toujours ses toiles comme des décors de théâtre, je me les figurais très vastes ; j’imaginais au moins des pièces aérées et commodes, creusées de larges bassins, autour desquels baigneurs et malades évoluaient à l’aise. Il n’en est rien ; ces chambres ont tout juste l’ampleur des cabines de bains à bon marché. En guise de porte, une courtine ; trois murs ; celui du fond muni d’un vitrail qui n’éclaire pas et sur lequel est peint une Vierge, avec au-dessous une statuette de Notre-Dame de Lourdes ; les deux autres sont de simples cloisons, sans ornements ; enfin au milieu une baignoire de pierre se creuse, peu profonde, dans laquelle on descend par quelques marches et le mobilier se compose d’une chaise. C’est, dans cet obscur réduit que la Vierge, devenue servante de bains, travaille ; c’est dans ce bouge humide, avec cette eau putréfiée, qu’Elle opère.

Et l’on est pris d’angoisse, l’on tremble presque, faisant un brusque retour sur soi-même, quand l’on songe qu’Elle se tient, invisible, en cet étroit espace, qu’on la frôle peut-être, et que, dans une minute, Elle attestera, si elle le veut, sa présence, par une guérison !

Il faudrait avoir l’âme blanche de Bernadette pour oser rester sans vergogne aussi près d’Elle ! On se sent bien petit, un peu honteux même de se promener là, en simple curieux, mais, après tout, l’on n’est pas sans doute inutile puisqu’on vient la prier pour les infirmes, puisqu’on ne lui parle pas de soi, mais d’eux !

Et, machinalement, on la cherche, et l’on ne voit que sa pauvre effigie peinte sur un carreau ou moulée dans du plâtre. — Ah ! ce que ce n’est pas Elle ! — On regarde cette eau qui pourrait refléter son sourire, si elle n’avait perdu, dans la boue des plaies qu’on y trempe, la faculté de réverbérer la moindre image ; elle est opaque et elle est morte ; et pourtant, non, elle vit, attentive et docile, prête à obéir, depuis les Apparitions, aux ordres du Prophète et du Psalmiste qui lui enjoignirent, bien avant que le Fils ne fût né, de célébrer ses louanges, et elle s’en acquitte, en promulguant ses miracles, maintenant qu’elle a été choisie par la Mère, pour servir de véhicule aux guérisons !

Ce matin-ci, l’étroit corridor qui dessert l’antichambre des déshabillages et les cabines est obstrué par des brancards habités, lorsque j’arrive. Un vieux Monsieur dont la tête, en œuf, est chauve du haut et poilue du bas, s’agite dans un costume de cycliste. Il commande, en se dandinant, morigène les baigneurs, inscrit, d’un air important, le nombre des bains sur un carnet ; c’est un spécimen de grosse mouche du coche qui prêterait à rire, si le spectacle auquel on assiste n’était si triste.

On se met à quatre pour déshabiller un malade dont le dos n’est qu’une plaie ; une odeur horrible de pus et de cadavre vous saisit à la gorge ; l’homme, cassé en deux, gémit et la bouche bée, les dents au clair. On lui attache, par pudeur, un pagne sur le ventre ; on lui passe une sangle sous les reins et, le plus adroitement qu’ils peuvent, les quatre baigneurs le glissent dans la piscine. Au contact de l’eau glacée, toute la peau lui court en ondes sur le corps ; il suffoque, la tête à la renverse sur les épaules ; on le retire et, sans l’essuyer, on lui remet ses vêtements et on l’emporte.

On a prié, pendant ce temps-là, le mieux qu’on a pu ; mais comment ne pas se confiner dans la supplique labiale, comment penser à ce que l’on dit ? le patient est à moitié évanoui et ne sait plus où il est et les infirmiers sont absorbés par leur dure besogne ; moi-même, qui demande la guérison de ce pauvre homme, je suis distrait par ce que je vois ; il ne faut donc valablement compter que sur les exorations plus libres du dehors que l’on entend, continues et véhémentes, dès que le rideau se lève.

Et il retombe sur une nouvelle civière qu’on amène. Il en sort un être, recroquevillé sur lui-même dont le visage, rendu hagard par la souffrance, me bouleverse. Quelle pitié ! on le débarrasse de ses couvertures, de son gilet de flanelle : c’est un squelette en sueur. On le descend doucement dans l’eau ; il la pétrit de ses mains crispées et râle ; on l’en extrait et on le replace, tout mouillé, sur son brancard — et un autre entre.

Ah ! le regard de celui-là ! — deux flammes de gaz, allumées dans les orbites d’une tête de mort et qui sont, tour à tour, comme haussées par l’espoir et baissées par la peur ; on ôte sa chemise ; elle est maculée, par endroit, de gomme-gutte et de sang frais, empesée, à d’autres, par des taches d’humeur sèche qui la font ressembler à du sparadrap. Et l’homme apparaît, avec des grenades ouvertes dans les flancs.

Une fois dans l’eau il halète, rauque, les yeux hors du front, et des tampons de charpie que l’on n’avait pas décollés, flottent. On le retire, on lui plaque, tant bien que mal, après les avoir trempés dans la piscine, ses linges de pansement et un jeune prêtre couché tout habillé, sur un matelas, lui succède. Celui-là se meurt d’une maladie de cœur, arrivée à la dernière période. On lui déboutonne sa soutane, on écarte sa chemise, et, sur l’ordre du Monsieur qui inscrit les bains, on lui fait simplement des lotions sur la poitrine.

Les porteurs s’en retournent ; ce sont maintenant des cris affreux, les cris d’un malheureux enfant qui supplie qu’on ne le baigne point !

Je vais dans les autres cabines ; le spectacle est le même ; des infirmes gisent sur des brancards, tandis que l’eau remue encore et clapote contre les parois de la baignoire ; par instants des bouffées d’iodoforme passent dans l’air empuanti par les haleines amères et les plaies ; partout, traînent des bouts de charpie, des morceaux d’ouate couverts de sanie et de sang.

L’eau est devenue un hideux bouillon, une sorte d’eau de vaisselle grise, à bulles, et des ampoules rouges et des cloques blanchâtres nagent sur cet étain liquide dans lequel on continue à plonger des gens.

Le miracle permanent de Lourdes est là ; on jette dans des récipients contaminés des malades, sans attendre qu’ils aient achevé la digestion de leur repas ; on trempe jusqu’au cou des femmes,

à des époques où le plus élémentaire bon sens défend à une femme de prendre un bain — et souvent, dans ce cas-là, l’eau se change, d’un coup, en une mare de pourpre — et personne n’est frappé de congestion, personne ne se ressent du saisissement glacé du bain et du manque d’essuyage. — Les pansements antiseptiques, tant vantés par la chirurgie, sont tout bonnement remplacés, ici, par des compressés d’eau de Lourdes et les plaies ne s’en portent pas plus mal. Jamais pareilles nazardes ne furent infligées à l’hygiène et pareils camouflets à la médecine. Ici, aucune infection ne se produit et aucune maladie, si elle n’est guérie, ne s’aggrave ; et cette exemption s’étend aussi à l’hôpital où presque jamais les alités, exténués pourtant par les fatigues du voyage et arrivés presque mourants, ne trépassent. Les décès sont, en effet, très rares dans l’établissement de Lourdes. En prenant une moyenne de quatre jours et un chiffre de mille malades qui donneraient dans les autres hôpitaux une mortalité de vingt au moins pour ces quatre jours, nous trouvons qu’ici — et depuis vingt années — les morts se réduisent, dans les mêmes conditions, à une ou deux.

Comment, si l’on ne croit pas à une intervention divine, expliquer cette impunité assurée à Lourdes seulement et tant que l’on sera dans la zone protectrice de la Vierge ?